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Quoi, vous n’avez pas lu Kourroglou ! 

Une traduction de George Sand, présentation et choix d’extraits

lundi 29 janvier 2007, par Françoise Genevray


Köroghlu, « fils de l’aveugle », est un héros célèbre de l’Asie antérieure à l’Asie centrale, dans une aire englobant l’Anatolie, le Caucase et le Turkestan. Romancier turc d’origine kurde, Yachar Kemal écrivit naguère sa propre version puisée à la même tradition orale [1]. Pourtant, en dehors d’un petit cercle de spécialistes, la geste de Köroghlu, un classique du patrimoine épique turcophone, reste ignorée des lecteurs français. Les traductions existantes, déjà anciennes et d’ailleurs incomplètes, sont matériellement peu accessibles.
George Sand fut la première à traduire et à préfacer Köroghlu dans notre langue, en trois livraisons de la Revue indépendante (10 janvier, 10 février, 10 avril 1843) publiées sous le titre Les Aventures et les Improvisations de Kourroglou, recueillies en Perse par M. Alexandre Chodzko, abrégé ensuite en Kourroglou [2]. Les circonstances l’obligèrent à écourter ce travail, dont le fruit fut repris en volume (1845) avec quelques changements [3], puis dans l’édition illustrée de ses œuvres complètes (1853) [4]. Le texte n’est disponible aujourd’hui que dans une collection en 35 volumes (1980) absente de bien des bibliothèques, même universitaires [5].
La version adaptée par la romancière avait été recueillie dix ans plus tôt en Azerbaïdjan, appelé autrefois par les Russes « Tatarie du Caucase ». La partie septentrionale de cette province étant devenue république soviétique de 1920 à 1991, les spécialistes azéris et russes connaissaient bien les sources locales du texte rapporté par Chodzko, mais l’existence de l’adaptation sandienne avait fini par s’effacer des mémoires et des écrits : V. Gritskevitch la mentionne en 1972 dans la revue bakinoise Literaturnyj Azerbaidjan, mais trois ans plus tard M. Sadykhov semble l’ignorer dans un livre pourtant bien documenté, de même que Mme L. Mélikoff-Sayar dans la bibliographie de sa thèse sur Köroglu, soutenue à Paris (1979) et publiée en russe à Bakou (1985) [6]. L’initiative pionnière de George Sand ne sort que depuis peu de cet oubli [7]. En 1986, M. Sadykhov lui consacre à Bakou un bref article, relayé à Moscou par Voprosy Literatury (1987), avant que F. Georgeon ne la signale en 1991 aux turcologues français [8]. Toutefois la traduction procurée par Sand reste hors de portée d’un lectorat plus large. En attendant qu’elle revoie le jour grâce à l’édition des Œuvres complètes en cours chez H. Champion [9], les lignes qui suivent ont pour seule ambition de présenter des extraits du Kourroglou sandien : pour les détails sur le texte-source, ou plutôt sur le vaste corpus dont il émane, nous renvoyons à la bibliographie spécialisée [10]. Un aperçu général relatif à la geste de Köroghlu semble néanmoins indispensable à cette présentation.

Une geste asiatique

Köroghlu est d’évidence une figure légendaire, mais les chercheurs hésitent ou divergent sur sa provenance géographique. Les uns lui donnent pour berceau l’Anatolie orientale, d’autres la Transcaucasie et plus précisément l’Azerbaïdjan méridional. Quoi qu’il en soit, le substrat linguistique et culturel de la geste remonte plus haut que la légende elle-même, et se trouve aussi plus à l’Est, dans les traditions d’origine oghuz communes à plusieurs peuples constitués depuis en nations, voire en États indépendants. Nomades d’Asie centrale parlant des langues turques, les Oghuz formèrent au VIIe siècle une confédération dont les éléments se déplacèrent vers l’Ouest (Anatolie, Transcaucasie, Russie) par vagues successives à partir de la fin du Xe siècle. Des Oghuz et leurs descendants immédiats, les Turcomans ou Turkmènes, migrèrent en Asie antérieure à l’époque des sultans seldjoukides, peuplant de Turcs [11] la région transcaucasienne, auparavant persophone, d’Azerbaïdjan. Ainsi s’explique que le terme oghuz désigne pour les linguistes un ensemble formé par les langues turques du sud-ouest, les principales étant le turc de Turquie, l’azéri et le turkmène. De cette parenté témoigne aussi l’existence de traits culturels communs, transportés d’Asie centrale en direction de l’Ouest, et qui transparaissent dans le cycle de Köroghlu : vie pastorale nomade, pratiques guerrières, culte du cheval. Le héros éponyme de la version adaptée par Sand appartient de manière explicite au groupe turcoman dans lequel a fleuri l’épopée : le texte l’identifie comme « un Turkoman de la tribu de Tuka » installé depuis peu en Azerbaïdjan.

Le cycle de Köroghlu

Le lecteur hésitera d’abord sur l’appartenance générique de Kourroglou, que la préface sandienne appelle tour à tour conte, poème, épopée. L’identité culturelle fait aussi problème puisque Sand annonce un texte « traduit du persan », puis du « perso-turc », expression indécise qui n’a plus cours. Si curieuse qu’elle semble d’abord, l’étiquette persane n’est pas sans fondement : longuement disputé entre Ottomans et Persans, l’Azerbaïdjan turcophone de 1843 appartient à la Perse [12]. Qui plus est, l’histoire de la région ne se résume pas aux confrontations belliqueuses des deux empires rivaux, puisqu’elle a forgé ce substrat culturel commun qu’un historien appelle « synthèse turco-persane » [13]. L’idiome « perso-turc », ainsi nommé par Chodzko « faute de nom meilleur », se parle « chez les Musulmans de Transcaucasie, ceux d’Azerbaïdjan, et chez les nomades d’ascendance tatare du nord de la Perse ». Chodzko l’appelle aussi « turc de Perse » pour le distinguer du turc ottoman : on dira plus tard « turc d’Azerbaïdjan », « turc azéri », « azéri ». Ajoutons que le manuscrit rapporté en Europe par le savant diplomate est bilingue, donnant les vers en turc azéri, doublés d’un mot à mot persan, et les parties de prose en persan. Déposé à la Bibliothèque Nationale de France, ce manuscrit comporte quelques renseignements que la publication londonienne laissait ignorer. Le texte se fonde en effet sur les prestations de douze âshiks (récitants-chanteurs) différents dont les récitals suivaient le même canevas : à la fin de la dernière « rencontre », Chodzko indique les noms de l’âshik qui a déclamé et des mirzas qui ont consigné la déclamation [14].
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Köroghlu appartient à la littérature populaire profane et plus précisément au répertoire des âshiks. Ce terme désigne un poète-musicien itinérant, un compositeur-interprète, à la fois créateur et exécutant, qui récite soit ses propres compositions, soit des morceaux appris et néanmoins susceptibles de variations temporaires et locales. Artiste ambulant, comparable au rapsode antique, il déclame et chante en s’accompagnant d’un instrument à cordes, saz, sitara ou autre. À son répertoire poétique s’ajoute le genre narratif de la hikaye, roman héroïque et amoureux qu’illustre justement Köroghlu, récit en prose parsemé de pièces versifiées. Ni la traduction anglaise procurée par Chodzko, ni à plus forte raison le texte sandien ne calquent cette alternance de prose et de vers spécifique de la tradition oghuz. Toutefois les strophes poétiques s’y distinguent sous le titre d’improvisations : ces parties lyriques, réservées au discours direct du héros, suspendent la narration tout en soulignant les moments pathétiques de l’action. La tradition attribue au Köroghlu historique (insurgé, bandit, guerrier et poète du XVIe siècle) une partie des poèmes, le reste provenant d’interprètes restés anonymes. Les âshiks utilisaient pour ces quatrains soit des vers syllabiques de onze, huit ou sept syllabes, soit des vers métriques (forme plus savante), ce qui leur confère une position médiane entre la poésie populaire et le genre lyrique pratiqué dans les milieux cultivés du monde turco-persan. Cependant les âshiks trouvent plutôt leur auditoire dans les milieux ruraux et dans ceux des petites villes, moins réceptifs à l’influence des créations lettrées. Ils se produisent au cours de réunions publiques ou privées, noces et autres festivités. L’introduction de Chodzko, évoquant les récitals écoutés avant qu’il ne fasse noter Köroghlu, insiste sur le caractère purement oral de leurs performances.

