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Le p’ansori coréen 

vendredi 3 août 2012, par Régis Poulet (Date de rédaction antérieure : 10 mars 2010).

De la Corée, que connaît-on depuis la France ?
La plupart des représentations qui viendront à l’esprit de nos compatriotes brasseront, sans préjuger de l’ordre : des noms de constructeurs de matériel automobile ou électronique – ancien ‘dragon’ des années 1980 ; un pays dont la situation, héritée de la Guerre froide, en ferait une sorte d’Allemagne exotique ; pour les plus âgés, un théâtre de guerre éponyme ; et pour la culture : le pays du taekwondo ; des Jeux olympiques de 1988 ; de la coupe du monde de football de 2002 co-organisée par le Japon ; et enfin d’une vague coréenne cinématographique.

Pendant longtemps la Corée n’a pas été distinguée de la Chine, voire du Japon, dans l’esprit des Européens. Stéphane Bois rappelait encore récemment que les relations de voyage ‘à la Corée’, de même que les illustrations restaient rares [1] et se caractérisent surtout par les « altérations infligées à l’altérité ».
Si les vingt dernières années du XXe siècle ont été particulièrement propices à l’édition de la littérature japonaise au point qu’on puisse parler d’un « second japonisme » (selon G. Gottlieb), voire d’un excès de publications, la littérature coréenne affronte d’autres périls. La coréanité doit être niée pour s’offrir en français, ont affirmé naguère Patrick Maurus et Jeong Eun-Jin, si bien que la Corée semble ne pas exister, toute absorbée par la représentation de l’Asie. La responsabilité est française (recherche d’exotisme) et coréenne (promotion d’une image consensuelle). En France, il avait fallu s’habituer à la prononciation des noms de réalisateurs ou écrivains japonais – heureusement que l’orthographe en était simple pour des Français. Et voilà que dans les années 1990, alors que le Japon commençait à perdre de sa superbe, point à l’horizon, entre deux événements sportifs (pardon) culturels planétaires, les prétentions cinématographiques d’une péninsule guère plus intéressante que… la Bretagne, par exemple.
Ah ! çà ! et alors tabula rasa de tout ce qu’on avait appris pour le Japon ! Autre écriture, forte hangeul [2] – prononciation sans queue ni tête, orthographe démente et retorse. Mais voilà : un cinéma était né. Nous avons donc fait l’effort… Plus résolument que pour le Japon et contrairement à la Chine, la Corée entra par les salles obscures dans notre paysage mental.
Et précisément, le premier film à avoir connu une certaine célébrité en France fut La chanteuse de pansori (Seopyeonje, 1993) d’Im Kwon-taek.


Le pansori est une forme artistique propre à la Corée, qui lui a valu d’être incorporé à la liste du Patrimoine culturel immatériel mondial de l’UNESCO en 2003. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet le définissent comme « un mimodrame interprété par un comédien unique, le gwangdae, à la fois récitant, acteur et chanteur, qui incarne tour à tour les rôles successifs du drame représenté. L’interprète (dans la tradition un homme, aujourd’hui généralement une femme), soutenu par un joueur de tambour (puk) qui rythme les parties chantées et ponctue le récit de brefs encouragements, module sa voix tantôt puissante et rugueuse, tantôt suave et vibrante d’émotion, dans des registres et des variations d’une étonnante diversité. Il anime son récit par l’expression changeante du visage, le balancement de son corps, une gestuelle précise, soulignée par le maniement d’un éventail qu’il tient à la main. » [3]




Le même Im Kwon-taek renouvela en 2000 l’expérience en adaptant le plus célèbre récit objet d’un pansori  : Le Chant de la fidèle Chunhyang.


Il ne s’est conservé que cinq pansori et, parmi ceux-ci, il se trouve que deux viennent d’être traduits en français et publiés chez Zulma récemment. Le Chant de la fidèle Chunhyang (2008) ainsi que l’Histoire de Byon Gangsoe (2009). Ce choix est intéressant car il nous offre une image des tendances quelque peu opposées qui parcourent et la littérature et la société coréennes.

