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L’Asie n’est pas l’Autre de l’Europe... 

Réponse à l’enquête « Où en êtes-vous avec l’Asie ? »

lundi 13 octobre 2008, par Françoise Genevray

1. Croyez-vous qu’un péril venu d’Asie menace l’Europe ? Quels en seraient les vecteurs ?

Péril ? La notion de "péril jaune" renvoyait autrefois, si j’ai bien compris, à la démographie (expansion démographique de l’Asie vers l’Ouest via la Sibérie, profitant du faible peuplement de celle-ci : colonisation de terres difficiles aux yeux des Occidentaux, mais servant de "déversoir" à une population trop nombreuse pour se nourrir dans ses frontières). Or aujourd’hui se profile plutôt une expansion économique, et plutôt qu’un danger, une déstabilisation des anciens modes d’échange (commerce, investissements) : la montée en puissance des économies asiatiques (Chine, Corée, Inde) et leur insertion croissante dans l’économie mondiale ne s’accompagne pas nécessairement d’une sortie des frontières, mais elle modifie les circuits financiers et commerciaux. Rien ne prouve que ce soit un péril à long terme (et pour qui ?) : sauf pour la suprématie des économies actuellement dominantes.

2.Pensez-vous que l’Asie soit une entité, une seule civilisation ? Et l’Europe ? Comment les percevez-vous ? Les hiérarchisez-vous ? Selon quels critères ?

Non, bien sûr : on ne peut amalgamer l’Inde, la Corée, le Japon et la Malaisie (par exemple) qui n’ont pas la même histoire, pas les mêmes références. Et l’Europe ? Non plus : l’impression de plus grande homogénéité que nous pouvons avoir quant à l’Europe tient surtout au fait que, la voyant de près, nous en percevons mieux les usages communs et les valeurs partagées. Mais ceci ne fabrique pas pour autant une unité insécable. Je citerai Le Monde du 6 juin 2008 ("Des intellectuels à la recherche d’un récit européen") : "les récits nationaux sont trop différents les uns des autres pour donner naissance à une histoire unique. Ils relèvent de cultures politiques dont le répertoire varie beaucoup d’un peuple à l’autre".

3. Que vous évoque le mot « Eurasie » ?

Un courant de la pensée russe, actif ou réactivé dans les années 1920-1930 (cf le linguiste Troubetskoy) et aujourd’hui encore. Voir les travaux de Dany Savelli sur ce point.

Vous évoque-t-il quelque chose comme un rêve d’union entre civilisations complémentaires, à l’instar de ce que les idéalistes du siècle dernier ont espéré ?

Je ne connais pas la question, mais il me semble que la notion (dans le domaine russe) s’est plutôt formée par opposition à l’occidentalisme (polarisation de l’intelligentsia russe par les valeurs occidentales). Il s’agissait moins d’unir des civilisations complémentaires que d’affirmer la personnalité russe (aux plans géo-politique et civilisationnel) en y intégrant la composante asiatique (rapportée au territoire de la Russie, qui inclut la Sibérie, et à l’histoire russe, qui inclut les invasions mongoles).

4. Etes-vous d’avis, comme Edmund Husserl, que le monde soit irréversiblement européanisé et que l’Asie, quoi qu’elle fasse, ne peut le faire qu’en se positionnant par rapport à ces valeurs européennes ?
ou bien l’Asie a-t-elle encore quelque chose à apporter au monde et plus particulièrement à l’Europe, comme certains entendent le montrer ?

Je ne me pose pas la question en ces termes : pour moi l’Asie n’est pas l’Autre de l’Europe (qui a plutôt bien accueilli certains apports culturels venus d’Asie : philosophie, même diluée et malgré "l’oubli de l’Inde" (livre de Roger-Pol Droit), arts décoratifs, séduction du bouddhisme. L’Asie serait plutôt l’Autre de l’Amérique, exactement de l’Amérique du Nord, ou bien du monde anglo-saxon (Grande-Bretagne comprise, donc plus monde scandinave), qui me semble (je peux me tromper) ne pas avoir subi le même attrait de l’Asie.... Encore que les philosophes germaniques... comme quoi il est difficile de faire des généralités. S’il y a une importante communauté asiatique vivant aux Etats-Unis, il ne me semble pas que ceux-ci aient valorisé positivement les traits culturels dont ces expatriés sont porteurs : peut-être parce que ces expatriés ont tout fait pour s’assimiler et pour gommer leurs origines ? Simple hypothèse.

5. Dans quel domaine - arts, littérature, cinéma, philosophie - l’influence de l’Asie vous semble-t-elle avoir été ou être la plus féconde, ou la plus néfaste ?

Arts graphiques à la fin du XIXe siècle, plus tard philosophie influençant les dissidences intérieures de l’Occident (beat generation et ses rameaux européens : pacifisme européen et américain inspiré par une image idéalisée de l’Asie (où la violence belliqueuse existe aussi, cf Japon !!) plus la rébellion contre la société de consommation inspirée par l’art de vivre (réel ou supposé) et la sagesse ... on ne pensait pas "asiatiques", plutôt "orientales".

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