Un héros de la liberté

Création populaire anonyme, Kourroglou s’inscrit dans cette grande redécouverte des folklores qui passionne l’époque romantique et qui mobilise George Sand elle-même, par exemple dans ses romans Jeanne (1844) et Les Maîtres sonneurs (1853). Les contemporains s’intéressent aux œuvres réputées collectives, issues d’un patrimoine national ou ethnique plus ou moins marginal au regard des circuits lettrés : C. Fauriel collecte et édite des chants serbes, A. de Gérando traduit les chants nationaux hongrois, A. Mickiewicz inscrit dans ce courant ses études sur le monde slave [15]. Le grand mérite du héros éponyme de Köroghlu, individualité puissante, consiste pour Sand à incarner simultanément un « génie national ». Sur ce caractère modelé par les mœurs de son peuple, des poètes inconnus (l’un d’eux aurait donné son nom au héros) mirent le cachet de son expression la plus nette, la plus vive, la plus frappante : Kourroglou, « c’est le nomade dans toute sa poésie plaisante et terrible, c’est le guerrier asiatique dans toute son exagération fanfaronne, c’est le brigand de la Perse dans toute sa ruse, dans toute sa férocité et dans toute son audace », dit la préface de 1843.
Qui plus est, artiste et brigand, combattant valeureux, pillard et redresseur de torts, Kourroglou incarne le type du bandit social [16], du hors-la-loi que le seigneur ou l’État poursuivent comme un criminel, mais en qui les opprimés voient un vengeur, un justicier : « le chef de brigands qui a défrayé tant de romans et de mélodrames sous l’Empire, sous la Restauration, et jusque dans la littérature romantique, a toujours amusé tout le monde, et l’intérêt principal s’est toujours attaché à ce personnage terrible et mystérieux. C’est naïf, mais c’est comme cela », écrira Sand en préface à son roman Piccinino (1847). À la différence d’un Dede Korkut, autre figure épique d’Asie centrale et chantre officiel de l’aristocratie oghuz, Kourroglou est un homme simple en révolte contre les puissants : le romantisme social français trouvait là son compte. Enfin, l’amusement se joint dans les péripéties à l’intérêt dramatique quand le plaisant succède au terrible à travers d’énormes fourberies dignes de nos farces médiévales. Une franche gaieté émane des aventures d’un protagoniste rabelaisien, aussi truculent qu’astucieux. Mais une trahison déshonore sa vie et marque le début de sa chute. Kourroglou finit esclave et aveugle, après avoir vu tuer le cher Kyrat, son coursier merveilleux. Cependant la mémoire de ses exploits et de ses poésies lui survit durablement : Köroghlu figure de nos jours au programme des collèges d’Azerbaïdjan et au répertoire de l’opéra de Bakou ; des chanteurs turcs ont enregistré des cassettes, et l’Unesco un Göroglu turkmène (« fils de la tombe », celui-là) [17].

CHOIX D’EXTRAITS


Les textes sont cités dans la dernière édition (1855) parue du vivant de George Sand, dont on reproduit l’orthographe et la ponctuation [18]. Nous ajoutons (F.G.) quelques notes d’éclaircissement.

I . « Préface » de George Sand (1843)


[...] « Honneur et grâce soient donc rendues à M. Alexandre Chodzko, l’Homère de Kourroglou. L’épopée de sa vie n’avait jamais été écrite, et il n’est pas bien prouvé que Kourroglou lui-même ait su écrire ; il avait tant d’autres choses à faire, le vaillant diable à quatre ! boire, battre, être un vert-galant ; mais ce n’est pas tout. Il avait encore le talent de chanter en improvisant ; sa poésie et sa voix résonnaient de la Perse à la Turquie, de Khoï à Erzeroum, et sa guitare faisait presque autant de miracles que son cimeterre.
Mais qu’était-ce donc que Kourroglou ? C’était bien plus qu’un poëte, bien plus qu’un barde, bien plus qu’un lettré, bien plus qu’un pontife, bien plus qu’un roi, bien plus qu’un philosophe. Il était ce qu’il y a de plus grand... en Perse : il était bandit. Quand vous aurez fait connaissance avec lui, vous verrez que ce n’est pas peu de chose ; mais vous conviendrez qu’à moins d’être Kourroglou, il ne faut pas s’en mêler. [...]
On montre encore aujourd’hui les ruines de la forteresse de Chamly-Bill, bâtie par Kourroglou dans la délicieuse vallée de Salmas [19], un district de la province d’Aderbaïdjan [20]. Encore aujourd’hui on manque rarement de réciter dans une fête les chants d’amour de Kourroglou. Durant les querelles intestines et les combats que livrent les Iliotes [21], pour leur indépendance, aux Persans, leurs maîtres, quand les deux armées ennemies sont au moment d’engager la bataille, ils s’animent les uns les autres, et défient l’ennemi : les Perses en chantant des passages du schah-nama de leur Ferdausy [22], les Iliotes en hurlant les chants de guerre de leur Kourroglou. [...]
Cette publication n’est pas, en effet, importante au seul point de vue de l’amusement et de l’intérêt épique ; ce n’est pas seulement un héros de l’Arioste que la Perse nous révèle, c’est toute une histoire de mœurs, c’est tout un génie national que Kourroglou. C’est le nomade dans toute sa poésie plaisante et terrible, c’est le guerrier asiatique dans toute son exagération fanfaronne, c’est le brigand de la Perse dans toute sa ruse, dans toute sa férocité et dans toute son audace. Kourroglou est cruel, ivrogne, glouton, libertin ; c’est le plus grand pillard et le plus grand vantard que nous ayons jamais rencontré, même chez nous, où ces qualités sont si fort répandues par le temps qui court. Il est entreprenant, vindicatif, insatiable de richesses et de plaisirs, fourbe, brutal et impitoyable dans la colère. Il n’en est pas moins l’idole de ses compagnons et de leur nombreuse postérité. Ces peccadilles ne le rendent que plus aimable. Les femmes en sont folles, et les enfants rêvent de lui, non comme d’un croquemitaine, mais comme d’un Tancrède ou d’un Roland. [...]
Mais le véritable héros de la vie de Kourroglou, ce n’est point Kourroglou, ce n’est pas le bel Ayvaz, ce n’est pas même le spirituel marmiton Hamza-Beg ; ce n’est pas un homme, ce n’est pas une femme : c’est un cheval, c’est le divin Kyrat, près duquel les coursiers d’Achille et tous les palefrois renommés de la chevalerie ne sont que de pauvres poneys. [...] » (pp. 193-198)

II . « Notice » de George Sand (1853)