Le Chant de la fidèle Chunhyang est une glorification des valeurs confucéennes à travers la célébration des amours contrariées de la jeune Printemps parfumé [4] et du non moins jeune Yi Mongnyong. Au XVIIIe siècle, sous la dynastie Joseon, le fils d’un gouverneur tombe amoureux de la fille d’une kisaeng (équivalent coréen de la geisha). Leur passion ignore les interdits de classe : ils se marient en secret du gouverneur, sont intensément heureux mais très vite le jeune Mongnyong doit suivre son père muté à la capitale. Seule, d’une beauté insigne et dangereusement célèbre, Chunhyang devient une proie facile pour le nouveau gouverneur, autoritaire et cruel. L’un et l’autre époux s’étant juré fidélité, Chunhyang saura prouver sous les coups de bâton que sa vertu puise sa force dans son amour, et vice-versa :

« Je sais qu’une femme doit obéir à trois hommes,
Enfant à son père, mariée à son mari et veuve à son fils.
J’ai appris les trois principes et les cinq préceptes de Confucius.
Il ne suffira pas de trois coups de bâtons ni de l’exil
Pour me faire oublier mon époux qui vit à Samchong. » [5]

Ayant de son côté brillamment réussi ses examens pour devenir haut fonctionnaire, Mongnyong saura délivrer sa fidèle épouse en mettant au jour la mauvaise gestion du gouverneur sur tous les plans dans une scène où il révèle son identité tenue secrète. Si le roman apparaît comme un éloge des vertus confucéennes, il est vrai que ce qui nous intéresse est le désordre amoureux qui précède la fin heureuse. C’est l’occasion pour l’auteur de laisser l’héroïne clamer lyriquement son amour, de donner à lire des scènes plus ou moins burlesques. La double nature chantée et narrée de l’histoire que nous lisons doit s’imaginer présentée en place publique, pendant des heures, voire des jours, lors desquels le public, qui apprécie les parties chantées en connaisseur, est parfois entraîné dans des digressions narratives d’un opportunisme comique. Selon les traducteurs, cette version tardive du roman (vers la fin du XIXe siècle) permet cependant de conserver l’allure théâtrale et populaire de l’œuvre. Enfin, il n’est pas anodin d’apprendre que « la malléabilité du thème, aussi bien en termes de forme que d’interprétation, est bien l’indice qu’on a affaire à un véritable mythe, susceptible de lectures multiples » et que « moderne ou pas, Chunhyang est avant tout l’héroïne ardente d’une histoire qui exprime sans doute mieux que toute autre l’âme coréenne » [6].

Face à cette exemplaire love story se tient l’Histoire de Byon Gangsoé, faite d’une tout autre étoffe… Le récit débute par l’affrontement verbal et érotique d’une veuve de grande beauté dont la malédiction veut que ses maris meurent très vite, et d’un veuf, Byon Gangsoé, « vivant de fourberies et de rapines »(voir le Petit lexique thématique de Zulma). En voici un extrait :

« Comme c’est bizarre ! Comme c’est curieux ! Ce que je vois, c’est la bouche d’un vieux moine édenté et barbu… Pourquoi cette eau, aurait-il plu ? Quelle crevasse au milieu de la colline !... A-t-il traversé un champ de haricots ?... il a gardé une fleur entre les lèvres… Pour être fendue comme ça, il faut qu’elle ait reçu un sacré coup de hache !... Il y a toujours un peau d’eau, comme dans ces endroits les plus fertiles des champs, près des sources… Pourquoi remue-t-elle comme cela, cette bouche ? aurait-elle quelque proclamation à faire ?... Ne dirait-on pas un roc au pied d’une montagne ? ou un coquillage flottant sur la mer immense, avec un petit bout de langue qui pointe ?... Ne jurerait-on pas qu’elle vient de manger un kaki séché d’Imshil et qu’elle en a gardé le noyau entre ses lèvres ?... Elle reste ouverte comme une clématite au fin fond de la montagne… Peut-être cette bouche vient-elle d’avaler une soupe de poulet : il me semble encore voir pointer la crête… Une tiède vapeur s’en échappe, comme d’une tombe qu’on rouvre… Et pourquoi ce vague sourire ?... Un kaki, des clématites, un coquillage, du poulet, quelle chance ! voilà tout ce qu’il nous faut pour la cérémonie d’anniversaire des morts. » [7]

