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Đỗ Kh. ou un destin cosmopolite 

lundi 3 septembre 2007, par Doan Cam Thi

Originaire du Nord du Vietnam, Đỗ Khiêm, alias Đỗ Kh., est né en 1955 à Hải Phòng - lieu et date charnières de l’histoire de la colonisation : suite à l’échec français à Điện Biên Phủ et à la conférence de Genève en 1954 qui divise le pays en deux, ce port est l’ultime point d’évacuation des réfugiés pour le Sud, ce qui forge peut-être chez Đỗ Kh. le premier désir d’exil.

Il grandit à Saigon dans un milieu resté attaché à la civilisation française [1] pour son prestige culturel, en dépit de l’occupation américaine. Même s’il n’a connu la France qu’à l’âge de 14 ans, il apprend à lire avec Lecture sans larmes, manuel scolaire français courant à l’époque qui met en scène un Toto à l’ombre des flamboyants en fleurs, et effectue toute sa scolarité au lycée Jean-Jacques Rousseau où le vietnamien est considéré comme langue étrangère.

« Pour moi, le chemin de la France est le chemin du monde »

Arrivé en France en 1968, il passe cinq années dans un lycée français et prépare en khâgne le concours de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm auquel il échoue [2]. Il est ainsi un étudiant Sud-Vietnamien chanceux à Paris, à la différence de bien des jeunes de sa génération restés sur les champs de bataille d’une guerre sans fin apparente à dix mille lieues de là. Mais en 1974, mû à la fois par le remords et le goût de l’aventure, il revient au Vietnam pour s’engager dans les rangs de l’armée du Sud. L’année suivante, il assiste à l’agonie de Saigon. Un retour et une expérience directe de la guerre lui sont essentiels : ils renforcent ses liens avec son pays natal qu’il ignorait auparavant, isolé qu’il était dans son milieu d’origine très protégé, et lui permettent d’appréhender pour la première fois la limite floue entre la mort d’un ancien monde et l’avènement d’un nouveau. Il décline ensuite une position de mercenaire convoyeur de vivres par le Mékong vers Phnom Penh assiégé par les Khmers Rouges pour se trouver dans le port de l’île de Phú Quốc sur un transport de troupes Sud-Coréen le 30 Avril 1975, jour de la chute de la République du Sud-Vietnam. Plus tard, toujours attiré par l’aventure, il se rend au siège de Beyrouth en 1982, à celui de Sarajevo en 1995. Comment l’imaginer d’ailleurs autrement qu’en voyage, souvent sans but, sur les chemins et les pistes, dans la neige et au milieu des déserts ? Il pourrait faire sienne la devise « Je me voyage » de l’héroïne du dernier roman de Julia Kristeva, Meurtre à Byzance, car l’errance est chez lui non seulement un acte mais un état, un mode de vie, une façon d’être au monde.

Đỗ Kh. reconnaît qu’il n’a pas d’intérêt pour la fiction française contemporaine dont il ignore tout à partir de Céline, qu’à la différence des écrivains vietnamiens de la génération précédente hantés par Victor Hugo, Alexandre Dumas ou encore Alphonse Daudet, ces ombres ne planent pas autour de lui. Cependant, sa dette à l’égard de la culture française est profonde. Il sait d’abord gré à la langue de lui avoir fait découvrir non seulement Yourcenar et Dai Sijie mais aussi Babel, Durrenmatt, Malaparte, Mishima ou Kanafani, auteurs qu’il a lus en français. Si Bangkok n’est qu’à une heure d’avion de Saigon, il a découvert ses écrivains grâce à leurs traductions françaises [3]. Đỗ Kh. s’inscrit par ailleurs en 1977 à l’Ecole des Hautes Etudes au département des études africaines dont il est l’unique étudiant asiatique. D’aucuns peuvent déplorer que les échanges Sud-Sud (entre différents pays du Tiers Monde) aient dû emprunter cet itinéraire complexe mais sans celui-ci, ils n’auraient même pas existé. Alors que le chemin de la France était celui de l’anti-France pour les révolutionnaires vietnamiens du début du siècle dernier, il ouvre pour Đỗ Kh. sur le monde.

