La Revue des Ressources

Mes Prisons 

jeudi 17 mars 2011, par Gérard de Nerval (1808-1855)

Enfermé à la prison de Sainte-Pélagie, Nerval écrit un petit poème aussitôt publié dans Le Cabinet de lecture du 4 septembre 1831. De nouveau dans la nuit du 2 février 1832, les Jeunes France sont arrêtés, pris pour des conspirateurs et cette fois leur peine est plus longue15,16.
Nerval ne sort de prison que pour apprendre une mauvaise nouvelle : le 2 avril 1832, une épidémie de choléra vient d’éclater. Son père lui demande de le seconder et Gérard ne peut qu’accepter17. Il se fait médecin en 1832, mais lors de la deuxième épidémie, en 1849, Gérard (qui signe alors de Nerval), se réfugie chez Alexandre Dumas où il rencontre Franz Liszt. Puis il part en voyage pour la Suisse.

SAINTE-PÉLAGIE EN 1831

Ces souvenirs ne réussiront jamais à faire de moi un Silvio Pellico, pas même un Magallon... Peut-être encore ai-je moins pourri dans les cachots que bien des gardes nationaux littéraires de mes amis ; cependant, j’ai eu le privilège d’émotions plus variées ; j’ai secoué plus de chaînes, j’ai vu filtrer le jour à travers plus de grilles ; j’ai été un prisonnier plus sérieux, plus considérable ; en un mot, si à cause de mes prisons je ne me suis point posé sur un piédestal héroïque, je puis dire que ce fut pure modestie de ma part.

L’aventure remonte à quelques années ; les Mémoires de M. Gisquet viennent de préciser l’époque dans mon souvenir ; cela se rattache, d’ailleurs, à des circonstances fort connues ; c’était dans un certain hiver où quelques artistes et poètes s’étaient mis à parodier les soupers et les nuits de la Régence. On avait la prétention de s’enivrer au cabaret ; on était raffiné, truand et talon rouge tout à la fois. Et ce qu’il y avait de plus réel dans cette réaction vers les vieilles mœurs de la jeunesse française, c’était, non le talon rouge, mais le cabaret et l’orgie ; c’était le vin de la barrière bu dans des crânes en chantant la ronde de Lucrèce Borgia ; au total, peu de filles enlevées, moins encore de bourgeois battus ; et, quant au guet, formulé par des gardes municipaux et des sergents de ville, loin de se laisser charger de coups de bâton et de coups d’épée, il comprenait assez mal la couleur d’une époque illustre, pour mettre parfois les soupeurs au violon, en qualité de simples tapageurs nocturnes.
C’est ce qui arriva à quelques amis et à moi, un certain soir où la ville était en rumeur par des motifs politiques que nous ignorions profondément ; nous traversions l’émeute en chantant et en raillant, comme les épicuriens d’Alexandrie (du moins, nous nous en, flattions). Un instant après, les rues voisines étaient cernées, et, du sein d’une foule immense, composée, comme toujours, en majorité de simples curieux, on extrayait les plus barbus et les plus chevelus, d’après un renseignement fallacieux qui, à cette époque, amenait souvent de pareilles erreurs.

Je ne peindrai pas les douleurs d’une nuit passée au violon ; à l’âge que j’avais alors, on dort parfaitement sur la planche inclinée de ces sortes de lieux ; le réveil est plus pénible. On nous avait divisés ; nous étions trois sous la même clef au corps de garde de la place du Palais-Royal. Le violon de ce poste est un véritable cachot, et je ne conseille à personne de se faire arrêter de ce côté. Après avoir probablement dormi plusieurs heures, nous nous réveillâmes au bruit qui se faisait dans le corps de garde ; du reste, nous ne savions s’il était jour on nuit.

