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L’oubliée du cinéma gabonais 

mercredi 25 mars 2020, par Carinne Nkoule Nkoghe

La notion de genre vient des années 1970. C’est une approche sociologique qui a pour objectif de faire sortir les femmes de l’invisibilité et de l’oubli dans lesquels elles avaient été reléguées. Des travaux se sont développés, interrogeant toutes les différences soi-disant scientifiques, proclamées à partir du 19ème siècle, entre les femmes et les hommes. De leur côté, les anthropologues ont démontré que les caractères féminins et masculins se construisaient différemment selon les sociétés : les qualités jugées féminines ou masculines varient dans le temps et d’une société à l’autre, mais elles restent un moyen de justifier les différences de traitement et de positionnements sociaux. Cette assertion a fait naitre un débat entre les anthropologues dits relativistes, qui affirment que les représentations de la féminité et de la masculinité varient selon les cultures, et ceux mettant en avant les universaux.

Partant de ces nombreuses positions, nous notons que le genre est une notion plus polysémique qu’univoque. Il ne relève pas d’une différence naturelle, il est construit et transmis par les mœurs, les usages, les coutumes et les règles des sociétés. Irène THIERY (2010 :104) souligne que : « pour les uns, le genre doit être compris comme un attribut, une caractéristique ou encore une identité des personnes et pour d’autres comme une modalité des relations sociales ». Ces deux approches doivent être abordées de façon conjointe.

A l’instar des autres pays, le gouvernement gabonais n’est pas resté indifférent face à cette approche. De ce fait, il a pris certaines mesures visant à améliorer le statut de la femme sur le plan juridique, social, politique et économique. Pour ce faire, il a ratifié la convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, le 22 juillet 1982, laquelle est rentrée en vigueur le 21 janvier 1983. Nonobstant, ces mesures, on constate qu’elles ont du mal à s’appliquer dans le milieu cinématographique gabonais. On observe cinquante ans après la naissance du cinéma gabonais, la domination des hommes dans l’unique structure de production du cinéma gabonais : l’Institut Gabonais de l’Image et du Son (IGIS).

Les hommes sont les seuls à agir, à construire, à produire et à distribuer les productions cinématographiques gabonaises. La cinémathèque de l’IGIS est inondée de films signés des scénaristes Où vas-tu KOUMBA et réalisateurs gabonais La cage de Philippe MORY, les tam-tams se sont tus de Philippe MORY, d’Alain FERRARI et Simon AUGE, Il était une fois Libreville de Simon AUGE et RAPONTCHOMBO, Identité de Pierre Mari DONG, Demain un jour nouveau El hadj Omar BONGO, Ilombe de Christian GAVARY, Le singe fou de Henri Joseph KOUMBA BIDIDI, Raphia de Dread Pol MOUKETA, Obali de Joséphine KAMA, Ayouma de Joséphine KAMA, Le grand blanc de Lambaréné de Bassek Ba KOBBIO, Le damier de Balufu BAkupa- KANYINDA, L’ombre de liberty de IMUNGA IVANGA, Dolè d’IMUNGA IVANGA, Les couilles de l’éléphant de Henri Joseph KOUMBA BIDIDI, Le divorce de Manouchka Kelly LABOUBA, etc…). Seules deux femmes scénaristes sont citées dans cette longue liste. Quant à la direction de cette institution, elle a toujours été dirigée par les hommes (De Charles MENSAH à Joseph KOUMBA aujourd’hui). En dehors de ce fait, on note toujours une discrimination des femmes dans les rôles (ce sont les hommes qui ont des rôles de héros, ils occupent des postes importants, et les femmes jouent généralement des rôles subsidiaires (femmes aux foyers, femmes humiliées, etc.).

Forte de ces constats, notre étude a pour ambition de faire revivre la thématique de la femme oubliée à travers trois films : Obali, Ayouma de Joséphine KAMA et Le divorce de Manouchka Kelly LABOUBA.

Les deux premiers films d’une part, pour rappeler un fait historique : Joséphine KAMA est la première scénariste gabonaise.