Toutefois, comment comprendre l’originalité de Đỗ Kh. si l’on néglige le choix qu’il a fait de s’installer depuis 1979, pendant au moins une moitié de son temps, aux Etats-Unis ? Rien d’étonnant qu’il fût attiré par ce pays aux frontières mouvantes et dynamiques, lieu de l’imaginaire et de la déterritorialisation - au sens que Deleuze donne à ce terme lorsqu’il dit : « Partir, s’évader, c’est tracer une ligne. La ligne de fuite est une déterritorialisation » [4]. Et ce choix a été pour lui capital : une telle ouverture lui permet de recomposer son espace, géographique certes, mais aussi culturel et sentimental. Grâce à elle, il échappe à la logique binaire France-Vietnam dans laquelle s’enferment la plupart des Vietnamiens de France y compris les intellectuels et artistes, marqués par des sentiments souvent contradictoires à l’égard du pays d’accueil : rejet et adoration. Bien qu’ils jouent aux PMU et prennent très sérieusement goût au Beaujolais, nombre d’entre eux sont complexés par rapport à leurs pairs français et vivent dans un vase-clos culturel.

Quant à Đỗ Kh., il regarde la France d’un œil intimiste, parfois avec dérision mais sans agressivité. Plus, avec souvent beaucoup de bonheur. La culture française, au sens anthropologique, est pour lui non pas seulement celle de l’élite, mais aussi le quotidien. Elle le définit comme individu, au plus profond de lui-même. La double culture est vécue chez lui moins comme une angoisse, une déchirure, qu’une richesse et une forme de plénitude. Ses personnages sillonnent Paris, parlent avec passion de chaque quartier de la capitale, de leurs caractéristiques et de leur évolution. La lecture de son œuvre montre qu’après avoir quitté sa patrie par choix, Đỗ Kh. a trouvé en France où il a passé ses années de formation, un nouveau pays qui oriente son inspiration et occupe une place essentielle dans son imaginaire.

Exil et création

Fondateur de deux magazines littéraires vietnamiens en Californie, Hợp Lưu en 1989 et Tạp Chí Thơ en 1994, Đỗ Kh. est l’auteur d’une œuvre qui échappe à toute classification : elle mêle à la poésie des nouvelles, des scénarios, des essais. Les mêmes obsessions la scandent : les lieux, la peur de l’enfermement, l’amour pour les mots, l’humour et le sexe. Précisons par parenthèse que le sexe est montré sans passer par la symbolique, avec des mots du quotidien et un vocabulaire brut, cru mais sans vulgarité. Des phrases telles : « Nhân retire le slip de Quyên (...) Il cherche des lèvres la fente, il cherche le bouton de chair frémissante (...) La saveur salée et gluante du début se délite, cède la place à la chair tétanisée par les attouchements (...) Il murmure à son oreille : ‘Ton ventre me manque’ » [5], lui ont forgé une réputation d’obsédé sexuel. Cependant, pour l’auteur, parler du sexe est avant tout une façon d’affirmer sa liberté et de scandaliser les conformistes.

Revenons maintenant au thème de l’exil. Quel est donc le reflet des liens qu’il a tissés avec la France dans son œuvre littéraire ? Dans Ký sự đi tây (Journal de France) paru en 1989, il a choisi d’être Vietnamien de France pour s’adresser à ses compatriotes des Etats-Unis et leur décrit la vie parisienne à travers un regard familier. Avec humour et finesse, il compare les deux cultures française et américaine. Ký sự đi tây était en effet une commande pour le quotidien californien Người Việt dont les lecteurs avaient déjà un certain âge (nés dans les années 1950 au plus tard). Même si la plupart d’entre eux n’ont jamais vécu en France, le sujet reste pour eux fascinant.

