On doit à l’Union Européenne qu’en France on ne parle plus de « nation » mais d’« État de droit ». Pourquoi convient-il d’ajouter « de droit » au terme d’État ? Sinon pour éviter qu’il soit entendu comme État de « non droit » ? Et quel est son territoire d’affectation concrète du droit, sinon un territoire défini par le corpus de son droit entendu à la fois sur place et à l’étranger — tant par ceux qui en ressortent au-delà des frontières que par ceux qu’il ne concerne pas mais sachant qu’il puisse exister en différence du leur ?
Un État de droit demeurerait donc souverain en place de nation sinon comment pourrait-il être « de droit » respectable au vu de tous ? Ce n’est pas une idéologie mais un objet légal. Non seulement décrire un État de droit sans référence à une nation paraît encore difficile voir impossible, mais en outre, si l’État de droit n’était pas souverain on devrait se demander ce qui caractériserait alors la respectabilité objective de la singularité de son droit.
Sur la souveraineté et sa diabolisation nationaliste par la gauche radicale qui supporte la gauche libérale, en réfléchissant à cette rationalisation performante contre la souveraineté sans rapport de cohérence avec une pensée élargie sur l’État de droit, ni sur la question de sa rationalisation dans les organisations transnationales : qu’on s’édifie alors de l’idéologie, liberticide par défaut du socle de sable sur lequel elle s’appuie, masqué aux dépens de la protection civique des personnes qu’elle intègre où qu’elles se trouvent — et pire encore concernant celles qu’elles veulent accueillir ou qui tentent de les rallier : ci-gisent les réfugiés et les immigrants. Plus une souveraineté est indéfinie moins elle s’ouvre par peur de disparaître. Que dire si elle n’existe plus sinon que se lèvent alors les hordes sous les bataillons réglés de l’interdit. L’interdit cache la place évidée de la substance. Alors l’autoritarisme exécutif surgit.
Idéologie (parenthèse) :
« Une idéologie est un système prédéfini d’idées [...], à partir desquelles la réalité est analysée, par opposition à une connaissance intuitive de la réalité sensible perçue. De tels systèmes [...] existent dans les domaines politique, social, économique et religieux. Une idéologie est souvent la dimension culturelle d’une institution sociale ou d’un système de pouvoir. Une idéologie est typiquement imposée d’autorité, par un endoctrinement (enseignement) ou de façon imperceptible dans la vie courante (famille, media). Une idéologie dominante est diffuse et omniprésente, mais généralement invisible pour celui qui la partage du fait même qu’elle fonde la façon de voir le monde. »
« Pour Karl Marx, l’idéologie est l’ensemble des idées, des valeurs et des normes servant à légitimer la division en classes de la société. L’idéologie au sens marxiste décrit donc l’idéologie dominante en tant que « vision du monde » imposée par la classe dominante. C’est la construction intellectuelle qui expliquerait et justifierait un ordre social existant à partir de raisons naturelles ou religieuses. [...] un voile destiné à cacher la poursuite d’intérêts matériels égoïstes que la classe dominante utiliserait pour renforcer ou étendre sa domination : ainsi pour renforcer le pouvoir en place, l’idéologie de la classe dominante se présenterait de manière que les intérêts de la classe dominante paraissent être les intérêts de tous. » [1]
Nation :
Le mot « nation » est aujourd’hui proscrit en Europe, au contraire des pays des Amérique (tant les pays alignés du nord que les non alignés du sud) et contradictoirement du cadre universel de l’Organisation des Nations Unies, où la nation demeure l’objet symbolique des revendications respectives et des revendications partagées. Non seulement ce mot n’est plus en « odeur de sainteté » dans l’UE mais de plus il paraît y être banni du langage progressiste. Pas seulement pour des raisons morales (contre le nationalisme attribué d’avoir causé des guerres), ni pour faciliter l’intégration européenne dans une représentation commune (une idéologie de l’Union dite pacifique), mais également pour des raisons structurelles, dû au projet européen de fusionner les nations dans une supra-nation qui se construit peu à peu secrètement en dehors de la démocratie directe depuis le Traité de Lisbonne, même si elle paraît à l’instant n’en être qu’à l’auto-dissolution de la nation française sous l’égide du pacte européen franco-germanique, une sorte de suicide vu la réserve des autres en la matière, et à la dissolution de fait de la souveraineté de la Grèce suite à son défaut de paiement perpétuel. Disons, si l’argument de l’endettement permet d’imposer des mesures libérales transnationales qui autrement auraient été refusées, l’oligarchie régionale est de toutes façons connectée et zélée ; avec la perspective de la dissolution des souverainetés militaires, les choses sont bien avancées.
État de droit :
Justement, je me posais la question de savoir quand la nation n’existe plus— c’est-à-dire une fois la souveraineté évacuée du vocabulaire politique — si l’État de droit existait encore, et/ou du moins ce qui pouvait en résulter dans sa signification. Quand j’entendis à la radio, un début d’après-midi, l’expression « État de droit » associée au mot « démocratie ». C’était à propos d’une étude sur les droits sociaux adossée aux concepts de Michel Foucault.
