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ABCD… 

(comme un bouquet de fleurs séchées)

mardi 4 mai 2021, par Anne-Sophie Muziot, Lionel Marchetti

ABCD…

(comme un bouquet de fleurs séchées)

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1 A 1 2 B 2 3 C 3 4 D 4 5 …
26 phrases 26 poèmes 26 collages
… 23 W 23 24 X 24 25 Y 25 26 Z 26

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ABCD…

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«  Il n’y a qu’un seul chemin à parcourir
mais il emprunte mille chemins.
 »
Michel Jourdan

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—  1

A

Le présent est le présent

À l’instant tu t’élèves
ou bien jamais

Les fruits, à portée de main — la maturité
(ce collier de graines jeté au sol est un cercle dur)

Une poupée, piquée
innerve
à distance

L’errance solaire de chaque jour ― ton modèle

Le feu, dans ton œil, se retourne et te dévore
si tu es feu.

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«  Que peuvent nos mots
En leur membrane singulière ?
 »
Andrée Chédid

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 — 2

B

Ne pas parler de A ; se contenter, simplement, d’un chant sans raison.

Le couteau d’un côté ― de l’autre, un rocher.

Je suis la nervure, pleine d’eau, ronde, venue pour rien. Venue d’en bas. Je suis la nervure et je m’écoule, à partir d’ici, avec mon poids pour moi, avec cette lenteur à qui je dois tout.
Je suis la nervure, tant attendue pour lancer le mouvement. Je suis une roue. Je suis l’intestin.

Je suis la femme, repliée.

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« Ce qui arrive est ici, jamais là-bas. »
Éric Baret

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 — 3

C

Dans un rêve

Quand je regarde ta tête, pesante, posée ici-même comme un roc
je demande :

Quel est ton secret ?

Tu réponds :

Mon crâne est un jardin.

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«  J’ai crié de joie, au crépuscule.
Je cherchais les cyclamens entre les ronces.
 »
Antonia Pozzi

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 — 4

D

Le diable, quand il s’approche… Le diable ? Un pauvre sourire, qui m’a piégé
il se cachait derrière une rangée de dents blanches

Le diable, désormais mon allié

Je pleure de le laisser partir vers une autre proie

Le diable, est-ce toi ou moi ?

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«  Dans ce monde, il faut constamment fournir des preuves.
Mais là où l’on doit s’aventurer, il n’y a plus de preuves.
 »
Bram Van Velde

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 — 5

E

La tentation bâtie comme une tour

Le corps, socle pour la tête, tout là-haut

La tête, pour l’étendue — le dedans et le dehors

S’échapper

Le corps mort, vu à distance

La carcasse comme autre chose que soi — le dehors et le dedans

Ceux qui ont la vue voilée, les embrouillés ; celles qui cherchent à mieux voir, à mieux entendre — ceux et celles qui chantent, tout simplement

Le souffle long ou le souffle court.

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«  Les mots qui viennent d’avant la forme ne viennent pas de la bouche. »
Zhaozhou

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 — 6

F

Je te parle depuis cette faille
précipice impossible
vertige immobile

Je te parle depuis cette faille
demeure inverse qui ne m’appartient pas

Je la cultive comme tout être pris au piège

Même si né deux fois, trois fois, cent fois
je vis toujours parmi les femmes, les hommes

Je partage leurs peines, leurs prières

Et je tombe.

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«  À présent, tout mes maîtres sont morts excepté le silence. »
William S. Merwin

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 — 7

G

L’univers, ici, est replié ; l’horizon ? Un point

Du matin jusqu’au soir, j’observe

Je respire

Je touche, j’écoute

Je goute

Je sens

L’ensemble du squelette — force au-dedans, minéral véritable
bientôt recueilli sur les rivages.

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«  Le lieu sacré est tout proche ;
Aucun chemin particulier n’y conduit.
Celui qui suit les indications d’un guide
Ne trouvera qu’un pont glissant et couvert de mousse.
 »
Genrô

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 — 8

H

Puisque ici tout meurt, se recouvre, que seule cette pierre millénaire, inscrite d’une ligne blanche
nous frappe de son évidence

Puisque ici tout meurt, disparaît dans les limons
partage la lenteur des jours

Puisque ici tout meurt ― au dedans, le liquide, vif, de places en places
grand nuage d’humeurs glacées
charrie ce qui du soleil fait violence

Hélas ici j’ai froid.

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«  Rien n’arrête un mot
qui circule dans le sang
 »
Marwan Hoss

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 — 9

I

Comme un cri je tiens à la vie

Ma connaissance, venue de loin, morte dans le temps
se réveille en un point

Sans cette force je tombe et retourne à l’horizon du H

Tel est mon vertige.

