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Scotia deserta 

traduit de l’anglais par Marie-Claude White

lundi 14 août 2023, par Kenneth White (Date de rédaction antérieure : 18 octobre 2015).

Kenneth White est mort en ce mois d’août 2023.

Il avait 87 ans.

Toute une vie incandescente
parsemée d’éclairs et d’extases glacées…

Voici l’un de ses poèmes : Scotia deserta —

SCOTIA DESERTA

Tous ces détroits, ces lacs, ces pertuis...

***

Et les mouettes à la jetée de Largs :
assis dans ce café
à la grande fenêtre pleine de vent et de lumière
à lire, à observer

***

À penser... la glace, autrefois
je la regarde qui descend
depuis la haute arrête centrale
jusque dans l’Atlantique

je la sens qui creuse les lacs
sculpte les crêtes rocheuses
lisse les longues plages

la terre émerge
meurtrie, étourdie
dans la lumière arctique

les fous de Bassan s’assemblent sur les îles
les aigles sur les monts couverts de pins
la linaigrette
danse au vent

des hommes arrivent
regardent alentour, perplexes
quel nom pour ce lieu ?
Alba

***

Méditations de la page blanche
contemplations de la montagne
imprimées dans l’esprit

***

Un homme laissa trace de sa présence
là-bas à Bute et aux îles Garvellach
et au détroit de Kilbrannan
c’était Brandan, le saint voyageur

oui bien sûr, Brandan avait la foi
mais qu’importe cela
c’était avant tout
un navigateur
une silhouette qui mille après mille
doublait les caps
égrenait les îles
frayait une voie
entre écume et nuages
attentif aux lignes du monde :

le détroit d’Islay
l’estuaire de Lorn
la passe de Tiree
le détroit de Mull
Skerryvore et la pointe de Barra
le loch Alsh, le pertuis Rhea
le détroit de Raasay

***

Ah, le son clair de ces mots
et un monde
qui s’ouvrait, qui s’ouvrait !

***

D’autres figures traversent la scène
en voici une :
Kentigern était son nom

dans l’église que je fréquentais
autour de mes neufs ans
un vitrail gris-bleu
représentait cet homme
un livre à la main
debout sur une grève
prêchant aux mouettes

moi, perdu dans ce vitrail
j’oubliais le sermon
(toujours le bien et le mal
les métaphores confuses
les lourdes comparaisons)
impatient de sortir
de retrouver la grève déserte
de marcher des heures entières
un livre à la main parfois
mais pas le moindre prêche en tête

essayant de saisir quelque chose
qui n’avait besoin d’aucun nom
quelque chose qui avait pour forme
les vagues bleues et le roc gris
et avait un goût de sel

***

Un sentier rocailleux
et l’odeur de varech
entre Fairlie et Largs

Fumée en dérive
l’éclat des feuilles d’automne
sur les bords du loch Lomond

Mouettes fantômes dans la grisaille
kiiya, kiiya, kiiya, kiiya
septembre à Applecross

Tiree
un matin de mars
royaume du vent

Sept îles
dans le soleil d’août
Islay, Jura, Scarba, Lunga, Luing, Shuna, Seil

J’arpente la côte
tous ces détroits, ces lacs, ces pertuis

vivant l’ouvert
appréhendant l’univers

ordre et anarchie
chaos et cosmologie

géographie de l’esprit

***

Avez-vous entendu Corrievreckan
aux grandes marées de mars
sous les rafales du vent ?

il gronde si fort
qu’on l’entend de la terre
à vingt milles de là

les cartes marines
signalent une vitesse de neuf nœuds

pour les sens
qui ne font pas de calculs
mais à quoi rien n’échappe
c’est un violent tourbillon blanc

origine
d’une pensée de la vague et du vent

Que les images filent
rapides et claires

que les idées soient folles
(échange vif d’hôte à hôte, lumière)

voilà la seule façon
de dire la côte

toute la réalité irrégulière
de ce littoral brisé par la mer

***

Discours pélagien
poétique atlantique

choses premières et dernières

extrait d’Atlantica, Grasset & Fasquelle, 1986

P.-S.

Photographie de Régis Poulet.

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