En effet, quand on fait la genèse du cinéma gabonais, on parle de facto du père du cinéma gabonais, Philippe MORY avec son film franco-gabonais , « La Cage », on évoque également les beaux jours du cinéma gabonais, avec Charles MENSAH (Directeur Général de l’ancien Centre National du Cinéma au Gabon) et son initiative de lancer le concours des jeunes réalisateurs gabonais : il s’agissait de Henri Joseph KOUMBA BIDIDI et son film Le Singe fou , et Dread Pol MOUKETA et son film Raphia.

Dans les années 2000, une autre vague de réalisateurs et scénaristes sont en avant, on parle principalement de IMUNGA IVANGA et Fernand LEPOKO. Ainsi, résumé la genèse du cinéma gabonais ne mentionne pas l’apport pionnier d’une femme, Joséphine KAMA avec le scénario de deux films gabonais. L’un produit en 1976 (Obali) et l’autre en 1977 (Ayouma).

D’autre part, nous convoquons le film Le divorce pour faire une étude comparatiste entre les deux précédents films. A première vue, ces trois films se ressemblent dans leur thématique. Cette dernière tourne autour de la dot. Pour les trois films, la ligne directrice de la narration est sensiblement la même. Ce qui diffère, ce sont les composantes transformées ou ajoutées qui métamorphosent quelque peu la syntaxe du film. Ces trois films font référence à la culture gabonaise plongée dans les réalités sociales modernes. En d’autres termes, Le divorce est le remake d’Obali et Ayouma. Le but de l’étude comparatiste est de voir si Le divorce tient compte de l’évolution générale, de l’approche genre, ou s’il se limite à une critique des attributs de la femme selon la culture gabonaise.

I - Le Film « OBALI »

 
Obali[1] est tiré de la pièce de théâtre en cinq actes de Joséphine KAMA. Elle fut présentée pour la première fois en 1974. Le film Obali fut produit en 1976, par le Film Gabonais sous la direction de Pierre- Marie DONG et Charles MENSAH. Le scénario est de Joséphine KAMA.

a - Synopsis

ONTEINTE, sexagénaire et veuf depuis un certain temps, exige des frères de sa femme qu’ils lui procurent une nouvelle épouse. Mais l’un d’eux n’a qu’un fils NGASSALA, et l’autre n’a pas d’enfants. Quelle solution apporter au problème ?

ONTEINTE et son épouse défunte conçurent une fille, ABOUADJA qui, mariée à NKALA, engendra deux enfants, la jolie NGONDO et un jeune garçon. NGONDO devrait donc épouser son grand-père. Mais elle ne l’entend pas de cette oreille. Elle aime un jeune homme revenu de Libreville, TSOUGOUDJA, fils de ONGANOU et frère de la jeune WALI. Elle s’est donnée à lui et en est enceinte. Ce qui complique singulièrement les choses. ONTEINTE est très mécontent et cherche à connaitre le nom du séducteur de sa future femme, en vain. NGONDO accouche d’une fille. Mais bientôt l’enfant tombe malade. Le guérisseur ATI explique que la maladie a pour origine la colère d’OTEINTE et la non- application de l’Obali ; Seul ONTEINTE peut guérir l’enfant. Les soins donnés à l’hôpital n’apportent aucun changement à l’état du bébé ! ATI aurait-il raison ?

ONTEINTE est mis au courant de la maladie de l’enfant et de l’explication du guérisseur. Il soignera l’enfant à la condition qu’on lui en désigne le père. Il se rend donc au village de NGONDO avec son neveu NGASSALA.