Dès le début de Ký sự đi tây, l’auteur-narrateur reconnaît que l’appartenance à une triple culture pose chez lui de façon aiguë le problème de l’identité : « Pour moi, ces questions se posent toujours lors de chacun de mes voyages en France : s’agit-il pour moi d’un passage ou d’un retour ? Suis-je Californien ou Parisien ? Vietnamien de Bolsa ou Vietnamien de la Porte d’Ivry ? » [6], questions auxquelles il ne réussit d’ailleurs jamais à répondre, car au lieu de s’enfermer dans ces identités figées, il revendique la liberté de cheminer entre différentes cultures, entre le dedans et le dehors.

Comment ce rapport au monde a-t-il influencé la vision qu’a Đỗ Kh de l’exil ? Dans Vous auriez dû apporter des fleurs [7], à la fin des années 1980, deux anciens amants de Saigon se revoient dans un hôtel parisien. Si la femme, aujourd’hui mariée, est établie aux Etats-Unis où elle s’est intégrée avec succès, l’homme, toujours célibataire, vit en Australie et traîne avec lui le souvenir de tout un univers, le Sud-Vietnam, « qui a existé et qui n’est plus ». A Paris, ils ne se sont pas retrouvés, devenus étrangers l’un à l’autre, à leur histoire personnelle, à leur patrie qui évolue aujourd’hui sans eux. Ni le plaisir de la chair ni le souvenir ne les consolent de la solitude. « Une chambre d’hôtel, aussi impersonnelle soit-elle, dix ans après la fin d’une guerre qui les a exilés de par le monde et l’un de l’autre, ne peut pas être un atelier magique, un adhésif invisible qui aurait pu tout recoller », conclut l’auteur. Après avoir manqué l’acte sexuel, les amants se séparent, sans doute pour toujours. Il n’y aura pas de « prochaine fois », car « Peut-on parler de prochaine fois alors que le présent est un exil définitif du passé ? », s’interroge Đỗ Kh.

Dans Une nuit à Bolsa [8], la situation d’exil est traitée sur le mode de la dérision. « Bolsa » ou encore « Little Saigon », à 40 km au sud-est de Los Angeles, dans le comté d’Orange, qui réunit plus de 400 000 Vietnamiens, boat-people en grande partie, forme un ghetto où les échos du passé accompagnent la vie actuelle souvent difficile dans ce nouveau pays. « Bolsa n’est pas unique, il y a des ghettos vietnamiens à Dresde, à Prague, à Paris comme à Tel Aviv (la plus petite communauté vietnamienne à l’étranger). Il y a dans tous ces ghettos-là des Karaoké avec les chansons qui n’en finissent pas de faire partie des années 1970, comme un chewing-gum que l’on étire après avoir pris tout le suc », écrit Đỗ Kh. Il transpose alors dans un décor contemporain à Little Saigon le Kiều de Nguyễn Du : Kiều, arrivée à vingt ans aux Etats-Unis mais mal intégrée à la nouvelle culture, fait du commerce avec son père, se passionne pour le karaoké et versifie sur son ordinateur. Elle rêve d’être publiée et fréquente ainsi un écrivain célèbre de la communauté, nommé Play Boy, expert comptable de profession et appartenant à la génération des « évacués de 1975 ». « A deux siècles et à 10000 kilomètres de distance, les Vietnamiens restent persuadés que le destin tumultueux de Kiều demeure le leur », dit l’auteur.

