Enfants. De la ferme-atelier vosgienne voisine, où habitent toujours mes parents, où ma soeur, l’été, revient elle aussi, j’entends qu’on appelle des enfants. Ils ne répondent pas tout de suite. Ils sont dans leur monde, à l’écart des adultes, mais pas coupés. Ils construisent une cabane. Une aire propice à leurs fabulations, véritable espace transitionnel entre eux et leur mère. Voici Félix, à l’affût des coins, recoins, abris en tout genre, qui pourraient constituer son champ de jeu. Il existe un endroit qui le fait rêver plus que tous les autres. Sur une feuille, il a écrit - au présent - l’inventaire de sa future cabane : " Il y a des feuilles qui me font éternuer, il y a de longues branches, il y a des pierres, il y a une poubelle, il y a des escaliers, il y a des fleurs. On fait une fête. Il y a le facteur qui passe, il y a un vélo. " Le petit garçon, accumule, rêve, se rebelle, joue à Robinson. Il est la promesse de ce film, de rêves d’enfance perdue et d’envies de devenir.
Assis près de sa cabane, il construit une espèce de four-cuisinière avec de l’argile. L’orage gronde. Les voix de la maison se font entendre. Il est l’heure du dîner.
Sur mon ordinateur portable. Je lis un courriel de Jean Soum :" Je prépare d’autres pages web sur mes visites dans les Pyrénées et dans le Tarn où se trouvent des autoconstructeurs aux cabanes originales. Ces réalisations sont le résultat d’une contrainte économique plutôt que d’un choix ludique en général. Mais dans le Lot il y aurait des personnes qui participent au rêve et au plaisir... " Jean réalise un site web sur l’auto-construction nommé Archilibre. J’ai très vite deviné qu’il était mon passeur.
Il m’a emmené sur les ruines de sa première cabane, dévorée par les ronces, à nouveau abandonnée, dans la vallée de Seix. Là, il m’a expliqué qu’il enseigne l’architecture bioclimatique à l’école d’architecture de Toulouse et qu’il poursuit des recherches sur l’habitat et l’environnement. Ce professeur est avant tout un grand constructeur de cabanes puisqu’il en a construit plus de 20. Depuis, il s’est spécialisé dans la conception et la construction de petits espaces aux formes mathématiques, nommées Zomes, sortes de cabanes ésotériques. Jean comme beaucoup de rêveurs de sa génération s’est intéressé aux cabanes après la lecture du Domebook Two et de Shelter (deux livres cultes américains). Après un voyage aux USA dans les années soixante-dix, il a rencontré le Zome.
Il forme un groupe, " les technologues doux ", et s’installe en montagne avec des amis. Là, il va vivre sa vie de cabanes pendant plusieurs années et va apprendre que se créer soi-même un lieu de vie personnel, peut-être l’expérience la plus élevée et la plus profonde d’un homme.
Aujourd’hui Jean ne vit plus dans ses cabanes car c’est une utopie inconciliable avec la vie moderne, les enfants, le travail à l’université. Mais il continue, rêveur, à partir à la rencontre de ces petites constructions si particulières comme s’il cherchait à retrouver l’innocence de sa jeunesse et de ses rêves perdus.
Ce jour-là, Jean me fait une liste de lieux à voir et me parle de Polo, une ancienne connaissance.
Aux confins de grandes montagnes. A 600 mètres d’altitude, tout en haut d’une route rocailleuse, au lieu dit "Les Moles", Polo, agriculteur, et vivant curieusement à mi-temps dans un HLM, construit des cabanes depuis plus de 15 ans. Il a réussi à faire de son utopie, sa vie. Il a créé un mouvement : Paysans sans terre. Il admet d’ailleurs volontiers qu’il mesure, au travers de son propre exemple, les limites de l’action individuelle.
C’est un amoureux de la nature, des bêtes et des hommes. Il est agriculteur pour le plaisir. Il cotise à la MSA mais n’a rien à vendre. Chèvres et ânes l’aident à défricher, c’est tout.
Sa dernière cabane, il l’a construite avec tout ce qu’il a trouvé : taules, bouteilles, épaves de caravane, pièce de bois, bottes de pailles. Pour Polo, sa cabane qu’il appelle son nid n’est que le prolongement de sa peau, un habitat transitoire, entre l’habitation nomade et la maison qui permet de découvrir un lieu, de l’aimer, d’être en contact avec la nature.
