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L’amour du vinyle 

lundi 3 février 2014, par Guy Darol (Date de rédaction antérieure : 21 janvier 2013).


L’AMOUR DU VINYLE, par Guy Darol. « En tournant les pages colorées d’Extraordinary Records, une sorte d’ « édifice immense du souvenir », l’étonnement scopique est quelquefois distrait par de singulières sensations. On se souvient avec le nez. On se rappelle du microsillon noir accroché par le saphir d’un Teppaz Oscar et de l’odeur de bakélite. On voit la pochette de Sgt. Pepper’s avec son décor de feu d’artifices et l’on sent, ce que sentir veut dire, le chaud parfum du tourne-disque. »...


 E n tournant les pages colorées d’Extraordinary Records, une sorte d’ « édifice immense du souvenir », l’étonnement scopique est quelquefois distrait par de singulières sensations. On se souvient avec le nez. On se rappelle du microsillon noir accroché par le saphir d’un Teppaz Oscar et de l’odeur de bakélite. On voit la pochette de Sgt. Pepper’s avec son décor de feu d’artifices et l’on sent, ce que sentir veut dire, le chaud parfum du tourne-disque.

En visionnant les 500 vinyles de collection appartenant à Alessandro Benedetti et Peter Bastine, la mémoire réveille tous les sens et nous mesurons au passage que la perspective proustienne du ressouvenir est totalement compromise chez les possesseurs d’iPod. Outre que le format de compression MP3 est une théorie inaudible pour toute oreille méritant ce nom, les compilateurs de fichiers sonores parvenus à l’âge du retour sur soi (lequel pourrait devenir l’âge du retour contre soi) auront beau dilater leurs narines, aucune molécule odorante (émanant d’un bon vieux vinyle) ne viendra chatouiller ces sphères sensibles qui, de circonvolutions en circonvolutions, mènent au cœur battant de la jeunesse radieuse. Quinauds, comme aurait dit Henri Calet, becs dans l’eau, mains moites au fond de poches vides, les amadoués du numérique contempleront un néant orné de machines désuètes.

Car rien ne remplacera jamais l’ampleur du son vinyle, rien ne pourra aggraver l’agréable d’une sortie de pochette avec froissement de cellophane, l’enchâssement de la galette sur la platine, la délicate approche du diamant au-dessus du sillon. Rien (et surtout pas cette réduction au format carte postale qu’est le CD aujourd’hui moribond) ne vaut un disque (oui, un disque !) précieusement enveloppé et mis en orbite par des images d’artistes.





Né en 1982, d’un mensonge consistant à nous faire croire que l’on aurait accès, sur un support approchant le timbre-poste, à kyrielles d’heures d’écoute, le CD, en son boîtier cristal friable, succédait au LP (Long Play) dont les pochettes étaient signées par de grands maîtres : Andy Warhol, William Claxton, H.R. Giger, Barry Godber, Rex Ray, Mati Klarwein, Calvin Shenkel… On ne peut en effet s’ébahir, avec un bonheur identique, devant la photographie d’Iain MacMillian, celle d’Abbey Road et de sa Coccinelle blanche (aujourd’hui visitable au musée Volkswagen de Wolfsburg), selon que l’on détient l’album cartonné ou le truc en plastoc. On ne peut s’émouvoir durablement, c’est-à-dire à jamais, du cliché de Storm Thorgerson immortalisant Atom Heart Mother de Pink Floyd, soit Lullubelle III. La vache quoi ! La vache de nos voyages champêtres psychédéliques. On ne peut pleurer l’agonie du CD si l’on hume, si l’on se laisse transporter, dans les pages d’Extraordinary Records, pavé volant comme le tapis des contes, où se suivent vinyles bleus, roses, oranges, améthystes, fluorescents, argentés, translucides, à hologrammes, à effet miroir, avec stries, cercles, éclaboussures, sciés à la main en forme de cœur, de téléphone, de note de musique, de guitare, de chauve-souris, de papillon… Tout cela.

Un livre énorme comme une exposition unique, historique. Voir des disques shaped, le smiley d’Harvey Ball (le real one, celui datant de 1963), les pourpres vinyles de Deep Purple, le bleu PVC de Lost Horizon, BO du film de 1973, adaptant le roman de James Hilton, avec Burt Bacharach à la baguette. Voir ces picture disc phosphorescents, ceux de Kraftwerk ; les presque nus de Marilyn Monroe, Jayne Mansfield, Brigitte Bardot, Madonna ; une rare, très rare pochette de Spinal Tap, laquelle, dit-on, dégage une odeur de rosbif lorsqu’on la gratte. Voir et sentir au fond de soi les disques issus des 78 tours shellac, c’est possible. C’est jouissif. C’est se jeter dans le rétroviseur et découvrir à partir des années 1950, l’aventure rock-pop-jazz et sa mise en scène en un livre considérable. Pèlerinage. Musée. Vie antérieure.

G. D.





P.-S.

EXTRAORDINARY RECORDS, Présentés par Giorgio Moroder et Alessandro Benedetti, Éditions Taschen,
432 p., 29,99 €.

Édition trilingue (2009), accessible sur fr.amazon.

Extraordinary Records, dans le site de l’éditeur (DE).

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