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When it hurts so bad 

jeudi 14 décembre 2006, par Antoine Dole

Traitez les gens comme s’ils étaient ce qu’ils doivent être et vous les aiderez à devenir ce qu’ils sont capables d’être.
Goethe

Vingt trois heures, minuit peut être. Les aiguilles des cadrans ont disparu dans les ombres qui se sont propagées mollement à travers la ville. Personne ne saurait dire l’heure qu’il est. La nuit liquide est venue s’éteindre le long des murs en ombres épaisses et froides. Dehors la neige. Comme sortilège de conte pour enfant, hier absente, aujourd’hui se répand. Le froid n’est même plus du froid, étrangement, quelque chose de plus serein sous l’épaisseur des pulls. Tout ce blanc pour habiller la vie semble l’endormir, du coton plein ses angles pour éviter qu’elle n’abîme, la rendrait presque tendre et douce. Pourtant, malgré tout le calme alentour, Jeanne n’a jamais connu des heures plus hostiles que ce soir là. Morceau d’âme brillant comme un filament fragile à travers l’obscurité, et qui s’éteint doucement à l’abri du reste, se perd.

Chambre d’hôtel plongée dans le noir, absorbée du dedans par sa chaleur ambiante. Le long des murs courent encore d’obsédantes nuits de solitude, laissées là au gré des va et vient. L’obscurité laisse place à n’importe quel morceau d’univers, n’importe quel coin d’ailleurs et de nulle part, carré de vie, ici, à un bout du néant comme à un autre, un endroit de pas d’importance pour des vies moindre encore. Et vu du ciel ce n’est rien que de l’ordinaire, une chambre comme des millions d’autres plantées au centimètre carré avec le minimum à vivre pour les gens de passage. Soufflerie apaisante du chauffage électrique, lit, télé, un évier avec un morceau de savon minuscule et une petite bouteille de shampoing aux oeufs. La serviette à ce bête parfum de lavande qu’on trouve un peu partout dès qu’on est plus chez soi. Le numéro sur la porte c’est tout ce qui la distingue dans un couloir sans fin, l’empêche de se perdre pour de bon dans la nuit poudreuse et blanche. La chambre 212. Les murs on ne les voit pas mais on les devine, semblant avancer presque, se refermer sur elle, étendue sur le lit. Elle est allongée là, un peu comme dans sa tombe, finalement, cet endroit plongé dans la nuit comme si le jour ne lui avait jamais donné vie, comme si rien de tout ça n’existait vraiment. Un cauchemar dont elle voudrait se réveiller. Elle est venue se perdre ici, juste un soir savoir que personne ne saurait mettre la main sur elle. Dans le fond elle sait bien qu’elle a déjà commencé à fuir, qu’elle ne rentrera pas.

Jeanne a coupé le son de la télé, elle a juste laissé les images pour endormir Thomas, un point fixe dans la pièce pour l’arracher doucement. Elle n’avait pas la force, en fait, de lui raconter une histoire, de puiser au fond du mental quelque chose d’assez beau pour lui donner l’envie de caresser ça en rêve. Elle regarde les cheveux en bataille du gosse, petites mèches brunes dans lesquelles elle a passé les doigts toute la soirée. Ça la rassurait, la douceur de tout ce qui émane de lui, petite âme à l’abri encore, préservée du reste. Elle n’avait pas conscience que le petit avait déjà souffert plus que sa part, ne se rendait pas compte. Ça lui faisait du bien, se dire qu’elle aussi, un jour, il y a longtemps de cela, savait faire naître ça de sa peau ou de ses regards, cette douceur apaisante et pure habile à réchauffer les coeurs. Elle s’est allongée contre lui, en le serrant très fort, ses cinq années minuscules qu’elle pouvait contenir toutes entières entre les bras, fragilité de ses trois pommes qui dépendaient entièrement d’elle. En le serrant toute la soirée, elle a bien compris la portée des mots plantés dans le coeur par les services sociaux, bien compris le mal qu’on pouvait faire à une si petite chose, même sans le vouloir, même sans s’en croire capable.