La cabane est intimement liée à l’extérieur, au potager, aux vergers et aux bêtes que Polo élève.
Contrairement à beaucoup de personnes venues construire des cabanes dans des communautés au milieu des années 70, Polo est resté dans ses constructions transitoires. C’est pour lui un véritable choix de vie :
" Construire une cabane c’est d’abord la nécessité d’avoir un toit, puis de voir si le lieu est bien. J’aime l’idée du contact intérieur-extérieur. Tu prends conscience que tout est provisoire, même ta vie. Vite construite et peu coûteuse, la cabane n’est pas un bien donné en héritage et ne fait pas l’objet de spéculations. On peut la céder ou l’abandonner. Elle est liée à des civilisations nomades peu soucieuses d’accumulation de biens et en contact avec la nature. C’est un choix de vie ".
C’est le matin. Polo vient voir Paul, un anglais vivant aux Moles qui s’occupe de ses chèvres. Près de la petit cabane de Paul, les deux hommes discutent.
Un diogène moderne. Paul a une trentaine d’années. Il a de grands yeux bleus très lumineux. Il vit l’hiver dans la petite cabane en bois qu’il s’est fabriquée cette année. Le reste de l’année Paul passe sa vie sur la route avec son cheval . C’est un solitaire qui parle peu. Il vit de très peu de choses, de petits boulots qu’on lui confie, et ne touche pas le RMI. Paul est un peu comme Diogène, il a renoncé aux biens matériels.
Il a quitté un travail de commercial bien payé en Irlande pour voyager, d’abord en camion puis à cheval. Après avoir rompu avec sa copine, il s’est retrouvé, un hiver, très démuni. La pluie n’arrêtait pas de tomber. Il avait seulement une bâche pour se protéger et dormait à côté de la route avec son chien et son cheval. Les gendarmes lui ont indiqué un lieu où il pourrait aller. Il s’est ainsi retrouvé chez Polo où il a pu se reconstruire et apprendre à travailler dans la nature.
L’unique pièce de sa cabane est très simple : un lit, une table, un banc et un petit poêle à même la terre battue. Quelques livres viennent donner de la chaleur à ce lieu presque ascétique. Il commence toujours ces journées de la même manière. Il se lève et va nourrir ses chevaux et les ânes de Polo avant de sortir les chèvres. Ensuite il prend son petit-déjeuner après avoir allumé un feu dehors. Puis, Paul s’en va se balader avec ses chiens et sa chèvre, Nuage, qu’on vient de lui donner et qui a échappé à l’abattoir car elle n’avait pas de numéro d’identification. Paul rêve avant tout de voyage et est heureux ainsi. Il a peu de besoins et a besoin de peu. Pour lui la cabane est d’abord un abri où il peut être en contact avec l’extérieur. Il aime beaucoup l’idée de cabane, sa légèreté et le rapport qu’il peut avoir avec l’extérieur. Il l’aime surtout épurée et ascétique, sans décoration extérieure. Il apprend dans des livres à se nourrir des plantes qu’il trouve autour de lui et se confectionne un arc pour chasser. Paul n’a pas de jardin et cherche surtout à se rapprocher du sauvage.
Il mène une vie de bohême. Son vagabondage est soutenu par une quête intérieure où la cabane correspond à un choix de vie et à un retour aux origines, à l’opposé de ce que propose notre société. Vrai et faux, authenticité et paraître font partie de ses questionnements. Ce sont ses aspirations qui l’ont mené vers la vie qu’il mène et il n’est pas prêt à y renoncer, même si son paletot est troué et si son auberge touche la Grande Ourse. Au contraire, il tire de sa vie-expérience une véritable joie que l’on sent très profonde.
L’avenir, il le rêve tous les jours et imagine de grands voyages mais il sait qu’un jour il se posera complètement dans une cabane. Pour le moment, il va y rester jusqu’en avril avant de prendre la route pour le Portugal. Il y reviendra au mois d’octobre.
Pourquoi Paul a-t-il choisi de vivre sur la route ?
Comment sa vie de cabane est-elle le passage entre une vie citadine et une nouvelle vie ?
Le fait de vivre dans une construction étroite, provisoire et relativement fragile induit-il une relation spécifique au territoire dans lequel elle s’inscrit, à l’espace du dehors et aux éléments, donc une relation à la nature ? Comment s’y protège-t-on des violences de la nature elle-même (maladie, froid, tempête) ? Est-ce que la cabane est liée à la jeunesse ? N’est-ce pas un lieu utopique ? Comment se voit-t-il vieillir ? Dans une cabane ?