La nostalgie, pourtant gage de succès, n’a pas de place chez Đỗ Kh. En effet, dans ces communautés vietnamiennes à l’étranger, il suffit pour un auteur d’annoncer un tel thème pour que le public lui soit acquis. Souvenirs, amertumes, regrets, qui pourrait y résister ? En terre d’exil, quel immigré n’a-t-il pas au fond de son cœur un visage ou un paysage qu’il aimerait tant revoir ? Alors que le passé, l’angoisse face à la culture occidentale et à la perte d’identité, la blessure liée à l’échec de 1975, la protestation contre le régime totalitaire de Hanoi, ont longtemps marqué la littérature vietnamienne d’outre-mer, l’œuvre de Đỗ Kh. est animée par une soif de liaisons et de rencontres, des départs et des passages, des mouvements de “déterritorialisation” et des “lignes de fuite”. Dans une nouvelle intitulée « Personne ne m’attache », le narrateur, un Vietnamien, relate son aventure à Bangkok, non avec des Asiatiques ou des Européennes, mais des Arabes. Assis à une terrasse de café, il se divertit à les observer : « Elles ne doivent être ni Libanaises ni Egyptiennes ni Indiennes, car elles n’ont pas l’accent populaire des filles de Beyrouth, ne transpirent pas, ne montent pas sur leur table pour danser et chanter. Elles ne doivent pas non plus venir d’Irak parce que les Irakiennes ne partent pas en vacances. Enfin, je ne pense pas qu’elles soient Syriennes. Mais comme j’ai besoin de leur donner une nationalité, elles doivent être Jordaniennes Nord-Centre-Sud ou Palestiniennes de l’Ouest ou de Jordanie. Je dis Nord-Centre-Sud car elles sont trois et que je ne peux les distinguer les unes des autres » [9]. Tout se passe comme si pour l’écrivain, la meilleure façon de se connaître était d’aller le plus loin possible dans le dépaysement, d’où une mobilité spatiale peu ordinaire. De même, dans trois textes de Đỗ Kh. - Vous auriez dû apporter des fleurs, Une fleur pour un long voyage et Slows-Météo, un seul thème ¬¬- les retrouvailles de deux amants exilés - a pour cadre trois villes différentes : Hong Kong, Paris et Hochiminh-Ville. Lorsque dans Slows-Météo, Đỗ Kh. décrit le retour, vingt ans après la chute de Saigon, de deux Việt Kiều, dans la ville où ils ont grandi ensemble et devenue depuis Hochiminh City, ce sont les changements de la ville qui sont soulignés. Même dans la poésie de Đỗ Kh., le lecteur peut visiter à loisir Bolsa, Saigon, Hanoi ou encore Paris avec les Arènes de Lutèce, Barbès, le Parc de Sèvres. Ses textes nous projettent avec lui dans ses infinies errances, réelles ou imaginaires, à travers Zagreb, Lanzarote, Ibiza, les Baléares, Varna, Baden-Baden.

Le désir de voyager et de voir aboutit chez Đỗ Kh à une écriture ludique, ponctuée de digressions, de parenthèses et de détours. Son monde est ouvert, formé de confins et de bordures, en contraste avec l’univers étouffant, souvent morbide et chargé de symboles de Trần Vũ, auteur émigré de la même génération, dont la vision de l’exil est terriblement sombre, ce qui les conduit à deux projets littéraires opposés. Alors que l’œuvre de l’un tourne vers l’extérieur et l’avenir, celle de l’autre signifie l’absence de demain. Si le rapport sexuel est chez Đỗ Kh. un moyen d’aller vers l’Autre, il est chez Trần Vũ une façon de rejeter la différence, exprimée à travers les amours incestueuses, souvent teintées de sado-masochisme, des personnages qui, expulsés de leur pays natal, s’enferment délibérément dans les souvenirs, la violence et l’autodestruction [10].

Đỗ Kh. se définit aujourd’hui non par l’exil, mais l’aventure et la création. « Ecrivain d’origine vietnamienne, vivant entre la France et les Etats-Unis, mais avant tout citoyen planétaire », c’est ainsi qu’il peut être décrit.

