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Manifeste du mutantisme 

lundi 25 janvier 2010, par Mathias Richard

Prologue

Là où nous sommes, personne ne peut nous voir, personne ne peut nous prédire, nous pressentir, personne ne peut se souvenir de nous.

Là où nous sommes, nous sommes seuls, définitivement, seuls, nuls et non avenus.

Seules des particules dans les pierres, dans l’air, dans la poussière, se souviendront de nous.

Seules des particules dans les pierres, dans l’air, dans la poussière, savent que nous arrivons.

La Préhistoire, c’est maintenant.

Nous ne sommes nulle part, au tout début, aux prémisses, à un moment insignifiant, avant le prologue, avant même que quoi que ce soit ait commencé.

Le mutantisme n’est pas postmoderne ou transhumain, mais préhistorique.

Le passé c’est maintenant.

L’an 0 n’est pas encore advenu, l’an 0 est à venir.

G.Cl4renko

Contexte


Métaphysique / pensée
Mort de « dieu », mort de « l’Homme », disparition du sacré et du poétique (civilisations sacricides et poéticides). Disparition des rites, cérémonies et modes de vie qui unissaient les Hommes.
Crise métaphysique (crise des valeurs, de l’identité, de la vérité, de l’autorité, de la morale, des religions et croyances) : effondrement des systèmes unifiés de représentation. Effondrement de la Pensée.

G.Cl4renko

Immédiateté / globalisation / virtuel

Interconnexion des humains et des savoirs du monde entier, via Internet [+ téléphonie mobile, bientôt visiophonie de masse]. Mise en réseau des habitants de la Terre.
Possibilité d’amas de données et d’information sans précédent. Accélération brusque et forte de l’accès aux connaissances et représentations du monde entier.
Plus d’un humain sur deux vit dans une ville.
Métissage, créolisations.

Triomphe du flux, de l’immédiateté, de l’image, des écrans, du simulacre, du virtuel, de l’abstraction, de la dématérialisation.
Raffinement des drogues virtuelles (jeux, mondes persistants, séries TV 2.0, Internet comme réseau social 24/24 ; imminence des technologies d’immersion complète dans le virtuel).

Approfondissement de la domination anglo-saxonne par l’économie, l’information, la langue, la culture, les loisirs (parfois également par invasion militaire) via les canaux de communication qu’elle a souvent créés ; à moyen terme, possibilité d’une remise en cause (ou d’un partage) de cette domination par la Chine.

Effritement des pouvoirs politiques traditionnels (états) dépassés par des pouvoirs transnationaux plus difficilement palpables (corporations privées, sociétés multinationales).

Sociétés de masse

Diminution de la solidarité dans les sociétés.
Conformisme, individualisme et narcissisme de masse.


Les nations actuelles, démocratiques ou pas, sont le lieu d’une domination par l’argent.


Développement du biopouvoir et de tous les modes de contrôle (fichage des citoyens ; tests pupilles, salive, sang, peau... ; apologie de la transparence spontanée des citoyens, cristallisée par la « téléréalité »), de surveillance (satellites, caméras, balises, puces, bracelets électroniques) et de dressage (télévision, fictions, marketing/publicité, faillite calculée de l’éducation, modélisation de personnalités-type, axées pour les jeunes sur les fictions du spectacle, puis pour les adultes sur le travail au service des multinationales et de la sécurité, la consommation et le divertissement) ; primauté accordée à la police et aux moyens de répression (CRS « robocops » suréquipés : armures militaires, flashballs, täsers, caméras, gaz, tonfas, canons...), mise sous tutelle de la justice au service de la répression (comparution immédiate, prison ferme, casier judiciaire et fichage définitif pour tout manifestant ou protestataire s’exprimant autrement que par le vote).

Surconsommation et pillage des ressources naturelles.


G.Cl4renko

Science / médecine / technologie

Bond de la science et de la technologie sous toutes ses formes [bond comparable à l’invention du fer ou de la roue, ou à la révolution industrielle] : biotechnologies (neurosciences ; médecine, l’immortalité -sinon vie très prolongée- devient une possibilité pour les riches d’ici quelques générations) ; nanotechnologies ; technologies de l’information ; possibilité avènement Intelligence Artificielle (« singularité technologique ») ; premiers robots marchant, parlant, pouvant attraper des objets et exécuter des actions complexes ; exploration de l’espace.
La modernité d’hier est déjà préhistorique.

