La Revue des Ressources
Accueil > Champ critique > Interventions > Être - aimer : Mehdi Belhaj Kacem

Être - aimer : Mehdi Belhaj Kacem 

Discernement et faculté de juger ainsi va encore la philosophie

dimanche 6 octobre 2013, par Mehdi Belhaj Kacem, Aliette G. Certhoux, John Jefferson Selve, Nicolas Despres-Chopin

À propos de Être et Sexuation
paru chez Stock
au début du mois de septembre



Un seul livre vous manque et tout est dépeuplé... [1]
La sortie d’un nouvel essai de Mehdi Belhaj Kacem est toujours — puisque cette fois encore — un événement contre la médiatisation du temps et souvent apportant une grande joie... Tel son dernier ouvrage, Être et Sexuation, paru chez Stock au début du mois de septembre, qui ne craint pas d’aborder la sexuation sous les termes de la philosophie renaissant toujours de ses cendres, tel le phoenix, parce qu’elle intègre des fondamentaux philosophiques parmi lesquels la psychanalyse, et notamment Lacan, matière et sexuation de l’imaginaire et de la pensée, en même temps que le désir et le plaisir, l’individuel et le social, entre masculin et féminin (et la question de la différenciation), depuis la vie propre de l’auteur, connaissance et expérience — toujours dans une émergence de ses idées.

Depuis deux ans il travaillait sur cet ouvrage en "nioques de l’avant-printemps" et voici le livre juste sorti avant l’automne... Ce qui me plait avec MBK, comme avec Baudrillard auparavant, c’est la singularité critique provocante qui toujours ouvre sans ambages une nouvelle fenêtre sur le monde occidental... Au moment de l’extension des droits de la famille aux homosexuels c’était une fois encore entrer dans le risque d’être mal compris ou malentendu. En effet, c’est toujours l’actualité que les ouvrages de MBK (comme autrefois ceux de Baudrillard) percutent en s’en inspirant — s’en saisissant pour mieux s’en dessaisir,— pour parler d’autre chose à propos du monde où exister dans le défi de la pensée comme trace humaine est un combat.

Même si MBK ne cite pas explicitement Baudrillard, qu’il n’a pas jamais adopté parmi ses sources et dont il n’a rien dit, même s’il pût le connaître, mais d’autres philosophes modernes, ou contemporains qui lui sont proches : qui ne pourrait se souvenir des procès d’intention publics à l’encontre de l’auteur tabou de la postmodernité que fut Jean Baudrillard, à travers des concepts ambigus déplacés de la langue ordinaire, notamment en matière de sexisme, quand il exprimait une idée de la sexuation de la pensée et de la vie, qu’au fond le rôle joué dans la forme par l’individuation chez Charles Darwin ou Gilbert Simondon aurait dû logiquement inspirer à leurs émules matérialistes fomentant les critiques ? Combien de scandales Mehdi Belhaj Kacem porte-il déjà comme autant de malentendus sur ses ouvrages, en partie installés par lui / malgré lui (ce serait plus fort que lui) ?


Ainsi à propos du féminin et du masculin MBK peut-il procurer en même temps un regard différent sur la philosophie de Catherine Malabou, et par la connotation qu’il prête à Hegel, à première vue curieusement opposé à l’attention que la philosophe y avait consacré dès ses premiers textes, et notamment dans sa thèse L’Avenir de Hegel. Plasticité, temporalité, dialectique, dirigée par Jacques Derrida et publiée en 1994 chez Vrin, où elle exprimait son propre concept de la plasticité, devenu à quelques nuances près, plasticité oblige, son viatique. Hegel dont il la sépare du côté de Deleuze (que du coup il relit de cette façon) — qu’elle considère autant dans ses livres, notamment à propos du mouvement dans son rapport au temps et à l’espace : question de la plasticité et du cinéma. Et ainsi MBK pose-t-il dans un détournement de ses propres références tel un exemple de résolution organique, par absorption dans ses propres style et pensée, à la fois la dialectique critique du duel et une réconciliation par une métamorphose créative, à la lisière mitoyenne des deux positions sexuées de l’expression : comme un champ nouveau à explorer et inventer, et à produire, au nom de laquelle il dit, comme lançant un défi : « Les plus grandes libérations sont à venir. »


Chaque fois les deux auteurs comparés nous ont fait — donc nous feront toujours — le cadeau d’un événement de la culture commune délocalisée et de la philosophie de l’essai qui offre un point de vue, une vision compréhensive, uniques en eux-mêmes puisqu’ils sont performatifs, et par conséquent non reproductibles comme les savoirs académiques qu’ils évaluent indirectement en s’y confrontant, (par exemple dans le cas présent entre existentialisme et phénoménologie et pas seulement), et par là critiques de leurs confrères institués ou les ignorant de fait, — d’où souvent les haines attisées et qu’on les fasse saigner...

Chaque ouvrage est une performance, un accomplissement de la philosophie par tous les moyens de l’existence, y compris littéraire ou poétique, vivante. Voilà pourquoi c’est miraculeux, face à la mortification d’une tradition disciplinaire intégriste du jugement, en voie de putréfaction, et les plus avant-gardistes inclus, où Mehdi Belhaj Kacem est l’ange de la provocation vitale par la liberté de construire une pensée en regard de, mais dans l’irrespect — des normes et des hiérarchies universitaires, et des conventions sociales au goût dominant du jour, et quant à lui à l’aune de l’activité de penser, de le réfléchir, et de l’exposer. Calmement, depuis une existence toujours révoltée.