« Kourroglou est toujours, à mes yeux, une œuvre très-belle et très-curieuse. Elle n’eut pourtant pas de succès dans la Revue indépendante, où j’en publiai la traduction abrégée. Des raisons d’amitié me firent suspendre ce petit travail, que l’on me disait préjudiciable aux intérêts de la Revue. Mais je protestai et proteste encore contre l’inintelligence [23] des abonnés qui préférèrent les romans nouveaux à ces chants originaux d’une littérature étrangère. C’était une initiation à la manière des rapsodes et des improvisateurs de l’Orient, et l’on sait qu’en fait d’art, comme en toutes choses, le public veut être poussé par les épaules vers les découvertes, si faciles qu’elles soient.
La suite du poëme, dont j’ai été forcée de résumer en deux pages les derniers chants et le dénouement, superbe, a été publiée en abrégé sur le texte anglais de M. Chodzko, par M. C.-G. Simon, à Nantes [...] Il est à regretter que M. C.-G. Simon, par des raisons analogues à celles que j’ai subies, n’ait pas continué son exploration dans cette littérature persane, une des plus riches et une des plus belles du monde, assurément, puisqu’on y trouve la manière d’Homère et celle de Cervantès se coudoyant avec franchise, grandeur et naïveté dans les mêmes récits [...] ».

III . Traduction (1843-1845)

L’italique entre deux extraits signale nos résumés destinés à les relier. Nous omettons les notes infrapaginales placées par Sand, qui reproduisent à peu près celles de Chodzko.

[Première rencontre]

« Kourroglou était un Turkoman de la tribu de Tuka [24] ; son véritable nom était Roushan, et celui de son père Mirza-Serraf. Ce dernier était au service du sultan Murad, gouverneur d’une des provinces du Turkestan, en qualité de chef des haras de ce prince.
Un jour que les cavales paissaient dans les prairies qui s’étendent le long du Jaïhoun (l’Oxus), un étalon sortit de la surface des eaux, gagna la rive, courut vers la troupe des cavales, et après s’être accouplé à deux d’entre elles, il se replongea dans le fleuve, où il disparut pour jamais. Cette étrange nouvelle ne fut pas plutôt rapportée à Mirza-Serraf, qu’il se rendit à la prairie, et ayant fait des marques distinctes aux deux juments désignées, il recommanda aux gardiens d’en avoir un soin particulier ; puis, de retour chez lui, il consigna sur ses livres les détails de l’apparition de l’étalon, et enregistra la date précise de cet événement. » (p. 199)

Deux poulains naissent de l’accouplement merveilleux relaté dans cet incipit :
« Un des devoirs de la charge de Mirza-Serraf était de visiter, à tour de rôle, tous les haras confiés à ses soins, afin de mettre à part les meilleurs poulains pour les écuries du prince. Dans cette occasion, les deux poulains merveilleux furent au nombre de ceux qu’il choisit. Quand le prince vint en personne visiter ses écuries, il examina attentivement les chevaux amenés par Mirza-Serraf, et approuva tous ses choix, à l’exception des deux poulains en question.
Plus il les regardait, plus ils lui semblaient hideux. Il fit amener en sa présence le chef de ses haras, et s’adressant à lui d’une voix courroucée : ‘Vassal, lui dit-il, qu’est-ce que cela signifie ? me crois-tu donc dépourvu d’instruction ou d’intelligence, ou bien es-tu devenu si vieux que tu ne puisses plus distinguer un bon cheval d’un mauvais ? Que prétends-tu en m’amenant ces deux misérables haquenées ?’
Alors, transporté de rage, le prince ordonna que Mirza-Serraf eût les yeux crevés. Cette sentence fut immédiatement exécutée. Un fer rouge fut appliqué sur le globe des yeux de l’infortuné Mirza, qui fut ainsi privé pour jamais de la lumière. » (p. 200)

Roushan est autorisé à prendre celui des deux poulains qui lui plairait le mieux. Mirza-Serraf apprend à son fils comment le dresser, l’initie à l’équitation et au métier des armes, avant de lui indiquer ses dernières volontés :
« ‘Mes jours sont comptés, dit-il, désormais tu prendras le nom de Kourroglou, le fils de l’aveugle. Tes vers et tes actions seront attachés pour toujours à ce surnom. Maintenant conduis-moi à Mushad, sur le dos de Kyrat, car c’est ainsi que tu devras nommer ton cheval.’
Kourroglou plaça son vieux père derrière lui, et marcha vers la ville sacrée de Mushad [25], où ils arrivèrent en peu de temps, grâce à la vigueur surnaturelle de leur cheval. Ce fut dans cette ville qu’ils embrassèrent la foi d’Ali, et, d’impies sunnites qu’ils étaient, devinrent sheahs [26] et vrais croyants. Ce fut là aussi que Mirza-Serraf mourut, et voici quelles furent ses dernières paroles : ‘Aussitôt que je serai mort, rends-toi dans la province d’Aderbaïdjan, dont le schah de Perse est souverain. Il voudra t’attirer à sa cour, n’y va pas, mon fils ; mais ne te révolte pas non plus contre lui.’ Il dit et il expira. » (p. 208)

[Troisième rencontre]

Monté sur Kyrat, Kourroglou s’achemine vers Orfah [27], chez les Turcs sunnites que ce fidèle d’Ali considère comme des mécréants, et aussi comme des dupes faciles :
« Il n’en était plus qu’à un fersakh de distance, quand il sentit une faim extrême ; et, voyant un berger qui gardait un troupeau sur la pente d’une colline, il se dit : ‘Le proverbe est bon : si tu as faim, va au berger ; si tu es las, au chamelier. Maintenant, réfléchissons un peu de quelle façon j’attraperai à déjeuner.’ Alors il s’approcha, et s’écria : ‘Que Dieu te bénisse, berger ! ne peux-tu me donner à déjeuner ?’ Le berger leva la tête ; et, voyant un guerrier dont l’armure, à elle seule, aurait pu acheter son troupeau et lui-même par-dessus le marché, il répondit : ‘Jeune homme, je n’ai point de mets digne de toi ; mais si tu peux t’accommoder de lait de brebis, je vais t’en chercher.’ Kourroglou dit : ‘Dans ce désert une goutte de lait vaut le monde entier : vas-en chercher, et me l’apporte.’ Le berger était d’une haute stature et taillé carrément ; il tenait dans sa main une énorme massue, dont la tête était ornée de clous, de vieux fers de lance, de fers de chevaux cassés et de tout ce qu’il avait pu se procurer de tranchant ; elle pesait un men et demi ; une courroie, passée dans un trou, la suspendait à son poignet. Le berger leva la massue ; et, à ce signal, toutes les brebis se réunirent autour de lui. Il avait aussi avec lui une écuelle de bois que les Kurdes appellent moudah et qui pouvait contenir trois mens et demi de lait. L’ayant rempli jusqu’aux bords, il la mit devant Kourroglou, et lui donna une grande cuiller de bois pour qu’il pût manger. Kourroglou en eut à peine bu quelques cuillerées qu’il se sentit très faible, et dit : ‘Berger, n’as-tu pas une croûte de pain ?’ - ‘J’en ai, dit le berger, mais il n’est pas un fils d’homme qui puisse le manger.’ Kourroglou reprit : ‘Il porte un nom mangeable ; et pour peu qu’il soit moins dur que la pierre, donne-le moi.’ Le berger dit : ‘C’est du pain fait d’orge et de millet ; je l’ai pétri pour mes chiens.’ Kourroglou dit : ‘N’importe, apporte-le tel qu’il est.’ Le berger répliqua : ‘Le soleil l’a séché ; il est devenu tout à fait dur et moisi : tu te rompras les dents.’ Kourroglou dit : ‘Ne crains rien, mon garçon, et donne-le moi promptement.’ Un sac de peau était suspendu au dos du berger ; il l’en ôta, et le mit devant Kourroglou. Ce dernier était si prodigieusement affamé, qu’il plongea ses deux mains dans le sac, et, arrachant tout ce qui se trouvait sous sa main, le rompit en morceaux, et le jeta dans le lait. Le berger le regardait faire ; et voyant que son hôte, qui avait déjà préparé de la nourriture pour quinze personnes n’interrompait pas sa besogne, il se dit à lui-même : ‘La faim l’a rendu fou ; car assurément nul fils d’Adam ne pourrait avaler tout cela ; quand il aura mangé cinq ou six cuillerées, il jettera le reste ; avec ce qu’il a apprêté pour lui, je pourrais nourrir une semaine entière, toute la meute de chiens qui garde mon troupeau.’ Pendant ce temps, Kourroglou émiettait le pain, et en remplissait l’écuelle. À la fin, enfonçant la cuiller, qui resta, sans remuer, dans la position verticale, il leva les yeux et vit le berger qui était debout, en contemplation devant lui. Il lui dit : ‘Assieds-toi, berger, et mangeons ensemble.’ Le berger répliqua : « Beg, tu as préparé toi-même le repas, mange-le tout seul, car je ne puis t’aider.’
Alors, Kourroglou prit la cuiller et se mit à l’œuvre ; ses énormes et rudes moustaches gênaient le passage ; et le pain lui sortait de la bouche tandis que le lait coulait dans sa poitrine. Kourroglou, en colère, jeta la cuiller, et relevant ses moustaches qui allaient par-delà ses oreilles, il ouvrit une bouche semblable à l’entrée d’une caverne, et, prenant l’écuelle de ses deux mains, il avala le contenu jusqu’à la dernière goutte. » (pp. 216-218)