Le mutantisme capte l’accélération géométrique, unique à ce jour dans l’histoire de l’humanité, de la science et de la technologie, des flux de communication et d’information, de l’accès à tous les savoirs répertoriés, concomitante à l’accélération du capitalisme (flux financiers, triomphe de l’argent), de la démographie et de la massification/conformisation des sociétés mondiales, et l’émergence de nouveaux pouvoirs (corporations privées, entreprises multinationales).

Le mutantisme est une mise à jour après une évolution civilisationnelle majeure.

Les mutantistes habitent le vide et la décomposition, et utilisent l’énergie de la mutation négative environnementale pour la retourner en puissance.

G.Cl4renko

Issu de l’hostilité du monde, le mutantisme est constitué de personnes ne supportant pas ce qui est

Souvent tordus au-delà de leur limite d’élasticité, empêchés dans leurs devenirs, les mutantistes sont des objêtres, des instrhumains, biomaîtrisés, bioméprisés, lunaparqués. Ils sont une somme de soustractions, et se résument à la somme des contraintes exercées sur eux.
Ils sont obligés de penser, formaliser et extrêmiser leurs manoeuvres d’ajustement et d’adaptation au monde.

[Tous les êtres sont élastiques jusqu’à un certain point. Ils peuvent supporter les effets de la traction, de la compression et du cisaillement. Au-delà de la limite d’élasticité, l’être ne reprend plus sa forme initiale même lorsque la contrainte à laquelle il est soumis cesse d’agir. Lorsque la contrainte est supérieure à la résistance maximale de l’être, il se rompt.]

Réaction à l’écrasement

Les mutantistes sont des réplicants, c’est-à-dire des humains découvrant qu’ils sont des robots.
Ils veulent échapper à leur destin de réplicant et à l’uniformisation de la masse.
Ils recherchent la liberté au sein d’une société de vendeurs, de publicitaires et de consommateurs.

Empêché, il advient

Les pressions d’un environnement lui-même mutant font changer les êtres de formes, chercher d’autres moyens d’être au monde, des chemins, des armes, des dispositifs, plus forts que ce qui existe, les contraint et les soumet.
Le mutantisme est l’émergence de formes malgré tout.
C’est l’émergence de nouvelles subjectivités issues de la négativité accumulée.
Les mutantistes habitent le vide et la décomposition, et utilisent l’énergie de la mutation négative environnementale pour la retourner en puissance.

G.Cl4renko

Poéticide

Le mutantisme ne propose pas une vision idyllique de la mutation : si les mutantistes se créent des mutations pour affirmer leur souveraineté, ils ne peuvent se dissimuler que, la plupart du temps, ils subissent et créent des mutations pour survivre : ce sont des déformations sous le marteau de la violence du monde.

Nous sommes dans une époque-désert. On ne peut même pas imaginer ce qui nous manque, ce qui aurait pu être.

Nous vivons un cauchemar éveillé qui ne finit jamais, où nous n’avons pas notre place.

Nous ne disons pas ce que nous voulons. Ce que nous pensons ne sera jamais dit.

Cette civilisation hait, par-dessus tout, la poésie. Elle passe ses citoyens à l’aérosol poéticide (également sacricide et liberticide) : un aérosol métaphysique qui TUE la poésie, le sacré (le sentiment du sacré ; à ne pas confondre avec la religion, qui est son administration) et la vraie liberté (à ne pas confondre avec la « liberté » de pouvoir gagner et dépenser de l’argent). Jamais les mots de « liberté » et de « révolution » n’ont été autant utilisés (en particulier par la publicité), jamais ils n’ont été à ce point vidés de leur substance.

Les êtres humains sont poéticidés, et invités à vivre et penser comme des blattes.

Soldats perdus d’armées dissoutes, les mutantistes sont ceux qui survivent aux aérosols poéticides, dans une société de vendeurs, de publicitaires et de consommateurs.

Pendant des heures ils regardent les essaims d’oiseaux qui se forment et se déforment, s’unissent en boules et tores et explosent en étoiles, lors de l’arrivée du froid et des grandes migrations.