Au bout du lit, à ses pieds, emballages de fast-food, frites répandues sur la couette comme petits soldats de pomme de terre avec lesquels ils ont joués tous les deux. Les grands éclats de rire de Thomas, même si c’était il y a deux bonnes heures, menacent encore de la faire craquer, la joie du gosse à faire repas de fête et ses moustaches de ketchup pour encadrer son large sourire, elle aimerait tant, en fait, que tout soit aussi simple toujours que vu par ces yeux là.

Elle caresse son front du bout des doigts. Une heure déjà, qu’elle pleure en silence sans qu’aucune larme ne sorte d’elle. Suffisamment de peine pour la saisir toute entière et la contraindre à l’intérieur du corps, la garder prisonnière. Beaucoup de peur, de ce que sera demain, de ce que sera demain car ce soir il n’y a plus rien d’aussi incertain. Pour elle la route pourrait tout aussi bien s’arrêter là, Thomas est la seule pensée qui la maintienne en vie.

Une longue inspiration. Jeanne retient l’air dans ses poumons autant qu’elle peut, comme pour comprimer à l’intérieur du corps, une vraie fois pour toutes, toute la misère du monde, toute sa peine et plus encore, c’est l’humanité toute entière qu’elle voudrait étouffer. Elle se remplie, ce qu’il y a dans l’atmosphère de plus dégueulasse et de plus sale, tous ces cris de douleurs laissés à l’abandon qui dérivaient sans but avant de prendre un sens, là, en se nouant comme une boule au fond de sa gorge, en souffrant avec elle. Elle ne laisse aucun son passer entre ses lèvres, figée la bouche ouverte, sans qu’aucun bruit ne sorte. Et pourtant ça crie si fort au-dedans, elle trouve quand même moyen de gueuler, même si c’est qu’au fond d’elle-même, à quel point elle a mal ce soir de le serrer dans ses bras pour la dernière fois. Ils veulent lui retirer la garde de Thomas, ils veulent lui prendre. Elle sait qu’elle ne le reverra pas avant longtemps, trop longtemps.

Elle s’appuie sur cette douleur venue de très loin, si flagrante que le ciel en pleure depuis des jours, pour exprimer sa peine sans que ce soit bien évident l’idée qu’il faille recouvrir d’une quelconque attitude le trou béant que la décision du Juge a fait naître dans son ventre. Elle voudrait juste disparaître avec ça, comme de ne plus exister, un truc au-delà de mourir, plus radical encore. Tout en elle reste prostré, hébété, rien d’autre qui émerge qu’un geste désespéré auquel elle ne voit pas d’autre issue, un geste comme on n’en fait qu’une seule fois dans une vie, un geste qu’elle est sur le point de commettre. Elle met ça sur le dos du monde du dehors, celui qui l’a conduite ici, hasard d’une vie abîmée de part en part quand on la voulait belle, rien de plus que le fruit de cette humanité qui souffre sans pouvoir concevoir, qu’une mère puisse aimer mal son fils de trop l’aimer quand elle n’a plus que lui.

Chambre 212. C’est ici, ce soir, que tout s’arrête.

