qui existait selon eux dans les années 70,
sont aveugles, ignorants ou cyniques. »
Toni Negri et Nanni Balestrini, Libération, 18 mai 2004
Extrait de ViaLibre5 [1]
Il n’est pas une loi universelle des États-nation laïques et heureusement car ce serait égal à la loi de Dieu, même pour ceux qui ne croient pas en Dieu. L’homme peut faire des erreurs, et aussi les États le peuvent — excepté les États intégristes qui en décident autrement. Quand il y a des doutes sur les procédures ou les investigations, selon les circonstances historiques, alors il y a la présomption d’innocence. La loi d’une nation peut sauver la loi d’une autre nation et même de la globalisation, c’est-à-dire un pays peut en sauver un autre ou même le sauver des organisations supranationales. Du moins est-ce ce que l’on pourrait attendre de l’Union Européenne à défaut de tolérer l’insoumission, qu’elle respecte la diversité de la culture politique des États-nation qui la composent, d’autant plus que le Court Traité fut imposé contre les votes exprimés dans certaines régions de l’Europe dont la France, et par conséquent l’Europe multiple est la plus juste, plutôt qu’unie sous la même erreur (puisqu’il peut y avoir erreur). Cela vaut sur tous les plans, de l’écologie à l’économie, au domaine financier, à la monnaie, à la répression. En tous cas c’est encore ce qu’on peut attendre des nouvelles démocraties d’Amérique du sud par rapport au monde occidental, qu’elles ont intégré avec le décalage d’accorder une valeur symbolique à la démocratie, où les vieilles démocraties abjurent droits et constitutions, au nom de la gestion du parc humain cadré par les marchés et l’abstraction de la valeur boursière, loin du rapport d’équivalence de la valeur dans la société. D’un autre côté, il y a une question politique d’engagements. De tout cela s’édifie le respect réciproque de la diversité des souverainetés nationales, autant concernant les droits civiques de leurs résidents que leur accueil des réfugiés : jusqu’à l’autorisation exceptionnelle de rompre constitutionnellement avec une loi intérieure ou un accord bilatéral extérieur sur un point et/ou à propos d’un cas particuliers.
Sans jurisprudence aucun droit national ou international n’est tolérable sinon comme croyance finaliste du droit — rabattu sur le sens de l’ordre divin.
En pleine liquidation de l’industrie (en délocalisation et/ou en reconversion financière), de l’inflation sans précédent de la monnaie italienne, au temps où la monnaie était rendue, même à Milan, avec des boutons de mercerie (pour mémoire du restant dû à valoir par les commerçants sur de futurs achats), combien de syndicalistes, grévistes et manifestants voués à la ruine, déterminés à se battre mais désarmés, furent tués par la police, jusqu’aux leaders assassinés dans leurs lits, autorisée sans réserve par la loi Reale [2], sous le ministère de l’intérieur de Cossiga suivi au long de trois gouvernements différents, de 1976 à 1978 ?! Beaucoup : des centaines. De plus, Cossiga avec l’accord d’Andreotti, son prédécesseur à la présidence du conseil qu’il intègrera lui-même en 1979 (l’année où Battisti sera emprisonné sans accusation d’assassinat puis condamné en 1981 pour appartenance à une bande armée afin d’y être maintenu), fut impliqué dans l’enlèvement puis le meurtre d’Aldo Moro [3] par les Brigades rouges — infiltrées, — (9 mai 1978). En plus de l’horreur criminelle du pouvoir à l’égard d’un des siens (en 1976 Cossiga fut ministre de l’intérieur dans le gouvernement Aldo Moro), cela développa la répression sauvage contre les militants révolutionnaires dans sa succession de justice expéditive systématique, soit des sortes de tribunaux d’exception jugeant les activistes armés comme des membres de la mafia, déniant le sens politique des luttes pour l’attribuer au droit commun (ce qui fait l’objet d’un comble de la mauvaise foi aujourd’hui : "il n’était qu’un délinquant pas un activiste politique" — alors qu’il n’y avait pas de reconnaissance de l’activisme politique pour qui que ce soit dans ces procédures à l’époque — ni maintenant), sur la fabrication des preuves par les enquêtes de police et la délation autant que le faux témoignage, en guise de négociation individuelle des témoins pour leur rémission de peine, ou de vengeance par les adversaires sociaux ; tout pour le chiffre massif (tant la division civile concernait une majorité populaire) de la répression pour l’exemple. Cumul du terrorisme et de la répression fusionnés dans la justice suggéré comme moyen de revenir à une démocratie occidentale "acceptable" à la fin de la guerre froide, par l’envoyé spécial du Département d’État US, Steve Pieczenik, dans l’objectif d’en finir avec l’entrée des communistes au pouvoir, en même temps que bloquer la révolution autonome. [4]