Brèches

Au milieu de l’effondrement des systèmes unifiés de représentation, se densifient des masses uniformes.
L’individualisme de masse n’a pas mené à une explosion des excentricités, des singularités, mais à un nivellement sans précédent.
L’industrie culturelle fabrique des personnalités en kit de prêt-à-penser, des modèles de comportement, qu’elle inculque de façon profonde et invasive.
Pour échapper à ces kystes conformistes, le mutantiste s’engouffre dans la brèche d’une forme, d’une pensée, dont il pousse et exploite les possibilités au maximum.
Plus la compression normalisante sur nos vies sera forte, plus l’on verra surgir des singularités se taper la tête contre les murs (les murs de la "raison") et se tordre jusqu’au mutantisme.
Puisque le corps social est incapable de révolution, certains corps-esprits individuels [sprikors] entament des mutations.

Autrement dit, face à l’hostilité du monde, et l’impossibilité temporaire de toute révolution, les êtres sont contraints de muter. Les êtres résistant intérieurement et dans leurs actes à l’aliénation de masse, à leur fictionnalisation et abstraction, sont acculés à la mutation, et contraints à des torsions inédites, torsions comportementales, psychiques, spirituelles, physiques.
Le mutantisme, ce sont les torsions de l’âme pour survivre dans un monde sans âme, un monde vide.

Les grandes entreprises, les états et les médias mettent en place un dressage de masse engendrant un conformisme de masse.
Toute révolution semble momentanément impossible, reportée sine die.
La prochaine véritable révolution aura lieu dans le contexte d’un état mondial.

Le mot « mutantiste » s’origine en France, mais sa vérité concerne l’ensemble du monde.

G.Cl4renko

Mutantisme (quelques éléments de définition)

1. Adaptation et plasticité au sein d’un environnement biologique, technologique, scientifique, idéologique.

2. Rassemblement de Déviants dans le contexte de massification et uniformisation des sociétés. Expression artistique et réflexive qui en découle. (Ruses de la liberté ; particularités développées). Création (et sauvegarde) de formes et modes de pensée échappant à l’uniformisation dominante.

3. Groupe, mouvement, état d’esprit, fédération de cellules germinales de vraie rébellion et de création libre dans un paysage en ruines ; le mutantisme est un anticorps sécrété par une maladie.

4. Les mutantistes ne prêtent pas allégeance à une personne, à une doctrine. Le mutantisme n’est pas un transhumanisme proposant une vision verrouillée dans telle ou telle direction, un "prêt-à-penser", mais une capacité de plasticité et d’exploration de l’esprit (une capacité d’"attaque", aussi). Le mutantisme est une alliance multitête.

5. Ce que les mutantistes cherchent n’existe pas, il leur faut le créer.

6. L’insistance sur les mots "mutants", "mutation", "mutantisme", indique une accélération forte de cette tendance "naturelle" (la mutation), dans le domaine du psychisme, des représentations, des modes de vie.

G.Cl4renko

Réinitialisation et auto-hacking

"Un hacker sachant hacker doit savoir hacker sans...
 sa souris."

Auto-hacking

Mutantiser = hacker ; hacker = mutantiser.
Le mutantiste est proche de la figure du hacker, d’une part, et du body-arteux (artiste corporel), d’autre part.
A la différence que le mutantiste n’hésite pas à hacker (mutantiser) sa propre tête ; il prend principalement son esprit comme terrain de hacking et de remodelage (un body art mental).

La vraie mutation est intérieure

Nous n’avons rien contre les modifications corporelles, les tenues extravagantes, mais notre mutation est ailleurs.
Elle est mentale (imaginaire), métaphysique (systèmes de représentation) : un body art psychique.

Auto-immunité

Le mutantiste se méfie de ce qu’il croit être, se considérant manipulé, pourri et contaminé, et développe une immunité à lui-même.
Nous ne disons pas ce que nous voulons. Ce que nous pensons jamais ne sera dit.
Naître, muter ou mourir.

Estragon Vladhello

P.-S.

Prendre connaissance de l’intégralité du Manifeste du mutantisme.

1 Message

  • Manifeste du mutantisme 27 janvier 2010 16:39, par Aliette G. Certhoux

    Bon. Je pose juste cette question — cordialement — à Mathias. S’il faut disparaître : pourquoi (le) représenter ? J’attends sa réponse...

    Voir en ligne :  ???

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