La Revue des Ressources
Accueil > Masse critique > Hacktivisme/activisme > Post Scriptum : les avantages financiers de l’anticopyright

Post Scriptum : les avantages financiers de l’anticopyright 

mercredi 27 février 2013, par Critical Art Ensemble

« Vitesse et richesse avancent main dans la main »
PAUL VIRILIO

LE mouvement « anti-copyright » pose un problème permanent aux producteurs culturels : ils se demandent comment ils pourront être rémunérés pour leur travail et ne pas en être dépossédés sans avoir à engager des poursuites légales pour obtenir la reconnaissance de leur droit de propriété. Ce problème n’a pas retenu l’attention des figures de proue du mouvement « plagiariste », du mouvement du « reflet électronique » et du mouvement « anti-copyright », qui semblent se contenter de développer les principes de leurs mouvements respectifs sur le plan de la théorie plutôt que de la pratique. La position la plus ancienne (qui remonte à Lautréamont) et la plus commune (on la trouve chez Debord, Home, Benjamin, Gysin, Isou, Kraus, ainsi que chez les entités collectives Karen Eliot, ®™ark et Luther Blisset (1)) pour justifier la non-privatisation de l’information est celle qui consiste à croire que l’absence d’accès à des pans entiers de la culture constituerait une entrave à l’expérimentation et à l’invention.

Une fois privatisés, les produits culturels (qu’il s’agisse d’images ou de textes) deviennent un capital culturel et contribuent par conséquent, comme n’importe quelle autre forme de capital, à renforcer la hiérarchisation des couches sociales. La privatisation de la culture est un processus de stabilisation de la signification au sein de codes idéologiques qui ont pour fonction de maintenir le statu quo. En outre, la privatisation des produits culturels confère faussement à ceux qui les produisent le statut de créateurs métaphysiques en les entourant d’une fallacieuse aura d’individualisme mystique, alors qu’en vérité ils n’ont fait que participer à une pratique culturelle de recombinaison numérisée - processus dans lequel la représentation, en tant que reflet du génie individuel, n’a aucune réalité, sinon comme stratagème cynique destiné à accroître la vente des produits en question. Enfin, la culture privatisée est une culture de marché ; or, les réfractaires culturels ne voulant plus mettre aucun « nouveau » produit sur le marché, ils ont mis au point, au cours du siècle qui vient de s’achever, diverses tactiques pour créer de nouvelles significations à partir des représentations communes. Ces tactiques sont peut-être aussi peu concrètes que le discours « anti-copyright », encore qu’il y ait des façons plus cavalières de penser la question, comme par exemple lorsqu’on déclare que la participation à la privatisation est une capitulation devant les exigences du marché. Pour éviter de subir ce sort dans le contexte du capitalisme tardif, la seule alternative est d’être un artiste maudit (encore un de ces tristes stéréotypes créés par le capital pour empêcher le développement de l’identité sociale et de la solidarité) ou de capituler d’une autre façon (par exemple en travaillant). Les producteurs de culture ne peuvent bénéficier d’aucun conseil pratique et se trouvent confrontés aux impératifs de la pureté idéologique ou de la théorie abstraite.

Pourtant, il est possible de faire des remarques d’ordre pratique concernant la question de l’« anti-copyright ». Tout d’abord, l’interdiction du droit de reproduction ne s’applique pas à l’accès et à l’utilisation individuels (même si c’est souvent l’un des effets collatéraux du copyright). Les deux principes fondamentaux de l’existence du copyright sont :

1° protéger une institution des attaques d’une autre institution,

2° maintenir le contrôle exclusif sur un produit de façon à tirer le plus grand profit possible de sa mise sur le marché.

L’individu n’est pris en compte dans aucun de ces deux cas. Ces principes sont assez simples. Dans n’importe quelle forme de capitalisme, une institution en rivalité avec une autre fera tout ce qui est en son pouvoir pour gêner l’institution concurrente et assurer sa propre survie, ce qui inclut le vol de produits (l’espionnage industriel, en particulier au niveau international, est un élément constitutif du monde des affaires). Les produits de luxe sont les moins faciles à voler, tandis que les produits numériques se volent très aisément - mauvaise nouvelle, dirait-on, pour les écrivains, les vidéastes et cinéastes, les musiciens de studio et les artistes du Net ou du Web. La législation sur le copyright tempère et ralentit le processus du vol, tout en empêchant le public de s’apercevoir que l’achat de produits n’est jamais qu’un piratage autorisé. Tant que le processus de vol est ralenti, le produit et le marché peuvent être raisonnablement bien gérés, mais tout cela se passe au niveau macroscopique. Dans la perspective de l’économie de marché, le vol individuel est un inconvénient qu’il faut subir. Des gens vont photocopier des livres, photographier des oeuvres d’art, échantillonner des sons, dupliquer des vidéos, et des reproductions de toutes ces choses passeront de main en main.

C’est à ce stade que la confusion s’installe : les producteurs individuels de culture (au sens le plus large du terme) craignent que leur travail cesse d’être rémunéré à cause du développement sans frein de la duplication. Cette crainte est sans fondement. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter, sauf lorsqu’un producteur de culture devient une institution. Elvis, par exemple, est un individu qui est devenu une institution. Le mot « Elvis » ne renvoie pas à un être humain, mais à des vidéos, à des films, à des disques et à toutes sortes de produits dérivés. L’individu Elvis a si peu d’importance dans cette configuration qu’il n’est même pas nécessaire qu’il soit vivant pour qu’« Elvis » continue d’exister. Les vedettes, dans tous les domaines de la culture, ne sont plus des personnes, mais des institutions qui ont besoin de protéger leur capital ; d’où la mise en place du copyright. Mais pour ceux qui sont restés des producteurs individuels, le copyright n’est pas indispensable - en réalité, il est contreproductif dans la plupart des cas. Prenons, par exemple, le cas d’un écrivain qui vient de publier un livre dont les ventes atteindront entre cinq et dix mille exemplaires. Aucun grand éditeur ne s’en souciera ; ce livre est trop peu rentable pour qu’il se donne la peine de le pirater et de risquer d’encourir des poursuites. Il y aura, bien sûr, des gens pour le photocopier et en faire circuler des exemplaires. Quelqu’un - sait-on jamais ? - va peut-être le numériser sur le Net et l’offrir gratuitement, tandis que de petites maisons d’édition étrangères le traduiront et l’éditeront. Le Critical Art Ensemble affirme que des actions de ce genre ont une utilité à long terme et qu’il faut les encourager en militant contre le copyright. Plus une oeuvre est connue, plus les gens seront désireux de l’acheter, et il est très vraisemblable que des commandes, des conférences et d’autres occasions de rémunération s’ensuivront. L’argent perdu du fait de la diffusion gratuite du texte sera récupéré par d’autres voies. Plus vite l’information se répandra, meilleur ce sera et plus les gains seront élevés au niveau individuel. La vitesse et la reproduction seront rentables à l’ère digitale ! Il est donc contreproductif de ralentir le processus par le biais du copyright, tant en termes de rémunération individuelle qu’en termes de résistance culturelle.

P.-S.

* Traduit par Jean-Marc Mandosio.

1.Voir www.rtmark.com, et Luther Blissett http://www.0100101110101101.org. (R)

Crédit photographique : Critical Art Ensemble in Halle/Saale, Germany performing "Radiation Burn : A Temporary Monument to Public Safety", October 15th 2010. Cc-by-nc-nd-sa-3.0

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter