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La Chute de la maison Sarko ou Disparais de ma présence 

dimanche 29 avril 2012, par Thierry Ferm

« Chers spectateurs, la Direction n’ignore
Certes pas qu’il est des sujets scabreux,
Dont certains d’entre ceux qui, parmi l’auditoire,
Ont payé leur place, aimeraient bien mieux
Ne point se voir rafraîchir la mémoire. »

(Berthold Brecht, La Résistible ascension d’Arturo Ui, Prologue 2)


« Le palais du roi.

PERE UBU : Non, je ne veux pas, moi ! Voulez-vous me ruiner pour ces bouffres ?

CAPITAINE BORDURE : Mais enfin, Père Ubu, ne voyez-vous pas que le peuple attend le don de joyeux avènement ?

MERE UBU : Si tu ne fais pas distribuer des viandes et de l’or, tu seras renversé d’ici deux heures.

PERE UBU : Des viandes, oui ! de l’or, non ! Abattez trois vieux chevaux, c’est bien bon pour de tels sagouins.

MERE UBU : Sagouin toi-même ! Qui m’a bâti un animal de cette sorte ?

PERE UBU : Encore une fois, je veux m’enrichir, je ne lâcherai pas un sou.

MERE UBU : Quand on a entre les mains tous les trésors de la Pologne.

CAPITAINE BORDURE : Oui, je sais qu’il y a dans la chapelle un immense trésor, nous le distribuerons.

PERE UBU : Misérable, si tu fais ça !

CAPITAINE BORDURE : Mais, Père Ubu, si tu ne fais pas de distributions le peuple ne voudra pas payer les impôts.

PERE UBU : Est-ce bien vrai ?

MERE UBU : Oui, oui !

PERE UBU : Oh, alors je consens à tout. Réunissez trois millions, cuisez cent cinquante bœufs et moutons, d’autant plus que j’en aurai aussi ! »

(Alfred Jarry, Ubu roi)


« Que peut-il ? Tout. Qu’a-t-il fait ? Rien.

Avec cette pleine puissance, en huit mois un homme de génie eût changé la face de la France, de l’Europe peut-être.

Seulement voilà, il a pris la France et n’en sait rien faire. Dieu sait pourtant que le Président se démène : il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète ; il cherche à donner le change sur sa nullité ; c’est le mouvement perpétuel ; mais, hélas ! cette roue tourne à vide.

L’homme qui, après sa prise du pouvoir a épousé une princesse étrangère est un carriériste avantageux.

Il aime la gloriole, les paillettes, les grands mots, ce qui sonne, ce qui brille, toutes les verroteries du pouvoir.

Il a pour lui l’argent, l’agio, la banque, la Bourse, le coffre-fort. Il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse.

Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve pas quelque surprise.

On y ajoutera le cynisme car, la France, il la foule aux pieds, lui rit au nez, la brave, la nie, l’insulte et la bafoue ! Triste spectacle que celui du galop, à travers l’absurde, d’un homme médiocre échappé. »

(Pastiche de Victor HUGO, dans Napoléon, le petit)