La réponse de la veuve ne se fait pas attendre :

« Comme c’est bizarre ! dit-elle, comme c’est curieux ! Il porte deux grosses sacoches qui pendent de chaque côté, comme les gendarmes qui assurent la garde des fonctionnaires royaux. Et, tout comme les sentinelles devant le palais de Justice, il est couvert d’un casque rouge… Il plonge et se redresse, pareil au balancier d’un moulin au bord du ruisseau… Tiens ! avec tous ces poils tout autour, il ressemble au pieu où on attache les veaux… Il a la goutte au nez : serait-il enrhumé ?... A en juger par la façon qu’il a de pleurer de rage, il doit avoir un sacré caractère !... Oh ! voilà qu’il rend son lait, comme un nourrisson, il doit se sentir bien mal !... Ne dirait-on pas une truite apprêtée pour la cérémonie des morts, avec un petit trou pour passer la brochette ?... Il est dégarni, rond et lisse, on jurerait le crâne du moine qui habite derrière mon village… Il a dû apprendre à faire des courbettes dès son plus jeune âge, il passe son temps à s’incliner… Il est bien rouge, on le prendrait pour un pilon qui vient d’écraser des piments… Tiens ! ne dirait-on pas, là, des bogues de châtaigne en juillet ou en août, attachées ensemble ?... Un pilon, un piquet pour attacher les veaux…quelle chance, voilà des ustensiles dont nous aurons l’usage. » [8]

L’entente se confirmant, les deux protagonistes envisagent leur installation en une campagne retirée. Pourtant, Paysage sous la lune doute des talents pratiques de son nouvel époux : « ce grand corps, vous ne savez l’utiliser qu’à deux choses : forniquer et dormir. Nous mourrons de froid avant d’avoir eu le temps de mourir de faim. Je vous en prie, allez vite faire du bois. » [9] Byon Gangsoé avance dès lors rapidement vers sa fin. Du bois, il va en trouver, et du déjà coupé, en l’espèce d’un jangseung – un totem tutélaire de bois sculpté, représentant des figures énigmatiques et installé à l’entrée des villages coréens pour éloigner les esprits maléfiques – qu’il emporte et débite et brûle. Cet acte impie lui vaudra de subir la terrible vengeance des jangseungs  :

« Que chacun de nous aille lui porter une maladie, et qu’il en soit frappé de la tête aux pieds. Tout en lui, les cinq organes et les six parties du corps, doit être atteint. Il nous faut le couvrir d’infections comme on enduit un mur quand on construit une maison (…) Faites du beau travail, ne laissez intact aucun de ses pores ni le moindre de ses quarante-huit mille poils. » [10]

En une sorte de parodie du Chant de la fidèle Chunhyang, la veuve éplorée de la mort de Byon Gangsoé, raide comme un jangseung, lance son chant de lamentation :