Nous commençâmes par appeler ; on nous enjoignit de nous tenir tranquilles. Nous demandions d’abord à sortir, puis à déjeuner, puis à fumer quelques cigares : refus sur tous ces points ; ensuite personne ne songea plus à nous ; alors, nous agitons la porte, nous frappons sur les planches, nous faisons rendre au violon toute l’harmonie qui lui est propre ; ce fut de quoi nous fatiguer une heure ; le jour ne venait pas encore ; enfin, quelques heures après, vers midi probablement, l’ombre à peine perceptible d’une certaine lueur se projeta sur le plafond et s’y promena dès lors comme une aiguille de pendule. Nous regrettâmes le sort des prisonniers célèbres, qui avaient pu du moins élever une fleur ou apprivoiser une araignée ; le donjon de Fouquet, les plombs de Casanova, nous revinrent longuement en mémoire ; puis, comme nous étions privés de toute nourriture, il fallut nous arrêter au supplice d’Ugolin... Vers quatre heures, nous entendîmes un bruit actif de verres et de fourchettes : c’étaient les municipaux qui dînaient.

Je regretterais de prolonger ce journal d’impressions fort vulgaires partagées par tant d’ivrognes, de tapageurs ou de cochers en contravention ; après dix-huit heures de violon, nous sommes conduits devant un commissaire, qui nous envoie à la Préfecture, toujours sous le poids des mêmes préventions. Dès lors, notre position prenait du moins de l’intérêt. Nous pouvions écrire aux journaux, faire appel à l’opinion, nous plaindre amèrement d’être traités en criminels ; mais nous préférâmes prendre bien les choses et profiter gaiement de cette occasion d’étudier des détails nouveaux pour nous. Malheureusement, nous eûmes la faiblesse de nous faire mettre à la pistole, au lieu de partager la salle commune, ce qui ôte beaucoup à la valeur de nos observations.
La pistole se compose de petites chambres fort propres à un ou deux lits, où le concierge fournit tout ce qu’on demande, comme à la prison de la garde nationale ; le plancher est en dalles, les murs sont couverts de dessins et d’inscriptions ; on boit, on lit et on fume ; la situation est donc fort supportable.

Vers midi, le concierge nous demanda si nous voulions passer avec la société pendant qu’on faisait le service. Cette proposition n’était que dans le but de nous distraire, car nous pouvions simplement attendre dans une autre chambre. La société, c’étaient les voleurs.

Nous entrâmes dans une vaste salle garnie de bancs et de tables ; cela ressemblait simplement à un cabaret de bas étage. On nous fit voir près du poêle un homme en redingote verte qu’on nous dit être le célèbre Fossard, arrêté pour le vol des médailles de la Bibliothèque.

C’était une figure assez farouche et refrognée, des cheveux grisonnants, un œil hypocrite. Un de mes compagnons se mit à causer avec lui. Il crut pouvoir le plaindre d’être une haute intelligence mal dirigée peut-être ; il émit une foule d’idées sociales et de paradoxes de l’époque, lui trouva au front du génie et lui demanda la permission de lui tâter la tète, pour examiner les bosses phrénologiques.

Là-dessus, M. Fossard se fâcha très-vertement, s’écriant qu’il n’était nullement un homme d’intelligence, mais un bijoutier fort honorable et fort connu dans son quartier, arrêté par erreur ; qu’il n’y avait que des mouchards qui pussent l’interroger comme on le faisait.

— Apprenez, monsieur, dit un voisin à notre camarade, qu’il ne se trouve que d’honnêtes gens ici.

Nous nous hâtâmes d’excuser et d’expliquer la sollicitude d’artiste de notre ami, qui, pour dissiper la malveillance naissante, se mit à dessiner un superbe Napoléon sur le mur ; on le reconnut aussitôt pour un peintre fort distingué.
En rentrant dans nos cellules, nous apprîmes du concierge que le Fossard auquel nous avions parlé n’était pas le forçat célébré par Vidocq, mais son frère, arrêté en même temps que lui.

Quelques heures après, nous comparûmes devant un juge d’instruction, qui envoya deux d’entre nous à Sainte-Pélagie sous la prévention de complot contre l’État. Il s’agissait alors, autant que je puis m’en souvenir, du célèbre complot de la rue des Prouvaires, auquel on avait rattaché notre pauvre souper par je ne sais quels fils très-embrouillés.