« Etre un étranger dans sa propre langue »

Quel est l’impact du français, précocement acquis mais mal-aimé que l’enfant qu’était Đỗ Kh. apprenait à l’école en rêvant du vietnamien, symbole pour lui de la vie, du dehors, des trottoirs ? Quel est le rapport que l’auteur entretient avec les deux langues ? Ces questions sont d’autant plus légitimes que l’écriture est son métier et qu’il croit avant tout à l’importance des mots et du style - l’intrigue tenant dans son œuvre une place bien modeste.

« Comme par miracle, l’amour est né de ce mariage de convention, bourgeois et ennuyeux à mourir, qu’est mon intimité avec la langue française », déclare Đỗ Kh. Devenus pour lui aujourd’hui aussi chers l’un que l’autre, le français et le vietnamien sont inlassablement chez l’écrivain en interférence ou en conflit pour finalement se compléter, ce qui distingue la démarche de Đỗ Kh. de celle d’un écrivain vietnamien francophone comme Phạm Văn Ký pour qui l’un exclut l’autre [11].
Les écrits en vietnamien de Đỗ Kh. comportent des figures grammaticales empruntées au français, des phrases longues et sinueuses, d’infinies possibilités de combinaison et d’enchaînement des mots, des références dépaysantes, une sensibilité originale et un rythme étrange. Ils naviguent avec vivacité et brio, travaillent en faveur de l’unité des langues et font montre d’une polyphonie enrichissante. Le lecteur est séduit par le goût des mots étrangers qui s’entrechoquent dans son œuvre, même en vers, domaine où traditionnellement le vocabulaire doit être « raffiné », tel que l’illustre le poème « Barbès thứ bảy yakuzas » :

« Hôm nay lên Barbès coi lại the Yakuzas
Có người anh em Phi Châu giận dữ đạp bàn tin
ĐM cái máy này đéo chạy
Có người anh em Ả Rập trước cửa hàng âm
nhạc mơ màng cái ra-dô sẽ mua mang về nước
sau khi hết hạn giao kèo với Chrysler-Simca » [12]

Dans une nouvelle - parue dans le recueil Cây gậy làm mưa (Le bâton de pluie) -¬ composée en vietnamien [13], le héros se moque de son ancienne maîtresse qu’il traite de « vieux jeu » lorsque celle-ci pour parler de son mari, dit « Mon Jules » et il s’amuse à discuter des nuances entre « Mon Jules », « Julot », « Mon mec », « Mecton », en citant une chanson de Renaud : « T’as un blouson, mecton, pas bidon ». L’appropriation du français permet ainsi à Đỗ Kh. de mieux explorer le langage. Et fort de cette riche expérience, il compte parmi les auteurs les plus novateurs de la littérature vietnamienne actuelle.

Si presque tous ses textes publiés ont été écrits en vietnamien, Đỗ Kh. - qui a été pigiste aux pages Culture d’Avant Garde (organe des Jeunesses Communistes du PCF) à la grande époque (1977) sous la direction de Pierre Zarka (aujourd’hui directeur de l’Humanité) - a composé de nombreuses pages en français dont son premier roman, qui restent malheureusement inédits. Ce poème intitulé « Kumpelnest 2000 » est une invite à son jardin secret.

Ongles carmins
Nuit blanche
Aube grisâtre
Des pieds sans bas

Berliner Luft 1
Walkyries lied 2
Thou still unravished...
Charlie check point 3
Unter den Linden 4

La taille de vos sandales
Je ne saurais reconnaître
Mais veuillez m’excuser comtesse
Vous venez de marcher sur mon tremblant petit sexe
Au début d’un jour confus entre Est - Ouest.

...bride of quietness (John Keats) 5.

1. l’air de Berlin (Goethe)
2. chant des walkyries (Wagner)
3. point de passage entre les secteurs russe et américain pendant la guerre froide.
4. avenue principale de Berlin
5. « vous la fiancée intacte du dieu de la quiétude ».