En fait l’entretien entendu ne donnait aucun corps au sens d’État de droit sinon par défaut de sens politique de la démocratie.
Le problème c’est qu’à la conception française la source de l’« État de droit » oppose le concept allemand européen de la « hiérarchie des normes », qui permet d’intégrer opportunément n’importe quelle instance hiérarchique externe, ou du moins internationale, considérée comme bienvenue ou nécessaire d’en faire partie. La liste des engagements internationaux y prévaut sur la loi au grand dam de la constitution, je cite : « l’existence d’une hiérarchie des normes constitue l’une des plus importantes garanties de l’État de droit. Dans ce cadre, les compétences des différents organes de l’État sont précisément définies et les normes qu’ils édictent ne sont valables qu’à condition de respecter l’ensemble des normes de droit supérieures. Au sommet de cet ensemble pyramidal figure la Constitution, suivie des engagements internationaux, de la loi, puis des règlements. A la base de la pyramide figurent les décisions administratives ou les conventions entre personnes de droit privé. » ; on voit entre autre où les traités européens (et les traités internationaux) sont glissés en seconde place dans la hiérarchie des normes devant la troisième qui est la loi (locale), et par conséquent en quoi cette seconde norme annule de fait la norme suprême de laquelle la loi est corrélative.
Ça ne s’invente pas : depuis 2014 — mandat Hollande — c’est dans le site officiel français de la vie publique [2]. Abdication sur laquelle la population n’a pas été consultée. Mais peu importe en cela de ce qui nous concerne ici : la confirmation que l’État de droit européen n’existe pas puisque l’Union n’est pas « constituée » à ce stade, d’une part et d’autre part, que nulle loi ne pourrait avoir de valeur souveraine sans les références locales de la hiérarchie des normes qui l’intègre.
C’est l’instant de noter la vacuité morale située par la double contrainte : car la constitution, norme suprême de la hiérarchie garantissant la cohérence du système peut être annulée par l’éventualité de traités invalidant la loi, dû à leur situation prévalant sur celle-ci dans la hiérarchie des normes.
Autant dire si l’Union Européenne dont le mode opératoire déclaré par traités a été constituée notamment depuis le Traité de Lisbonne et progressivement depuis 2012 en pouvoir para-démocratique et par sa structure abusif de ses références, en dehors de la hiérarchie des normes, et par conséquent totalitaire.
L’UE est une organisation à géométrie variable non seulement arbitraire mais encore aléatoire et sinon pour l’oligarchie qui la compose et l’utilise incontrôlable par ceux qu’elle administre.
Union Européenne :
L’UE institutionnellement et politiquement n’est pas un État mais une union entre plusieurs pays différents et indépendants, avec des règles communes. Même si elle tend à présenter certaines caractéristiques de l’État, et certains pays comme la France et la Grèce ont perdu ou cédé tout ou partie de leur souveraineté, elle ne peut recevoir cette qualification, ne serait-ce que dépourvue de constitution approuvée par les peuples administrés qui la composent elle ne dispose pas de hiérarchie des normes la rendant souveraine à leurs yeux.
Pour autant qu’elle soit une démocratie entre les membres de la Commission Européenne, et propose un parlement consultatif directement élu au suffrage universel, peut-on parler de démocratie ? Pas de pacte électoral direct de l’UE avec les peuples qu’elle contient. Pas de statut politique de l’UE sans les souverainetés respectives des États de droit qu’elle doit donc maintenir comme tels pour exister officiellement elle-même.
Pas de hiérarchie des normes mais par les traités internationaux un statut d’ingérence permanent exécutif dans la hiérarchie des normes des États de droits qui lui donnent foi.
Cette situation paradoxale prédit un égarement programmé du système délocalisé.
Mais ce n’est pas tout. L’Union Européenne dont le mode opératoire déclaré par traités — considérés comme des traités internationaux s’agirait-il de traités infra-européens eu égard à la hiérarchie des normes — a été institué par le traité de Lisbonne, lequel vu la situation au-dessus de la loi dans la hiérarchie des normes des traités dont lui-même les informe constitutionnels au fur et à mesure de leurs proclamations. Ainsi l’UE est advenue progressivement en pouvoir para-démocratique abusif de ses références par l’ubiquité de son droit d’ingérence (sans hiérarchie des normes n’étant pas un Etat), et par conséquent totalitaire.
Pour advenir en régime autoritaire ce totalitarisme suppose une avancée dans le progrès de la constitutionnalisation des traités. Mais dès à présent l’UE est une organisation à géométrie variable non seulement arbitraire mais encore aléatoire et sinon pour l’oligarchie qui la compose et l’utilise incontrôlable par ceux qu’elle administre. Une dystopie.
En outre, la dissolution de la nation dans la perspective trans-régionale d’une supra-nation construit la réalité que personne ne paraisse envisager la possibilité du supra-nationalisme cependant idéologiquement à l’œuvre, au grand dam du nationalisme qu’elle est annoncée combattre dans le progrès de son consensus. Une supra-idéologie de la démocratie succède à l’idéologie de la nation.
