La Revue des Ressources

Lire des livres sur écran 

samedi 21 mai 2011, par Rédaction

Lire

Robin Hunzinger

Voilà longtemps que je lis sur écran, surtout des textes cours, des revues. J’ai commencé cela en 1995. Je travaillais très tôt le matin pour une boite qui faisait des revues de presse et il y avait internet. J’ai ainsi découvert les premières revues en ligne : criticalsecret.com, Synesthesie, les premiers sites d’écrivains, des listes de diffusion comme Nettime.

Pourtant j’ai toujours été rétif à lire un livre sur écran. L’ordinateur n’est sans doute pas fait pour cela. Puis j’ai toujours aimé les objets, les visualiser dans ma bibliothèque, chercher, marquer une page, souligner.

En revanche à chaque voyage : que choisir ? Quel livre prendre. Cela a toujours été un long dilemme lorsque je pesais mes valises avant de partir pour un tournage à l’étranger.

Puis, un jour, est arrivé chez moi une petite tablette numérique, un drôle d’objet format livre.

J’ai pris une soirée pour la prendre en main, enlever les verrous du constructeur et me lancer dans une nouvelle aventure.

Très vite l’objet ma semblé fragile et j’ai commandé une sorte de reliure en cuir. Trop habitué aux ordinateurs d’Apple, ce objet en plastique m’a semblé très fragile. Une fois rassuré, je me suis rendu compte que cet objet me permettait de lire des livres, d’écouter de la musique, de regarder des films, de prendre des photos de repérages, et même de faire office de mémo sonore et de carnet pour prise de note grâce à un logiciel de traitement de texte.

Pourtant ce n’est pas un ordinateur portable, ni un smartphone. la preuve, très facilement j’ai téléchargé des livres dans le domaine public et d’autres livres chez publie.net. J’ai commencé à me faire une petite bibliothèque de survie. Mais aussi une sonothèque et une vidéothèque. Bref dans cet objet de moins de 300 grammes, j’ai réussi à mettre trois mois de nourriture.

Cette tablette est arrivée hier.

Aliette Guibert

J’attends la mienne (un Ipad offert pour mon anniversaire. Arrivé, pas encore conquis). Mais d’ores et déjà je sais qu’elle me sera utile, à diverses reprises elle m’a déjà manqué, dès que j’ai su que cela existait (est-ce un si bon signe ? Pas certain).

Pourvu qu’on engrange... et tant qu’on n’engrange pas pour accumuler mais pour libérer, comme l’évoque Castro dans son hommage à Dollé : "« blé engrangé ne craint pas l’hiver » dont longtemps Samuel, mon fils, a pensé que c’était un mec qui ne craignait pas le froid."

Vivre en découvrant, en communiquant, et en travaillant, en épargnant son énergie de chercher en vain au lieu de concevoir (tant de kilomètres arpentés à la recherche des archives ou des images clé, et même d’accidents et de morts, et c’est Henry James qui le dit dans L’image dans le tapis, où du moins cette fois ce n’était pas pour rien).

Après, il reste une question à propos du livre vu comme objet non abstrait de la volupté de lire, de comprendre, et de réfléchir. L’odeur du papier et même, parfois, celle de la reliure, le geste de tourner les pages, de les perdre et de les retrouver juste là, où se trouve quelque chose qui nous avait particulièrement inspirés, au passage, ou que pour d’autres raisons nous ne voulions pas oublier. Noter. Combien de livres annotés dans les marges — ce qui les privatise ou dérobe leur libre découverte aux yeux de ses lecteurs suivants ? Ce n’était pas autorisé, à l’école, où le livre restait un objet de connaissance partagé. Et vient celle de l’accélération de la consommation du livre sous sa forme abstraite réduite au texte, plutôt qu’à l’institution de son commerce, qui a l’air d’une bonne nouvelle mais pourrait en être une mauvaise pour la pensée.

Merci pour la citation de criticalsecret. J’aime aussi beaucoup La revue des ressources. Dans sa vitalité perpétuelle et sa vitesse, c’est là qu’elle inspire. Criticalsecret se pose — pause. Ce sont je pense les deux opposés et ça me plait.