Une grande palabre s’engage. ONTEINTE présente clairement sa position : le père de l’enfant doit se présenter et s’agenouiller devant lui pour obtenir son pardon ; Il lui faut aussi une autre femme (toujours l’Obali). TSOUGOUDJA se présente et refuse de s’agenouiller. ONTEINTE en colère demande pour femme WALI, la sœur de TSOUGOUDJA, qui accepte de se sacrifier pour que l’enfant vive, ce que ne peut admettre son frère. A l’issue d’une nouvelle discussion, une solution heureuse est trouvée : WALI épousera NGASSALA et entrera ainsi dans la famille d’OTEINTE, satisfaisant à la coutume. ONTEINTE est frustré mais surpris et ému par la sage décision de WALI, paie la dot pour son neveu NGASSALA et sauve ainsi l’enfant.

b - La femme oubliée à travers la coutume Obali

L’histoire se passe dans le Haut Ogooué et fait vivre la tradition gabonaise de l’Obali. Il s’agit d’une coutume visant au maintien de l’union entre deux familles. C’est aussi dans le film une coutume qui se rapproche du mariage forcé puisqu’elle refuse à la femme (NGONDO) le droit de choisir son époux. Cette coutume est décriée dans ce film pour trois raisons fondamentales :

D’abord par son caractère forcé, comme on l’a déjà souligné plus haut, l’épouse remplaçante n’a rien à dire sur le choix de son époux, elle est obligée de se soumettre au choix de ses parents. Ses ambitions, sa vie passée ne comptent pas.

Ensuite, le lien de parenté entre le veuf (ONTEINTE est le grand-père de NGONDO) montre à suffisance que cette coutume dénote la femme, elle l’a chosifie, et la considère comme un objet d’échange, mieux un objet économique dans la mesure où l’enjeu de l’obali se situe autour de la dot.

Enfin, l’âge du veuf (ONTEINTE est un sexagénaire) qui renvoie à la vieillesse et à tout ce qu’elle peut occasionner. Tandis que sa future épouse est le symbole de la jeunesse, de l’épanouissement. La rencontre de ces opposés peut provoquer un frein à l’émancipation de la jeune femme (NGONDO). ONTEINTE en tant que villageois n’acceptera pas que NGONDO aille par exemple à l’école ou cherche un travail dans une administration de la place. Il l’occupera sûrement pour des besoins champêtres, pour faire la pêche, accompagnée d’autres femmes comme on peut le voir à la fin du film ; pour la cuisine, pour l’entretien de la maison. 

Dans ce film, la femme est présentée comme un être soumis, brimée et ne tenant pas de véritable rôle dans la société gabonaise, hormis celui d’enfanter et de prendre en charge ses enfants.

En effet, à travers le personnage de NGONDO, ce film met avant la physiologie et l’anatomie de la femme qui est prédisposée à une certaine mission, celle de procréer. C’est son premier rôle dans la société. De ce fait, Béatrice MAJNONI dit qu’elle est : « comme une victime d’une malédiction biologique due à son sexe et en proie au monstre à deux têtes : la procréation, puis la prise en charge des enfants ». Ces propos renforcent l’idée selon laquelle le rôle sexué de la femme lui confère une position d’infériorité par rapport à l’homme.

Incontestablement, il y a un lien entre le film et la scénariste. En effet, Joséphine KAMA est une femme originaire du haut - Ogooué, et d’ethnie teke. Donc, elle est liée à la coutume Obali. D’où son intérêt à écrire un scénario sur cette pratique qui selon elle, avilit la femme du Haut-Ogooué en particulier, et Gabonaise en générale. Sa biographie prouve qu’à la sortie de ce film, elle était mariée au président Omar BONGO. En sa qualité de première dame, elle a pu apporter son soutien aux femmes à travers l’art, notamment la musique, avec le groupe socio-culturel Kounabeli. Mais à travers le cinéma, et plus précisément ce film, Joséphine Kama semblerait aussi dénoncer une partie de sa vie, à travers une forme d’obali pervertie.

L’histoire montre que son époux Omar BONGO, est le père des deux enfants (Christian et Anicet BONGO) conçus avec sa petite sœur Cecilia OTOUMA DABANY épouse NDJAVE NDJOYE. Etant donné, selon Raponda WALKER et Roger SILLANS (2000 :123) que : « l’Obali ne monte pas », c’est-à-dire, qu’on ne peut remplacer la femme (disparue, femme infertile, ou femme non féconde) du veuf, ou la femme de l’époux réclamant une progéniture (ou une progéniture nombreuse) que par une autre, moins âgée que la précédente. Autrement dit, Joséphine KAMA n’étant pas féconde (vu qu’elle a engendré deux enfants et la maternité de son unique fils Ali BONGO ONDIMBA fait l’objet de nombreux débats), c’est sa petite sœur Cécilia OTOUMA épouse NDJAVE NDJOYE qui pouvait respecter la règle de l’Obali afin de préserver les liens entre les deux familles.