À cette époque, Sainte-Pélagie offrait trois grandes divisions complètement séparées. Les détenus politiques occupaient la plus belle partie de la prison. Une cour très-vaste, entourée de grilles et de galeries couvertes, servait toute la journée à la promenade et à la circulation. Il y avait le quartier des carlistes et le quartier des républicains. Beaucoup d’illustrations des deux partis se trouvaient alors sous les verrous. Les gérants de journaux, destinés à rester longtemps prisonniers, avaient tous obtenu de fort jolies chambres. Ceux du National, de la Tribune et de la Révolution étaient les mieux logés dans le pavillon de droite. La Gazette et la Quotidienne habitaient le pavillon de gauche, au dessus du chauffoir public.

Je viens de-citer l’aristocratie de la prison ; les détenus non journalistes, mais payant la pistole, étaient répartis en plusieurs chambrées de sept à huit personnes ; on avait égard dans ces divisions non-seulement aux opinions prononcées, mais même aux nuances. Il y avait plusieurs chambrées de républicains, parmi lesquels on distinguait rigoureusement les unitaires, les fédéralistes, et même les socialistes, peu nombreux encore. Les bonapartistes, qui avaient pour journal la Révolution de 1830, éteinte depuis, étaient aussi représentés ; les combattants carlistes de la Vendée et les conspirateurs de la rue des Pronvaires ne le cédaient guère en nombre aux républicains ; de plus, il y avait tout un vaste dortoir rempli des malheureux Suisses arrêtés en Vendée et constituant la plèbe du parti légitimiste. Celle des divers partis populaires, le résidu de tant d’émeutes et de tant de complots d’alors, composait encore la partie la plus nombreuse et la plus turbulente de la prison ; toutefois, il était merveilleux de voir l’ordre parfait et même l’union qui régnaient entre tous ces prisonniers de diverses origines ; jamais une dispute, jamais une parole hostile ou railleuse ; les légitimistes chantaient Ô Richard ou Vive Henri IV d’un côté, les républicains répondaient avec la Marseillaise ou le Chant du départ ; mais cela sans trouble, sans affectation, sans inimitié, et comme les apôtres de deux religions opprimées qui protestent chacun devant leur autel.

J’étais arrivé fort tard à Sainte-Pélagie, et l’on ne pouvait me donner place à la pistole que le lendemain. Il me fallut donc coucher dans l’un des dortoirs communs. C’était une vaste galerie qui contenait une quarantaine de lits. J’étais fatigué, ennuyé du bruit qui se faisait dans le chauffoir, où l’on m’avait introduit d’abord, et où j’avais le droit de rester jusqu’à l’heure du couvre-feu ; je préférai gagner le lit de sangle qu’on m’avait assigné, et où je m’endormis profondément.

L’arrivée de mes camarades de chambre ne tarda pas à me réveiller. Ces messieurs montaient l’escalier en chantant la Marseillaise à gorge déployée ; on appelait cela la prière du soir. Après la Marseillaise arrivait naturellement le Chant du départ, puis le Ça ira, à la suite duquel j’espérais pouvoir me rendormir en paix ; mais j’étais bien loin de compte. Ces braves gens eurent l’idée de compléter la cérémonie par une représentation de la révolution de Juillet. C’était une sorte de pièce de leur composition, une charade à grand spectacle, qu’ils exécutaient fort souvent, à ce qu’on m’apprit. On commençait par réunir deux ou trois tables ; quelques-uns se dévouaient et représentaient Charles X et ses ministres tenant conseil sur cette scène improvisée ; on peut penser avec quel déguisement et quel dialogue. Ensuite venait la prise de l’hôtel de ville ; puis une soirée de la cour à Saint-Cloud, le gouvernement provisoire, la Fayette, Laffitte, etc. : chacun avait son rôle et parlait en conséquence. Le bouquet de la représentation était un vaste combat des barricades, pour lequel on avait dû renverser lits et matelas ; les traversins de crin, durs comme des bûches, servaient de projectiles. Pour moi qui m’étais obstiné à garder mon lit, je ne peux point cacher que je reçus quelques éclaboussures de la bataille. Enfin, quand le triomphe fut regardé comme suffisamment décidé, vainqueurs et vaincus se réunirent pour chanter de nouveau la Marseillaise, ce qui dura jusqu’à une heure du matin.
En me réveillant, le lendemain, d’un sommeil si interrompu, j’entendis une voix partir du lit de sangle situé à ma gauche. Cette voix s’adressait à l’habitant du lit de sangle situé à ma droite ; personne encore n’était levé.