Ayant échangé ses habits avec le berger, Kourroglou se rend chez le boucher d’Orfah sous prétexte de lui vendre des moutons, en réalité pour enlever son fils, le bel Ayvaz, qu’il veut adopter. Ayvaz et Kourroglou boivent ensemble, après quoi le héros dévoile incognito ses dons poétiques. Le récit alterne avec les « improvisations », traduction de quatrains versifiés dans l’original :
« Ayvaz lui donna la guitare : Kourroglou l’accorda, et elle résonnait sous ses doigts comme un rossignol. L’enfant émerveillé écoutait avec ravissement. À la fin, reprenant son sang-froid, il demanda : ‘Oncle, peux-tu chanter aussi bien que tu joues ? - Je vais l’essayer et chanter, si tu me le permets. Que pouvons-nous faire de mieux ? Nous sommes tous deux gris ; si je ne chante pas ici, où chanterais-je donc ?’ Cela dit, il chanta l’improvisation suivante :
Improvisation : ‘Remplissons nos verres, et buvons, buvons, fils du boucher ! Mais il ne faut pas répéter mes paroles. La rosée est descendue sur les joues de la rose. Tu as vidé la coupe, tu es gris, même ivre-mort, tu es ivre, ivre-mort, toi, aujourd’hui fils du boucher, mais qui sera bientôt le mien.’
Quand Ayvaz eut entendu ces vers, il demanda : ‘Oncle, as-tu jamais vu Kourroglou ?’
Kourroglou fit l’improvisation suivante :
Improvisation : ‘Les roses du jardin sont en pleine floraison ; les rossignols amoureux chantent, les vallées de Chamly-Bill sont obscurcies par de nombreuses tentes. C’est là qu’est ma demeure, ô fils du boucher !’
Ici Kourroglou s’arrêta et se dit : ‘Si je terminais cette chanson par le nom de Kourroglou, le pauvre enfant mourrait de frayeur, restons encore berger un peu de temps.’ (pp. 229-230)

Une fois parvenu à ses fins, Kourroglou poursuivi dans sa fuite par Reyhan l’Arabe grimpe sur un sommet dont il ne pourrait descendre qu’en franchissant un ravin :
« Il alla examiner le ravin, large de douze mètres, et pensa : ‘Quel que puisse être le résultat, je veux l’essayer. Si Kyrat franchit le ravin, nous sommes sauvés ; s’il ne le peut, alors nous périrons tous trois misérablement, moi, Kyrat et Ayvaz, brisés en mille pièces au fond du précipice. Je ne puis attendre plus longtemps.’ Il sauta sur son cheval, lia Ayvaz à sa ceinture avec un châle, et improvisa à son cheval le chant suivant :
Improvisation : ‘Ô mon coursier ! ton père était bedou, ta mère kholan [28]. Sus ! sus ! mon digne Kyrat, porte-moi à Chamly-Bill ! Ne me laisse pas ici, parmi les mécréants et les ennemis, au milieu du noir brouillard. Sus ! sus ! mon âme, Kyrat, emporte-moi à Chamly-Bill !’
Aussitôt que Reyhan l’Arabe entendit la voix de Kourroglou, il se mit à rire et cria d’en bas : ‘Bien, maudit ! Tu as dit tes dernières paroles ; mais que tu chantes ou non, il faut que tu descendes et que tu tombes entre nos mains.’ Alors Kourroglou improvisa pour Kyrat :
Improvisation : ‘Hélas ! mon cheval, ne me laisse pas voir ta honte. Tu seras couvert de harnais de soie à ta droite et à ta gauche ; je ferai ferrer tes pieds de devant et tes pieds de derrière avec de l’or pur. Sus ! sus ! mon Kyrat, porte-moi à Chamly-Bill ! Ton corps est aussi rond, aussi mince et aussi uni qu’un roseau. Montre ce que tu peux faire, mon cheval ; que l’ennemi te voie et devienne aveugle d’envie. N’es-tu pas de la race de kholan ? n’es-tu pas l’arrière-petit-fils de Duldul [29] ? Ô Kyrat ! porte-moi à Chamly-Bill, vers mes braves. Je ferai tailler pour toi des housses de satin, et je les ferai broder exprès pour toi. Nous nous réjouirons, et le vin rouge coulera en ruisseaux. Ô mon Kyrat ! toi que j’ai choisi entre cinq cents chevaux, sus ! sus ! porte-moi à Chamly-Bill.’
Ayant fini ce chant, Kourroglou commença à promener Kyrat. Reyhan l’Arabe le vit d’en bas, et, devinant que Kourroglou préparait son cheval à franchir le ravin, il dit à ses hommes : ‘Voulez-vous parier que Kourroglou sera assez hardi pour sauter ce précipice ? Son grand courage me plaît. Je vous prends à témoin que s’il franchit le ravin, je me garderai de persécuter un homme si brave. Je lui pardonnerai et lui laisserai emmener Ayvaz ; s’il succombe, je rassemblerai leurs membres dispersés et les ensevelirai avec honneur.’ Il dit ces mots, et il regarda la montagne tout le temps à travers un télescope. Kourroglou continuait à promener Kyrat jusqu’à ce que l’écume parût dans ses naseaux. Enfin, il choisit une place où il avait assez d’espace pour sauter ; et alors, fouettant son cheval, il le poussa en avant.
Le brave Kyrat s’élança et s’arrêta sur le bord même du précipice ; ses quatre jambes étaient rassemblées entre elles comme les feuilles d’un bouton de rose. Il hésita un instant, prit de l’élan, et sauta de l’autre côté du ravin ; il retomba même deux mètres plus loin qu’il n’était nécessaire.
Reyhan l’Arabe s’écria : ‘Bravo ! bénis soient la mère qui a sevré et le père qui a élevé un tel homme.’ Pour Kourroglou, son bonnet ne remua pas de dessus sa tête ; il ne regarda pas même en arrière, comme s’il ne fût rien arrivé d’extraordinaire, et il s’en alla tranquillement avec Ayvaz.
Reyhan l’Arabe dit à ses hommes : ‘Mes amis, mes enfants ! un loup à qui l’on n’ôte pas sa première proie s’enhardit et devient plus rapace que jamais. Kourroglou a enlevé aujourd’hui le fils de mon beau-frère ; demain, il viendra saisir ma femme jusque dans mon lit. Il faut lui montrer que notre orteil est aussi assez fort pour tendre un arc.’ Sur cela, ils s’élancèrent à sa poursuite. » (pp. 242-244)
Le combat s’engage entre les deux hommes. Vaincu, Reyhan regrette d’avoir failli à sa parole, mais Kourroglou lui fait grâce et l’emmène dans sa forteresse à Chamly-Bill. De son prisonnier il fera un compagnon d’armes.

