La Revue des Ressources

La voix 

lundi 12 septembre 2011, par JS Williamson

Ne cherchez pas à comprendre ce qui va suivre. Tous les faits relatés dans cet article sont purement et simplement fictifs ; j’en ai décidé ainsi pour mon équilibre mental, mais aussi pour vous protéger. Ne venez pas vous plaindre en envoyant des messages privés ou en postant un lien sur mon mur ; vous êtes prévenus, tout ce qui succède à cet incipit n’est autre qu’une affabulation de mon esprit.
Vous devez me croire.
Pour les irréductibles, ceux qui verront dans l’histoire une once de vérité, n’essayez pas de me joindre ; cette injonction fait office de conseil. Oubliez-moi, effacez ce commentaire de votre fil d’actualité, rayez-moi de vos mémoires et reprenez une vie normale — si cette dernière option reste toujours possible.
J’insiste vraiment, car si vous persistez à croire la suite de mes élucubrations, vous serez pris au mieux pour un fou. Le pire, vous le connaîtrez en lisant mes dernières notes et pour rien au monde, je ne vous souhaite de traverser ce que j’ai vécu ; cette pensée est également valable pour mon pire ennemi qui ne mérite pas de rencontrer cette vision indicible.
Tout a commencé, il y a une heure environ, je discutais avec l’un de mes contacts — dont je tairai le nom, afin qu’il échappe aux trop nombreuses questions qui, d’ailleurs, resteront sans réponse, pour vous, mais surtout pour lui.
Car cet « ami » est et restera le dernier à avoir dialogué avec moi, via le réseau social.
Ici commence mon récit.
*
Sur la table basse de mon salon, est posé un téléphone, pas n’importe lequel, celui de mon fils. Un bon gros combiné en plastique avec quatre boutons, des lumières et toute une batterie de sons. De mon côté, je suis assis dans mon fauteuil, et je tape au clavier, le regard plongé dans la fenêtre de discussion.
Bon, maintenant que la scène est posée, je vais m’attarder sur les évènements qui ont suivi.
Je réponds « LoL » à mon contact FB, car lire banane et Enfer dans une même phrase, c’est plutôt poilant — n’essayez pas de comprendre, sans doute un reste d’humour potache. Bref, tandis que je postais ma réponse, le téléphone de mon fils s’est soudainement mis en branle, un peu comme s’il avait été en mode « vibreur ».
En premier lieu, j’ai ignoré le réveil inopiné du jouet, mais quelques secondes plus tard, un déclic retentit à l’intérieur de cette mécanique enfantine ; ce claquement sec attira mon attention avant de la tirer entièrement dans des limbes que je pensais impossible à atteindre.
Pourquoi, me direz-vous ? Tout simplement parce qu’une voix s’échappait de l’appareil.
Aussitôt, le sang s’est comme figé dans mon corps. En un battement de cœur, je devins un être reptilien, régressant pour un temps indéterminé au stade primaire de l’évolution.
Entendre cette voix m’obligea à saisir ma tête à deux mains. Je ne souhaitais pas en entendre plus, car je savais qu’au fond, m’attarder sur cette logorrhée nuirait à ma santé mentale. La mélopée continua de sourdre de ce téléphone en plastique ; cette litanie enserrait mon esprit, je n’arrivais pas à me détacher de cette force d’où se dégageait une puissance malsaine.
J’ai omis un détail concernant mon récit, j’étais seul dans la maison. Cette voix provenait d’un simple mirage auditif, une invention de mon imagination ; toutes autres solutions consolidaient la thèse de la folie. Il ne pouvait en être autrement, seulement cette voix continua de murmurer des mots, des phrases incompréhensibles, des phonèmes qui ne m’étaient pas inconnus.
En un instant, je me revis face à ce livre écrit Abdul Al-Hazred. Son nom ? Peu importe, il n’existe pas, mais les paroles remontant de cet objet posé au centre de mon salon désiraient avec insistance me prouver le contraire.