La scénariste en décidant de jouer le rôle de NGONDO, veut montrer aux yeux du monde, qu’on peut aussi refuser la pratique d’Obali, et trouver des solutions qui sortent des mariages consanguins pour régler un conflit lié à la dot. D’où la décision des sages d’unir WALI et NGASSALA. Ainsi, NGONDO passe du statut de victime au statut d’héroïne.

Par comparaison à la vie de Joséphine KAMA (alias Patience DABANY), elle était aussi la victime de l’Obali pervertie, mais l’adoption de ses enfants, selon les écrits de Pierre PEAN (2014 :102) : « Ali BONGO aurait falsifié son acte de naissance et serait en fait un enfant nigérian adopté pendant la guerre du Biafra, à la fin des années 1960. Omar BONGO et sa première épouse Patience DABANY ont la réputation d’avoir adopté plusieurs membres de leur nombreuse progéniture », lui donne le statut d’héroïne.

Obali ne se limite pas à une critique sur la pratique culturelle de l’Obali. Ce film a le mérite de proposer des solutions pour sortir les femmes de cet engrenage psychologique, économique et social. Ainsi, Joséphine KAMA n’a plus uniquement le rôle d’épouse d’un chef d’Etat, mère d’enfants, mais, elle acquiert d’autres statuts, notamment ceux de porte-parole des femmes gabonaises en général, avant-gardiste de l’approche genre et d’artiste à part entière.

Dans la même veine que le précédent film, Joséphine KAMA a écrit un autre film, en 1977, Ayouma.

II - Le film « AYOUMA »

a - Synopsis

Comme tant de jeunes gens, AYOUMA a quitté son village et s’est établi à Libreville où il vend des voitures pour le compte d’un grand garage. Il s’est par ailleurs taillé une solide réputation de coureur de filles. Un soir dans le dancing, il fait la connaissance de NDABOUA, une secrétaire, qui se montre d’abord réservée. Les jeunes gens s’éprennent l’un de l’autre. Ils vont au village visiter les parents de la jeune fille. NTOUNGOU, le père, a connu le père d’AYOUMA, jadis dans l’armée française. Les liens entre les jeunes gens se renfoncent. Ils décident de se marier et, malgré leur conviction que les jeunes sont libres d’agir à leur gré, demandent par respect l’assentiment de leurs parents. Ceux d’AYOUMA se montrent réticents. Pour eux, NTOUNGOU est peu sûr et sa proposition aux jeunes non encore mariés, de cohabiter en ville dans une maison qui lui appartient renforce leur opposition. Mais le garçon, malgré une intervention personnelle de sa mère, décide de se marier, quand même et les parents cèdent. La dot est réunie et portée à NTOUNGOU. Le mariage est officiellement célébré devant le maire et le jeune couple s’installe à Libreville.

NTOUNGOU, avec l’argent de la dot, s’est offert une jeune deuxième épouse, BAKIMA. Ce qui indigne AYOUMA et NDABOUA quand ils viennent s’installer au village pour soigner la grossesse difficile de la jeune femme. AYOUMA fait prendre conscience à BAKIMA de l’injustice de sa condition, mais ses rencontres avec sa jeune belle-mère sont mal interprétées. NTOUNGOU, jaloux, les guette et abat AYOUMA d’un coup de fusil. Après les funérailles, OUTSOUMA, pour compenser la mort violente de son fils unique, exige de NTOUNGOU qu’il lui donne sa propre fille, veuve d’AYOUMA ou qu’il rembourse la dot, ce que choisit NTOUNGOU. Mais où trouver l’argent ? Sa sœur pas riche, pourrait accepter de donner sa fille à un vieux du village moyennant une dot. Les choses sont près de se conclure. Mais NDABOUA qui a entendu les tractations va chercher de nuit ses beaux –parents et, face au conseil, prononce un plaidoyer en faveur de la liberté de la femme en reprenant les idées d’AYOUMA. Elle-même, pour délivrer sa cousine et venger son mari, se donne comme fille à ses beaux-parents.