« VATHEK, neuvième Calife de la race des Abbassides, était fils de Motassem, & petit-fils d’Haroun Al-Rachid. Il monta sur le trône à la fleur de son âge. Les grandes qualités qu’il possédait déjà, faisaient espérer à ses peuples que son règne serait long & heureux. Sa figure était agréable & majestueuse ; mais quand il était en colère, un de ses yeux devenait si terrible qu’on n’en pouvait pas soutenir les regards : le malheureux sur lequel il le fixait tombait à la renverse, & quelquefois même expirait à l’instant. Aussi, dans la crainte de dépeupler ses états, & de faire un désert de son palais, ce prince ne se mettait en colère que très-rarement.
(…)
Son orgueil parvint à son comble lorsqu’ayant monté, pour la première fois, les onze mille degrés de sa tour, il regarda en bas. Les hommes lui paraissaient des fourmis, les montagnes des coquilles, & les villes des ruches d’abeilles. L’idée que cette élévation lui donna de sa propre grandeur, acheva de lui tourner la tête. Il allait s’adorer lui-même, lorsqu’en levant les yeux il s’aperçut que les astres étaient aussi éloignés de lui, qu’au niveau de la terre. Il se consola cependant du sentiment involontaire de sa petitesse, par l’idée de paraître grand aux yeux des autres, d’ailleurs il se flatta que les lumières de son esprit surpasseraient la portée de ses yeux, & qu’il ferait rendre compte aux étoiles des arrêts de sa destinée.
Pour cet effet, il passait la plupart des nuits sur le sommet de sa tour, & se croyant initié dans les mystères astrologiques, il s’imagina que les planètes lui annonçaient de merveilleuses aventures. Un homme extraordinaire devait venir d’un pays dont on n’avait jamais entendu parler, & en être le héraut. Alors, il redoubla d’attention pour les étrangers, & fit publier à son de trompe dans les rues de Samarah, qu’aucun de ses sujets n’eût à retenir ni à loger les voyageurs ; il voulait qu’on les amenât tous dans son palais.
Quelque temps après cette proclamation, parut un homme dont la figure était si effroyable, que les gardes qui s’en emparèrent furent obligés de fermer les yeux en le conduisant au palais. Le Calife lui-même parut étonné à son horrible aspect ; mais la joie succéda bientôt à cet effroi involontaire. L’inconnu étala devant le prince des raretés telles qu’il n’en avait jamais vues, & dont il n’avait pas même conçu la possibilité.
Rien, en effet, n’était plus extraordinaire que les marchandises de l’étranger. La plupart de ses bijoux étaient aussi bien travaillés que magnifiques. Ils avaient outre cela une vertu particulière, décrite sur un rouleau de parchemin attaché à chaque pièce. On voyait des pantoufles qui aidaient aux pieds à marcher ; des couteaux qui coupaient sans le mouvement de la main ; des sabres qui portaient le coup au moindre geste : le tout était enrichi de pierres précieuses que personne ne connaissait.
Parmi toutes ces curiosités se trouvaient des sabres, dont les lames jetaient un feu éblouissant. Le Calife voulut les avoir, & se promettait de déchiffrer à loisir des caractères inconnus qu’on y avait gravés. Sans demander au marchand quel en était le prix, il fit apporter devant lui tout l’or monnayé du trésor, & lui dit de prendre ce qu’il voudrait. Celui-ci prit peu de chose, & en gardant un profond silence.
Vathek ne douta point que le silence de l’inconnu ne fût causé par le respect que lui inspirait sa présence. Il le fit avancer avec bonté, & lui demanda d’un air affable qui il était, d’où il venait, & où il avait acquis de si belles choses ? L’homme, ou plutôt le monstre, au lieu de répondre à ces questions, frotta trois fois son front plus noir que l’ébène, frappa quatre fois sur son ventre dont la circonférence était énorme, ouvrit de gros yeux qui paroissaient deux charbons ardents, & se mit à rire avec un bruit affreux en montrant de larges dents couleur d’ambre rayée de vert.
Le Calife, un peu ému, répéta sa demande ; mais il ne reçut pas d’autre réponse. Alors, ce prince commença à s’impatienter, & s’écria : sais-tu bien, malheureux, qui je suis ? & penses-tu de qui tu te joues ? Et s’adressant à ses gardes, il leur demanda s’ils l’avaient entendu parler ? Ils répondirent qu’il avait parlé, mais que ce qu’il avait dit n’était pas grand’chose. Qu’il parle donc encore, reprit Vathek, qu’il parle comme il pourra, & qu’il me dise qui il est, d’où il vient, & d’où il a apporté les étranges curiosités qu’il m’a offertes ? Je jure par l’âne de Balaam que s’il se tait davantage, je le ferai repentir de son obstination. En disant ces mots, le Calife ne put s’empêcher de lancer sur l’inconnu un de ses regards dangereux ; celui-ci n’en perdit pas seulement contenance ; l’œil terrible & meurtrier ne fit aucun effet sur lui.
On ne saurait exprimer l’étonnement des courtisans, quand ils s’aperçurent que l’incivil marchand soutenait une telle épreuve. Ils s’étaient tous jetés la face contre terre, & y seraient restés, si le Calife ne leur eût dit d’un ton furieux : levez-vous, poltrons, & saisissez ce misérable ! qu’il soit traîné en prison & gardé à vue par mes meilleurs soldats ! Il peut emporter avec lui l’argent que je viens de lui donner ; qu’il le garde, mais qu’il parle. À ces mots, on tomba de tous côtés sur l’étranger ; on le garrotta de fortes chaînes, & on le conduisit dans la prison de la grande tour. Sept enceintes de barreaux de fer, garnis de pointes aussi longues & aussi acérées que des broches, l’environnaient de tous côtés.
Le Calife demeura cependant dans la plus violente agitation. Il ne parlait point ; à peine voulut-il se mettre à table, & ne mangea que de trente-deux plats sur les trois cents qu’on lui servait tous les jours. Cette diète, à laquelle il n’était pas accoutumé, l’aurait seule empêché de dormir. Quel effet ne dut-elle pas avoir, étant jointe à l’inquiétude qui le possédait ! Aussi, dès qu’il fut jour, il courut à la prison pour faire de nouveaux efforts auprès de l’opiniâtre inconnu. Mais sa rage ne saurait se décrire quand il vit qu’il n’y était plus, que les grilles de fer étaient brisées, & les gardes sans vie. Le plus étrange délire s’empara de lui. Il se mit à donner de grands coups de pied aux cadavres qui l’entouraient, & continua tout le jour à les frapper de la même manière. Ses courtisans & ses vizirs firent tout ce qu’ils purent pour le calmer ; mais voyant qu’ils n’en pouvaient pas venir à bout, ils s’écrièrent tous ensemble : le Calife est devenu fou ! le Calife est devenu fou ! »
(William Beckford, Vathek – conte arabe)


