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André Bay - Lettre à Béatrice 

jeudi 17 janvier 2013, par Claudie Hunzinger


Ma chère Béatrice [1], oui c’était tellement naturel qu’André soit vivant.

Tu sais, lundi soir, je m’étais endormie, quand je me suis réveillée vers 11 heures, ne trouvant plus, dans mon demi sommeil, la suite de la dernière strophe de Moesta et errabunda, celle qui commence par « L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs »... Alors, je rallume, je cherche Charles Baudelaire, au lieu de qui je trouve André Bay, ou plutôt c’est lui qui s’avance vers ma main. Je le prends, j’ouvre Trésor des comptines, en lis quelques unes à haute voix, avec le ton, en riant. Le lendemain, hier, mardi 15 janvier, Robin me parle d’un mail étrange qui a transité par la revue des Ressources, et qui semblait évoquer la mort d’André [2]. Je suis sûre qu’il a voulu faire un dernier tour à Bambois. Non, pas un dernier, il en fera d’autres.

Je n’ai d’André que des images colorées, comme celles des rêves en couleurs.

Le manuscrit de Bambois est sur son bureau. Il dit que c’est sa couverture (un papier à la cuve ressemblant à des ocelles de papillon bleu) qui lui a donné envie de l’ouvrir. (Il le publiera.)

Dans son bureau, une autre fois : On dirait que Katherine Mansfield est posée sur son épaule comme un chat. Mais c’est un foulard de soie blanc qu’il a autour du cou et une photo d’elle au mur.

Nous sommes dans un restaurant, rue de Seine, devant nous, des fraises des bois très rouges. André est sombre. Voûté. Mal. Il ne te connaissait pas encore. Il t’attendait.

Vous arrivez tous les deux à Bambois : André est transfiguré, magnifique. Tu nous entraînes tous, Chloé et Robin, sur la Crête, au Lac des Truites, à 1 200 mètres, où vous plongez, où vous nagez. Le dos d’André est vaste, brun et tavelé de soleil. Dans la ferme auberge, on nous sert du caillé frais, tout blanc, inondé de kirsch.

André est pris d’un fou rire, à table, un autre année, un autre été. Je ne sais plus pourquoi. D’ailleurs, personne, au moment même, ne le sait.

Il grimpe quatre à quatre les escaliers des Éditions Stock, rue de l’Ancienne Comédie, à la poursuite des jambes d’une nymphe, c’est sûr, aux chaussures à talons, et qui rit, qui rit, kyrie.

J’entre avec Francis dans son bureau. Nous sommes revêtus de pelisses que nous avons tissées. Il nous présente un homme à contre-jour, mince, réservé, pince sans rire, Philippe Soupault, qui nous demande si nous tissons d’aussi beaux manteaux de laine à nos brebis.

André grimpe à quatre pattes les escaliers de Bambois, il ne veut pas d’aide, ni de mains ni de canne.

Tu es partie marcher. Il te cherche. A la radio, une voix chante : « J’ai perdu mon Eurydice ». Il te retrouve. Il dit qu’il faut repartir, qu’il ne veut pas mourir à Bambois.

Lundi soir, il est revenu.

Je t’embrasse,

Claudie


P.-S.

André Bay est mort le 14 janvier 2012 dans sa 97e année... Romancier (La Fonte des Neiges, L’École des vacances, La Carte du Tendre), auteur de Trois Histoires très naturelles (des escargots, des mouches et des orchidées), et de Amor, critique d’art (Pascin, Maurice Sarthou), spécialiste de littérature enfantine (Trésor des Comptines, Cabinet des Fées, Il fait beau), et traducteur (Lewis Caroll, Swift, Stevenson entre autres), André Bay a d’autre part dirigé les Éditions Stock pendant quarante ans.

Crédit Photographique : André Bay en 2004 par Robin Hunzinger © La RdR 2012.

Notes

[1NdLaRdR : Béatrice Commengé, romancière et traductrice, compagne d’André Bay.

[2NdLaRdR : Nathalie Georges (citée avec son accord) tentait de joindre Béatrice Commengé via la rédaction, et s’adressant à André Bay pour lui rendre hommage elle rendait également hommage à sa destinataire. Ce qui laissait entendre qu’il venait de perdre la vie :
15 Jan
to redaction pour Béatrice,
cher André Bay, dont ma mère évoque la prestance, et que je n’aurai pas connu, ce mot qui fait résonner les comptines où tu es venue, Béatrice,
et la "jeunesse éternelle" dont vous parlez, si on tape votre nom sur
google. Claude et moi serons là vendredi, pour vous rendre hommage, et
saluer votre Béatrice, et son amour de la vie, contagieux, que j’apprécie
tant.

je vous salue, vous et votre mémoire dont elle attestera, comme son talent
ne cesse pas de l’y forcer avec grâce.
ng

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