— Pierre !

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est-il toi qui es de corvée ce matin ?

— Non, ce n’est pas moi ; j’ai fait la chambre hier.

— Eh bien, qui donc ?

— C’est le nouveau ; c’est un qui est là, qui dort.

Il devenait clair que le nouveau, c’était moi-même ; je feignis de continuer à dormir ; mais déjà ce n’était plus possible ; tout le monde se levait aux coups d’une cloche, et je fus forcé d’en faire autant.

Je songeais tristement à la corvée et à l’ennui de travailler pour les représentants du peuple libre ; les inconvénients de l’égalité m’apparaissaient cette fois bien positivement ; mais je ne tardai pas à apprendre que, là aussi, l’argent était une aristocratie. Mon voisin de droite vint me dire à l’oreille :

— Monsieur, si vous voulez, je ferai votre corvée ; cela coûte cinq sous.

On comprend avec quel plaisir je me rachetai de la charge que m’imposait l’égalité républicaine, et je me disais, en y songeant, qu’il eût été peut-être moins pénible, en fait de corvée, de faire la chambre d’un roi que celle d’un peuple. Les gens qui ont fait la Jacquerie n’avaient peut-être pas prévu ma position.

Une demi-heure après, un second coup de cloche nous avertit que toute la prison était rendue à sa liberté intérieure ; c’était en même temps le signal de la distribution des vivres. Chacun prit une sébile de terre et une cruche, ce qui nous faisait un peu ressembler à l’armée de Gédéon. Dans une galerie inférieure, la distribution était déjà commencée ; elle se faisait à tous les prisonniers sans exception, et se composait d’un pain de munition et d’une cruche d’eau ; après quoi, on remplissait les sébiles d’une sorte de bouillon sur lequel flottait un très-léger morceau de bœuf ; au fond de ce bouillon limpide on trouvait encore de gros pois ou des haricots que les prisonniers appelaient des vestiges, en raison sans doute de leur rareté.

Du reste, la cantine était ouverte au fond de la cour et desservait les trois divisions de Sainte-Pélagie. Seulement, les prisonniers politiques avaient seuls l’avantage de pouvoir y entrer et s’y mettre à table. Deux petites lucarnes suffisaient au service des prisonniers de la dette (qui n’étaient pas encore à Clichy) et des voleurs, situés dans une aile différente. La communication n’était même pas tout à fait interdite entre ces prisonniers si divers. Quelques lucarnes percées dans le mur servaient à faire passer d’une prison à l’autre de l’eau-de-vie, du vin ou des livres. Ainsi, les voleurs manquaient d’eau-de-vie, mais l’un d’eux tenait une sorte de cabinet de lecture ; on échangeait, à l’aide de ficelles, des bouteilles et des romans ; les dettiers envoyaient des journaux ; on leur rendait leurs politesses en provisions de bouche, dont la section politique était mieux fournie que toute autre.

En effet, le parti légitimiste nourrissait libéralement ses défenseurs. Tous les matins, des montagnes de pâtés, de volailles et de bouteilles s’amoncelaient au parloir de la prison. Les Suisses-Vendéens étaient surtout l’objet de ces attentions et tenaient table ouverte. Je fus invité à prendre part à l’un de ces repas, ou plutôt à ce repas, qui dura tout le temps de mon séjour ; car la plupart des convives restaient à table toute la journée, et sous la table toute la nuit, et l’on pouvait appliquer là ce vers de Victor Hugo :

Toujours, par quelque bout, le festin recommence.

