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Le sens des affaires : Dix-sept. 

samedi 1er mai 2010, par Rodolphe Christin

Hector se faisait beau et prenait ses plus belles manières. L’eau courante à l’extérieur permettait de faire une toilette quotidienne, il se félicitait donc d’avoir lavé ses vêtements la veille. N’ayant pas eu le temps de faire sa valise, il devait veiller à la bonne tenue du peu qu’il avait. Il se demandait parfois s’il ne commençait pas à apprécier sa nouvelle existence, qu’il jugeait étrange et aventureuse, éprouvante mais excitante. La nature, qu’il fréquentait à de rares occasions, sinon de manière indirecte par ses activités professionnelles, lui avait toujours apporté quelque chose d’essentiel qu’il n’avait jamais pris le temps d’évaluer précisément. L’unique souvenir qui lui revenait par ces temps de chaleur sensuelle était élémentaire : une nuit, après une visite arrosée chez des amis en compagnie de Simone, ils s’étaient arrêtés pour faire l’amour dans un champ de maïs sur une terre couverte de liserons. Cet épisode était resté gravé en lui comme un moment exceptionnel de plaisir érotique. Il y avait très longtemps.

Depuis quelques jours les choses devenaient plus concrètes. Il apprenait à se laver en recueillant l’eau dans un seau, il découvrait des tâches simples et essentielles qui jusque là lui avaient complètement échappées : laver ses vêtements lui-même au savon de Marseille, par exemple.
Certes, il ne touchait plus un sou mais Simone lui remplirait bientôt les poches. Au moins de manière provisoire.

L’apparition de Grazziella contribuait à cette ébauche de satisfaction, sans qu’il sache encore quand et comment. Il fallait trouver une occasion, ou bien la provoquer. Hector reluquait les échancrures de sa chemise qu’elle portait largement ouverte, espérant apercevoir dans l’ouverture un objet de convoitise parmi d’autres. Parfois un rayon de soleil se perdait dans la chevelure de la jeune femme, Hector rêvait alors que ce rayon était sa main et que cette main vagabondait au gré des courbes douces de son corps. Heure après heure, Grazziella occupait son esprit, et pas que son esprit.

La situation prit une tournure inattendue lorsque Tob’ sortit de son sac un quotidien daté de quelques jours. Avide de nouvelles, Mathilde l’inspecta rapidement et s’étonna de l’absence de commentaires concernant l’enlèvement d’Hector Dumenclin. Elle fit discrètement part à l’intéressé de son étonnement, lequel vérifia avant de constater à son tour : rien à propos de leur histoire. Ce doit être une tactique des services de police, souffla-t-il à voix basse dans l’oreille de Mathilde. Elle n’avait pas d’autres explications, donc elle approuva d’un léger hochement de tête, sans nier la survivance de quelques doutes.

Tob’ n’avait pas terminé. Il exhuma de son sac à dos d’autres surprises qui ravirent Hector en lui rappelant les délices de l’existence : deux bouteilles de vin rouge biologique, d’une provenance peu connue mais qui se révéleraient probablement excellentes.

VIN DE PAYS DES COLLINES DE LA LOIRE. MIS EN BOUTEILLE A LA PROPRIETE.

Hector se rapprocha amicalement de Tob’ lorsqu’il les déboucha grâce à son couteau suisse. Hector éprouvait toujours le besoin de faire de ses rivaux des amis, afin qu’ils cessent d’être ses ennemis et de les mettre dans sa poche. C’était une tactique comme une autre, toujours intéressée. Certes ce type veillait sur Grazziella, mais Hector se disait qu’il devait aussi drôlement aimer le pinard pour trimballer deux bouteilles sur son dos, alors qu’une flasque de gnôle aurait pu faire l’affaire. Ces bouteilles s’ajoutaient au duvet, gamelles, boites de conserves, réchaud à gaz et à un étrange paquet rebondi que le sac de Tob’ contenait et qu’il portait sur ses épaules en bouteille de champagne. Ce point commun morphologique contribuait d’ailleurs à lui rendre le jeune homme sympathique.

Ensuite ils commencèrent la dégustation, qui perdit très vite le sens des convenances. Observant ce petit monde perdre la tête, Mathilde s’interrogea un instant pour savoir si cette ivresse si rapide était seulement due au vin, ou si l’altitude et les bouffées de marijuana y étaient aussi pour quelque chose. Il s’agissait bien entendu d’une interrogation stupide. Elle la chassa le plus rapidement possible et ne résista pas longtemps aux avances de Tob’. Depuis quelques minutes il tentait des rapprochements sans équivoque. Mathilde avait toujours eu un faible pour les rouquins couverts de tâches de rousseur, or cette description sommaire lui allait comme un gant. Tob’ était sans ambiguïtés quant à ses intentions : ses mains rejoignirent ses yeux sur les fesses remarquables de Mathilde, pourtant plus âgée mais toujours attirante, y compris dans sa tenue de montagne.

Voyant cela, Hector sortit de ses gonds et n’eut plus aucune retenue envers Grazziella. Il pouvait poursuivre ouvertement la jeune femme de ses assiduités, ayant jusque là ressenti Mathilde comme un frein à ses ardeurs. Il ne s’arrêta pas sur la signification de ce détail car ce n’était pas le moment ; déjà Grazziella lui glissait sa langue chaude et ondulée dans la bouche. Leur baiser fut immédiatement profond et ouvert, il n’hésita donc pas longtemps avant de s’approcher de son intimité. De son humidité. Les mots s’emboitaient dans sa tête, il n’était plus très clair et désormais la situation était au chevauchement. Déjà.

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