Il fait encore chaud en cette après-midi d’hiver. Paul verse de l’eau chaude dans une grande poubelle en plastique. Il se déshabille et prend son bain face au montagnes.
Paul fait partie des gens que l’on oublie pas et dont on se demande souvent où ils peuvent se trouver à l’instant où l’on pense à eux.
Dans les montagnes. Une carte posée au sol avec le dernier courriel de Jean que j’ai imprimé. Le papier, à force d’avoir été plié, a avalé certaines lettres. On voit encore le nom de Brigitte imprimé. Au loin la majestueuse chaîne de montagnes pyrénéenne est éclairée par le soleil couchant. Je cherche ma route.
L’espace du jeu. Face aux sommets pointus et enneigés, près de la frontière espagnole, à plus de 1500 mètres d’altitude, Brigitte travaille sur une petite terrasse accrochée à la pente très raide d’une montagne presque complètement abandonnée par les hommes. Des anciens pâturages il ne reste rien. Les arbres ont pris la place des bêtes et les anciennes habitations se sont lentement écroulées. Je suis au fin fond des forêts.
Arrivée de Roubaix par hasard dans ce lieu, il y a 25 ans, pour des vacances, Brigitte, ancienne maître nageuse, a démissionné pour créer tout d’abord un potager, avant de concevoir et de construire sa cabane.
Sa cabane auto-construite est très imaginée, très rêvée, très travaillée, très belle. Elle a utilisé en partie le site (ruines de pierres). L’extérieur de sa cabane est en harmonie avec la nature environnante, très poétique ; elle vit essentiellement dehors, ne rentre que pour manger et dormir. L’intérieur de sa cabane est petit, mais rempli de pleins de choses : casseroles sur les murs, une trentaine de maquettes d’avions posées au plafond.
Sa chambre est lumineuse (juste un grand lit, sous le dôme en verre : là encore, même quand elle dort elle est "dehors").
Sa cabane, elle la conçoit comme habitat provisoire toujours en mouvement, comme un abri. " En tout cas ce n’est pas une maison. Dans une maison, il y a tout. Chez moi, il n’y a pas de clés, et puis j’aime l’esprit cabane. On peut faire une cathédrale avec un esprit cabane. La cabane nous tient tout de suite en éveil, en prise avec ce qui nous entoure. Que ce soit un sentiment de danger ou de sympathie - le bruit des écureuils sur les toits, des mulots ou des serpents sous le plancher -, en l’éprouvant notre esprit se prolonge au-dehors, devient lui-même un dehors. "
Brigitte passe deux heures par jour sur son ordinateur : elle communique avec le monde par Internet, a créé un site pour sa ferronnerie, fait des recherches pour son fils de seize ans qui a choisi de rester aussi dans la cabane pour l’instant ; il poursuit ses études par correspondance.
Aujourd’hui, il faut réadapter l’espace de la cabane à son compagnon, alors elle rêve et imagine avec David l’évolution de leur habitat et de leur travail. Elle aime beaucoup se projeter ainsi dans l’avenir. Son plus grand rêve : construire un grand dôme transparent afin que l’extérieur et l’intérieur se rejoignent.
Pour autant, Brigitte a une conscience politique de sa vie. Elle se sent un être libertaire contre l’avoir libéral. " Je dois retrouver les chemins de la liberté intérieure " dit-elle.
Et elle s’interroge beaucoup sur les conditions de la liberté dans le monde moderne, non pas de la liberté de mouvement ou du confort démocratique qui semblent acquis - du moins en théorie - mais de la liberté intérieure, celle renouant avec les forces poétiques et transcendantes, de faire son jardin par exemple.
A la fois candide et penseuse, Brigitte plaide pour les montagnes, ces vastes espaces intérieurs, lieux de la mystique et de l’art. " Chacun, face à la grisaille d’un univers mécanique, peut et doit avoir recours à ces montagnes mystérieuses. "
Mais pour Brigitte c’est le jeu qui est sans doute le plus important. Elle parle des jeux de David : ses avions de modélisme et ses 5 motos, ; de ceux de son fils avec ses maquettes de train et de bateaux ; et du sien, sa vie entière.
Elle aime cet espace potentiel où elle rêve avec David de l’évolution de sa cabane. Pour elle jouer c’est faire, et le jeu est extraordinairement excitant.
