Ce roman ’sentimental’ (en ce qu’il n’est pas mystique) de Rousseau semble retrouver, grâce à son Héloïse lointainement médiévale, le mythe de Tristan. Mais chez le Genevois, le couple adultère n’est plus qu’un dispositif, un obstacle, au sens où Jean Starobinski a écrit : « Rousseau désire la communication et la transparence des coeurs ; mais il est frustré dans son attente, et, choisissant la voie contraire, il accepte et suscite l’obstacle, qui lui permet de se replier dans la résignation passive et dans la certitude de son innocence. » (Avant-propos à La Transparence et l’obstacle, 1957). Pourtant amateur de ce long roman, Denis de Rougemont n’hésite pas à affirmer que La Nouvelle Héloïse « n’a pas la violence sauvage de la légende, et encore moins son arrière-plan ésotérique. Ce qui revit en lui, c’est l’état d’âme créé chez les imitateurs des troubadours par une doctrine qu’ils ’sécularisent’ (...) Au XIIe siècle, c’était la loi de courtoisie qui imposait la chasteté ; ici, c’est la coutume bourgeoise. Mais sous le couvert de l’une et de l’autre, c’est toujours le mythe qui agit. » (L’Amour et l’Occident, pp. 262-265). En revanche, là où la légende de Tristan et Iseut épanouissait sa fleur dans le néant, le roman de Rousseau aboutit au mariage, donc au triomphe du monde sanctifié par le christianisme.
Du très long roman de Jean-Jacques Rousseau, nous proposons une édition abrégée avec préface de Frank A. Hedgcock, publiée en 1909 par J. M. Dent à London, New York (Putnam’s), lisible grâce au site archive.org par ce lien.
RP
- La promenade en barque de Julie et St Preux avant de prendre terre à Meillerie, suite à un coup de vent ( le Féchard).
tableau de Le Prince 1824 Source : Musée J.J. Rousseau à Montmorency