Au troisième jour toute la ville puait. Le couvre-feu dès cinq heures de l’après-midi. On arrivait dans les dechras. Une allumette … pfuuuit ! Plus rien. Sur place ne restaient que les femmes pour se déchirer les joues et se tirer les cheveux. Avec les crosses des fusils , les soldats cognaient durement sur les crânes. Ils faisaient rentrer les baïonnettes dans le ventre des (...)
Hocine jeta sa bicyclette – la mécanique n’avait ni frein, ni garde-boue, ni siège arrière, ni phare – sur le trottoir et s’engouffra en coup de vent dans la maison. Il portait un bleu de chauffe et avait de la sueur sur le front. Dans le couloir il trouva sa sœur Aïchabia qui était entrain de dresser, contre la porte, un sac de jute largement ouvert et plein de petites patates cendrées destinées à la (...)
Il tombait une pluie de jours fériés sur la ville, très fine, continue, durable, bénigne apparemment.
La veille, on avait remis des prix aux élèves du collège et les voisins n’avaient cessé de faire du bruit durant toute la nuit. Vers l’ aube, des voitures sillonnèrent longtemps les quartiers et des voix
ivres chantonnèrent à tue-tête.
— C’est pas parce qu’on t’a pas remis un bon (...)
Adeeb Kamal Ed-deen est un poète iraquien – peut être le plus grand aujourd’hui - doublé d’un traducteur né à Babylone en 1953. Il a publié 18 recueils de poèmes qui ont été salués par bon nombre de critiques. Beaucoup de thèses ont été réalisées sur son œuvre. Aujourd’hui il vit en Australie et ses poèmes ont été repris dans l’anthologie annuelle The Best Australian Poems.
Tous ses recueils ont été traduits (...)
Les lances de la pluie arrachaient la terre
Et allaient en droite ligne dans le dedans de la terre
Roseaux feuillages branchages de cyprès bouleau chêne rhizomes algues et toute la faune marinés dans une profusion d’odeurs et de coulées de tanin
Elles arrachaient les arbres et les plantaient dans le cœur de l’eau
L’eau morte l’eau morte qui cependant nattait les jaillissements dans les (...)
— J’en ai déjà égorgé trois.
— Encore un, Oncle Kadour !
— Pas possible ! Kadour avait l’air de regarder à travers l’arbre et les maisons… là-bas…
Il ajouta : égorgez vos moutons vous-mêmes !
— C’est vrai, dit Miloud ! Mais je n’ai jamais appris, Oncle Kadour… et puis il y a les enfants…
et c’est l’Aïd …
— Et puis… ne m’appelle plus Oncle ! Hé ! cria Miloud, ça va pas toi ? Enervé notre gars ? (...)
RECTO
Rafle avant-hier vers les coups de quatre heures du matin dans le village. Les soldats avaient pénétré dans les maisons à coups de crosses et d’injures, extirpé les gens de leurs couches, cassé tout, déversé l’huile et la semoule sur le sol et pris dans leur foulée les hommes en habits légers, les mains sur la tête. Rapidement les femmes avaient appris qu’on les dirigeait vers le stade – comme (...)
— Couche- toi !
— Je suis couché, dit l’enfant.
— Mais tu n’es pas couché, dit la mère.
L’enfant ferma les yeux pour un moment.
Dehors le vent était tout contre la palissade. Il pleuvra longuement
dans quelques heures.
Le gosse se tourna sur le côté droit et il put voir le bras de sa mère tisonner le feu. La chambre s’illumina un instant. Le chat Messaoud grattait derrière la (...)
Plus il scrutait les murs plus ceux-ci fuyaient par les côtés qui ondulaient, devenant obliques
dans plus d’un sens. Et ces couleurs juxtaposées qui venaient les charger et les voilà
impénétrables, durs comme fer, tendus, voûtés comme si quelque vent les aspirait de l’extérieur.
Il cligna une fois, deux fois, des yeux, ressentit son estomac au niveau de la gorge et sa pomme
d’Adam pistonnant en (...)
LE REVE
« Ce soir, je dormirai ici ; puis la femme demanda : tu l’as vu ? »
Elle était assise sur un coussin, le deux jambes allongées, l’un des pieds posé sur un petit banc, dans un réduit attenant aux étables, pelant des patates. Tout près d’elle un canoun allumé et à portée de sa main un seau d’eau. C’était un dimanche brumeux de fin de saison…
Je l’ai vu, dit Sadek. Il était debout. A travers la (...)