Mais qu’aime-t-elle le plus dans le jeu ? Et que lui apporte le jeu ?
Comment sa cabane est-elle devenue un lieu ludique ?
Comment a-t-elle rêvé, entrepris et construit elle-même sa cabane ? D’où vient son choix pour ce type d’architecture ? Comment va-t-elle faire évoluer sa cabane avec la présence de David ? Et quels sont ses projets, ses rêves ?
L’après-midi touche à sa fin. Brigitte joue dans un grand champ avec son compagnon. Un petit avion de modélisme vole au-dessus d’eux. Ils rient, courent, dévalent les prés.
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De ma roulotte. La pluie tombe dehors. Enorme orage. Il fait nuit. La voix de Marie-Jo, une amie, m’appelle. Elle me parle de quelqu’un, près de chez elle.
Le rebelle. Après un petit chemin de terre, dans une forêt de châtaigniers de Dordogne, un îlot surgit. C’est celui de Félix, de son jardin et de ses figuiers.
Félix est installé depuis une douzaine d’années dans ce lieu situé plein sud. Ancien employé, il vivait avant en ville jusqu’à ce qu’un accident de voiture bouleverse sa vie. Gravement malade, ne pouvant plus payer ses loyers, n’ayant qu’une modeste pension, il achète pour un franc le mètre carré un petit terrain bien exposé. Il dit que le premier jour, lorsqu’il s’est couché sous un pin, il s’est enfin senti libéré. Il a construit une serre pour 300 francs et s’y est installé avant de commencer à construire sa cabane avec la pension qu’il reçoit.
Lui, c’est le vrai rebelle.
Il ne peut plus vivre dans une maison et affirme qu’il y mourrait en quelques mois .Il préfère construire son refuge au fur et à mesure sans permis de construire. Mais la moindre agression peut le faire basculer dans la guerre. Félix est un penseur autodidacte qui a une idée très précise de sa vie de cabane qui prend une forme radicale de résistance. Son refuge, il l’a construit pour se protéger et il est hors de question de payer un impôt : "C’est injuste et féodal que de vouloir taxer un abri qui me protège de la mort. On ne taxe pas un abri."
Félix n’a pas peur de sa faiblesse numérique. Il ne payera jamais d’impôts locaux et le fait savoir. Il ne dispose pas de grands moyens de combat, mais il sait que ses coups de gueule et d’audace peuvent anéantir la volonté de ses ennemis. Il connaît leurs points de moindre résistance, leur degré d’inflammabilité et en use chaque fois que c’est nécessaire.
" L’autorité m’est insupportable, la dépendance invivable, la soumission impossible".
Félix pense avoir le devoir de se rebeller et d’installer au centre de sa vie quotidienne un dispositif subversif. Il utilise la colère comme mode dynamique,
Le but de Félix est d’arriver à être autonome : " Ne plus prendre la voiture pour acheter de la bouffe industrielle car elle me rend malade. Je veux pouvoir être complètement autonome aussi bien du point de vue toit que nourriture ". Il y arrive pratiquement.
Félix a une volonté d’auto-suffisance. Il fabrique tout lui-même, le plus possible :
conserves, séchage de fruits, pain.
arbres fruitiers (greffes, plantations), grand potager, poulailler, chèvres, ramassage des produits de la forêt (champignons, châtaignes, noix).
Il fait tout seul ses vêtements.
Pour le moment, il rêve d’agrandir sa cabane avec une pièce troglodyte. Il n’écrit rien et ne dessine rien. Tout est dans sa tête et cela n’arrête pas de grandir, d’évoluer, de s’améliorer.
Il " encourage ceux qui veulent s’en sortir et rester libres ". Il vient d’aider un homme à acheter un terrain pour poser sa roulotte, aide une amie, ainsi qu’une famille à s’installer. " Ca bavarde beaucoup dans le coin car ils ont peur qu’il n’y ait ici que des marginaux ". Pourtant de nombreux vieux du village lui font confiance en vendant aux personnes recommandées par Félix, des terrains pour une bouchée de pain. " De toute façon, ils ont peur de moi au village, même les gendarmes ont peur, alors ils me foutent la paix et je peux continuer à aménager mon territoire et vivre librement. "
Félix aimerait juste trouver la compagne qui pourrait vivre avec lui et partager la même vie. Il a créé pour cela " l’association des amoureux ".
La solitude le dérange-t-il seul ? D’où vient cette volonté d’autosuffisance ? Cherche-t-il a échapper à quelque chose ou au contraire à construire quelque chose ?
