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Mimi Mollica / Cours, camarade 

lundi 15 septembre 2008, par Andrée Bergeron

© Mimi Mollica

Cours, camarade. Le vieux monde...

Comme dans un tableau d’Escher, les perspectives se tordent. Avancer vers hier. Passage suspendu dans le vide. Ordures polymères et béton désarmé.
Futur troué.

Seul.
Tu marches,
tu descends,
seul.
Tu cours.
Au bord d’un pont vers rien, entre des ruines, tête baissée en haut d’un escalier à tous vents.

Tu cours.
Cours, camarade...

Tu es noir, au fait.
Mais qu’est-ce que ça change ?
On voudrait nous faire croire que cela change tout, ouvre ou ferme les portes, dessine des frontières. On voudrait nous faire croire que nous devons nous protéger, résister à une invasion (comme ils disent) impossible.
Fermer les portes, dresser des barbelés, renforcer des frontières.
Tu es noir, c’est visible.
Minorité visible, comme ils disent. Pas noir, ni nègre.

Vider le langage de ses aspérités et mieux monter les barbelés.

Entre toi (là-bas) et nous (ici). Entre nous. Ici, là-bas. Ici.

Seuls.
On marche,
on descend,
seuls.
On se fuit.
Entre nos barbelés et sous nos parapluies.

On voudrait nous faire croire que nous sommes seuls et que le vieux monde...

A balayer, dépoussiérer, ra-tio-na-li-ser.
Innover, délocaliser, oublier. Patrimonialiser. Effacer.
Ne plus penser. Surtout, ne plus penser.
Communiquer.
Ne pas se parler, ne pas se toucher.
Étrangers.

Archaïques la parole, la solidarité, les luttes. Le travail de la terre, de la matière. La lenteur, l’ennui, le silence.
Vite et rien.
On échange vite et rien.

Il n’y aurait rien à faire. Sinon courir.
Seul,
à grandes foulées sur la latérite, à grandes foulées sur le béton. Vers l’avenir.

Nous serions les restes du vieux monde sur une terre en poussière.
Poussière rouge, lumière rouge : on court. Vers un futur aux rôles distribués, déjà joués ; sur le béton troué d’un avenir clos.

Qu’ils se taisent !

Ils voudraient nous faire croire que nous sommes seuls : ne les croyons pas.
Nous sommes tous deux de la même matière. Enfants de la parole et de la nourriture rare, fils et filles de ceux qui creusaient la terre et ne baissaient pas les bras.

Ne courons plus, camarade. Le vieux monde, c’est le leur : celui vers lequel ils nous jettent tout droit.

S’arrêter.
Regarder.
Se toucher.

Refuser.
Poussière contre bulldozer ? Certes...

Mais se parler... renouer avec les aspérités des mots qui érodent les barbelés.
Et se regarder. Se reconnaître.

Ne courons plus, camarade.

P.-S.

"En route pour Dakar" est son dernier travail. Il s’agit d’un reportage sur la construction de l’autoroute reliant la capitale du Sénégal à Dianmiadio. Dans le pays même, les sentiments oscillent entre l’enthousiasme pour la “nouveauté” et la frustration éprouvée par les “exclus”, cette partie du peuple qui ne tirera aucun bénéfice substantiel de cette infrastructure.

Né à Palerme en 1975, Mimi Mollica vit à Londres. Il quitte l’Italie à l’âge de 20 ans pour devenir photojournaliste. Très vite il devient l’assistant de la photographe Hélène Binet. Il collabore ensuite à de nombreux journaux anglais et italiens. Ses photographies portent sur les questions sociales, sur les communités marginales en Roumanie, en Inde, au Brésil et en Afrique, et plus généralement sur la condition humaine. En 2005, il reçoit le deuxième prix de l’Observer Photographic Hodge Award pour la série qu’il a réalisée sur les attentats de Londres. En 2007, la série « Baobab » sur l’immigration clandestine via la Sicile est sélectionnée par le Press Photographer. À cette occasion, il reçoit le prix de la meilleure photographie de l’année 2007 attribuée par la Creative Revue.

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