b - La chosification de la femme à travers la dot

Dans ce film, un peu plus évolué qu’Obali, la scénariste présente deux contextes : celui de la modernité à travers la ville et les personnages de AYOUMA et de NDABOUA, et celui de la coutume représentée par le village, et les personnages NTOUNGOU et BAKIMA.

Le personnage AYOUMA fait l’apologie de l’émancipation de la femme. Il refuse les attributs de la femme liés aux réalités culturelles. Ces attributs sont : le mariage forcé, la procréation et la privation de sa liberté.

Le mariage est forcé parce que le personnage NTOUNGOU épouse BAKIMA, une jeune fille qui occupera le rang de seconde épouse. Cette jeune fille sera humiliée, en vivant avec un homme qui a l’âge de son père. Elle est également, la co-épouse d’une femme ayant l’âge de sa mère et la belle-mère d’une fille qui à son âge (NDABOUA). Tous ces nouveaux attributs de BAKIMA, font d’elle une femme diminuée, assujettie et effacée.

BAKIMA malgré son âge, a le devoir de procréer, afin d’accroître la lignée de son époux. Dans la même vision, Simon David YANA (1995 :128) dit que : « il est essentiel pour un Bamiléké d’accroitre la population de son village, c’est-à-dire d’engendrer de nombreux enfants et de former un lignage qui se perpétuera de génération en génération. La fécondité est ainsi l’un des signes marquant de la réussite personnelle, car pour entrer progressivement dans les sociétés traditionnelles, il faut avoir beaucoup de femmes, beaucoup d’enfants, beaucoup de biens. De plus, puisqu’il est important de faire durer le plus possible le lignage créé, tout adulte fondateur de lignage aura intérêt à avoir de nombreux enfants mâles, afin d’augmenter la probabilité d’en avoir un qui ait suffisamment de qualités pour lui succéder valablement à sa mort ». Une fois dans son nouveau foyer, BAKIMA doit faire ses preuves, en tombant enceinte et en donnant naissance à des enfants. Mais, le jeune âge de BAKIMA provoque les grossesses précoces, qui sont la cause de nombreux décès. Pour corroborer ce fait, l’Organisation Mondiale de la Santé (2011 :8) affirme que : « Près de 16 millions d’adolescents âgés de 16 à 19 ans accouchent chaque année dans le monde. Dans les pays à revenu faible et modéré, les complications liées à la grossesse et à l’accouchement sont la principale cause de décès chez les jeunes femmes de 15 à 19 ans ». La mort peut-être la conséquence extrême de la privation de la liberté, sur le plan quotidien, il y a d’autres formes de privations.

Indéniablement, la jeune mariée est surveillée malgré son état de grossesse. Et, le synopsis nous le confirme à travers ses propos : « les rencontres entre AYOUMA et sa jeune belle-mère sont mal interprétées. NTOUNGOU, jaloux, les guette et abat AYOUMA d’un coup de fusil ». La jeunesse de BAKIMA rend son époux jaloux, au point de perdre la tête en fusillant son beau-fils. Et, en rendant par ricochet, sa propre fille veuve. Autrement dit, aucun homme ne doit s’approcher de sa jeune femme.

Les attributs de la femme selon les normes culturelles, sont négatifs au point de friser la mort, et la privation des libertés. Pour résoudre ce problème, le film propose de remplacer la coutume par les normes nouvelles qui renvoient à la modernité, c’est-à-dire la liberté, l’émancipation de la femme. D’où l’invitation à la ville, représentée par AYOUMA et NDABOUA.

Dès la naissance de la notion « Approche genre », Joséphine KAMA fait une critique de l’approche genre au Gabon, et plus précisément dans sa société natale, le Haut-Ogooué. A travers, l’Obali et la dot, elle a mesuré les attributs de la femme qui sont intimement liés aux rejets, et à la privation des libertés. En conséquence, elle propose une solution principale, le droit à la parole des femmes. Dans les deux films ce sont les femmes qui ont trouvé la solution aux problèmes. Ainsi, les femmes doivent être au cœur de leur destin.

Etant donné que le film Obali ressemble à Ayouma, nous avons jugé opportun de faire l’analyse comparatiste des films Ayouma et Le divorce.

III - ANALYSE COMPARATISTE DE DEUX FILMS : Ayouma et Le divorce.

Kelly Manouchka Labouba

Avant de décliner notre analyse, nous allons noter le synopsis du film Le divorce de Kelly Manouchka LABOUBA. Le divorce a été réalisé en 2009 par Centre National du Cinéma du Cinéma (CENACI).

a - Le synopsis de Le Divorce

Le film relate l’histoire d’un jeune couple, Florence et Magloire mariés à la coutume. L’adultère de Magloire va offenser Florence. Cette dernière va tomber enceinte de son amant, pour se venger de l’adultère de son mari. Furieux par l’acte de Florence, Magloire décide de divorcer. Ainsi, il va officieusement la laisser chez ses parents, en la déposant à l’entrée de son domicile familial, ensuite il ira chez ses parents, pour leur demander ce qu’il faut faire pour divorcer à la coutume. Le père de Magloire fâché, va lui tirer les bretelles avant de lui donner la méthode qui consiste à organiser de nouveau un conclave entre les deux familles, car selon la tradition gabonaise, le mariage n’est pas seulement l’union de deux personnes, mais de deux familles. Elles sont les seules habilitées à désunir ce qu’elles ont uni. Alors Magloire rentra chez lui, et le temps et l’amour qu’il a pour son épouse le poussa à revoir sa décision, en ayant une discussion franche avec Florence. Suite à cette discussion, il accepta de lui pardonner, renonçant ainsi au divorce, et en reconnaissant comme sienne cette grossesse adultérine.

b - Vers un équilibrage des rôles

Tout comme Ayouma, on peut souligner dans Le divorce, une évolution dans les rapports masculin et féminin. Assurément, à travers la riposte de Florence à Magloire on peut affirmer que la femme a des pouvoirs au même titre que l’homme. Celui également d’humilier un homme lorsqu’elle se sent trahie, en portant la grossesse d’un autre, mais aussi, dans la mesure où, Florence ne se contente pas de pleurer ou cacher l’adultère de son époux, comme le ferait les femmes d’une autre époque. Au contraire, elle va réagir fortement, en ayant également une double vie, pire, en tombant enceinte de son amant. Par conséquent, dans ce film on a certes l’image d’une femme infidèle, mais au-delà de cette critique hâtive, une femme révoltée, une femme marquée par l’emprise de la modernité, c’est en sens que Bernardin MINKO MVE (2003 :108 ) conclut que « le GABON est entre la tradition et la poste modernité ». Une femme qui refuse d’être trahie et d’être humiliée. Et qui prône pour la parité des sexes. La réponse à l’adultère de Magloire, par une autre forme d’adultère a pour résultat, l’égalité de sexes. Cette réaction excessive (infidélité et grossesse) n’est sans doute qu’une manière subtile de montrer la parité entre l’homme et la femme. Au même titre que la femme, l’homme doit fidélité et respect à son épouse. Si l’un des conjoints viole ce principe sous prétexte qu’il est un homme, alors la femme peut aussi le faire vu qu’ils sont tous les deux liés par ce principe ; Et devant la loi, ils sont tous égaux.