[Quatrième rencontre]

Le héros veut séduire la princesse Nighara, fille du sultan d’Istanbul. Il entre au palais vêtu de l’habit blanc des mollahs et se fait d’abord passer pour un pèlerin de la Mecque, avant de changer d’allure :
« Pendant ce temps, Kourroglou avait ôté sa robe et son turban de pèlerin ; il avait mis son bonnet sur l’oreille, à la façon des dandys kajjares [30], rajusté les plis de son bel habit vert-olive, et noué gracieusement le cachemire qui lui servait de ceinture, et qui laissait voir le manche de son poignard couvert de gros diamants. Quand la vertueuse princesse vit le saint homme transformé en un superbe brigand à moustaches, elle commença, non par s’enfuir, mais par faire attacher les pieds de la suivante qui s’était ainsi trompée, et sous prétexte qu’elle avait dû recevoir quelque baiser de cet imposteur, elle lui fit appliquer une vigoureuse bastonnade sur les talons, puis s’approchant de Kourroglou, qui essayait de justifier la suivante en se déclarant un amoureux sans argent, incapable de séduire personne par des présents, elle lui donna un grand coup de pied dans la poitrine. ‘Princesse, dirent les suivantes, c’est une pitié de te voir ainsi profaner ton joli pied contre la poitrine mal lavée de ce misérable.’ - ‘Taisez-vous, sottes filles, dit le bandit sans se déconcerter ; vous ne savez pas que mon sein est plus précieux que le talon de votre maîtresse.’
Alors il prit sa guitare et improvisa : ‘Je respire de ton jardin le parfum de la jacinthe et de la violette. Comme elles tu fleuris dans la solitude. Tu es une flèche au fond de mon cœur.’
Nighara était indignée. Kourroglou chanta encore : ‘Tu es le fruit le plus frais dans les jardins du printemps ; tu es le coing embaumé et la grenade vermeille, etc.’
Au lieu de s’adoucir à de tels compliments, la farouche Nighara fait un signe à ses femmes, et aussitôt une grêle de coups tombe sur l’audacieux. ‘Dieu vous préserve, s’écrie en cet endroit le rapsode, de tomber sous les coups d’une femme irritée. » (pp. 258-259)

George Sand insère dans cet épisode l’un de ses nombreux commentaires :
« Ne faut-il pas s’étonner ici de voir ce héros, dont la force fabuleuse détruisait des légions et se frayait un passage au milieu des armées, pousser la douceur et la soumission envers le beau sexe jusqu’à se laisser mettre en lambeaux, ni plus ni moins que n’eût fait Don Quichotte, le modèle de la chevalerie ? Cet ensemble de force et de tendresse caractérise Kourroglou d’un bout à l’autre du poëme. Enfin, n’en pouvant plus supporter davantage, mais ne voulant pas lever la main sur des femmes, il se jette dans la pièce d’eau, la traverse à la nage, en élevant sa guitare au-dessus de sa tête, et gagnant le milieu, où l’eau jaillissait d’un pilier de marbre, il s’assit en cet endroit. » (p. 260)
La princesse finit pourtant par succomber au chanteur de charme et l’épouse.

[Septième rencontre]

« Un jour, Mohammed-Beg, de la tribu des Kajars, vint visiter Kourroglou avec douze mille hommes de cavalerie. Ils demeurèrent à Chamly-Bill, buvant et festoyant, jusqu’à ce que les celliers et les cuisines de Kourroglou fussent complètement vides. Le sommelier et le cuisinier vinrent ensemble l’annoncer à Kourroglou, et dirent : ‘Tes hôtes ont mangé et bu tout ce qu’il y avait ici ; ils n’ont pas même laissé les croûtes ou la lie.’
Kourroglou envoya ses gardes rôder dans le voisinage, et bientôt après, on lui signala une caravane. Il fit seller Kyrat ; et, armé de pied en cap, il se dirigea vers la prairie.
Il regarda et vit une immense caravane campée sur ses pâturages. Tout annonçait que le marchand était un homme puissamment riche. Et dans une tente dressée pour la circonstance, on voyait deux Turcs assis et jouant au trictrac. Kourroglou arriva jusqu’à eux et dit : ‘Salam !’ Un des Turcs l’aperçut, et dit : ‘Homme, descends de cheval ! - Non, je ne veux pas descendre. - D’où viens-tu ? - Eh quoi ! n’avez-vous pu déjà reconnaître Kourroglou ? - Bien, cela est tout à fait différent. Kourroglou est un grand homme ; nous lui paierons un tribut pour le séjour que nous avons fait sur ses terres.’ Kourroglou crut que le marchand voulait se débarrasser de lui par une plaisanterie ; car il ne s’était pas levé pour lui témoigner son respect quand le nom de Kourroglou était sorti de ses lèvres. Il se recula, et visant avec sa lance le Turc qui restait toujours assis, il fit cabrer son cheval. Le Turc lui dit alors froidement : ‘Retiens ton bras, Kourroglou.’ La pointe de sa lance avait déjà effleuré la poitrine du Turc ; mais Kourroglou retint son cheval et s’arrêta. Le Turc dit : ‘Tu devrais jeter un voile de femme sur ton visage. Il ne convient pas à des hommes d’agir ainsi. J’ai entendu raconter beaucoup de choses de toi ; mais je t’ai vu maintenant, et tu ne mérites pas ta renommée. Un homme brave donne à son ennemi le temps de se mettre en garde. C’est le rôle d’une femme de combattre sans avertir et de tuer par surprise. Laisse-moi au moins le temps de finir ma partie de trictrac, de prendre ensuite mes armes et de monter sur mon cheval. Nous nous battrons alors en duel. » (p. 290)