Que d’agressions les premiers opus de criticalsecret sur Internet nous ont-ils valu ! Parce que sauf les éditos, tous les textes étaient de l’image (.jpg). Certes, au temps des connexions lentes ce que nous proposions était irritant, mais nous éditions des contenus rares, quoique indifféremment prestigieux ou banals, qui à nos yeux motivaient l’enjeu critique d’être désirés pour être accessibles. "Mais un texte sur internet n’est pas fait pour être lu à l’écran", me disait-on, "c’est fait pour être lu après avoir été imprimé ! Ou pour être re-publié par d’autres copié-collé et modifié." C’était la conception radicale du partage des publications sur le Web. On sait bien aujourd’hui que la confusion entre l’idéologie communiste et la mise en pièce de la trace individuelle n’a pas porté les fruits de la révolution. De l’art critique, oui, du respect de vivre ensemble : non. Il n’y a qu’à lire Geert Lovink qui en retrace sans concession le cours. Alors je répondais que le statut du texte à l’écran était de toutes façons celui de l’image, il s’agissait d’abord d’une perception, et que cela changerait tout dans le comportement de lire et de comprendre un texte, et modifierait la façon de s’exprimer (l’écriture à l’écran) et peut-être même de penser comme un acte symbolique de culture. En fait c’était une métaphore "prédictible" des livres numériques. Voilà ce que nous répondions avec les développeurs qui après l’avoir combattu le défendirent (également à cause de la francophonie typographique ; les voyelles ligaturées dont en anglais, les tirets typographiques, etc. ne pouvaient être montrés sur le web que depuis des logiciels d’édition, comme Word, convertis en images) : la question de la distance nécessaire au respect des contenus. Il se peut que ce soit en partie l’intransivité délibérée de la lecture connectée de criticalsecret, imaginée d’emblée comme une provocation face à l’art contemporain numérique, depuis un copyright gratuit, dans une revue installée sur des serveurs Unix et Apache, — attestant de notre bonne foi, — qui l’ait maintenu comme un objet étrange parmi le web 2, 3, etc. A fortiori quand les installations artistiques du site ne dédaignaient pas de tester des logiciels software propriétaires en version béta, je ne citerai pas le détail des agressions des ténors du ouaibe français des free lists de l’époque... J’ai cru mourir ! En fait ce sont des développeurs du Libre et les éditeurs des listes de serveur publiques, tous militants, et d’abord la bienveillance des développeurs étrangers attentifs aux singularités des formats numériques de l’édition, qui ont salué ensuite et respecté criticalsecret, et lui ont permis d’être encore significatif d’un engagement critique du numérique parmi la communauté actuelle, dans son statut singulier (brechtien, on va dire), jusque dans le fait qu’il soit toujours accessible sur un serveur actualisé, même si c’est d’abord à son archive qu’il donne accès au-delà. Quant à Flash, Director, RealPlayer, et beaucoup d’autres Adoubés, il aura fallu arriver au html5 pour qu’ils ne soient plus incontournables par les éditeurs non développeurs... et ce n’est pas encore général (tout ne sera pas ainsi résolu).

Les tablettes : c’est tout à la fois. Le livre, le tabloïd, le bureau, la page, le stylo. Notre outil cinématique intégral, où les navigateurs disposaient de la boussole, du carnet de bord, et du sextant. Sauf que la boussole ici ne nous dit pas où nous nous trouvons, elle nous dit au contraire que nous sommes ailleurs où nous voulons, mais qui ne contient pas notre corps physique, ce n’est pas une topologie. Mais d’une autre façon notre existence. Cela nous dit que notre monde intime est situé, prélevé, extrait des autres mondes et que même si nous bougeons, nous pouvons intégrer les espaces matériels où nous nous trouvons avec ceux où nous ne nous trouvons pas.

Les tablettes n’ont plus besoin d’une connexion prolongée : Téléchargez — Coupez ! Mais une fois débranchées les tablettes, c’est toujours l’écran qui vous répond quand vous appelez le livre. Il n’est pas à imprimer. Mieux, certains codes de ces nouvelles images d’édition sont dotés de DRM qui empêchent de les reproduire (quand tout le monde pouvait en reproduire lisiblement des images.jpg, à défaut de pouvoir les modifier immédiatement comme du texte en html)... Et c’est l’écran qui le révèle. L’économie du papier des forêts qui tombent l’a justifié à un moment et pourrait le justifier encore. Il reste qu’aujourd’hui dans le train, dans l’avion, le livre numérique désormais convertisse le paysage. Et le livre papier c’est du tricot (enfin je veux dire ceux qui ne sont pas envoyés au pilon).

Cédric Bouchoucha

La lecture de livres numériques est une expérience douloureuse. Pour les yeux, tout d’abord, puisqu’ils ne semblent pas s’accommoder aux pixels, en dépit des heures passées à lire. Suivre la destinée de personnages dans un iPhone n’est pas chose commune, et c’est ce qui attire le lecteur avide de sensations nouvelles. L’expression livre de poche prend ici tout son sens. Expérience douloureuse aussi, puisqu’elle prive le lecteur d’un de ses sens : l’ouïe. Les pages qui se tournent, son délicieux de l’objet livre, se perd. A cette perte sensorielle répond une richesse culturelle inouïe : l’application avec laquelle j’ai lu Le Joueur d’Echecs de Stefan Zweig était gratuite, tout comme le téléchargement des œuvres. Le livre numérique permet de transcender le livre de poche, pour laisser place à la bibliothèque de poche.

Guy Darol

Il y a jolie lurette que je lis sur un écran d’ordinateur. Cela a commencé à la fin des années 1980. Epoque où je lisais principalement mes propre fichiers (articles, tapuscrits) ou ceux d’amis écrivains. Puis vint internet. Il m’est quelquefois arrivé de lire des ouvrages mis en ligne (Gallica, Gutenberg, par exemple), trop rarement. Mes héros sont de papier et je demeure un lectivore fréquentant les librairies. Je ne crois pas être tout à fait mûr pour céder à la tentation des tablettes. L’odeur, le toucher, n’est-ce pas ? J’ai hérité d’une culture où le livre et le journal sont des trésors qu’il convient de disposer dans une bibliothèque, sur une table, au sol, de telle façon que l’on pourra tourner des pages. Je viens du papier et j’ai grandi dans le culte du livre, l’objet supérieur. Je constate toutefois que je consulte de moins en moins mes dictionnaires et encyclopédies. J’observe que je réduis le mouvement autour de mon bureau. C’est peut-être un peu inquiétant. Suis-je en train de délaisser les mines de papier ? Il se passe quelque chose. Ce n’est pas une rupture vraiment. J’envisage toujours que les livres que je publierai seront brochés. Parfois, je rêve que la littérature ose encore grâce au numérique. Je me dis que la création redeviendra aventurée. Puis je me réveille au milieu de ma bibliothèque. Je participe à des blogs. Je possède les miens. Je lis ceux des autres. Le numérique est une invasion discrète.

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