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Hommage aux fusillés de la Grande Guerre, à leur courage de tous les instants 

dimanche 11 novembre 2018, par Eugène à Léonie le 30 mai 1917

Cette guerre qui dura de 1914 à 1918 en Europe et se poursuivit au Moyen Orient se conclut-t-elle vraiment en 1926 avec l’entrée officielle de l’Allemagne dans la Société des Nations, comme certains historiens le disent ? En tous cas pas avant le 24 juillet 1923, date de la signature du Traité de Lausanne entre la Turquie et les alliés — France, royaume d’Italie, Royaume-Uni, empire du Japon, royaume de Grèce, royaume de Roumanie, royaume des Serbes, Croates et Slovènes — qui scella la fin de l’histoire de l’empire Ottoman (où le génocide des Arméniens durait depuis 1915).
Elle nous apparaît aujourd’hui avoir porté sa suite de tous les conflits modernes et post-modernes advenus et à venir. Les dizaines de millions de morts natifs et coloniaux déplacés sur les divers fronts de la première guerre mondiale par tous les belligérants resteront une ignominie.
Quant aux armes, à Verdun, 30 millions d’obus côté allemand, 23 millions côté français, sont lâchés en dix mois durant l’année 1916, le tout équivalant aujourd’hui à ce que l’on sait de 15 fois la puissance de la bombe d’Hiroshima.
Aucun militaire de la hiérarchie ni gouvernement ne peuvent être exemptés des lourdes responsabilités face aux morts, aux blessés, aux gueules cassées, aux exécutions sommaires par les gradés sur le terrain, aux tribunaux expéditifs faisant les fusillés pour l’exemple, aux déportés dans les bagnes, officiellement travestis pour les chiffres à connaître dans la postérité en condamnés de droit commun, et pour ceux une fois matés qui tenaient encore debout renvoyés sur le front après un an ou deux de travaux forcés. Tous réprimés car refusant le suicide massif absurde qui leur était infligé ils en avaient appelé à la raison.
La lettre qui suit témoigne de l’horreur d’une des phases ultimes de la guerre des tranchées par la voix d’un condamné qui écrit sa dernière lettre à son épouse...

« Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l’exemple est réhabilitée, mais je n’y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre. »

Loin de toute propagande et des petits mots, la voix de Jean-Luc Mélenchon Président de groupe à l’Assemblée nationale ouvrant le double meeting de Pau avec Emmanuel Maurel, début de la campagne électorale associée de leurs mouvements respectifs pour les européennes de 2019, rendit hommage — le seul hommage possible, dit-il — aux fusillés de la guerre, qui méritent plus qu’une minute de silence pour leur souffrance, leur conscience, leur dignité, et l’oubli cachant la honte dans lequel la mémoire collective les avait remisés...

À cent ans de l’anniversaire de l’armistice, les poilus fusillés pour l’exemple sont publiquement réhabilités par quelques hommes politiques et des journaux populaires engagés, et généralement parmi la plupart des correspondants anglais et français dans les réseaux sociaux. Aussi nous ne pensons humilier ni Eugène ni Léonie ni leur fille — si elles sont encore de ce monde, — mais bien au contraire leur faire réparation, en publiant la dernière lettre que leur proche espéra leur faire parvenir. [1]

Car se révoltant en 1917 en sachant les répressions qui avaient précédé dès 1915 les mutins du Chemin des dames savaient ce qu’ils risquaient. L’intelligence et la raison humaine mènent aussi aux formes d’héroïsme du renoncement au prix de la vie.

Pour conclure, un ami avait récupéré une collection de cartes postales envoyées du front par des poilus à leurs familles, ce qui laissait une incroyable impression comme la langue écrite avait une syntaxe parfaite et presque jamais dysorthographique, quelle que fût la condition sociale des correspondants. Ainsi l’école de Jules Ferry n’avait laissé personne sur le bord de la route mais pour mieux conduire vers les tranchées. Après s’être installée sur les dizaines de milliers de morts de la Commune de Paris par le feu des Versaillais dirigés par Thiers, la Troisième république envoya la population nationale et coloniale se faire exterminer par millions dans une guerre interminable : tuer et assassiner fut-il le principal de ce qu’elle fit pour ses peuples, quand l’éphémère Front populaire élu en 1936 ne résista pas à l’approche de la seconde guerre mondiale et n’ayant pas mis fin à l’asservissement colonial ?