D’ailleurs, les liaisons étaient rapides, et toutes les opinions prenaient part à cette hospitalité, chacun apportant, en outre, ce qu’il pouvait, en comestibles et en vins ; il n’y avait qu’un fort petit nombre de républicains farouches qui se tinssent à part de ces réunions ; encore cherchaient-ils à n’y point mettre d’affectation. Vers le milieu du jour, la grande cour, le promenoir, présentait un spectacle fort animé ; quelques bonnets phrygiens indiquaient seuls la nuance la plus prononcée ; du reste, il y avait parfaite liberté de costumes, de paroles et de chants. Cette prison était l’idéal de l’indépendance absolue rêvée par un grand nombre de ces messieurs, et, hormis la faculté de franchir la porte extérieure, ils s’applaudissaient d’y jouir de toutes les libertés et de tous les droits de l’homme et du citoyen.

Cependant, si la liberté régnait avec évidence dans ce petit coin du monde, il n’en était pas de même de l’égalité. Ainsi que je l’ai remarqué déjà, la question d’argent mettait une grande différence dans les positions, comme celle de costume et d’éducation dans les relations et dans les amitiés. Mes anciens camarades de dortoir y étaient si accoutumés, qu’à partir du moment où je fus logé à la pistole, aucun d’entre eux n’osa plus m’adresser la parole ; de même, on ne voyait presque jamais un républicain en redingote se promener on causer familièrement avec un républicain en veste. J’eus lieu souvent de remarquer que ces derniers s’en apercevaient fort bien, et l’on s’en convaincra par une aventure assez amusante qui arriva pendant mon séjour. L’un des garçons de l’établissement portait un poulet à l’un des gros bonnets du parti, logé dans le pavillon de droite. Il avait en même temps à remettre une bouteille de vin à des ouvriers qui jouaient aux cartes dans le chauffoir. Il entre là, tenant d’une main la bouteille, et de l’autre le plat dans une serviette :

— À qui portes-tu cela ? lui dit un gamin de Juillet familier.

— C’est un poulet pour M. M***.

— Tiens ! tiens ! mais cela doit être bon...

— C’est meilleur que ton bouilli et tes vestiges, observe un autre.

— Il n’y a pas une patte pour moi ? dit l’enfant de Paris...

Et il tire un peu une patte qui sortait de la serviette. Par malheur, la patte se détache. On comprend dès lors ce qui dut arriver. Le poulet disparut en un clin d’œil. Le garçon de la cantine se désolait, ne sachant à qui s’en prendre.

— Porte-lui cela, dit un plaisant de la chambrée.

Il réunit tous les os dans l’assiette et écrivit sur un morceau de papier : « Les républicains ne doivent pas manger de poulet. »

De temps en temps, une grande voiture, dite panier à salade venait chercher quelques-uns des prisonniers qui n’étaient que prévenus, et les transportait au Palais de Justice, devant le juge d’instruction. Je dus moi-même y comparaître deux fois. C’était alors une journée entière perdue ; car, arrivé à la Préfecture, il fallait attendre son tour dans une grande salle remplie de monde, qu’on appelait, je crois, la souricière. Je ne puis m’empêcher de protester ici contre la confusion qui se faisait alors des diverses sortes de détenus. Je pense que cela ne provenait, d’ailleurs, que d’un encombrement momentané.

Après ma dernière entrevue avec le juge, ma liberté ne dépendait plus que d’une décision de la chambre du conseil. Il fut déclaré qu’il n’y avait lieu à suivre, et dès lors je n’avais plus même à défendre mon innocence. Je dînais fort gaiement avec plusieurs de mes nouveaux amis, lorsque j’entendis crier mon nom du bas de l’escalier, avec ces mots : Armes et bagages ! qui signifient : « En liberté. » La prison m’était devenue si agréable, que je demandai à rester jusqu’au lendemain. Mais il fallait partir. Je voulus du moins finir le dîner ; cela ne se pouvait pas. Je faillis donner le spectacle d’un prisonnier mis de force à la porte de la prison. Il était cinq heures. L’un des convives me reconduisit jusqu’à la porte, et m’embrassa, me promettant de venir me voir en sortant de prison. Il avait, lui, deux ou trois mois à faire encore. C’était le malheureux Gallois, que je ne revis plus, car il fut tué en duel le lendemain de sa mise en liberté.

P.-S.

Michel Lévy frères, libraires-éditeurs, 1868 (V. Le Rêve et la Vie. Les Filles du feu. La Bohême galante, pp. 314-323).

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