Je vais tenter de vous retranscrire à l’oreille les syllabes prononcées.
« Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn  », ne m’en veuillez pas pour l’orthographe, je ne suis ni interprète, ni linguiste, seulement un petit écrivain d’horreur qui aime faire peur aux gens. Et pour une fois, j’étais pris dans un engrenage qui m’échappait ; la terreur me gagnait.
De relire les mots inscrits sur un bout de papier, m’enleva tout ce qu’il me restait de raison.
Sans prévenir, une puissante odeur de marée envahit le salon.
Je me suis dressé d’un bond et j’ai reculé ; je n’aurais pas eu la réaction suivante, si Lovecraft n’était pas entré un jour dans ma vie via La cité sans nom.
Bien que tremblantes, mes jambes me soutinrent face à ce jouet qui s’adressait à moi dans la langue des Grands Anciens. Puis je vis un liquide visqueux jaillir par le clapet des piles, par l’écouteur ; il ne cessa de grossir, diffusant par la même occasion une odeur de décomposition avancée.
Les épaules contre le mur. Les images des Grands Anciens prirent vie sous mon regard. Le plastique du téléphone se craquela, une main… Non ! Une sorte de membre à l’aspect squameux, se dégagea avec maladresse du combiné.
Sur l’écran de mon ordinateur, mon interlocuteur attendait la réponse à sa dernière question. Je n’avais plus aucune envie de m’approcher du clavier. Une présence ichtyoïde s’était échappée du jouet, une autre main — palmée, suivait.
Je ne bougeais plus, tétanisé par cette horreur prenant forme dans la réalité, ma réalité, et c’est en apercevant un membre ressemblant à un tentacule que je sus qu’HP Lovecraft n’avait pas seulement inventé un mythe.
« Il a rapporté au monde, ce qu’il a vu à Providence. »
**
Vous comprendrez que cette histoire n’est qu’une illusion. Les grands Anciens, et surtout, celui dont on ne doit pas prononcer le nom, appartiennent à un mythe, celui de Cthulhu.
Pourtant, je sais, il est remonté à la surface, alors maintenant, je vous intime de m’oublier, de ne parler de moi à personne.
Le goût du sel envahit déjà ma bouche, un humus collant se développe depuis peu sur mon épiderme. Cette substance n’a rien de désagréable, au contraire, sa puissance olfactive cache cette odeur poissonneuse qui m’incommodait tant.
J’ai également remarqué la naissance de deux fines cicatrices se prolongeant aux arêtes de ma mâchoire. Ces estafilades sont apparues à la base de mes lobes et commencent à pulser lentement. Bientôt, je sais que je respirerai par ces nouveaux orifices.
La voix est toujours là, elle m’invite à la rejoindre. Les silhouettes ichtyoformes m’attendent à l’entrée creusée à même le sol de mon salon. Le téléphone de mon fils n’est plus qu’un amas de plastique mélangé à l’humeur d’un vert foncé s’écoulant des corps des visiteurs.
Leurs yeux protubérants me pressent d’avancer, de descendre m’unir avec cette voix qui n’est pas venue me rendre visite par hasard.
Je pose mon stylo, je dois partir maintenant. Ceci marque la fin de mon récit.
***
Au bord du gouffre, je perçois le souffle de l’Autre ; je préfère fermer les yeux, mais la terreur me prend tandis que je saute à pieds joints dans les entrailles de la Terre.
Quelle horreur ! Je n’ai plus de paupières, un voile transparent a recouvert mes globes oculaires.
Mais il est trop tard pour vous prévenir, car dans ma chute, je comprends que tous, oui, tous, vous descendrez un jour ou l’autre pour communier avec l’Autre. Alors, si vous avez envie de vivre en paix, oubliez mon existence, faites comme si je n’étais en aucun cas entré dans vos vies, et priez pour ne pas entendre cette voix.
Seulement, cette dernière pensée est inutile, jamais elle ne vous atteindra.

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