La Revue des Ressources

Autour 

dimanche 23 janvier 2011, par Rodolphe Christin

Tout cet espace autour. Le regard court sur le plateau, caresse les pins cembro tordus par le climat puis devine l’au-delà du rebord. Le vide est beau. Seul le vide mérite qu’on lui prête attention, qu’on s’y disperse avec philosophie. Pourquoi sommes-nous attachés à nos corps, pourquoi les peaufinons-nous avec autant d’ardeur ? C’est autour que demeure l’important. Dans l’espace se déploie l’ouverture du monde où naît l’idée même de liberté. Ne plus s’identifier à soi, voilà l’essentiel. Filer au-dehors, au devant de soi-même, s’oublier et s’affranchir de nos insignes turpitudes. Se soustraire de son portrait mesquin, s’affranchir d’un monde comprimé par le blocage des corps et des consciences qui leur sont attachées comme des esclaves agenouillés dans la poussière, enchainés au poteau d’une identité mesquine, ravagée d’orgueil et de vanité, d’intérêts sans grandeur.

Ils ne m’auront pas. Jamais ils ne me retrouveront. Je disparaitrai dans ces montagnes comme une vieillarde attrapée par la mort et qui la voit venir et puis s’en moque éperdument et puis sent que quelque chose se défait à l’intérieur sous la pression têtue de quelque chose de pas nommé, qui entoure, traverse, emporte d’une force aussi douce qu’irrépressible. Lâcher tout lâcher comme une main d’alpiniste qui lentement desserre sa prise, laisse le corps se tourner face au vide, dos contre falaise et tranquillement s’offre à la glissade ou à l’envol (à cet instant le doute est permis) sans rien craindre, sans chuter, sans heurts, délivré de la pesanteur qui forge la souffrance et les cris. Il faudra un jour sortir de son destin. Altitude, altitude ! Il faudra un jour embrasser le vide et sa blancheur et sa lumière. Il faudra un jour oublier les rumeurs, résister aux appels et ne plus conserver de trace de peur, pas même dans les fibres tortueuses de la mémoire des corps, c’est-à-dire la mémoire des peuples et de leurs héritages avec ce qu’ils comportent de sang et de chair, de violence et de désir, de plaisir et de gains, pour au final partir en touffes de cheveux empoignés à pleines mains par le ciel.

Photographie : Christophe Huret (copyright Christophe Huret)
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