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Il se souvint du minium 

vendredi 8 janvier 2010, par Bernard Deglet

Ce jour je me souviens de la peinture au minium j’apprends que c’est une peinture au plomb qu’on n’en trouve plus qu’au Maroc qu’avant on s’en servait aussi pour protéger le bois des bateaux non de la rouille mais du pourrissement et des insectes le plomb protège de tout même des rayons gamma et qu’aujourd’hui l’artiste qui parle l’utilise pour la couleur et les coulures pour cet orange et ce poids qu’elles ont.

Les gens ne disent pas des textes. Ce ne sont pas des textes. Ils parlent, tout simplement. Et vite ils oublient ce qu’ils ont dit, qui d’ailleurs ne compte pas : ils n’ont parlé que pour parler ; leurs paroles ne sont que prétextes pour parler nous-même, c’est ainsi depuis que va le monde et ce sera ainsi jusqu’à sa fin.

De temps à autre sur ce monde il pleut, il pleut depuis deux jours déjà. Ca fait un rideau magique qui nous protège du monde où il pleut.

C’est déjà ça.

Dabek jouait aux échecs des jours entiers, il se réveillait parfois une pièce à la main, sachant parfaitement d’où elle venait et quels coups l’avaient amenée là, suspendue comme la pluie au dessus du monde. Avant même de l’y poser il se rendormait. D’autres fois il téléphonait, savoir si ça serait occupé ou pas, avant d’avoir su il raccrochait. Il n’allait pas chercher de livres, parce que la pluie. Parfois il regardait à travers la fenêtre. Le monde (toujours décidément le monde !) rouillait sans bruit.

Il se souvint du minium, renonça à l’idée.

Finalement il se rendit au bureau. Demanda à une stagiaire de vérifier s’il y avait un début aux années trente. Fière de savoir elle lui montra l’endroit sur un plan de la ville, il était entouré d’arbres vieux et hauts. Il téléphona pour de vrai cette fois, on lui donna rendez vous plus tard plus tard il s’y rendit les marches du perron étaient moussues, trace de tous ces gens qui n’étaient jamais parvenus jusque là.

Quand on ouvre une porte c’est toujours vers l’avenir. Dabek sentit cela, il sentit que cette sensation, une fois ouvert l’huis, lui manquerait. Il eut très fort l’envie de s’asseoir, d’attendre, regarder les années se poser à ses pieds et attendre avec lui, Dabek eut envie de cette complicité là, attendre avec elles, attendre jusqu’à ce que quelqu’un ouvre, se demandant si cela serait par l’intérieur ou au contraire survenant du passé. Mais la mousse. Mais son pantalon beige clair… Cela le dissuada. La curiosité, aussi. Il poussa la porte.

Un bureau. Sur le bureau une bible. Le soleil s’était remis à tourner autour de la bible qui parle d’Ispahan, ses mosquées, ses places, ses montagnes voilées par la tempête de sable, mais était-ce bien du sable ? Et pourquoi les (rares) femmes auxquelles il faisait l’amour refusaient-elles qu’il enlève ses lunettes ? Dabek avait ouvert la bible et n’y trouva pas ses questions, mais cependant il les lut. Puis il se reprit et parcourut les pages suivantes comme on navigue dans la partition d’une sonate de Beethoven, c’est-à-dire : sans même voir les questions. Ensuite, emportant le livre ouvert, il quitta le bureau, s’enfonça vers l’avenir ; par de multiples signes il en constata le déclin, caché derrière les apparences du progrès. Par exemple, les arbres avaient poussé. Très bien. Mais alors on ne pourra plus voir les filles, moins bien, et leurs robes qui embaument le savon clair, échanges de regards, s’essuyer les yeux (ensuite on ne pourra plus) pour garder en mouchoir la lave de leur rouge.

Finalement il sortit, rejoignit la rue, laissant sur le bureau de l’avenir la bible ouverte sur une page vierge.

(Re-création d’un texte de Pascal Mercier)

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