Et au-delà, la 4è république poursuivant de guerroyer contre les mouvements de libération nationaux anti-coloniaux, que dire des guerres civiles qui succédèrent aux libérations comme continuation des guerres de domination impériale sous proxy durant la 5è, sinon qu’ainsi nous émergeons toujours en puissances de la guerre contre les peuples par les armes au dehors et au-dedans par les contentions légales assignant à s’appauvrir jusqu’à la vie nue ou à ces limites, ou à dominer sous l’oligarchie des puissances post-démocratiques, aujourd’hui ?

Jamais comme dans le recrutement des millions de soldats à tuer et à être tués l’égalité sociale républicaine n’exista en temps de paix comme sur le front de la première guerre mondiale, dans la capacité de l’État à sacrifier en masse son peuple.

(L. D.)

Le 30 mai 1917


Léonie chérie

J’ai confié cette dernière lettre à des mains amies en espérant qu’elle t’arrive un jour afin que tu saches la vérité et parce que je veux aujourd’hui témoigner de l’horreur de cette guerre.

Quand nous sommes arrivés ici, la plaine était magnifique. Aujourd’hui, les rives de l’Aisne ressemblent au pays de la mort. La terre est bouleversée, brûlée. Le paysage n’est plus que champ de ruines. Nous sommes dans les tranchées de première ligne. En plus des balles, des bombes, des barbelés, c’est la guerre des mines avec la perspective de sauter à tout moment. Nous sommes sales, nos frusques sont en lambeaux. Nous pataugeons dans la boue, une boue de glaise, épaisse, collante dont il est impossible de se débarrasser. Les tranchées s’écroulent sous les obus et mettent à jour des corps, des ossements et des crânes, l’odeur est pestilentielle.

Tout manque : l’eau, les latrines, la soupe. Nous sommes mal ravitaillés, la galetouse est bien vide ! Un seul repas de nuit et qui arrive froid à cause de la longueur des boyaux à parcourir. Nous n’avons même plus de sèches pour nous réconforter parfois encore un peu de jus et une rasade de casse-pattes pour nous réchauffer.

Nous partons au combat l’épingle à chapeau au fusil. Il est difficile de se mouvoir, coiffés d’un casque en tôle d’acier lourd et incommode mais qui protège des ricochets et encombrés de tout l’attirail contre les gaz asphyxiants. Nous avons participé à des offensives à outrance qui ont toutes échoué sur des montagnes de cadavres. Ces incessants combats nous ont laissés exténués et désespérés. Les malheureux estropiés que le monde va regarder d’un air dédaigneux à leur retour, auront-ils seulement droit à la petite croix de guerre pour les dédommager d’un bras, d’une jambe en moins ? Cette guerre nous apparaît à tous comme une infâme et inutile boucherie.

Le 16 avril, le général Nivelle a lancé une nouvelle attaque au Chemin des Dames. Ce fut un échec, un désastre ! Partout des morts ! Lorsque j’avançais les sentiments n’existaient plus, la peur, l’amour, plus rien n’avait de sens. Il importait juste d’aller de l’avant, de courir, de tirer et partout les soldats tombaient en hurlant de douleur. Les pentes d’accès boisées, étaient rudes. Perdu dans le brouillard, le fusil à l’épaule j’errais, la sueur dégoulinant dans mon dos. Le champ de bataille me donnait la nausée. Un vrai charnier s’étendait à mes pieds. J’ai descendu la butte en enjambant les corps désarticulés, une haine terrible s’emparant de moi.

Cet assaut a semé le trouble chez tous les poilus et forcé notre désillusion. Depuis, on ne supporte plus les sacrifices inutiles, les mensonges de l’état-major. Tous les combattants désespèrent de l’existence, beaucoup ont déserté et personne ne veut plus marcher. Des tracts circulent pour nous inciter à déposer les armes. La semaine dernière, le régiment entier n’a pas voulu sortir une nouvelle fois de la tranchée, nous avons refusé de continuer à attaquer mais pas de défendre.