Une autre similitude, liée à un idéal de vie. Dans AYOUMA on prône pour l’égalité des sexes. AYOUMA est vendeur de voitures et son épouse secrétaire. Tous les deux ont un emploi pour subvenir à leurs besoins. Dans Le divorce, l’égalité des sexes se traduit également dans la distribution des tâches domestiques. Contrairement à la norme africaine qui veut que les tâches domestiques soient reléguées uniquement à la femme. De même que l’éducation et les soins des enfants. A cet titre, Simon David YANA (1997 :42 ) pense que : « Même si elles constituent le socle sur lequel reposent les représentations et pratiques des individus, les normes traditionnelles qui modèlent les rôles sexués sont ébranlés depuis les chocs successifs de la colonisation, puis de l’indépendance. Les rôles féminins, mais aussi les rôles masculins, continuent à puiser dans les modèles culturels des différentes ethnies l’inspiration des rôles socialement valorisés pour l’un et l’autre sexe. La répartition des tâches entre hommes et femmes, les rôles prescrits aux femmes s’inscrivent dans la persistance des modèles culturels dominants et donnent l’impression que la femme est confinée à la sphère domestique » Dans Le divorce, c’est Magloire qui s’occupe de ses enfants en l’absence de son épouse. Cette séquence du film est très révélatrice des combats féministes du 20ème siècle. Les hommes doivent aussi aider leur femme, comme en Occident, sans que cela ne frise le ridicule, ou des injures visant à déstabiliser le couple.

Toutefois, comme dans Ayouma, Le divorce aussi présente le mariage coutumier comme un frein à l’épanouissement de la femme. Il est le résultat du non-respect de la vie privée dans les deux films. Dans Le divorce pour que Magloire divorce de son épouse, il doit organiser une autre cérémonie familiale où il donnera les raisons qui le poussent à divorcer. Sachant que ces raisons sont liées à leurs escapades extra-conjugales, alors les conjoints concluent que le mariage coutumier est une entrave à leur vie privée. Aussi, les deux films rééquilibrent les rôles ; d’où l’égalité des sexes.

Au sortir de cette étude, nous pouvons conclure que l’approche genre dans le cinéma gabonais a bien évolué. Elle est passée de l’invisibilité de la femme dans Obali et à celle de l’émancipation de la femme dans Ayouma et le Divorce.

Avant d’évoquer le film Obali, il est primordial de rappeler à toutes fins utiles que Joséphine KAMA est la première réalisatrice gabonaise. Grâce à ce film, cette pionnière a mis en relief la femme oubliée dans tous les domaines, montrant ainsi que la femme n’avait pas le droit de décider de son avenir. Elle était placée dans un mariage sans son consentement. Son épanouissement était voué à l’échec car elle était confinée à la procréation, à l’éducation des enfants et aux travaux champêtres. Dans ce film, on peut reprocher à la tradition d’être un frein pour l’épanouissement de la femme, et par ricochet à l’approche genre. Cette tradition est nuisible dans la mesure où, elle peut marier deux personnes de même sang et deux personnes de générations opposées. Cette tradition est également meurtrière, elle sacrifie les jeunes filles en les donnant précipitamment en mariage. Ce qui conduit aux grossesses précoces et à leur lot de conséquences.

Joséphine KAMA a écrit le scénario de ce film à une période où la notion d’approche genre était balbutiante dans le cinéma gabonais. Elle a eu très tôt, le courage de dénoncer le statut de la femme dans la société gabonaise. C’est pourquoi, elle s’est investie totalement dans cette thématique en écrivant les scénarios de deux films et en suggérant des solutions pertinentes pour sortir les femmes de cet engrenage. Cette vision avant-gardiste de la scénariste, doublée du statut de secrétaire du personnage NDABOUA dans Ayouma prouve à suffisance que cette solution n’est pas simplement théorique, elle se conforte également dans la pratique. La femme au même titre que l’homme peut avoir une place dans la société. Elle peut s’occuper de son foyer, sa famille et prendre en charge ses besoins. Ainsi, Le remake du film Le divorce est venu mettre à jour, les anciens films de Joséphine KAMA, en insistant sur les combats féministes du 20ème siècle. On a assisté à un rejet de notions telles que la domination de l’homme, la subordination des femmes au profit de l’émancipation de la femme, de la parité et de l’égalité des sexes. Les femmes sont sorties de l’espace privé dans lequel elles étaient confinées volontairement ou involontairement ; cas de NDABOUA qui exerce une activité professionnelle, comme son époux AYOUMA. Dans Le divorce, Florence répond à l’adultère de Magloire, par une autre forme d’adultère. Un autre fait contradictoire, c’est Magloire qui s’occupe de ses enfants en l’absence de son épouse. Aussi, c’est le couple (Magloire et Florence) qui décide de se marier à la coutume.