C’est le soir. Installé dehors près du feu, Félix mange lentement des marrons bouillis sous le regard de ses chèvres naines.
Petit matin. L’eau du thé chauffe sur le poêle. Une fine buée empêche de voir l’extérieur. L’ordinateur est allumé. Nouvel courriel de Jean, avec carte. Il m’indique d’autres lieux cachés.
L’obsession de Robinson. Ivan est un petit homme massif originaire de Suisse ressemblant à un lutin. Arrivé il y a trente ans dans la région avec un CAP de maçon-tailleur de pierres, il ne voulait plus vivre en ville. Il a entre temps beaucoup voyagé (dix ans passés en Afrique), refait une maison, divorcé. Il termine actuellement sa nouvelle cabane et vit avec Cheryl, une artiste, au milieu de tous ses outils dans le Tarn. Il y en a partout, dedans, dehors : scies voitures, vitres, plaques d’isolation, pièces détachées d’outils, à même le sol, accumulés le long du chemin qui mène à sa cabane.
Les livres tapissent la pièce principale (lecture, isolation contre le froid). L’intérieur est travaillé, fonctionnel, beau, chaleureux, confortable, intime, souligné par le poêle central, les nombreux chats vautrés partout, les livres, le bois. On n’y sent pas de précarité, même si presque tous les matériaux de construction sont de la récupération. Un peu comme Robinson Crusoé, Ivan accumule les objets, récupère les objets utilisables, affecte les espaces.
Sa compagne et son fils ont chacun leur cabane pour " que tout le monde ne soit pas dans la même maison et se marche sur les pieds ". Il est le démiurge de sa robinsonnade organisée.
Sa cabane entretient aussi des rapports avec la liberté. Pour cela Ivan jure qu’il ne vendra jamais sa cabane : " Une cabane, cela se donne mais ne se vend pas. Tu ne vends pas tes tripes alors mieux vaut faire le tapin. Une cabane c’est des vitres qui viennent d’armoires frigorifiques, un toit fait avec de vieilles plaques offset, des murs construits avec des containers en bois de l’Aérospatiale. "
Sa cabane est multifonctionnell, mais lui offre surtout une évasion du quotidien, un repli sur soi et de grands moments d’échappée dans l’imaginaire. Sa cabane est aussi une invitation au bricolage, une aventure de tous les jours. Ivan pense avoir réalisé le rêve de n’importe quel môme et se définit lui-même comme un grand môme " qui vit face au soleil et à la nuit ". " Quand je serai raisonnable, j’irai vivre dans un HLM " lance-t-il.
Ivan avoue avoir posé une serrure à sa cabane mais à cause des chiens qui n’arrêtent pas d’ouvrir les portes. Sa cabane, il l’a faite " pour être fonctionnelle " , mais il va grignoter le terrain. Il avoue avoir un permis de construire " mais pas pour cela ". Sa cabane est " juste une façon de croire qu’il est libre "
Pourquoi Ivan aime-t-il accumuler les objets ? A-t-il des envies, des projets, dans l’immédiat et dans les années à venir ? Se voit-il vieux dans sa cabane ?
Ivan boit son thé assis près du poêle tout en feuilletant un livre. Il ferme le livre et déclare "Je suis un privilégié qui a fait un choix. Le choix de dire merde c’est un grand luxe. Les chemins sont nombreux, mais peu aboutissent, alors, Frères, Compagnons, Camarades et Amis, tous à vos boussoles et à vos repères. "
Il sourit, heureux, retrouvant un outil égaré.
Sa cabane brille dans la nuit.
Toujours la nuit. Sans lune. Le temps coule de part et d’autres laissant immobile cet îlot où je suis. Je rêve à cet îlot comme à un désir, comme à une image. Ma cabane est un nid d’intimité absolue, lointain perdu, mon nid onirique.
J’ai rencontré des gens, des choix de vie, des engagements : un Diogène au paletot troué, l’espace du jeu avec Brigitte, la figure du rebelle dans Félix et celle de Robinson dans Ivan. Chacun à leur manière, ils proposent un type de recours à la forêt. Une civilisation des cabanes est en train de naître. Résistera-t-elle aux lois sur le territoire qui sont de plus en plus contraignantes ?
Ma bougie donne un air d’insularité à ma cabane.
Un îlot de lumière dans la mer des ténèbres.
Mais aujourd’hui je sais qu’il existe d’autres îlots.