Le duel s’engage et tourne en faveur de l’adversaire, qui tient Kourroglou par la ceinture. Le héros commence à perdre de sa superbe :
« Le Turc, comme s’il dédaignait de profiter de sa victoire, lâcha la ceinture de Kourroglou, quitta son armure, et, descendant de cheval, il invita Kourroglou à entrer sous sa tente et à devenir son hôte. Kourroglou descendit avec soumission de dessus Kyrat, se glissa dans la tente comme un rat, et prit humblement un siège. Il se sentait si honteux, qu’il osait à peine respirer. Le Turc baissa la tête comme auparavant, et se remit à jouer au trictrac avec son compagnon. Kourroglou vit que le Turc était un homme plein de courage et de noblesse. Fidèle à son habitude de dire en face à l’homme brave qu’il était brave, et au poltron qu’il était poltron, il accorda sa guitare, et chanta au marchand l’air suivant :
Improvisation : ‘J’ai demandé à ses esclaves et à ses serviteurs qui il était. Ils ont tous répondu : C’est le seigneur des seigneurs, un marchand guerrier. Il possède plus d’or qu’on n’en peut trouver dans Alep ou dans Damas. C’est le lion du désert. Son coursier est couvert de la dépouille du léopard. Il ne daigne pas jeter un regard sur un ennemi ou sur un ami. J’ai lancé mon cheval contre lui, j’ai levé ma massue au-dessus de sa tête. Le marchand alors a poussé un cri, et s’est élancé de sa place.’
Le Turc sourit, et regarda l’autre joueur d’une manière significative (car il était évident que le chanteur mentait par habitude de se vanter). Kourroglou dit dans son cœur : ‘Le maudit se raille de moi.’ Il reprit ainsi :
Improvisation : ‘Ô mon Dieu, tu l’as créé sans défaut. Il n’est le serviteur que de toi seul ; mais envers tout le reste du monde, il est impérieux et superbe. Il a amassé des montagnes de marchandises, et il s’est reposé. Il a jeté un regard à son compagnon, et il a souri. Il a baissé la tête, et il a joué au trictrac.’
Le Turc dit : ‘Guerrier Kourroglou, pour ta poésie, je te paierai un tribut de cinq cents tumans.’ Kourroglou pensait qu’il n’aurait rien de cet homme qui l’avait vaincu. Aussitôt qu’il entendit parler de cinq cents tumans, son cerveau recouvra la santé ; il fut transporté de joie, et il improvisa ainsi :
Improvisation : ‘Il a mis sur ses oreilles le bonnet d’un derviche ; sur ses épaules est un manteau d’hermine. Je lui ai chanté un air. Le marchand m’a donné cinq cents tumans pour récompense.’
Le Turc ayant versé l’argent devant le chanteur, il dit : ‘Voici mon tribut de cinq cents tumans. Si tu veux accepter mon invitation, Dieu merci, nous ne manquons pas de vin ni de kabab. Il y a toutes sortes d’aliments préparés. Si tu ne veux pas venir, et que tu préfères t’en aller, tu es le maître.’ Kourroglou dit : ‘J’aimerais mieux partir, si tu daignais me le permettre.’
Kourroglou, ayant mis l’argent dans sa poche, prit congé de son hôte, et retourna à Chamly-Bill. Quand les bandits virent l’argent, ils le félicitèrent de sa victoire. Kourroglou dit : ‘Ne m’insultez pas, chiens que vous êtes ! Ce ne sont pas des tumans, mais bien autant de gouttes de mon propre sang. Cet homme m’a vaincu ; mais il n’a pas voulu me tuer, et, de plus, il m’a payé mon sang avec cet argent.’
Il ordonna à ses hommes de veiller le moment de départ du marchand et de le lui annoncer. » (pp. 291-293)

Au lecteur de découvrir la suite, muni de l’avertissement laissé par George Sand :
« Nous n’avons traduit qu’une faible partie de cette curieuse épopée de Kourroglou. La fin est surtout frappante ; mais nous ne voulons pas priver l’amie qui nous a aidé à traduire [31] du plaisir de la donner elle-même au lecteur dans une publication complète. » (p. 296)

Commentaires sur la traduction sandienne

Nous n’entrerons pas ici dans l’exposé du noyau historique autour duquel aurait cristallisé la légende et dont traitent amplement les travaux de P. Boratav [32]. Ni dans les complexes débats concernant la genèse de l’épopée comme récit suivi et cohérent, bien qu’agrégeant peu à peu au support initial des éléments de provenances diverses, turque et non turque, parfois plus anciens [33]. La « matière » de Köroghlu (comme on dit la matière de Bretagne pour les récits arthuriens) a essaimé hors de son berceau d’origine en se modifiant selon les milieux, les époques et les interprètes. Aussi se retrouve-t-elle à présent fixée dans plusieurs langues qui n’appartiennent pas toutes à la famille turque, et ramifiée en diverses branches, elles-mêmes assorties de variantes. Bornons-nous à rappeler brièvement l’itinéraire du texte utilisé par George Sand : d’où provient-il et comment l’a-t-elle traité ? Il conviendra chemin faisant d’indiquer les principales caractéristiques littéraires du corpus original.
L’histoire de cette traduction, reconstituée grâce à la correspondance de l’écrivain et à l’examen de son manuscrit [34], s’enracine dans la version recueillie en Azerbaïdjan par Alexandre Chodzko (1804-1891), orientaliste d’origine polonaise qui fut un temps consul de Russie au Ghilan. Noté sur place en 1832 à sa demande, Köroglu fut traduit en anglais par ses soins et publié à Londres dix ans plus tard. L’épopée figurait dans un volume regroupant des textes collectés et transcrits pendant le séjour de Chodzko à Téhéran et sur les bords de la Caspienne, Échantillons de poésie populaire de Perse. Aventures et improvisations de Köroglu, le bandit-ménestrel du Nord de la Perse [35].
Établi en 1842 à Paris, Chodzko est présenté à Sand par son compatriote et ancien condisciple le poète Adam Mickiewicz. La romancière prend connaissance de son livre et décide d’en publier des extraits dans la Revue indépendante, qu’elle vient de fonder avec Pierre Leroux et Louis Viardot. L’idée évolue rapidement vers le projet d’une version donnant l’intégralité de la fable, allégée toutefois « des redites et longueurs inévitables de la manière orientale » (Notice de 1853). Bien que maîtrisant parfaitement la langue de Shakespeare depuis ses études au couvent parisien des Dames augustines anglaises, Sand confie la traduction à sa jeune amie Éliza Tourangin, quitte à le signer elle-même pour offrir la publicité nécessaire à ce texte inconnu. Absorbée par la rédaction de Consuelo, il lui faut pourtant contrôler le travail peu soigné de sa protégée, le réviser, souvent le mettre au net de sa main : aussi finit-elle par contribuer à cette traduction plus qu’elle n’avait prévu et qu’on ne l’a cru parfois. Peine non perdue, car ses commentaires témoignent de son enthousiasme. Mais les lecteurs de la revue ne suivent pas et la direction la presse d’abréger, ce qui l’oblige à couper toujours plus dans l’original. Ses tentatives pour sauver Kourroglou se solderont par un échec sur abandon : la publication s’interrompt après la septième rencontre [36] alors que la version de Chodzko en compte treize. La réédition de 1845 lui permettra seulement d’ajouter un résumé hâtif de la suite.
En pleine vogue orientaliste, un tel insuccès peut surprendre et pourtant s’explique. Même dans ce contexte, l’œuvre est par trop atypique et soulève un problème de réception sur lequel on ne revient pas ici [37]. C’est en vain que la romancière entretient l’espoir de faire poursuivre sa traduction inachevée : Kourroglou ne plaît pas, malgré l’intérêt humain et littéraire que sa préface et ses gloses s’attachent à souligner. Sand complète en effet la traduction proprement dite par un effort d’adaptation réfléchi, multiforme, attestant son souci d’acclimater une œuvre dont elle sent vivement l’intérêt tout en prévoyant les résistances du public. Le fruit de cet effort constitue par endroits - selon les usages du temps - une « belle infidèle », mais qui garde aujourd’hui encore son mérite.