Alors, nos officiers ont été chargés de nous juger. J’ai été condamné à passer en conseil de guerre exceptionnel, sans aucun recours possible. La sentence est tombée : je vais être fusillé pour l’exemple, demain, avec six de mes camarades, pour refus d’obtempérer. En nous exécutant, nos supérieurs ont pour objectif d’aider les combattants à retrouver le goût de l’obéissance, je ne crois pas qu’ils y parviendront.

Comprendras-tu Léonie chérie que je ne suis pas coupable mais victime d’une justice expéditive ? Je vais finir dans la fosse commune des morts honteux, oubliés de l’histoire. Je ne mourrai pas au front mais les yeux bandés, à l’aube, agenouillé devant le peloton d’exécution. Je regrette tant ma Léonie la douleur et la honte que ma triste fin va t’infliger.

C’est si difficile de savoir que je ne te reverrai plus et que ma fille grandira sans moi. Concevoir cette enfant avant mon départ au combat était une si douce et si jolie folie mais aujourd’hui, vous laisser seules toutes les deux me brise le cœur. Je vous demande pardon mes anges de vous abandonner.

Promets-moi mon amour de taire à ma petite Jeanne les circonstances exactes de ma disparition. Dis-lui que son père est tombé en héros sur le champ de bataille, parle-lui de la bravoure et la vaillance des soldats et si un jour, la mémoire des poilus fusillés pour l’exemple est réhabilitée, mais je n’y crois guère, alors seulement, et si tu le juges nécessaire, montre-lui cette lettre.

Ne doutez jamais toutes les deux de mon honneur et de mon courage car la France nous a trahis et la France va nous sacrifier.

Promets-moi aussi ma douce Léonie, lorsque le temps aura lissé ta douleur, de ne pas renoncer à être heureuse, de continuer à sourire à la vie, ma mort sera ainsi moins cruelle. Je vous souhaite à toutes les deux, mes petites femmes, tout le bonheur que vous méritez et que je ne pourrai pas vous donner. Je vous embrasse, le cœur au bord des larmes. Vos merveilleux visages, gravés dans ma mémoire, seront mon dernier réconfort avant la fin.

Eugène ton mari qui t’aime tant




Remerciement au réalisateur Jacques Kébadian qui dans un message sur Facebook a signalé ce document.

P.-S.

Source : Monuments aux morts pacifistes.

Les cahiers Irice 2 (No 8), 2011, « Les Allemands et la Société des nations (1914-1926) », par Jean-Michel Guieu.

L’Humanité « « Les Fusillés », des soldats comme les autres », le 11 Novembre 2018.

En logo, la couverture de L’Humanité Dimanche qui a informé la manifestation de Paris contre la Guerre du Golfe le 12 janvier 1991.

En février 1954 avant la fin de la bataille de ‎Diên Biên Phu Boris Vian écrit contre la guerre d"Indochine les paroles sur lesquelles Harold B. Berg compose la musique de la chanson « Le déserteur », qui sera immédiatement interprétée en poème par Mouloudji puis chantée par Boris Vian. Mouloudji enregistrera à son tour la chanson et la chantera contre la guerre d’Algérie.

Notes

[1« En 1998, une sculpture monumentale de quatre mètres de haut, Ils n’ont pas choisi leur sépulture a été érigée sur le plateau de Californie. Cette commande publique, réalisée par le sculpteur français Haïm Kern, célèbre le quatre-vingtième anniversaire de l’armistice de 1918. C’est Lionel Jospin, Premier ministre à l’époque, qui inaugura le monument le 5 novembre 1998. Dans son discours, Lionel Jospin souhaita que les Soldats fusillés pour l’exemple, « épuisés par des attaques condamnées à l’avance, glissant dans une boue trempée de sang, plongés dans un désespoir sans fond », qui « refusèrent d’être des sacrifiés », victimes « d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale. » (fr.wikipedia, « Le plateau de Californie »)

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