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Pour la grâce de Cesare Battisti  

mercredi 27 octobre 2004, par Aliette G. Certhoux

Inutile de résumer les faits et les causes déjà largement informés. L’extradition, démettant les bases d’un consentement réciproque sur le doute éthique, qui assortit toute cause non divine, est symboliquement inacceptable en République une et indivisible des trois principes de la liberté, de l’égalité, de la fraternité (solidarité), et représentée par chacun des trois pouvoirs séparés en France. La séparation des pouvoirs n’est pas une attribution de la division des tâches ni du travail, mais un dispositif autocritique réciproque de l’indivision des droits du peuple à chaque niveau de l’Etat, du citoyen aux institutions, une sécurité contre les abus ou les fautes visant à assurer la pérennité des garanties républicaines, que ce système constitue loin du communautarisme, pour les minorités au regard de la majorité, démocratiques.

L’extradition de Battisti bafoue la présomption d’innocence, le droit d’asile qui la connote universellement du droit relatif à chaque moment donné de son histoire (avec sa prédiction corollaire d’amnistie), le devoir d’insoumission d’un citoyen des cités du troisième millénaire devant l’infamie, par exemple devant une condamnation injuste ou des pouvoirs abusifs (comme autrefois ici même purent prendre place des génocides laissant en mémoire que tout impossible peut toujours avoir lieu), menace nos propres droits régionaux, manifeste l’inadaptation de l’Europe et de ses lois contre les cultures (ces structures que l’on veut disloquer pour mieux effectuer la domination idéologique des lobbies), inscrit les lendemains les plus liberticides à chaque niveau de l’existence, de l’activité, détruit l’émancipation de la conscience particulière et collective en pulvérisant la formation de l’autonomie critique, dissout la hauteur des points de vue qui rend les peuples inspirés, leur interdit d’inventer des solutions intelligentes face aux crises.

L’Europe depuis Schengen n’a pas été plébiscitée par les peuples régionaux dont les pouvoirs ont été les signataires, alors qu’elle bafoue des structures acquises de la paix sociale, par exemple en France ; elle n’est pas celle des droits du citoyen mais de ceux qui leur sont dérobés ; elle n’est pas celle de la paix civile mais celle du mur arbitraire des nouvelles lois entre les puissants et ceux qu’ils prétendent soumettre ; elle règne y compris en les divisant entre eux, pour faire disparaître les plus démunis de l’économie financière et des marchés de la guerre, ou du droit d’exister différemment au sein du même monde. Elle n’est de fait qu’une machine technique exécutoire à faire du fric dépendant des organisations mondiales et de la super-puissance et de ses vassaux ; il fait bon y être payé, même comme élu, et faire sa cote boursière et ses marchés internationaux en réseau. Et pour ne pas en être empêchée, elle fabrique et éduque des élites et des esclaves sans espoir.

La complicité Franco-Italienne des pouvoirs contre les réfugiés cache des tractations peu honorables, que ce soit sur le plan inter-régional, ou global européen et mondial, sur le dos des hommes.

Qu’attendent les députés français européens issus d’une tradition pacifique de la République reconstruite après la guerre d’Algérie, quel que soit leur parti, pour bouger devant de telles mesures qui révèlent soudain de mauvaises lois communes, parfaitement analysables à la lueur des expériences passées des années modernes ? Qu’attendent-ils, au moins, pour demander au Président régional, à Paris, de changer la jurisprudence européenne à travers des actes locaux non demain, mais à l’instant même où le problème des lois adaptées aux conventions élargies de l’Europe se pose. Sinon, qui pourrait nous faire croire en l’espoir d’adaptations juridiques ultérieures à l’épreuve des actes, sans attendre la révélation des plus grandes catastrophes ou conséquences annoncées par de telles erreurs ?

Ils attendent le boycott citoyen de l’Europe - l’abstention généralisée comme aux Etats-Unis ? C’est en effet une belle façon hypocrite des démocraties (la vox majoritaire d’une minorité électrice) de mettre un terme à l’accomplissement de la citoyenneté républicaine (la reconnaissance constitutionnelle des minorités y compris réduites à un seul individu sous le régime des majorités, car la chose publique est une pour tous) pour le triomphe des oligarchies - armes domestiques des pouvoirs !

Comment des lois pourraient être décrétées applicables irrévocablement avant d’avoir été corrigées à l’épreuve des erreurs révélées par leurs premières applications ? Tel est le cas de celles qui s’appliquent sans scrupule contre des réfugiés Italiens et d’abord aujourd’hui, contre Cesare Battisti.

Soutenir Battisti contre l’extradition et hanter le pouvoir de notre devoir de mémoire, c’est accomplir notre devoir traditionnel de citoyen au-delà de toute référence partisane, sinon la seule consensuelle dont ici et à l’instant même nous ne sommes pas censés ignorer la loi commune.

Qu’attendons-nous, sinon de l’énergie et de la joie pour l’Europe ?

P.-S.

A signer : La pétition de la Ligue des Droits de l’Homme sur Internet.

A découvrir : Le collectif Bellacio.