Le passage suivant - en français - témoigne de la capacité sans cesse renouvelée de Đỗ Kh. à inventer sa propre langue, à la disposer selon d’autres articulations, à la faire sonner différemment : « C’était à Saigon, en 1967. L’homme fort du moment, le général dandy Ky venait de rompre les relations diplomatiques avec une France soupçonnée de “neutralité” dans le conflit entre Sud et Nord Vietnam. “Ky c’est qui ?” avait demandé l’autre général, de Gaulle, et, pour laver l’affront du bon mot, le Premier ministre Sud-vietnamien avait incité la jeunesse des écoles publiques à demander la fermeture de cette institution coloniale, le lycée Jean-Jacques Rousseau, ex Chasseloup Laubat. J’étais élève de la 4e M2... » [14].

Il convient néanmoins de souligner une forte influence américaine dans le plaisir de création chez Đỗ Kh. L’interaction [15] entre le vietnamien, le français et l’américain dont la syntaxe est extrêmement libre, lui a finalement permis « d’être un étranger dans sa propre langue », pour reprendre les termes de Deleuze [16]. C’est dans ce désir, cette exigence d’étrangeté que Đỗ Kh. rejoint de grands écrivains tels Proust pour qui « les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère ».

Ecrivain perpétuellement entre plusieurs langues, entre ici et ailleurs, Đỗ Kh. incarne le mieux le « Nous pensons ailleurs » de Montaigne, qui affirme que le bonheur ne se réalise jamais dans la similitude, mais dans le passage et la mobilité.

Lire un poème de Đỗ Kh. en français : « S’agit de ne pas le rendre nerveux le keum au canon mitrailleur » ou en vietnamien : «Đừng làm xạ thủ giật mình».


Đỗ Kh
Bibliographie

Cây gậy làm mưa, nouvelles, Tân Thu, Californie, 1989.
Thơ Đỗ Kh., recueil de poèmes, Tân Thu, Californie,1989.
Có những bực mình, tức không thể nói, recueil de poèmes, Tân Thu, California,1990.
Ký sự đi tây, récits, Xuan Thu, Californie, 1990, réédité par les éditions Van Hoa Thong Tin, Hanoi, 1993.
Không khí thời chưa chiến, nouvelles, Hong Linh, Californie, 1993.
Gừng đi bỏ phiếu, Tạp chí Thơ, Californie, 2007.

Avec d’autres :
Thế giới lưu vong hôm nay”, nouvelles et essais, Californie, 1991.
Tập truyện Tân Liêu Trai”, nouvelles et essais, Van Nghe, Californie, 1992.
20 Năm văn học hải ngoại”, recueil, Dai Nam, Californie, 1995.
Nhìn cây thấy rừng”, entretien avec Đỗ Quyên, Van Nghe, Californie, 1997.
Người Việt Nam 2000”, recueil, Montréal, 2000.
11 tác giả trong nước và 11 tác giả ngoài nước”, recueil de poésie, Washington, 2002.

Traduction en Français :
“Une fleur pour un long voyage ”, nouvelle, traduite par Phan Huy Duong, in En Traversant Le Fleuve, Philippe Picquier, Arles, 1996.
« Personne ne m’attache », nouvelle, in Au rez-de-chaussée du paradis, récits vietnamiens 1991-2003 réunis, présentés et traduits par Doan Cam Thi, Philippe Picquier, Arles, 2005.

Traduction en Anglais :
You should have brought flowers”, nouvelle, traduite par Phan Huy Duong et Nina McPherson, dans Trafika No 5 ; New York-Praha, 1995.
The pre war atmosphere”, nouvelle, traduite par Linh Dinh, dans “Night, Again”, Seven Stories Press, New York, 1996.
“Night song in Ceylon”, poème , traduit par Linh Dinh, dans The Literary Review, N° 43 Vol 2, New Jersey, 2000.
Cinq poèmes, traduits par Nguyen Ba Chung, dans Manoa, Spring Issue, University of Hawaii Press, 2002.