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Autres traductions

Les aventures de Köroghlu n’avaient connu avant Chodzko que des notations fragmentaires. La sienne fit date parce qu’elle se voulait aussi complète, unifiée et rigoureuse que possible. Plusieurs revues européennes [38] firent écho à cette première qui servit de départ aux versions allemande (Iéna, 1843) et russe (1856), et qui donna le branle aux transcriptions postérieures de la geste [39]. Dépassé et même discutable selon certains [40], son travail reste une référence dans les recherches savantes sur les épopées orales d’Asie centrale (dastan).
Il existe deux autres traductions françaises de Köroghlu. L’une figure dans l’ouvrage publié à Nantes en 1847 par Claude-Gabriel Simon, ancien rédacteur en chef du journal Le Breton : Simon part de la version anglaise de Chodzko, emprunte par moments et de son propre aveu au Kourroglou sandien, mais va jusqu’au dénouement, non sans pratiquer davantage de coupures, tant dans la narration que dans les couplets lyriques. Cette deuxième traduction passa inaperçue et Sand ne la découvrit que cinq ans plus tard, quand l’auteur lui adressa son livre [41]. La troisième version française, dernière en date sauf erreur, émane de Chodzko lui-même assisté d’Adolphe Breulier. Cette autotraduction parut dans La Revue de l’Orient répartie sur plusieurs numéros (1855-1857) [42]. La méthode de l’orientaliste contraste avec celle de la romancière. Chodzko suit très fidèlement son propre texte anglais : point de coupures ; le style retrouve une verdeur parfois atténuée chez Sand ; des notes supplémentaires élucident des passages obscurs (expressions idiomatiques, réalités locales). Le traducteur s’abstient d’interférer dans le récit, ce dont Sand ne se privait guère. Curieusement, Chodzko s’interrompt au même endroit que celle-ci, autrement dit après la septième rencontre, comme si le savant avait surtout voulu substituer sa version littérale, « autorisée », à l’adaptation globalement sérieuse, mais parfois assez libre signée par l’illustre écrivain.

L’indifférence des premiers lecteurs, vivement déplorée par Sand, s’est prolongée par celle des éditeurs français. Le corpus ayant pris de l’ampleur avec l’essor des recherches, publier une nouvelle traduction de Köroglu pose aujourd’hui d’évidents problèmes de choix entre versions et variantes. Une édition savante de la geste serait en tout cas bienvenue [43], qui déclasserait la traduction sandienne sans toutefois lui ôter ce qui fait son prix : le simple plaisir du texte. Qu’une occasion lui soit donnée de revoir le jour satisfera donc les curieux de littérature, et aussi les tenants de ce comparatisme « planétaire » qu’Étiemble appelait de ses vœux [44].

Notes

[1Dans La formation de Köroghlu (Istanbul, Cem yay, 1977), Y. Kemal suit de près la version recueillie par A. Chodzko et utilisée par G. Sand, cf. Nedim Gürsel, « L’Épopée de Köroglu et Yasar Kemal », Turcica : Revue d’Études Turques, t. XXI-XXIII (Mélanges offerts à Irène Mélikoff), Louvain (Belgique), Peeters, 1991, pp. 271-284. Sur le devenir du cycle épique en Turquie, cf. Wolfram Eberhard, « The Narration Köroglu », Minstrel Tales from Southern Turkey, Los Angeles, University of Berkeley California Press (Folklore Studies n° 5), 1955, pp. 30-49, 77-83.

[2Kourroglou est la graphie sandienne transcrivant le Kurroglou anglais de Chodzko, tandis que Köroghlu renvoie au corpus-source.

[3Sand, Kourroglou, épopée persanne [sic], Paris, Desessart, 1845 (dans Le Meunier d’Angibault, 3 vols., t. III, pp. 137-352).

[4Sand, Œuvres illustrées, Paris, Hetzel, 1852-1856, 9 vols.. Kourroglou figure au t. V (1853), précédé d’une Notice ajoutée à la préface de 1843.

[5George Sand, Œuvres Complètes, Genève, Slatkine-Reprints, t. XXIX, 1980.

[6Valentin Gritskevitch, « Perevodchik Dastana o Ker-Ogly », Literaturnyj Azerbaidjan [L’Azerbaïdjan littéraire], 1972, n° 2, p. 137. Murtuz Sadykov, Otcherki russko-azerbaidjansko-polskih literaturnyh svjazei devjatnastovo veka [Essais sur les relations littéraires russo-azerbaïdajano-polonaises au XIXe s.], Bakou, 1975, p. 106. Laure Mélikoff-Sayar, De la légende épique à l’opéra : Évolution du thème de Köroglu en Azerbaïdjan soviétique, Paris, INALCO, thèse de 3e cycle dactylographiée (1979).

[7Nous n’avons pu explorer la bibliographie en langue turque.

[8Murtuz Sadykhov, « Ker-ogly v perevode Jorj Sand » [« Köroghlu dans la traduction de G. Sand »], Literaturnyj Azerbaidjan, 1986, n° 12, pp. 113-115. Compte rendu dans Voprosy Literatury [Questions de littérature], Moscou, 1987, n° 3, pp. 278-280. François Georgeon, « Une passion méconnue de George Sand : Köroglu », Turcica. Revue d’Études turques, t. XXI-XXII (Mélanges offerts à Irène Mélikoff), 1991, pp. 259-269.

[9Sous la direction de Béatrice Didier. L’édition critique de Kourroglou (préface, notes, variantes) est assurée par nos soins.

[10Cf. F. Genevray, « Kourroglou : un objet littéraire mal identifié », Paris, Revue de Littérature Comparée, 1999/3, pp. 307-327. Cet article synthétise nombre de références bibliographiques.

[11Terme dynastique, Türk désigna d’abord un sous-groupe oghuz, dont le prestige incita la plupart des peuples appartenant au même ensemble linguistique à adopter ce nom.

[12Du moins dans sa partie méridionale, la Russie s’étant imposée au nord de la province : le traité de Turkmenchaï (1828) fixa la frontière entre la Russie et la Perse le long de l’Araxe.

[13Robert L. Canfield ed., Turko-Persia in Historical Perspective, Cambridge (USA), Cambride University Press, 1991, p. 1.

[14Korogly, version parisienne, édité et préfacé par Israfil Abbasly, Bakou, Ozan, 1997 [en azéri], p. 198.

[15Mickiewicz dans ses cours au Collège de France analyse la poésie populaire serbe. Chodzko occupera la même chaire (langue et littératures slaves) à partir de 1857 et publiera notamment Contes des paysans et des pâtres slaves, traduits en français et rapprochés de leur source indienne, Paris, Hachette, 1864. Pour les détails sur Chodzko, cf. F. Genevray, « Alexandre Chodzko et George Sand », communication au colloque La Présence polonaise en France (XIXe-XXe siècles), 4-6 novembre 2004, Université Paris VII-Diderot, Actes réunis par Daniel Tollet à paraître aux Presses de la Sorbonne.

[16Eric John Hobsbawm, Les Bandits (1969), trad. de l’anglais, Paris, La Découverte-Poche, 1999, p. 8.

[17Uzeir Hadjibeyov, Leyli et Medjnun (1908) suivi de Köroghlu (1937), livrets d’opéra trad. de l’azéri par Shirin Mélikoff, Paris, L’Espace d’un instant, 2002. Chant épique turkmène : Görogly, Anthologie des musiques traditionnelles, Unesco Collection - Auvidis, un CD, Gentilly (France), 1994.

[18Œuvres de George Sand, J. Hetzel-V. Lecou, imprimerie de J. Claye et Cie, Paris, 1855, 2 vol. in-18 contenant Le Piccinino, Kourroglou, Le Poème de Myrza, Quelques Réflexions sur J.-J. Rousseau. Kourroglou, Épopée persane, figure au t. II, pp. 189-396, reproduisant le texte de 1853 sans les illustrations (les changements sont infimes et concernent tantôt des virgules, tantôt les points de grammaire et d’orthographe sur lesquels nous savons que Sand s’en remettait aux correcteurs). Cette édition fut reproduite sur clichés par M. Lévy, Kourroglou étant joint au Piccinino. Le texte procuré par Slatkine Reprints (1980) est une réimpression anastatique de l’édition Lévy.