A lire : La vérité sur Cesare Battisti, par Fred Vargas ; éd. Viviane Hamy, Paris.

A voir : le site d’information générale sur Battisti.

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Aliette Guibert-Certhoux est directrice des publications de criticalsecret

3 Messages

  • Courage fuyons ! 2 novembre 2004 11:04, par Alfred Teckel

    Courage fuyons !
    Tentative de lettre ouverte à Fred Vargas et aux autres admirateurs de M. Battisti

    Je suis un petit con. Je le sais et j’en suis pleinement conscient. Parce que je ne pense pas comme une certaine gauche, parce que j’estime la dignité et la vie humaine au-dessus de tout, parce que je suis cohérent dans mes choix, j’ai droit aux pires qualificatifs de la part de ces soi-disant démocrates, toujours prêts au dialogue du moment qu’il est à sens unique, le leur. Et celui qui ose trouver normal que Battisti soit inquiété pour les actes qui lui sont reprochés, celui-là est un fasciste. J’accepte les insultes de ce genre, car je sais à qui l’histoire donnera raison. Pas la raison judiciaire ou politique, non, mais la raison morale, la raison des justes, la raison de ceux qui n’ont pas les mains rougies de sang innocent.

    Je veux tout d’abord préciser que je n’ai absolument rien contre monsieur Battisti en tant que tel, et qu’il n’est qu’un symbole. Ce qui va suivre peut s’appliquer à tous ces Italiens « réfugiés » en France et qui ont les mains sanglantes.

    Je tiens à préciser d’emblée que, parmi tous les arguments judiciaires qu’on nous présente, un seul tient véritablement la route sans verser dans le fossé puant de l’idéologie partisane, c’est celui qui lie une éventuelle extradition à la possibilité de rejuger la contumace. Il est normal qu’un homme absent au moment de son procès ait droit à être rejugé. C’est le seul élément qui permet de ne pas extrader cet homme. Et c’est aussi le seul en vertu duquel je m’oppose à cette extradition.
    Car les autres arguments judiciaires, que je vais survoler assez rapidement (ne désirant pas m’attarder trop longtemps dessus, pour passer à des raisons plus éthiques), sont particulièrement fallacieux. La sympathie intellectuelle d’une certaine gauche française pour les excités meurtriers aveugle même les plus sincères d’entre eux.
    Alors, quand on utilise la « jurisprudence Mitterrand » comme condition de non-extradition de Battisti, c’est que l’on donne un blanc-seing à toutes les grandes et magnifiques décisions du président défunt. Après tout, pourquoi voulait-on faire un procès à René Bousquet, lui aussi protégé de Mitterrand ? Les amis de Tonton seraient donc intouchables ? Curieuse façon d’envisager la justice.

    Je suis profondément choqué de constater que des gens qui se prétendent humanistes ne sont en fait que des idéologues, qui nous expliquent que l’Italie de l’époque était en guerre civile. Que je sache, la guerre civile n’existait que dans les pauvres têtes malades des terroristes. Mais suis-je bête, il s’agissait d’idéalistes désintéressés, c’est vrai ! J’avais oublié que ces gens voulaient le bonheur universel, en tuant tous ceux qui n’en voulaient pas. Quelle jolie vision d’avenir !

    Alors voici un autre argument de la défense, plus intéressant : Battisti nous dit : « Je n’ai jamais tué. » Peut-être. Je n’en sais rien à vrai dire, et ce n’est pas à moi qu’il appartient de le dire. Il se trouve juste que cet homme a été condamné pour quatre meurtres ! Pas pour un vol de bicyclette ! Mais il est vrai, peut-être Battisti est-il innocent. Il est tout de même curieux de constater à quel point son innocence le pousse à ne pas se défendre devant la justice et à fuir obstinément dès que son souffle se rapproche. Car l’Italie des années 1970 était bien une démocratie, quoi qu’en disent les quelques excités qui croient encore que leur sanglante révolution mondiale est un rêve partagé par l’humanité. Et Battisti et les siens avaient d’autres moyens pour s’exprimer. Comparer la situation de la France occupée et celle de l’Italie des années de plomb est un mensonge historique éhonté et criminel, qui peut tout justifier, et une insulte à la mémoire des victimes du nazisme.
    Il est également assez curieux de constater que tous ces anciens sympathisants terroristes italiens, (car vous les défendez tous Mme Vargas, n’est-ce pas, pas uniquement Battisti ?), ne regrettent presque jamais leur passé criminel. Et qu’ils prétendent tous, bien sûr, n’avoir jamais tué. Etrange, autant de morts et personne pour les avoir exécuté… Bien sûr, cette absence d’honnêteté d’au moins une part d’entre eux n’est pas du tout motivée par la joie de profiter des largesses mitterrandiennes (qui normalement ne s’appliquent pas pour les crimes de sang, il est bon de le rappeler), ces gens-là sont bien au-dessus de considérations aussi matérielles que leur confort petit-bourgeois.
    Aparté : Battisti nous explique qu’il veut expliquer des ennuis à ses enfants, qui sont innocents. » Certes. Mais quand il professait la lutte armée contre les démocraties, Battisti se préoccupait-il des innocents ? Mais il est vrai qu’il n’y a aucune raison de se montrer aussi barbare qu’il le fut, dans ses conceptions au moins.