Traduction en Allemand :
Eine blume, eine weite Reise”, nouvelle, traduite par Dietmar Erdmann ; Haus der Kultur der Welt, Berlin, 1999.
“Die junge Berfrau”, nouvelle, traduite par Dietmar Erdmann ; Haus der Kultur der Welt, Berlin, 1999.

A traduit en Français :
Juillet” de Phan Thi Vang Anh, nouvelle, dans “Mégapoles, Petite Planète” ; Le Serpent A Plumes, Paris, 1998.

A traduit en Vietnamien :
Ode pour hâter la venue du printemps de Jean Ristat, poème ; Giọt sương hoa, Londres, 2001.

P.-S.

Ce texte a fait l’objet d’une intervention à la table ronde organisée le 14 janvier 2005 à l’INALCO « Autour du Paris-Asie : parcours croisés d’intellectuels asiatiques à Paris du 19e siècle à nos jours ».

Notes

[1"Civilisation" selon la définition de Todorov : "terme employé alors exclusivement au singulier et qui devait recouvrir un juste équilibre entre la spéculation abstraite et le souci de la vie matérielle, l’acuité de la pensée et la beauté de la forme. La France devait nous apparaître comme une incarnation de cet idéal de vie civilisée" (Tzvetan Todorov, L’homme dépaysé, Paris, Seuil, 1996, p. 237).

[2Sur ce point, voir l’article très intéressant de Đỗ Kh. « Je préfère la langue de la Commune à celle des Versaillais », in Courrier international, n° 802 (16-22/03/2006).

[3Nous avons évoqué cet aspect du rapport de Đỗ Kh. à la littérature française dans Doan Cam Thi, « En lisant Duras au Vietnam », in Courrier international, n°. 802 (16-22/03/2006).

[4G.Deleuze, Dialogues, avec Claire Parnet, Paris, Flammarion, 1977, p.47.

[5« Une fleur pour un long voyage », nouvelle traduite par Phan Huy Duong in En Traversant Le Fleuve, Philippe Picquier, Arles, 1996, p.121.

[6Ký sự đi tây, récits, Editions Van Hoa Thong Tin, Hanoi, 1993, p.136.

[7Texte en français inédit, 1989.

[8Texte en français inédit, 1995.

[9in Au rez-de-chaussée du paradis, récits vietnamiens 1991-2003 réunis, présentés et traduits par Doan Cam Thi, Philippe Picquier, Arles, 2005.

[10Voir par exemple deux fictions de Tran Vu : “La canonnière du Yang-Tsé” in Terre des Ephémères, Récits traduits par Phan Huy Duong, Philippe Picquier, Arles, 1994 ; “Le rêve turc” in Tran Vu, Sous une pluie d’épines, nouvelles traduites par Phan Huy Duong, Flammarion, 1998.

[11Phạm Văn Ký, dans son roman largement autobiographique, Frères de sang, a mis dans la bouche de son héros-narrateur les propos suivants : « J’entrepris ma propre éducation littéraire sur les quais de Paris, entre les boîtes des bouquinistes. Je suis devenu un écrivain de ton expression, Occident. J’en poussais l’expression jusqu’à faire miens les problèmes de ton langage : recherches formelles ayant trait à la mélodie intellectuelle, au sens exquis, à la résonance inconnue, aux rapprochements physiques, aux effets d’induction de tes vocables ! J’ambitionnais de remonter même à la source de ton Esthétique... » (Frères de sang, Seuil, 1947, p.57)

[12Thơ Đỗ Kh., recueil de poésie, Tan Thu, California, 1989.

[13Cây gậy làm mưa, nouvelles, Tan Thu, California, 1989.

[14Courrier international, n°. 802, op.cit.

[15“Je dois au vietnamien ma naissance, au français mon éducation, à l’anglais mon quotidien et faire la part des choses me semble bien difficile”, dit-il dans le Courrier international, n°. 802, op.cit.

[16Dialogues, op.cit, 72-73.

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