[19District aujourd’hui iranien situé entre Khoy au nord et Urmia au sud. Chodzko signale à Chamly-Bill les ruines de la forteresse édifiée selon la tradition locale par Köroglu, mais le toponyme se retrouve ailleurs, d’autres régions ayant voulu s’approprier un site légendaire.

[20L’orthographe française hésite encore à l’époque sur le nom de l’Azerbaïdjan.

[21Chodzko écrit Iliat et explique (nous traduisons) : « Iliat, pluriel persan du mot turc il (tribu, famille), terme général désignant les nations nomades de Perse, et en particulier les tribus d’ascendance tatare qui furent déplacées d’Asie centrale au nord de la Perse à différentes époques et sous différents souverains ».

[22Shâh-Nâmeh (Le Livre des Rois), épopée d’environ cinquante mille distiques retraçant l’histoire du peuple persan, de ses origines mythiques jusqu’à la conquête arabe. Son auteur, Abû al Qâsim Mansûr (940-1020), dédia l’œuvre au sultan Mahmud de Ghazna. Ce dernier loua le poète d’avoir transformé sa cour en un paradis (firdaws), éloge qui valut son surnom (Firdausy, Firdusi) à ce chantre de l’Iran préislamique.

[23Toutes les éditions portent ici « intelligence », suite à une erreur commise lors de la première impression de cette Notice. Le manuscrit sandien donne « inintelligence », leçon évidemment plus cohérente.

[24Le héros appartient au groupe ethnique dit turcoman ou turkmène. Tuka, plus souvent écrit Teke, désigne une branche de la tribu turkmène des Saliur, établie au Khorassan et en Azerbaïdjan avant de migrer vers l’Anatolie sous la pression des Mongols. Les Teke participèrent à deux séries d’événements où se trouve mêlé le nom de Köroghlu : les révoltes djelâli en Anatolie et les guerres turco-persanes en Azerbaïdjan (fin du XVIe siècle).

[25Meshed, ville sainte du Khorassan iranien, lieu de pèlerinage chiite abritant le tombeau de l’imam Reza, huitième des douze imams dits « révélés ».

[26Terme correspondant au français chiites.

[27Urfa, dans la Turquie d’aujourd’hui.

[28Traduisons la note de Chodzko (op. cit., p. 79) : « Bedou signifie un cheval rapide. Kholan ou koheilan désigne l’une des meilleures races de chevaux arabes. En Perse, les fameux chevaux tuka résultent du croisement de la race locale avec la race arabe. Ce sont très probablement ceux que les anciens Grecs connaissaient sous le nom de nissean, montés par les Parthes ».

[29Note de Sand (p. 242) : « Duldul, nom du célèbre cheval arabe qui appartenait à Ali, gendre du prophète ».

[30« Dandys » est ajouté par Sand qui s’inspire d’une note de Chodzko. Les Kadjars, tribu turcomane installée vers la fin du XVe siècle au nord de l’Azerbaïdjan, contribuèrent à l’instauration en Perse au XVIe siècle de la dynastie safavide, puis donnèrent eux-mêmes une dynastie qui régna sur la Perse jusqu’en 1925.

[31Il s’agit d’Éliza Touragin (voir la Présentation ci-dessus) à qui George Sand proposait de continuer la traduction, mais aucun éditeur ne donna suite au projet.

[32Cf. notre article (pp. 310-313) signalé en note 10.

[33Ainsi en va-t-il de l’histoire du roi Arshak II d’Arménie, rappelée par Georges Dumézil, « Les Légendes de fils d’aveugles au Caucase et autour du Caucase », Revue d’Histoire des Religions, t. CXVII, Paris, 1938, pp. 50-70. Certaines hypothèses de Dumézil quant aux apparentements grecs sont contestées par des chercheurs azéris.

[34F. Genevray, « Vous n’avez pas lu Kourroglou : histoire d’une traduction inachevée », Les Amis de George Sand, nouvelle série n° 20, Paris, 1998, pp. 29-44.

[35Specimens of the popular poetry of Persia, as found in the adventures and improvisations of Kurroglou, the bandit-minstrel of Northern Persia, and in the songs of the people inhabiting the shores of the Caspian sea. Orally collected and translated with philological and historical notes, by Alexander Chodzko, esq., Allen and C°, London - Duprat, Paris - Brockaus and C°, Leipzig, 1842. Kurroglou occupe plus de la moitié du volume.

[36Le mot rencontre traduit meeting et mejliss (séance) : « ce sont les rapsodies que l’haleine d’un Kourroglou-Khan peut fournir en une séance à l’attention d’un auditoire » (préface de 1843).

[37Sur les causes de cet échec, malgré l’effort fourni par Sand pour mettre Kourroglou en valeur, voir l’article signalé en note 10, pp. 321-327.

[38The Asiatic Journal and Monthly Register for British India and his dependencies, vol. 38, mai-août 1842, p. 336. Atheneum (Londres), 3 septembre (pp. 782-783) et 1er octobre 1842 (p. 848). Biblioteka dlja chtenija [La Bibliothèque de lecture], Saint-Pétersbourg, 1842, t. LV, n° 12.

[39Kavkaz [Le Caucase], revue éditée en russe depuis 1846 à Tiflis (Géorgie), donna à plusieurs reprises des morceaux de Köroghlu. L’orientaliste Ilja Berezin mentionne le livre de Chodzko dans son Voyage au Daghestan et en Transcaucasie (Kazan-Moscou-Saint-Pétersbourg [1849], trad. fr. par Jacqueline Calmard-Compas, Paris, Geuthner, 2006) et publie à son tour des chansons du cycle de Köroghlu (1862). Le baron allemand A. von Haxthausen recueille des fragments de la geste dans Transcaucasia. Sketches of the nations and races between the Black Sea and the Caspian, Londres, 1854 (chap. VI, « Blind Obeid and his son Kurogli », pp. 176-180), livre suivi d’une édition russe (Saint-Pétersbourg, 1857).

[40I. Abbasly (cf. note 14 supra) et Azad Nabiev jugent le style noté par Chodzko trop suave (entretien accordé en mars 1999 à Bakou).

[41Claude-Gabriel Simon, « Kourroglou, épopée populaire », Recherches critiques, analyses et citations relatives à la littérature de quelques peuples de l’Asie centrale et orientale, Nantes, imprimerie Vve C. Mellinet, 1847, chap. IX-X. Sand mentionne l’ouvrage dans sa Notice de 1853.

[42Aventures et improvisations de Koûroglou, héros populaire de la Perse septentrionale, trad. par A. Chodzko et A. Breulier, Revue de l’Orient, de l’Algérie et des colonies, XVII (2e série/1), 1855, p. 349-366 ; XVIII (2/2), 1855, p. 57-65, p. 168-176, p. 250-257 ; XIX (2/3), 1856, p. 107-126, p. 477-490 ; XX (2/4), 1856, p. 269-284 ; XXI (2/5), 1857, p. 194-214 ; XXII (2/6), 1857, p. 41-62, p. 215-223.

[43Annoncée par Altan Gokalp pour la collection « L’Aube des Peuples » chez Gallimard.

[44Etiemble, Ouverture(s) sur un comparatisme planétaire, Paris, Christian Bourgois, 1988.

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