« Cet homme, qui s’apprête déjà à repartir, a néanmoins fait étalage de ses richesses avant de s’en aller, pour que son impression reste, ce serait déjà ça. Il se donne encore un peu de temps pour se tirer et s’étirer, un peu de stretch et de peps, le voilà bien dégondé et dégourdi. Tous le regardent avec fascination tandis qu’il s’astique et se fait reluire. Il semble être plus qu’il n’est réellement, maintenant, sous le soleil de sa griffe légèrement falsifiée. Et que nous dit au juste son essence cachée, à laquelle nous nous intéressons tout particulièrement, vu que nous n’avons pas le droit de toucher son corps ? (...) L’homme de la voiture ne semble pas encore savoir, dirait-on, à qui il a affaire dans sa propre enveloppe, il ne se connaît pas encore très bien, ce produit du docteur Frankenstein qui inciterait encore bien d’autres praticiens à créer et qui, vacillant toujours un peu, trimballe sans but sa virilité, droite, gauche, la pose puis la remballe et l’emporte aussitôt. »

(Elfriede Jelinek, Enfants des morts)

« Le nazisme n’avait été pour lui qu’une simple réaction contre la philosophie académique, une position paradoxale adoptée principalement pour enquiquiner ses amis. Après quoi, il leur chatouillait le visage avec une feinte excitation et s’écriait "ah ! ah ! Poisson d’avril ! " »

(Woody Allen, Destins tordus)

(Eugène Ionesco, Rhinocéros, acte II, tableau II)

« Pourquoi j’ai tiré sur le Président


Oui. J’avoue. C’est moi, Willard Pogrebi, l’homme effacé qui naguère avait un avenir prometteur, qui ai tiré sur le président des Etats-Unis. Heureusement pour les personnes présentes, un homme dans la foule heurta le Luger que je brandissais, faisant ricocher dans une enseigne McDonald’s la balle, laquelle alla se loger dans une andouillette à l’étalage de la charcuterie Himmelstein. A la suite d’une brève lutte au cours de laquelle plusieurs G-men firent un double nœud avec ma trachée, je fus maîtrisé et placé en observation.
Comment ai-je pu en arriver là, vous demandez-vous ? Moi, un personnage sans convictions politiques bien affirmées ; moi qui, enfant, n’avais pour ambition que de jouer du Mendelssohn au violoncelle, ou peut-être de danser sur les pointes dans les grandes capitales du monde ? Eh bien, tout a commencé il y a deux ans. Je venais d’être réformé de l’armée, suite à certaines expériences scientifiques exécutées sur moi à mon insu. Pour être plus précis, quelques-uns d’entre nous avaient été nourris de poulet rôti farci d’acide lysurgique, lors d’un programme de recherche destiné à déterminer la quantité de LSD qu’un homme peut supporter avant d’essayer de s’envoler au-dessus du World Trade Center. L’expérimentation des armes secrètes revêt une importance capitale pour le Pentagone ; ainsi, la semaine précédente, j’avais été piqué par un dard à la pointe enduite d’un produit qui m’avait transformé en Salvador Dali pendant quarante-huit heures. Les effets secondaires s’accumulant affectèrent les organes de perception. Quand j’en arrivai au point de ne plus pouvoir distinguer mon frère Morris de deux œufs mollets, ils me démobilisèrent. »

(Woody Allen, Destins tordus)