Dans les années 80 de nombreux italiens voulant cesser l’activisme et des non activistes se réfugièrent pour leur sécurité en France, sans statut particulier, sinon sa tradition légale du refuge et de l’insoumission (citée pour mémoire dans la déclaration des droits de l’homme en vigueur annexés à la constitution), et à partir de 1981 les socialistes parvenus au pouvoir se préoccupèrent de leur en donner un, — présidentiel, — protocole spécifique d’autant plus nécessaire que le pays allait devoir abdiquer en 1989 ces droits exceptionnels acquis de la Libération (restauration gaullienne des droits de 1793), pour l’intégration de la charte des droits de l’homme adoptée par l’Europe qui ne les prévoyait pas. Puis assurant le suivi européen de ces engagements dans les années 90, les gouvernements français externes de l’OTAN (le président Sarkozy célèbrera le retour à l’internement), sous la présidence de Mitterrand et sous le premier mandat de Jacques Chirac, perpétuèrent la doctrine négociée du président de la république médiateur avec son contemporain, le président du conseil italien Bettino Craxi [5] : pour un refuge des activistes recherchés par la police italienne afin d’aider au rétablissement de la paix civile en Italie, au moment de bâtir l’Europe — pour que l’Italie s’y rallie en paix sociale et sans esprit de vengeance. En tout ils furent environ 300 activistes déclarés, parmi lesquels des personnalités artistiques et intellectuelles déjà connues et aujourd’hui internationalement reconnues, et plus tardivement Battisti, qui avait fui au Mexique et revint en Europe en 1990, ayant entendu parler de l’ouverture de "la parole donnée" par les activistes italiens désireux de vivre en paix dans le pays voisin de leur pays natif, voisin alors extérieur à l’ingérence de la sécurité américaine — du moins les USA gardant encore une certaine réserve (on sait que néanmoins Mitterrand fut rencontré pendant sa campagne électorale pour rassurer entre autre à propos des intentions attribuées au programme commun).
Maintenant il y a autre chose : la souveraineté des États. L’Italie est une maison souveraine — chez elle et pour ceux qui s’y rendent, — la France l’est aussi, — chez elle et pour ceux qu’elle reçoit. Quant au Brésil plus que tout autre, — chez lui et pour ceux qu’il reçoit, — du à son passé colonial et à son passé national clôturant le siècle dernier par la dictature. Notamment sur le statut des réfugiés politiques et l’engagement de leur accorder ce statut, par décision suprême au titre de l’exception, en dépit de tout agent contractuel ou institutionnel interne ou externe, seraient-ce des accords d’extradition. Dans les mêmes conditions en France nous disposons du droit de grâce présidentiel qui aurait permis au président Chirac, y compris dans le cadre de son mandat sans cohabitation, de poursuivre de ne pas déroger aux accords entre les réfugiés italiens et les engagements du président Mitterrand, quelles que fussent les dispositions italiennes ou les nouvelles dispositions européennes, a fortiori s’agissant d’un précédent aux nouvelles dispositions.
Non seulement faire pression contre un État souverain de l’étranger mais encore en jouant contre sa démocratie nouvelle (deux mandats présidentiels seulement au terme du second mandat de Lula) après de longues années de dictature, en exigeant que les membres les plus réactionnaires de la Cour suprême jugent la constitutionnalité de la décision ultime par le pouvoir exécutif — en réalité légale — de ne pas extrader, menaçait de diviser l’institution démocratique du Brésil sous la force de l’ingérence : ce qui a été jugé irrecevable. Et heureusement pour le Brésil et pour la diversité démocratique internationale. Il semble que la grande majorité aux deux tiers du dernier vote du Tribunal suprême (6 contre trois 3 ultras dont le président du tribunal lié à des forces parlementaires proches de l’ancienne dictature), ait finalement statué sur la question de la souveraineté nationale : assurer la stabilité de la démocratie brésilienne.
Or on a bien vu comme cela est fragile là-bas, comme autrement ici.
La confirmation que la décision du président Lula fût constitutionnelle et représentative était bien la question de la souveraineté nationale — et celle de l’unité nationale brésilienne face aux forces d’ingérence — clairement informée par le juge porte-parole de la décision du Tribunal suprême, lorsqu’il déclara aux journalistes que le Tribunal suprême avait été convoqué sur la question de la constitutionnalité de la décision du président Lula de ne pas extrader, et que la réponse du Tribunal était que le président Lula avait raison.
Un grand pays
dans tous les sens du terme.
Longue vie à Cesare Battisti libre — c’est un vœu du Brésil également pour l’Europe.
- Nanni Balestrini, Oui à la violence des travailleurs (1972)
- Calligramme pour l’exposition Italics sous le commissariat de Francesco Bonami
au Palais Grassi, Venise, 1972. Source Live from Planet Paola
En logo et en logo de survol : Nanni Balestrini et Toni Negri