    Et puis, Mme Vargas, si un jour un des ravisseurs des deux journalistes français otages en Irak s’exilaient en France et demandent à bénéficier de l’asile, quelle serait votre réaction ? Seriez-vous là pour défendre des islamistes fous qui vous hurleraient qu’ils n’ont pas tué ? Je ne le pense sincèrement pas, car vous avez vos bons et vos mauvais terroristes, comme tous les gens trop marqués idéologiquement. Pour vous, et c’est cela qui me gêne profondément dans vos manœuvres, outre le fait qu’elles servent surtout à vous mettre en avant médiatiquement et à vous glorioler auprès d’une certaine classe aisée un peu branchouille, c’est que pour vous, la vie humaine n’a pas la même valeur selon la personne qui vous assassine. Si l’on est assassiné par un fasciste, l’on devient une victime d’une idéologie criminelle. Mais si l’on est assassiné par un gauchiste, on est juste un symbole de l’oppression bourgeoise éliminé par un héros de la résistance prolétarienne. Curieuse différence de traitement, non ?

    Au final, Battisti lui-même semble un chouïa plus intelligent que ses défenseurs de mauvaise foi ; il propose l’organisation « d’un procès équitable en Italie, en présence d’observateurs internationaux. » Voilà une idée valable qui mériterait d’être écoutée, même si elle vient un peu tard…

    Mais par pitié, que vous et vos semblables ne viennent plus chanter les chants de résistance comme le Bella Ciao... Ce chant est le symbole des combattants qui ont lutté contre l’Etat fasciste, pour la liberté ; et le chanter à la sortie de prison de Battisti, c’est véritablement à vomir.

    Voilà Mme Vargas, je n’ai peut-être pas réussi ma lettre ouverte, et peut-être même ne la lirez-vous jamais, ou prendrez mes arguments pour quantité négligeable, comme les réflexions d’un petit jeune ni célèbre ni pourchassé par la justice. Néanmoins, je sais que beaucoup de citoyens se posent les mêmes questions que moi, et aimeraient beaucoup savoir pourquoi vous défendez Battisti et pas, par exemple, les journalistes algériens que le pouvoir empêche réellement de s’exprimer librement ? Osez dire que c’est par absence de résonance médiatique de certaines causes par rapport à d’autres !

    Septembre 2004

    Alfred Teckel
    Ecrivain, étudiant et citoyen.

  • Un arrêt de la Cour européenne relancerait l’affaire Battisti
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    STRASBOURG (Reuters) - La Cour européenne des droits de l’homme a demandé mercredi à l’Italie de modifier sa législation sur la contumace, jugée inéquitable car elle ne permet pas à une personne condamnée par défaut de bénéficier d’un nouveau procès.
    Dans un arrêt rendu à l’unanimité des juges, la juridiction du Conseil de l’Europe estime que "l’Italie doit supprimer tout obstacle légal qui pourrait empêcher la réouverture du délai pour faire appel ou la tenue d’un nouveau procès concernant toute personne condamnée par défaut qui, n’ayant pas été informée de manière effective des poursuites engagées, n’a pas renoncé de manière non équivoque à son droit de comparaître à l’audience".
    La Cour évoque à ce propos "une défaillance" dans l’ordre juridique italien qui pourrait "donner lieu à l’avenir à de nombreuses requêtes bien fondées".
    Cet arrêt concerne la requête d’un ressortissant de l’ex-Yougoslavie, Ismet Sejdovic, condamné par contumace à 21 ans et huit mois de prison en 1996 par la cour d’assises de Rome pour son implication présumée dans un meurtre commis en 1992 dans un campement de nomades.
    L’Alllemagne, où il avait été arrêté en 1999, avait refusé de l’extrader en considérant que le droit italien ne lui garantissait pas la réouverture de son procès.
    La Cour européenne conclut aujourd’hui au caractère inéquitable de la procédure de contumace en Italie.
    Cette décision pourrait ouvrir de nouvelles perspectives à Cesare Battisti, ancien activiste italien d’extrême gauche devenu écrivain et réfugié en France qui a été condamné par contumace dans son pays pour son implication dans quatre meurtres en 1978 et 1979.
    En l’absence de réforme de la législation italienne, la France courrait le risque d’être elle-même condamnée à Strasbourg si elle exécutait le décret d’extradition signé par Jean-Pierre Raffarin le 23 octobre à l’encontre de l’ancien militant des "Prolétaires armés pour le communisme".
    A l’inverse, une réforme du régime de la contumace pourrait inciter Cesare Battisti, qui est en fuite et clame son innocence par avocats interposés, à prendre le risque d’un nouveau procès.
    C’est au Comité des ministres du Conseil de l’Europe qu’il appartient désormais de veiller au respect de la décision de la Cour et d’inviter Rome à modifier sa législation.
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