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«  Ne découvre pas. Il est possible qu’il n’y ait rien sous le voile.
Et rien ne se recouvre à nouveau.
 »
Antonio Porchia

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 — 10

J

La joie s’était enfuie. Une pluie, toute une saison, tomba gracieusement. Une chance venue du ciel. Dans la rue, le noir du sol était encore plus noir. Nous marchions. La pluie dansait. Nous dansions. Dans la rue couverte d’eau blanche - était-ce de la neige ? - nous étions jeunes, pour longtemps, nous le savions et le criions si fort que même la joie s’était enfuie.

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«  Souvent la parole
ignore tout
de son sujet
 »
Anise Koltz

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 — 11

K

Une lettre s’efforce de tenir dans ma bouche

Une lettre dure

Rare

Piquante

Un K.

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«  Le geste quotidien est le rituel. »
Lalla

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 — 12

L

Je t’ai vue

Tombée à l’angle

Ma peur, à cet instant, décida de saisir l’impossible de ta courbe comme le fruit, au sol
dessine une folie de points
tisse un parterre odorant, nourrit tout un cycle de sa chute silencieuse.

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«  La douleur guide très bien nos vies.
Ôte le caillou de ta chaussure
et par miracle il s’y remet,
diamant intime.
 »
Jim Harrison

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 — 13

M

J’attends, caché dans les montagnes, le moment où d’un trait je te décrocherai. Pour me suivre tu devras renforcer ton souffle. Pour me suivre… Mais pourquoi tenter d’abolir cette distance que jamais je ne voudrais fichée en aucune cible ?

La vitesse est ma demeure.

La vitesse pour tuer le temps ― lorsqu’il s’arrête.

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« Au-delà de la pensée, comme au cœur de l’espace,
Laisse ton esprit paisible, sans rien rejeter ni accepter.

Tilopa

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 — 14

N

La facilité de l’eau à suivre les méandres

Pas de méandres sans eau ; pas d’eau sans méandres.

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«  Étrange faim
qui pour s’assouvir
ne tolère que
ce qui pourra
l’aiguiser
 »
Charles Juliet

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 — 15

O

Rien n’est venu et je souffre du désordre
(est-ce ma loi ?)

Certains ont voulu me prendre d’un trait, pris au piège du signe

Je sais qu’être circulaire est une chance.

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« Pendule solaire
un fil de mercure
balance
une araignée d’or.
 »
Frédéric Jacques Temple

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 — 16

P

Le manque de place
lorsque dans une plante
la coque
se fend
mais reste coque

Retourneras-tu dans la coque ?

Une pliure, décidée
ensorcelle dans sa sève la vitesse qui l’attire
vers le bas
le sol

La terre.

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« Masque de Tlaloc gravé dans un quartz transparent

Eaux pétrifiées.
Le vieux
Tlaloc y dort
en rêvant des orages.
  »
Octavio Paz

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 — 17

Q

Je vomis une ligne trop longue

Toute ma vie, pourtant, j’ai aimé passer d’une rive à l’autre
sans savoir quelles boues je traverserais

Je règne

Tu meurs

Nous jouons

Ils s’oublient

Nous sommes puissants, mais seuls

Quelle chance — pour partir.

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«  La vision réelle est celle où voyant et vu n’existent plus. »
Mâ Ananda Moyî

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 — 18

R

L’acidité d’une ligne, la saveur aigre
d’un vers ― l’abeille se pose
et distille

À contre cœur.

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«  Veillez à ce que personne ne vous égare
en disant :
Le voici
Le voilà…
 »
Évangile de Marie, Myriam de Magdala

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 — 19

S

Dans un rêve

Le masque descend du ciel, s’échauffe à ton encontre

Astre minuscule, poussière rapide

Une larme dans l’œil de l’aimée

Une larme pour souffrir

Une larme
comme une lame

Le masque
simulacre nécessaire où grandissent puis se figent les pensées — elles disparaissent en toi
sont un serpent

Voici le feu
l’incandescence

Et, déjà
le serpent n’est plus là.

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« Parfois, heureux comme la flèche qui grimpe vers le ciel, on revient rapidement au haraka, l’enfer. »
Taisen Deshimaru

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 — 20

T

Un jeune garçon à la peau blanche, solitaire et toujours triste, partageait sa vie en deux. Le jour, comme la nuit, lui semblaient être une comète ralentie et son visage, descendu parmi les hommes pour comprendre la vivacité, resta accroché, un soir, à l’angle de sa pensée — sans qu’il ne puisse en revenir.