Jeanne serre le petit si fort que leurs peaux pourraient se confondre. Des larmes coulent, viennent lui crever les yeux, sillons de peine liquide qui se tracent sur sa peau rougie. Elle se déverse en silence pour ne pas le réveiller, cherche apaisement à maintenir l’enfant dans son sommeil. Elle l’a amené ici, chambre d’hôtel à trente euros la nuit, le peu d’économies. Elle se souvient, quelques heures plus tôt, Thomas qui demandait « c’est déjà les vacances maman ? » en mettant les jouets dans le sac, et Jeanne de lui répondre que oui un peu, que même pour une nuit on avait le droit de partir en vacances. Elle voulait, en fait, que personne ne les trouve chez eux à 8 heures du matin, se disait bêtement que peut être ça suffirait à ce qu’on les laisse tranquille. Elle avait envie de ça, qu’ils s’éteignent l’un contre l’autre, et se retrouvent ailleurs, loin du moment où l’employée des services sociaux et la gendarmerie devaient passer le prendre aux premières heures du jour. Loin de la pression que lui avait mis le Juge et qu’elle traînait depuis des semaines, à prouver, justifier, de ce qu’elle était une bonne mère, capable et méritante. Loin de cette enquête sociale qui devait décider de si oui ou non elle était une menace pour son enfant.
« Une menace ». Effleurer le mot, même si ce n’est qu’en pensée, continue de la faire trembler, répulsion instinctive, comme d’une contradiction insoutenable avec tout l’amour qu’elle porte en elle. Quand elle a entendu le mot sortir pour la première fois de la bouche de cette vieille conne de Falquier, bicentenaire apathique assise derrière son bureau pour décider de comment doivent se dérouler les vies de centaines de mômes et de leurs parents, elle a réalisé la profondeur de la chose, le vrai problème qui se posait et que c’était du sérieux, que cette fois personne ne pourrait rien pour elle, aucune aide à attendre. Vissée connement sur sa chaise, à subir plus qu’autre chose le regard de l’assistante sociale, elle s’était persuadée mentalement qu’à la base rien de tout ça n’avait été joué d’avance, qu’elle n’était pas ce genre de mauvaise mère dont on parle comme de grandes criminelles.
De son avis à elle, mais personne ne lui demandait, c’était juste un concours de circonstances qui avait mal tourné, rien d’amorcé de façon aussi évidente au départ, à la naissance de Thomas. Elle allait souvent mal, mal à l’intérieur, là où ça ne se voyait pas, un cœur brisé auquel personne ne voulait croire, manque d’évidence à paraître. Sous la peau, les éclats d’elle qui la lacéraient savaient s’y prendre pour n’abîmer qu’au dedans. Ça la rendait triste, et elle buvait parfois trop, sans qu’elle se rende vraiment compte, sans qu’elle sache bien dire pourquoi. Sans qu’elle ne comprenne pourquoi ces moments là étaient plus fort que le reste, au point qu’elle ne puisse s’en empêcher, au point qu’elle s’y enfonce comme dans une forêt sombre, au point qu’elle veuille s’y perdre, qu’elle y entraîne Thomas.
Elle s’accrochait à l’idée que si on lui donnait une autre chance tout serait récupérable. Son enfant elle voulait l’aimer plus que tout. Elle voulait être heureuse, avec lui et avec le père. C’est quand Thomas a eu deux ans que Jérôme est parti. Deux ans après sa naissance que tout a trébuché.

Jeanne caresse le visage de Thomas sans pouvoir en décrocher les yeux, réflexe bête et maternel qui s’entête à vouloir graver en elle chaque millimètre de lui, elle coud doucement son souvenir avec le fil du regard. Rien ne lui permet de savoir combien de temps elle serait privée de son enfant si elle laissait les choses se faire, rien ne lui a été dit à ce sujet. Quelque soit le temps qu’on leur prenne elle sait déjà qu’elle ne le supportera pas, qu’elle n’y arrivera pas, comme un corps laissé à l’abandon sans l’organe fondamental, son fils comme une partie d’elle, son cœur entier qu’on arrache.
Thomas crispe les paupières, légers soubresauts qui parcourent son corps. Elle l’imagine au prise avec un de ces monstres de dessins animées qu’on aperçoit partout, un de ces mauvais rêves comme il y en aura tant d’autres contre lesquels elle ne pourra rien faire, des nuits dont elle ne pourra le protéger et autant de réveils qu’il ne comprendra pas, comme un gosse jeté au fond d’une boîte le temps que l’on décide de ce qui est pour son bien. Elle ne peut pas concevoir, que ce soit mieux pour lui, que ce qu’ils aient à offrir puisse être meilleur que ce qu’elle a à lui donner. Ça lui fait mal, égoïstement mal, l’idée de ne plus lui être nécessaire, l’idée de sa vie sans elle pour se buter sans cesse à sa vie sans lui, le gâchis. Elle sent dans le ventre, le trou qui se creuse et la nécessité de le remplir, comment la chose se manifeste à elle chaque fois qu’elle n’en peut plus, qu’elle baisse les bras. Elle se résigne, trop lâche sans doute, pour être la mère qu’il faudrait qu’elle soit. Le problème c’est que c’est ce qu’on lui dit et que c’est ce qu’elle croît : son fils elle ne le mérite pas.