« À peine ces dernières syllabes avaient-elles fui mes lèvres, que — comme si un bouclier d’airain était pesamment tombé, en ce moment même, sur un plancher d’argent, j’en entendis l’écho distinct, profond, métallique, retentissant, mais comme assourdi. J’étais complètement énervé ; je sautai sur mes pieds ; mais Usher n’avait pas interrompu son balancement régulier. Je me précipitai vers le fauteuil où il était toujours assis. Ses yeux étaient braqués droit devant lui, et toute sa physionomie était tendue par une rigidité de pierre. Mais, quand je posai la main sur son épaule, un violent frisson parcourut tout son être, un sourire malsain trembla sur ses lèvres, et je vis qu’il parlait bas, très bas, — un murmure précipité et inarticulé, — comme s’il n’avait pas conscience de ma présence. Je me penchai tout à fait contre lui, et enfin je dévorai l’horrible signification de ses paroles :
« Vous n’entendez pas ? — Moi j’entends, et j’ai entendu pendant longtemps, — longtemps, bien longtemps, bien des minutes, bien des heures, bien des jours, j’ai entendu, — mais je n’osais pas, — oh ! pitié pour moi, misérable infortuné que je suis ! — Je n’osais pas, — je n’osais pas parler ! Nous l’avons mise vivante dans la tombe ! Ne vous ai-je pas dit que mes sens étaient très fins ? Je vous dis maintenant que j’ai entendu ses premiers faibles mouvements dans le fond de la bière. Je les ai entendus, — il y a déjà bien des jours, bien des jours, — mais je n’osais pas, — je n’osais pas parler ! Et maintenant, — cette nuit, — Ethelred, — ah ! ah ! — la porte de l’ermite enfoncée, et le râle du dragon, et le retentissement du bouclier ! — Dites plutôt le bruit de sa bière, et le grincement des gonds de fer de sa prison, et son affreuse lutte dans le vestibule de cuivre ? Oh ! où fuir ? Ne sera-telle pas ici tout à l’heure ? N’arrive-t-elle pas pour me reprocher ma précipitation ? N’ai-je pas entendu son pas sur l’escalier ? Est-ce que je ne distingue pas l’horrible et lourd battement de son cœur ? Insensé ! »
Ici, il se dressa furieusement sur ses pieds, et hurla ces syllabes, comme si dans cet effort suprême il rendait son âme :
« Insensé ! je vous dis qu’elle est maintenant derrière la porte ! »
À l’instant même, comme si l’énergie surhumaine de sa parole eût acquis la toute-puissance d’un charme, les vastes et antiques panneaux que désignait Usher entr’ouvrirent lentement leurs lourdes mâchoires d’ébène. C’était l’œuvre d’un furieux coup de vent ; — mais derrière cette porte se tenait alors la haute figure de lady Madeline Usher, enveloppée de son suaire. Il y avait du sang sur ses vêtements blancs, et toute sa personne amaigrie portait les traces évidentes de quelque horrible lutte. Pendant un moment, elle resta tremblante et vacillante sur le seuil ; — puis, avec un cri plaintif et profond, elle tomba lourdement en avant sur son frère, et, dans sa violente et définitive agonie, elle l’entraîna à terre, — cadavre maintenant et victime de ses terreurs anticipées.
Je m’enfuis de cette chambre et de ce manoir, frappé d’horreur. La tempête était encore dans toute sa rage quand je franchissais la vieille avenue. Tout d’un coup, une lumière étrange se projeta sur la route, et je me retournai pour voir d’où pouvait jaillir une lueur si singulière, car je n’avais derrière moi que le vaste château avec toutes ses ombres. Le rayonnement provenait de la pleine lune qui se couchait, rouge de sang, et maintenant brillait vivement à travers cette fissure à peine visible naguère, qui, comme je l’ai dit, parcourait en zigzag le bâtiment depuis le toit jusqu’à la base. Pendant que je regardais, cette fissure s’élargit rapidement ; — il survint une reprise de vent, un tourbillon furieux ; — le disque entier de la planète éclata tout à coup à ma vue. La tête me tourna quand je vis les puissantes murailles s’écrouler en deux. — Il se fit un bruit prolongé, un fracas tumultueux comme la voix de mille cataractes, — et l’étang profond et croupi placé à mes pieds se referma tristement et silencieusement sur les ruines de la Maison Usher. »

(Edgar Allan Poe, La Chute de la maison Usher)

« Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester
Les yeux ronds. Agissez au lieu de bavarder.
Voilà ce qui aurait pour un peu dominé le monde !
Les peuples en ont eu raison, mais il ne faut
Pas nous chanter victoire, il est encore trop tôt :
Le ventre est encore fécond, d’où à surgi la bête immonde. »

(Berthold Brecht, La Résistible ascension d’Arturo Ui, Épilogue)

P.-S.

Précisons que la deuxième partie du titre : "Disparais de ma présence" est dit par le Père Ubu dans Ubu roi, tout un programme...

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