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Le coucou 

lundi 27 octobre 2008, par Bernard Deglet

Le coucou
Le coucou
On ne le voit jamais,
mais il annonce le printemps.

« Le coucou gris de l’Afrique est gris ».

Avec mes déficients j’avais décidé (avec difficulté) de leur faire apprendre cette chanson, sachant que la plupart la connaissaient. On commence la chanson et au moment de faire les « coucou » ça part dans tous les sens, alors que le coucou, c’est ce que je leur ai expliqué, a une précision mé-tro-no-mique.

Suisse.

Je sais que c’est gris mais je ne l’ai jamais vu. J’ai son chant dans l’oreille, à la fois dans la hauteur et dans la précision, parce que souvent je l’ai entendu. Il est gris, il est dodu, il est gris sur un piquet, il vit. Il vit caché, et au rythme de ses « coucou » il se retourne, comme ça, comme nous, comme un suisse. Il fait le tour, partout, comme s’il voulait se faire entendre partout. Tous les points cardinaux et il y en a beaucoup, beaucoup plus que l’on croit. On l’entend loin, partout.

Le premier coucou commence dans la levée, ce qui se passe avant le premier temps : « ___cou-cou ». Le second coucou, « cou-cou », part sur le premier temps, et ça ne fait pas du tout le même effet, je leur ai fait entendre la différence, ça leur a fait du bien dans le corps, dis donc.

Ils faisaient comme tout le monde, « cou-cou, cou-cou », à partir sur le premier temps, c’est naturel de faire ça mais ce n’est pas de la musique, ce n’est pas le coucou. La musique c’est « ___cou-cou », sur le premier coucou car tu es dans la suspension, c’est la levée.

Tu sens la différence ? « ___cou-cou, cou-cou ». On entend la différence. On entend le coucou. C’est pareil, mais ça change tout.

Dans la tête, tu vis la différence.

Tu deviens oiseau.

Et tu t’envoles. Pffuitt ! Parti !

Pour des gens enfermés dans une institution, c’est quand même pas mal !

C’est le moment délicat, ça a été délicat mais il a bien fallu parler du chat, le chat de l’infirmière chef, il est gris aussi, on l’appelle Mistrigri car il n’est jamais là sauf quand il ne faudrait pas. Il ne vole pas et l’oiseau vole, mais toujours le chat attrape l’oiseau. Je le leur ai expliqué, et ils ont cessé de faire l’oiseau. Pour que les choses soient bien claires on a aussi fait le jeu papier - caillou - ciseaux, et puis le jeu chat - coucou - infirmière chef, et là ils ont vraiment cessé de faire l’oiseau.

L’expérience métaphorique du réel et la répétition, avec deux grosses mamelles pédagogiques comme ça même les ours des Pyrénées ont appris à danser.

Après comme à chaque fois ils m’ont demandé et je les ai sorties, après ils se sont mis debout sur leurs chaises, tout le monde s’est mis à bien faire le coucou, « ___cou-cou, cou-cou » sauf un qui faisait « __mia-ou, mia-ou », mais il faisait le premier miaou dans la levée, c’était parfait. En même temps qu’ils chantaient tous tournaient sur leurs chaises dans le sens d’une montre sauf leurs têtes à yeux qui restaient sur mes mamelles.

A ce moment l’infirmière chef a ouvert la porte et a pointé son nez de sale conne et elle a dit, comme ça, « Y’a personne ?! ». A chaque fois elle fait le coup, à chaque fois je réponds « Oui, oui, on est là », et je suis contente car je ne sais pas pourquoi elle a l’air un peu désappointée.

C’est à cause de son chat ? Oui, certainement. Elle aimerait bien qu’il soit là, au milieu des coucous. Mais on est plus malins qu’elle.

Allez, on remballe les mamelles. De toute façon la séance était finie.

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