Elle tremble. Elle aimerait bien, là tout de suite, un peu d’alcool pour endormir la peine. Elle aimerait trouver refuge. Juste une fois, juste une gorgée. Jeanne se dit que ce n’est pas grand-chose, une gorgée contre tout ce mal, qu’elle a bien droit à ça, se trouve excuse encore, voit cette lumière là scintiller dans le noir malgré la confusion, un repère chaque fois. Comme à son habitude, au fond elle sait qu’elle remplira des verres entiers, et que quand ses verres seront vides elle les remplira de larmes. Elle sait que c’est pour ça qu’on veut lui prendre Thomas. Que tout est sa faute à elle. Elle se la met minable, se déteste.

Jeanne tourne la tête vers l’arrière, elle cherche du regard le sac à dos appuyé contre le mur dans la petite entrée de la chambre. A l’intérieur, bouteille de rhum blanc emballée dans un sac en plastique carrefour, avec des paquets de bonbons pour Thomas et un peu de linge propre. C’est tout le peu de thune qui lui restait. Son ventre lui fait mal, tout en elle semble vibrer, grondement sourd qui lui parcourt les membres. Le corps comme une chose désagréable qu’il faut vite abrutir, qu’il faut saouler, le cœur noyé à l’intérieur. Le flacon crie l’ivresse.

Elle dégage doucement son bras, fait rouler l’enfant sur le côté pour ne pas le réveiller, mais déjà ses gestes sont brusques et elle ne se rend pas compte, déjà Thomas est loin d’elle, déjà elle le cède, déjà elle oublie l’importance de le garder contre elle, l’importance de ne pas boire.

Demain sera bientôt là.

Si peu de temps encore.

*

Assise sur la moquette, dans la petite entrée, Jeanne se fond dans le mur comme au beau milieu d’une ombre. C’est son royaume de crasse, elle ne s’imagine pas boire autrement que par terre, elle ne s’imagine pas pouvoir rendre ça digne à moindre mal, pour elle ce n’est rien que sale et c’est ce qu’elle cherche aussi, s’infliger le dégoût. Au bout de sa vie, vingt sept ans qui pèse le poids du double, c’est ses morceaux de cœur qui la saigne au-dedans, de cet amour brisé qui l’a laissé pour morte. Elle boit comme de pas fait exprès, comme pour ne plus avoir mal, comme de trop l’habitude, elle boit parce que comme ça elle oublie qu’elle boit. Elle boit parce qu’elle est mère et qu’on ne l’autorise pas à souffrir autant, ses nuits tout juste bonnes à endormir la peine. Elle n’a trouvé que ça pour reprendre du souffle, de l’alcool tant qu’au matin c’est Thomas qui la réveille, son visage à elle collé contre le lino, dans la bave ou le vomi, le sourire du gamin pour la sortir du noir, son bout de tunnel quand elle se croit crevée. Et lui, de la croire maintes fois morte, sans rien dire, sagement, se contente d’être là, ses gestes presque d’adulte quand il s’assoit à coté d’elle au lever pour lui caresser les cheveux.