« Aïgoo ! aïgoo ! Que mon sort est cruel ! Comment vais-je pouvoir vivre sans toi ? Où pars-tu, me laissant seule ici ? Je veux aller avec toi, emmène-moi, je veux partir avec celui que j’aime ! Lors de notre rencontre dans la gorge de Chongsok, nous nous étions promis de vivre cent ans ensemble. Mais voici que tu t’en vas seul… Tout s’est passé comme en un rêve une nuit de printemps… Ah ! chienne de vie ! Dans ces montagnes profondes et désertes, qui pourra jamais venir à mon aide pour te mettre en terre ? Je n’ai ni parents ni voisins ! Ô funeste destinée ! J’ai pourtant enterré bien des maris, mais jamais dans ces conditions ! Oh ! si jamais, à cause de moi, tu ne parviens pas à fermer les yeux, je t’en prie, ôte-moi la vie, emmène-moi avec toi ! Aïgoo ! aïgoo !  » [11]

Mais au lieu d’assister – à la façon mélodramatique qui a tendance à dominer la sentimentalité confucéo-coréenne – à une prolongation de l’esprit de cet amour, ce sont au contraire les vicissitudes matérielles de la préservation, du transport et de l’inhumation d’un corps en grande putréfaction qui vont prévaloir. Cela justifiera de contracter tous les mariages nécessaires (suivis d’autant de veuvages) et de recourir à toutes les astuces. Charogne, le corps de Byon Gangsoé reste vital pour le récit.
En dépit de propos un tantinet moralisateurs – pour rire – il s’agit bien d’opposer au monde ordonné, réglé et convenable d’un certain confucianisme, la profusion des sentiments, des désordres amoureux, corporels et cosmiques que les humains croisent souvent dans leur vie et qui fait dire, par exemple, à tel personnage déboussolé : « je vous demande : est-ce que vous avez déjà entendu parler de macchabées qui saisiraient des vivants ? » [12] Deux strates de la culture coréenne sont données à lire dans ces deux pansori  : la plus ancienne est animiste (taoïste en Chine), elle se maintient plus facilement à la campagne alors qu’en ville, l’urbanité confucéenne et la morale logo et phallo-centrée prévaut. Quoi qu’il en soit, la verve paillarde et rabelaisienne de L’histoire de Byon Gansoé comme le lyrisme amoureux de L’histoire de la fidèle Chunhyang offrent des plaisirs égaux au lecteur.

*

L’heureuse initiative de Zulma va dans le droit fil de la reconnaissance internationale du patrimoine culturel coréen. Les Coréens admettent d’ailleurs que les étrangers jouent un rôle éminent dans sa préservation, ce à quoi nous nous joignons bien volontiers, tant cette forme artistique, qui embrasse aussi bien la littérature, les arts du spectacle que la musique est originale et répond avec bonheur, au-delà de la légitime célébration des métissages, à l’entropie culturelle galopante.

Pansori Heungbuga
Photographie de Brian Nedgin

Aïgoo ! - Le cri du cœur, qui exprime toutes sortes d’émotions, surprise, lamentation, etc.

Byon Gangsoé - Le prénom du protagoniste, Gangsoé, est une claire allusion à sa nature ithyphallique : associant deux fois le mot fer, en chinois (gang) et en coréen (soé), il signifie « dur comme l’acier ». Bien qu’il donne son nom à l’œuvre, il n’est pas le véritable protagoniste du récit (il disparaît à mi-chemin.) L’héroïne, présente de bout en bout, est celle qui, devenue son épouse, est en même temps cause de sa mort. Si son nom (Ong) ne permet guère de l’identifier (elle n’a pas de prénom), ce qui la caractérise c’est sa beauté, sa malice et, par-dessus tout, le maléfice attaché à sa personne, qui veut qu’elle soit éternellement veuve.

Censure ? - Trop caustique, trop irrévérencieuse, cette œuvre n’a plus été interprétée depuis des lustres. Elle ne figure au répertoire d’aucun interprète contemporain.

Cinéma - Les avatars de L’histoire de Byon Gangsoé sont nombreux au cinéma, qui mettent l’accent sur le caractère grivois et grotesque du récit – on le regrette car l’œuvre s’en trouve largement dénaturée. Le plus récent, Garoojigi [Histoire d’un libertin légendaire], date de 2008 (réalisation : Shin Han-sol).