Démocratie :
Ce n’est justement pas L’État de droit. Il ne faut pas confondre démocratie et État de droit précisait l’auteure située sous l’égide des concepts de Foucault. La « démocratie » n’est que la condition installée pour constituer l’État de droit. Ce qui veut dire qu’ensuite viennent les constitutions comme conditions des lois, puis les lois. Et tout cela compose non seulement L’État de droit mais l’objet de sa souveraineté sans lequel l’État de droit n’existe pas. Et par conséquent : sans lequel une démocratie ne peut être électoralement représentative du Droit écrit exécutif pour tous ceux qu’elle est sensée contenir, c’est à dire tous les ressortissants.
Donc sans démocratie : pas d’État de droit — mais sans État de droit : pas de démocratie politique — Voilà qui commençait à me répondre sur la question obsédante de la souveraineté quand le vocabulaire national est prescrit.
Et si la souveraineté était nécessaire à l’existence de l’État de droit qu’adviendrait-il des démocraties dépourvues de souveraineté ? Une telle démocratie pourrait-elle encore être qualifiée d’État de droit ? En quoi ne serait-elle plus que la colonie de quelque chose ?
Au fond, cela ne dévoile pas seulement le statut néocolonial extra et infra national, mais situe un malaise social résultant de la problématique introuvable du consensus national, dans le contexte des pratiques institutionnelles dont les institutions sont délocalisées par la supra-nation et les supra-organisations globales.
Notamment en France où L’État public était fortement codé dans la forme et l’idée, la décomposition n’est pas négligeable, d’autant plus que peu à peu dépourvue par l’alignement libéral attendu par l’UE de l’autonomie des ressources nécessaires pour se rétablir sur ses ruines, le désastre général irréparable de la grande pauvreté est annoncé. La migration blanche ne sera pas longtemps la solution infra-occidentale, elle aussi sera diversement mais certainement contrôlée, combattue, et réprimée à l’étranger. Forcément on peut toujours se dire qu’au moins on ne tombera pas plus bas après avoir touché le fond.
Mais y-a-t-il un fond ? On voit bien qu’en Grèce il n’y en a pas. Chaque jour la Grèce vend un morceau de son littoral en sorte que dès à présent elle n’ait plus à craindre la submersion de son territoire dans la catastrophe climatique. Après, il faut faire manger les gens plutôt que les voir se noyer ; il n’y a pas que la population démunie de tout, il y a les réfugiés plus démunis encore qui envahissent les rivages insulaires [3].
Sans État de droit : pas de démocratie (une enveloppe vide aux formats variés, les signes pas le symbole) mais alors quel statut des majorités reste-t-il ? La majorité discriminante du choix est-elle une conformation mentale ontogénique, une formalisation sur le tas, ou une idéologie ?
J’ai alors pensé aux malentendus sur la légitimité du plus grand nombre des partisans et de celui des citoyens qui les élisent dans une démocratie.
Majorité :
Avec l’écart à la nation et à la patrie et la médiatisation répétée, les majorités — supposées caractériser le principe des démocraties — par leurs comportements et leurs déclarations s’apparentent de plus en plus au système communautaire dont elles attribuent les minorités. A ceci près que les majorités ont le pouvoir. Bien sûr, sans conférer à l’État de droit la majorité démocratique n’a aucune légitimité symbolique contre ceux qu’elle ne contient pas. Pourtant, ce qui devrait être rassurant pour les minorités et les individus devient la réalité raisonnée au nom de laquelle ils seront écrasés. Car chaque fois qu’une majorité inculte ou abusive advient au pouvoir, par innocence ou par connaissance elle intègre qu’elle ne pourra contrôler ceux qui échappent à sa représentation communautaire du droit — y compris en matière de laïcité, — en sorte qu’elle s’affaire pour modifier en sa propre faveur les conditions de l’État de droit, tant pour légitimer son autorité idéologique arbitraire en la rendant objective aux yeux de tous, que pour se reproduire au pouvoir.
Si on situe la majorité démocratique en dehors de la hiérarchie des normes, à partir du moment où des démocraties peuvent advenir en États externes de la hiérarchie des normes, c’est à dire en États de non droit, alors l’énigme de la majorité, qualificative des démocraties qui les constitue inégalitaires comme paradigme de l’égalité, installe l’entropie de la démocratie. Voilà pour les masses en mouvement.
Quant au pouvoir déclaré : si on s’épargne les méta-concepts experts qui prétendent arraisonner ou catégoriser la dérivation des diverses démocraties du monde post-politique, alors les choses sont aussi simples que ça et à bon entendeur salut : nous ne sommes protégés de rien par la démocratie car elle n’est que la disposition d’un partage non équitable et sans contenu, formellement prédictible de l’inégalité sans droit mais de fait l’idéologie brute du vivre ensemble, et même avec l’État de droit tel qu’il est informé aujourd’hui, l’événement matériel réglé de l’inégalité et de la réalisation générale de « la vie nue » : celle de l’homo sacer [4] — excepté ceux qui décident de son sort.
Ne pourrions-nous pas inventer autre chose ?