Autour de Jeanne tout se déforme. Les murs de la chambre semblent enfin s’écarter sur un ciel grand ouvert. Elle n’y voit plus très clair, les yeux à demi clôt, ce qu’elle perçoit lui arrive comme autant d’informations qui butent contre un mur gigantesque.
Elle se gomme de la surface du monde, s’abstient d’exister. Pour elle très vite, la nécessité d’apprendre à disparaître, suffisamment de honte avalée au goulot pour qu’elle-même finisse par ne plus vouloir se voir, trop de haine quand elle se regardait en face et qui lui disait de se foutre en l’air. La seule chose qui la retienne c’est Thomas, la seule chose qui vaille la peine, c’est tout ce qui justifie sa vie depuis que Jérôme est parti, et de se rendre compte que même pour ça, même pour une bonne raison elle n’est même pas capable, ça la détruit davantage, la rabaisse à l’ultime.
Elle s’éteint cette fois encore, souffle sur son peu de flamme et laisse l’obscurité la saisir, s’efface. C’est l’endroit le plus sombre de la chambre, renfoncement à l’abri des vagues de lumière que projette l’écran de télé, à sa droite elle aperçoit juste sous la porte, les ombres dans le long couloir de l’hôtel, comme autant de mains rampant sur le sol pour s’emparer d’elle ou la pointer du doigt. Elle ferme les yeux. Ici elle peut disparaître, ici elle n’existe plus. Les genoux ramenés contre sa poitrine, bouteille de rhum calée entre ses cuisses pour ne pas la renverser sur le sol. Le froid du verre à travers l’épaisseur de son jean a fini par s’évanouir, elle ne saurait plus dire. Elle en a bu en longues rasades interminables, de l’alcool pur pour frapper les entrailles. Elle enfonce son visage dans la paume de sa main, sans sentir vraiment son nez s’écraser à l’intérieur, tout son être engourdi enfin. Sa gorge ne la brûle plus. Le début difficile toujours, quand le corps semble se vriller autour de la trachée, finit par rompre sous le flot de sensations qui vient envelopper l’esprit. C’est là selon elle que l’alcool devient bon, quand le corps loin derrière elle peut enfin se relever, sans le poids des choses pour la plaquer au sol. Ça la rend légère, si légère, très vite c’est le vertige, et très vite elle retombe, encore plus vulnérable. Mais pour quelques minutes où elle oublie enfin, elle pense que ça vaut la peine, descendre chaque fois plus bas quand c’était pour s’approcher un peu de la lumière. Son soleil, aussi éphémère que truqué, assez fort pour faire fondre ses ailes et la plonger dans le vide.

*
Debout, face au miroir. Son reflet comme une autre image, lui crache au visage, la méprise. Elle se dit « Les autres ont raison, ouais, les autres ont raison, je suis une mauvaise mère ». L’idée germe en elle comme le silence au milieu de la mort, lien étroit et immuable, étrange causalité. Comme lumière grande ouverte, elle croit voir clair enfin. Le degré d’alcool dans sa lucidité la condamne, la fourvoie. Elle donne raison. Abandonne. Devant elle aucune main qui ne se tend, aucune main à saisir. Elle l’attendait pourtant. Elle s’avance, mais rien, personne ne la rattrape. Elle tombe.

*

Jeanne s’approche du lit. Elle s’assoit sur le côté, doucement. Elle a, juste au bord de l’oreille, toutes ces voix qui murmurent. « Tu es une mauvaise mère, ils le disent. Alors donne leur raison. Montre leur que c’est vrai ».
La tempe prête à s’arracher sous la pression du sang qui vient cogner l’intérieur. Elle soupire, comme laissant s’échapper entre les lèvres l’amour qui remplissant le corps. Elle prend l’oreiller entre ses mains. Elle regarde Thomas. Elle ne le voit plus. Juste un corps minuscule, recroquevillé sur un morceau de drap. Petit être trop fragile. Trop faible. En elle comme une colère qui monte, sourde à ses cris et tout l’amour qu’elle porte. Les voix encore, lui parlent, la contraignent. Elle appuie l’oreiller sur le visage du petit. S’affale de tout son poids. Sent résistance. Sent membres ridicules se débattrent un instant, très bref, puis se laisser faire. Sent l’enfant qui ne lutte pas pour vivre. Jeanne s’effondre sur lui. Sa tonne et demi de peine pour enterrer le gosse. Elle pleure. Elle hurle. Des filets de bave viennent lui lier les lèvres. Elle reste ainsi une heure, peut être deux, l’univers tout entier noyé de larmes.

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