Confucianisme - La dynastie Joseon (1392-1910) est tout entière dominée par une idéologie néo-confucéenne inspirée de la pensée de Confucius (551-479 av. J.-C.), selon laquelle tout être occupe une position déterminée par des rapports hiérarchiques harmonieux. Les relations entre les hommes sont régies par des principes (loyauté envers le roi, piété filiale, fidélité à l’époux, rectitude, sincérité en amitié) et des préceptes dont la rigueur au cours des XVIIIe et XIXe siècles est allée croissante. Les femmes des classes supérieures, en particulier, furent soumises à de rudes contraintes : obéissance à trois hommes, le père, le mari et le fils ; interdiction de sortir autrement que couvertes d’une grande cape ; pour les veuves, interdiction du remariage. – Ce dernier interdit est allègrement transgressé dans notre texte, transgression qui est en même temps la condition du récit (l’intrigue repose sur le fait que la veuve se remarie) et la raison de la punition infligée, plus encore qu’à l’épouse, à ses époux.

Critique sociale – Eh ! Monsieur le Préfet ! On dit que vous êtes comblé et confortablement installé, et que vous ne craignez rien ni personne, si ce n’est les inspecteurs royaux ! De moi, qui étais votre ami au temps où vous étiez pauvre, vous n’avez rien à craindre, et pourtant votre seul souci semble être maintenant de m’ignorer. Ne dit-on point que les riches regardent les autres de haut ? Il a sans doute été fait pour les gens comme vous, ce dicton…

Fantastique - Dans la représentation animiste de l’univers chaman ou taoïste, les hommes cohabitent avec les esprits (âmes des défunts, personnages historiques déifiés, sages ayant gagné l’éternité, esprits des bois et de la nature, etc.). Les deux mondes, celui des vivants et celui des esprits, communiquent constamment. Ce qu’en Occident nous appelons « fantastique » n’est que la manifestation de cette simple réalité. Rien de ce qui arrive à Byon Gangsoé ou à sa belle veuve ne peut donc nous laisser incrédules.

Freud - « … Cette malheureuse fatalité de l’inclinaison et du fléchissement qui pèse sur les hommes semble inhérente à la phallicité elle-même ; il faudrait aller jusqu’à dire, même si Freud ne semble pas en avoir une claire conscience, qu’elle lui est consubstantielle. […] Peut-être L’histoire de Byon Gangsoé nous a-t-elle permis de compléter le parcours interprétatif que Freud, sentant que quelque chose restait en suspens, n’a jamais conduit à son terme et dont il n’a pas jugé bon de publier l’amorce. Il avait pleinement raison sur un point – là encore sans que ce soit une grande découverte –, à savoir qu’il faut toujours aller voir ailleurs ce que les traditions orales ou écrites nous disent. Encore faut-il avoir la chance de trouver les bons textes. »
Jean Bellemin-Noël, « Byon Gangsoe et la tête de Méduse », 2009

Humour - Du gras et du fin, à toutes les pages. Thèse : voir en L’histoire de Byon Gangsoé une parodie du Chant de la fidèle Chunhyang.

Joseon (dynastie) - C’est la plus longue dynastie coréenne : fondée en 1492 par le roi Taejo à Hanyang (Séoul), elle a connu sa fin en 1910 lorsque les Japonais ont imposé leur traité d’annexion. Joseon correspond à une longue période de fermeture du royaume, refusant les contacts avec l’étranger (Chine exceptée) et cultivant les valeurs morales et sociales rigoureuses prônées par des penseurs et philosophes néo-confucéens. Les sciences et les arts connaissent des développements spectaculaires, notamment sous le règne du roi Sejong (1418-1450), inventeur du hangeul, l’alphabet coréen.