Par conséquent, malgré les persistances des normes traditionnelles gabonaises, on peut constater quelques changements de rôles dans la répartition des tâches domestiques et dans la liberté d’expression.

 

Bibliographie

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MAJNONI d’INTIGNANO Beatrice, Femmes, si vous saviez…., Paris, Fallois, 1996, 399p
MINKO MVE Bernardin, Gabon entre tradition et post-modernité : Dynamiques des structures d’accueil Fang, Paris, l’Harmattan, 2003, 250p
Organisation Mondiale pour la Santé, « Prévenir les grossesses précoces et leur conséquences en matière de santé reproductive chez les adolescentes dans les pays en développement », in rubrique OMS Afrique, n°235, 2011, 195p.
PEAN Pierre, Nouvelles affaires africaines : Mensonges et pillages au Gabon, Paris, Fayard, 2014, 260p
RAPONDA WALKER et SILLANS André Roger, Rites et croyances des peuples du Gabon, Paris, Présence africaine, 2000, 377 p
THYERY Irene, « Le genre : identité des personnes ou modalité des relations sociales » dans revue française de pédagogie n°171 avril-Mai-Juin 2010, pp103-117
YANA Simon David, « Statuts et rôles féminins au Cameroun : Réalités d’hier, images d’aujourd’hui » in Politique africaine, n°65, 1997, pp35-47
YANA Simon David : « Statuts et rôles féminins au Cameroun : Les Bamilékés et les Pahouins (Fangs-Beti-Bulu) », in A la recherche des modèles culturels de la fécondité au Cameroun, UCL-Institut de démographie, Académia-l’Harmattan, Louvain-la-Neuve, 1995, pp121-141

 

 

[1] Les films Obali et Ayouma naissent grâce au cinéma présidentiel. Dans les années 1970, le président Omar BONGO qui éprouvait un attrait personnel pour le cinéma décida de lancer une production personnelle et nationale des films gabonais. Alors, il créa selon Victor BACHY (1986 :57) : « La société des Films Gabonais, et son fondé de pouvoir fut désigné : Pierre-Marie DONG, qui allait réaliser trois films présidentiel. Pour les besoins de la cause, le président avait affecté une centaine de millions à l’infrastructure technique. Par conséquent, les Films Gabonais ont produit coup sur coup en 1976 Obali, et en 1977 Ayouma, tous deux adaptés de scénarios de Joséphine KAMA et réalisés par DONG, en 1978, la trilogie, Demain un jour nouveau, d’après un scénario du président Omar BONGO. Tous les trois films ont coûté deux cent millions de Francs CFA (200.000.000 FCFA).

C’est pour la première fois qu’une femme gabonaise se lance dans le métier du cinéma. Joséphine KAMA a su profiter des infrastructures dotées par son époux à la société Les Films Gabonais pour écrire deux scénarios et jouer le rôle de NGONDO dans Obali. Pour cette dame : « J’ai écrit ces scénarios parce que je suis une passionnée de l’art, j’ai toujours été attirée par le cinéma et par la musique. C’est la raison pour laquelle j’ai soutenu mon époux lorsqu’il a décidé de s’impliquer personnellement dans ce domaine qui somnolait malgré le dynamisme de Philippe MORY. Mon époux a mis les moyens techniques et financiers, alors j’ai décidé de participer à l’éveil du cinéma gabonais en apportant ma modeste contribution, à travers deux films. Ce fut des expériences enrichissantes et cela a donné les résultats que vous avez vus ». Il est intéressant de souligner que Joséphine KAMA est appelée aujourd’hui Patience DABANY. Elle est considérée comme étant la « diva de la musique gabonaise ». C’est une femme aux multiples facettes.

 

P.-S.

En logo une photographie de Joséphine Kama.

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