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«  En levant mon verre pour boire,
je sens l’odeur de l’eau :
soudain, l’été.
 »
Georges Oppen

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 — 21

U

Un appel

Des phrases, petites, au bout des doigts

Des phrases aimantées, amplifiant le peu de chaleur qu’il nous reste

Des phrases venues toutes seules puisqu’il n’y a plus de voyage suffisamment enchanteur.

Un constat

L’insecte pousse une boule

La vie se nourrit d’elle-même.

&

Une ouverture

L’été affleure malgré ce froid qui glace les os

L’été, pour le jeu

L’été des insectes stridents et métalliques

L’été, pour dire oui à la matière et s’enfuir
dans l’eau profonde.

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«  Pouvez-vous retenir le vent dans votre poing ?
Si vous le faites, est-ce le vent ?
 »
Krishnamurti

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 — 22

V

La violence d’un cercle lorsqu’il se brise, redevient ligne
et ondule
jusqu’à mourir dans la forêt des points

Des animaux minuscules vivent ici
ils s’offrent à l’immensité de cette vie souple ; des animaux ailés, chanteurs

Des animaux qui disent :

— Nous volons entre les lignes

—  Nous volons, nous nous multiplions ; nous sommes ce trouble
qui pense la ligne de l’intérieur
avant qu’elle ne soit ligne.

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«  Revenez, revenez,
Oiseaux sauvages, revenez !
 »
Kathleen Raine

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 — 23

W

Le mélange, ce matin, dans notre bouche, d’un rêve et d’un râle.

Deux visages résonnent contre une pierre.

Nous décidons de quitter cette région des éboulis. Une colonie végétale est à notre poursuite. Elle enfle, s’agrandit, change sans cesse de forme et de couleur. Aussi ronde qu’une goutte d’eau, ennemie de la pierre ; aussi grande et frémissante qu’une forêt, amie de l’eau.

Soudain, nous sommes le vent, prenons le chemin des courants, au-dessus, celui qui transforme le rêve en une boule translucide.

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«  J’ai vu l’homme à la tête diverse. »
Henri Michaux

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 — 24

X

Dans un rêve.

L’énigme s’écoule dans mes veines.

J’ai été battu, abîmé. J’ai chanté pour rien. J’ai vu flamber mes phrases les plus sincères comme s’il s’agissait d’insectes vils. À la croisée de la vie, de la mort, à mi-chemin je me demande : qui suis-je derrière ces yeux ? Qui suis-je lorsque je m’éveille et que mon haleine s’écoule vers le sol, lente, pesante, alors même que l’horizon brille, oblique et nu, se couche sur ma poitrine jusqu’à ce qu’il en ressorte, désormais cette immense forme brillante ?

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«  Réjouissons-nous
Des fleurs qui enivrent, Et qui sont dans nos mains.
 »
Nezahualcoyotl

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 — 25

Y

L’homme à l’envers, la femme sans tête — inconnus à eux-mêmes

Une force vive, en dessous
est là
beaucoup plus grande que le masque du visage
(lors de l’attaque, elle prend le dessus, se retourne, gonfle
se déchaîne
puis retourne aux grands espaces)

La fin sera-t-elle un éclair ?

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&

⌈⌇⌌ .⌉⌢⌝⌊⌊⌣〉⌇⌇.⌈⍜ ⌶ ⎮⎮⌟〉⌢.⌍⌌⌏⌡⍦.⎝⌣⌇

« J’étais inexistant ; né, je n’existe plus,
Et point ne m’en soucie. 
 »
Tombe d’Antiochos d’Éphèse, Cyrène, Libye ; 2ème-3ème siècle apr. J.-C.

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 — 26

Z

Me voici au bord des falaises

Les vagues les plus hautes chantent la fureur des horizons

Je suis venu ici pour éprouver ta violence
toi, au moins, tu ne m’as pas trompé ― tes couleurs bouillonnent
et décident de l’avenir de la roche

Je demande :

—  Laisses-moi cette vie, alentour, laisse moi embrasser la réalité, me confondre

Je reviendrai plus tard honorer ta frappe.

◼︎

P.-S.

Tous les collages © Anne-Sophie Muziot / 2018

B-C-E-H-J-K-L-O-Q-R-T-U-V-W-Y
Extraits de la série LIGNES-A4 – 2017 à 2021
Collages d’adhésifs sur papier 160g - 21 x 29,7 cm

A-D-F-G-I-M-N-P-S-X
Extraits de la série LIGNES-A5 - 2018 à 2021
Collages d’adhésifs et dessins au feutre sur papier 160g - 21 x 14,8 cm

Tous les poèmes © Lionel Marchetti / 2003 - révision 2020

NB : une autre collaboration de Anne-Sophie Muziot et de Lionel Marchetti : Discours d’oiseaux, 7 poèmes d’ombre…

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