Jangseung - Totems tutélaires de bois sculpté, représentant des figures énigmatiques. Dressés à l’entrée des villages coréens, ils sont censés en éloigner les esprits maléfiques.
Dans l’interprétation animiste de l’univers des chamans, ils sont eux-mêmes des esprits. S’en prendre à eux comme le fait par paresse le désinvolte Byon Gangsoé est une faute contre la nature et contre la vie, qui ne peut rester impunie.

Lubricité - Au matin, pétant de santé, il avait écarté les cuisses de sa femme : « C’est noir dehors et rouge dedans, avait-il commenté après un rapide coup d’œil, d’une certaine façon c’est comme le fourneau. Ça s’entrouvre et se referme, ce qui signifie que la reine de la cuisine se sent d’humeur. » Puis, empoignant son instrument :
« Tiens, voici que ça se revigore, ce qui veut dire que le roi des bois se sent d’attaque. Il est vrai que, chez les pauvres, on n’a pas le loisir de s’offrir des rites chamaniques ou de faire lire des sutras par des moines pour assurer la félicité du foyer. Mais rien ne nous empêche de laisser le roi des bois rendre visite à la reine de la cuisine. Alors, en route !… » Et tandis que le riz du petit déjeuner chauffait sur le feu, il s’adonna à ses ébats coutumiers.

Maladies - "Que chacun de nous aille lui porter une maladie, et qu’il en soit frappé de la tête aux pieds. Tout, en lui, les cinq organes et les six parties du corps, doit être atteint. Il nous faut le couvrir d’infection comme on enduit un mur quand on construit une maison. »
Qui voudrait citer le nom de toutes les maladies qu’il avait contractées en trouverait un bon millier : […] congestion intestinale, chaude-pisse, inflammation des testicules, escarres aux fesses, hémorroïdes, hernie, emphysème des cuisses, malaria, scorbut, éternuements incoercibles, diarrhée compulsive, érysipèle, typhoïde, syphilis, lèpre, gastro-entérite avancée, grippes contagieuses de la saison, rage, algie généralisée. Raide comme un bâton, il ne pouvait remuer aucun membre…"

Ménage (en –) - Ils accrochèrent leur casserole dans la cuisine, puis balayèrent la chambre avant d’y étendre leur natte de paille. Avec des feuilles mortes, ils firent du feu pour cuire le riz. Ensuite, Gangsoé monta sur sa dame, histoire sans doute de bien tasser le sol de terre battue. Ils le tassèrent toute la nuit. Comme Gangsoé n’avait jamais travaillé de sa vie, il œuvrait la nuit sur le ventre de sa femme et dormait le jour.

Pansori - Forme spécifiquement coréenne d’art dramatique, joyau incontesté de la littérature de Corée. Le pansori est un opéra interprété par un comédien unique, le gwangdae, à la fois récitant, acteur et chanteur, qui incarne tour à tour les rôles successifs du drame représenté.
L’interprète (dans la tradition un homme, aujourd’hui généralement une femme), soutenu par un joueur de tambour qui rythme les parties chantées et ponctue le récit de brefs encouragements, module sa voix tantôt puissante et rugueuse, tantôt suave et vibrante d’émotion, dans des registres et des variations d’une étonnante diversité. Il anime son récit par l’expression changeante du visage, le balancement de son corps, une gestuelle précise avec pour uniques accessoires un éventail et un mouchoir. Les artistes les plus célèbres, classés « Trésors nationaux vivants », continuent aujourd’hui de transmettre leur art aux jeunes générations dans le cadre des conservatoires.
La représentation, donnée en plein air dans la tradition (aujourd’hui au théâtre), peut durer jusqu’à cinq ou six heures.
Le pansori a pris forme au début du XVIIIe siècle à partir de chants d’inspiration chamanique de la province du Jeolla (sud-ouest de la péninsule). C’est au XIXe siècle qu’il a atteint son maximum de popularité, le matériau littéraire s’étant enrichi en puisant dans les romans ainsi que dans le répertoire de la poésie chinoise classique. D’origine populaire, le pansori fait une large place à la satire dirigée contre la classe des yangban (aristocrates et propriétaires terriens) où s’expriment les griefs du petit peuple.
Shin Jae-hyo, musicologue (1812-1884), a recueilli ces textes, constituant un corpus de douze pansori. Seule la moitié d’entre eux figure au répertoire des interprètes contemporains. Mais on constate aujourd’hui, en Corée, un puissant regain d’intérêt pour le genre.
Im Kwon-taek, avec son film La chanteuse de pansori (1993), a contribué à faire connaître le genre en dehors de la Corée.