Je dirai qu’en plein environnement de la banalisation post-politique et de l’indifférence à/de la pensée ou du techno-code en guise de théorie de la culture ou des arts, comme paradigmes internationaux après la culture et les arts, la parution d’un tel texte était inespérée. Et de surcroît chez un éditeur comme Stock, glorieux pour avoir transmis en français les femmes écrivain anglophones, grâce à André Bay devenu ensuite le directeur littéraire, l’éditeur mythique disparu cette année, Être et Sexuation trompe la routine de la rentrée littéraire... Si ce n’est qu’un tel essai soit en situation de valoir un Prix à son auteur, une récompense qui serait globalement méritée et nous apporterait un peu de bonheur cultivé.

Ce livre trace une fois encore cette pensée singulière en quête d’un concept dynamique de la forme — et non plastique à l’instar de Catherine Malabou, — (quasiment une autre façon d’envisager la question de la structure, en termes de transformation et de mobilité, et c’est dire si MBK reste non-aristotélicien), au-delà de certains affects de notre temps, qu’il déconstruit par le simple fait d’en explorer la voie trans-disciplinaire entre langue, sciences, et philosophie, génératifs de pensée, « prédictibles »... et ce qui sans s’en préoccuper les dépasse, car échappant à la représentation (et au miroir). Et depuis la vie qui l’instruit citant des philosophes contre l’oubli, tout simplement en discutant dialectiquement avec eux en quête d’une vision critique pertinente des idées pratiques et exécutives dans une société ... Tout cela, en tout, était imprévu.

Mais... encore un questionnement de l’origine serait-il vu en biais. La rupture avec les maîtres cités, quoique critiqués, ne serait-elle pas tout à fait consommée ? Mais cela s’appelle « c’est-à-dire une genèse des événements (...) » dit-on en quatrième de couverture. Ceci pour préciser qu’il ne s’agit pas de surfer en surface de la vague, mais de rouler avec elle dans sa profondeur : et s’il faut s’y résoudre pour aller au-delà, allons-y. Voilà un livre — à lire !

Dans leur devenir, leurs orientations actuelles, les éditions Stock (leur historique complet est téléchargeable en pdf dans leur site officiel), attestent par cette publication récente qu’elles restent avisées indépendamment des conventions sur le temps, et qu’elles peuvent adopter des publications d’exception. Au début de son avant-propos, Mehdi Belhaj Kacem remercie son éditrice, Anne Dufourmantelle, la directrice de la collection L’autre pensée. Il me semble que ce soit — sera — un de nos essais en langue française remarqué par ceux qui nous restent attentifs à l’Étranger, qui croient encore en notre capacité d’émergence ou d’invention, sur quelque chose qui construit nos vies propres et nos vies sociales, aussi bien que les formes de notre expression, ici et ailleurs, les modes de vie et les traditions y seraient-ils différents.

Peut-être un hommage à l’artiste tunisienne Chiraz Chouchane, à laquelle l’auteur dédie son livre. Aujourd’hui elle poursuit des études de philosophie à la Sorbonne, incidemment commencées avant de connaître Mehdi Belhaj Kacem. Il y a un an elle partageait encore sa vie avec lui et sans doute — pourquoi pas ? — demeurent-ils en grande amitié.
A. G. C.


Écoutez Mehdi Belhaj Kacem parler de son ouvrage ; il est filmé sur son lieu d’écriture, en Corrèze, par Nicolas Despres-Chopin et John Jefferson Selve [2], à la fin de l’été, juste avant la sortie du livre :





Mehdi Belhaj Kacem, Être et Sexuation, Coll. Essais - Documents (L’autre pensée), éd. Stock, 352 pages, Paris (4/09/2013).


Achetez le livre de papier, ce n’est pas un tigre sans danger mais le livre-même. Boudez les livres numériques que jamais vous ne pourrez transmettre à vos enfants et petits-enfants ni à ceux des autres.


P.-S.


- Le logo est une représentation du phénix datée de 1806, d’après une illustration extraite de l’œuvre du poète et traducteur allemand « Friedrich Justin Bertuch, Bilderbuch für Kinder [ "Le livre des merveilles des enfants du monde", paru en série de 1790 à 1830 ], 1790-1830, (Eigenbesitz), Fabelwesen [ Créatures mythiques ] », publiée en CC dans fr.wikipédia, pour illustrer l’article : Phénix.

- Mehdi Belhaj Kacem, dans La revue des ressources :
http://www.larevuedesressources.org/+-mehdi-belhaj-kacem,262-+.html.

- Mehdi Belhaj Kacem, dans philomagazine :
http://www.philomag.com/mehdi-belhaj-kacem.

- Interview de Mehdi Belhaj Kacem pour Rue 89 :
http://mehdibelhajkacem.over-blog.com/categorie-12348860.html.

- Les éditions Stock :
http://www.editions-stock.fr/.

- André Bay, dans La revue des ressources :
http://www.larevuedesressources.org/+-andre-bay,1879-+.html.

Notes

[1Paraphrase du dernier vers extrait de la septième strophe du poème de Lamartine, « L’isolement », considéré par ses contemporains comme un manifeste du romantisme — réductible à l’ensemble du dernier vers de chaque strophe (13 au total), — paru dans le recueil des Méditations poétiques, en 1820, (donc pas dans les Nouvelles méditations poétiques qui suivront, en 1823, les deux recueils étant souvent confondus) : « Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé ! »

[2La présente diffusion en contexte dans La RdR avec l’accord des signataires de l’interview et de l’enregistrement.

© la revue des ressources : Sauf mention particulière | SPIP | Contact | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 | La Revue des Ressources sur facebook & twitter