Paresse (éloge de la –) - Les grands sages de la Chine antique enseignaient la vertu aux quatre coins du pays. On construisait des maisons en bois, on cueillait des fruits qui poussaient tout seuls. N’était-ce pas bien ainsi ? Pourquoi a-t-il fallu que Suin, à l’aube des temps, découvre un jour comment faire jaillir le feu en frottant des bouts de bois ? Pour faire cuire la viande ! Tout est devenu tellement compliqué à partir de ce moment ! Il a fallu se mettre à travailler dès le lever du jour.

Était-il bien sage
Celui qui inventa le moulin ?
Cette machine que fabriqua
Le sieur Kang de Chine,
Nous voici condamnés
À travailler pour elle en toutes saisons
Sous peine de ne pouvoir payer
Le percepteur.

Poésie chinoise - La présence de nombreuses citations de poésie chinoise classique dans les parties chantées reflète les liens de parenté de la culture coréenne avec celle, prestigieuse, de la Chine du premier millénaire de notre ère. Elle s’explique peut-être aussi, tout comme la haute fréquence des mots chinois dans le texte, par l’influence des classes supérieures de la société de Joseon au XIXe siècle, soucieuses d’élever le niveau d’un texte jugé trop populaire.

Un caillou pour oreiller,
Je m’endormis sous un grand pin
Que mit le hasard sur mon chemin.

(Yang Si Guang, dynastie Tang)

Veuvage - L’ordre moral confucéen de la fin de la dynastie Joseon veut qu’une femme se dévoue exclusivement à trois hommes, son père, son mari et son fils. Veuve, elle doit rester fidèle à la mémoire de son époux jusqu’à la fin de ses jours. Mais comme, en Corée pas plus qu’ailleurs, on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments… :
Versant de consciencieuses larmes, elle fit entendre une exquise mélopée assurément moins apte à pleurer la disparition d’un mari défunt qu’à en séduire un nouveau parmi les vivants. Mais, ne dérogeant point tout à fait à l’usage, elle mit dans sa complainte des « regrets du cher défunt » et, au refrain, de bien tristes aïgoo !

P.-S.

En illustration (logo) : représentation de l’histoire de Chunhyang.

Notes

[1« L’imagerie coréenne dans le livre et la presse en France » in Culture coréenne, n°78, p. 3-9, revue désormais accessible ici : http://www.culturecoreenne.fr/vimage.php

[2Le hangeul ou hangûl (chosŏn’gŭl en Corée du Nord) est l’alphabet officiel du coréen, en Corée du Nord et du Sud. Le hangeul est fréquemment cité pour son histoire particulière et ses qualités linguistiques qui lui valent d’être parfois présenté comme le système d’écriture le plus scientifique au monde

[3Préface à Histoire de Byon Gangsoé, Zulma, 2009, pp. 7-8.

[4C’est d’ailleurs sous ce titre que Rosny aîné avait adapté ce roman coréen en 1892.

[5Le Chant de la fidèle Chunhyang, traduit par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, Zulma, 2008, p. 122.

[6Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, op. cit., p. 17.

[7Histoire de Byon Gangsoé, op. cit. p. 19.

[8Ibid., p. 19-20.

[9Ibid., p. 26-27.

[10Ibid., p. 42-43.

[11Ibid., p. 54-55.

[12Ibid., p. 91.

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