L’œuvre produite par la télévision de la BBC, en 1954, quatre ans après que George Orwell à moins de 50 ans finisse par être terrassé par sa tuberculose, est la version de référence de l’adaptation du roman 1984, avec Donald Pleasence dans le rôle de Syme ; elle provoqua des réactions politiques et des débats violents au parlement britannique. Une édition de la télévision américaine en 1953 n’a pas retenu l’attention après la réalisation de 1954. Enfin, la version cinématographique produite au Royaume uni, bouclée par MGM, l’année clé commémorative du titre (le Première en France a eu lieu à l’automne 1984), avec un formidable Richard Burton dans un de ses deniers rôles, William Hurt, et Suzanna Hamilton, a été réalisé par Michael Radford.
Informations et références :
Nineteen Eighty-Four (TV programme), in Wikipedia.
La fiche de Nineteen Eighty-Four (TV 1954), dans le site du British Film Institute Screen Online.
1984
George Orwell
Première Partie
Chapitre I
C’était une journée d’avril froide et claire. Les horloges sonnaient treize heures. Winston Smith, le menton rentré dans le cou, s’efforçait d’éviter le vent mauvais. Il passa rapidement la porte vitrée du bloc des « Maisons de la Victoire », pas assez rapidement cependant pour empêcher que s’engouffre en même temps que lui un tourbillon de poussière et de sable.
Le hall sentait le chou cuit et le vieux tapis. À l’une de ses extrémités, une affiche de couleur, trop vaste pour ce déploiement intérieur, était clouée au mur. Elle représentait simplement un énorme visage, large de plus d’un mètre : le visage d’un homme d’environ quarante-cinq ans, à l’épaisse moustache noire, aux traits accentués et beaux.
Winston se dirigea vers l’escalier. Il était inutile d’essayer de prendre l’ascenseur. Même aux meilleures époques, il fonctionnait rarement. Actuellement, d’ailleurs, le courant électrique était coupé dans la journée. C’était une des mesures d’économie prises en vue de la Semaine de la Haine.
Son appartement était au septième. Winston, qui avait trente-neuf ans et souffrait d’un ulcère variqueux au-dessus de la cheville droite, montait lentement. Il s’arrêta plusieurs fois en chemin pour se reposer. À chaque palier, sur une affiche collée au mur, face à la cage de l’ascenseur, l’énorme visage vous fixait du regard. C’était un de ces portraits arrangés de telle sorte que les yeux semblent suivre celui qui passe. Une légende, sous le portrait, disait : BIG BROTHER VOUS REGARDE.
À l’intérieur de l’appartement de Winston, une voix sucrée faisait entendre une série de nombres qui avaient trait à la production de la fonte. La voix provenait d’une plaque de métal oblongue, miroir terne encastré dans le mur de droite. Winston tourna un bouton et la voix diminua de volume, mais les mots étaient encore distincts. Le son de l’appareil (du télécran, comme on disait) pouvait être assourdi, mais il n’y avait aucun moyen de l’éteindre complètement. Winston se dirigea vers la fenêtre. Il était de stature frêle, plutôt petite, et sa maigreur était soulignée par la combinaison bleue, uniforme du Parti. Il avait les cheveux très blonds, le visage naturellement sanguin, la peau durcie par le savon grossier, les lames de rasoir émoussées et le froid de l’hiver qui venait de prendre fin.
Au-dehors, même à travers le carreau de la fenêtre fermée, le monde paraissait froid. Dans la rue, de petits remous de vent faisaient tourner en spirale la poussière et le papier déchiré. Bien que le soleil brillât et que le ciel fût d’un bleu dur, tout semblait décoloré, hormis les affiches collées partout. De tous les carrefours importants, le visage à la moustache noire vous fixait du regard. Il y en avait un sur le mur d’en face. BIG BROTHER VOUS REGARDE, répétait la légende, tandis que le regard des yeux noirs pénétrait les yeux de Winston. Au niveau de la rue, une autre affiche, dont un angle était déchiré, battait par à-coups dans le vent, couvrant et découvrant alternativement un seul mot : ANGSOC. Au loin, un hélicoptère glissa entre les toits, plana un moment, telle une mouche bleue, puis repartit comme une flèche, dans un vol courbe. C’était une patrouille qui venait mettre le nez aux fenêtres des gens. Mais les patrouilles n’avaient pas d’importance. Seule comptait la Police de la Pensée.
Derrière Winston, la voix du télécran continuait à débiter des renseignements sur la fonte et sur le dépassement des prévisions pour le neuvième plan triennal. Le télécran recevait et transmettait simultanément. Il captait tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir. On pouvait même imaginer qu’elle surveillait tout le monde, constamment. Mais de toute façon, elle pouvait mettre une prise sur votre ligne chaque fois qu’elle le désirait. On devait vivre, on vivait, car l’habitude devient instinct, en admettant que tout son émis était entendu et que, sauf dans l’obscurité, tout mouvement était perçu.
Winston restait le dos tourné au télécran. Bien qu’un dos, il le savait, pût être révélateur, c’était plus prudent. À un kilomètre, le ministère de la Vérité, où il travaillait, s’élevait vaste et blanc au-dessus du paysage sinistre. Voilà Londres, pensa-t-il avec une sorte de vague dégoût, Londres, capitale de la première région aérienne, la troisième, par le chiffre de sa population, des provinces de l’Océania. Il essaya d’extraire de sa mémoire quelque souvenir d’enfance qui lui indiquerait si Londres avait toujours été tout à fait comme il la voyait. Y avait-il toujours eu ces perspectives de maisons du XIXe siècle en ruine, ces murs étayés par des poutres, ce carton aux fenêtres pour remplacer les vitres, ces toits plâtrés de tôle ondulée, ces clôtures de jardin délabrées et penchées dans tous les sens ? Y avait-il eu toujours ces emplacements bombardés où la poussière de plâtre tourbillonnait, où l’épilobe grimpait sur des monceaux de décombres ? Et ces endroits où les bombes avaient dégagé un espace plus large et où avaient jailli de sordides colonies d’habitacles en bois semblables à des cabanes à lapins ? Mais c’était inutile, Winston n’arrivait pas à se souvenir. Rien ne lui restait de son enfance, hors une série de tableaux brillamment éclairés, sans arrière-plan et absolument inintelligibles.
Le ministère de la Vérité – Miniver, en novlangue1 – frappait par sa différence avec les objets environnants. C’était une gigantesque construction pyramidale de béton d’un blanc éclatant. Elle étageait ses terrasses jusqu’à trois cents mètres de hauteur. De son poste d’observation, Winston pouvait encore déchiffrer sur la façade l’inscription artistique des trois slogans du Parti :
LA GUERRE C’EST LA PAIX
LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE C’EST LA FORCE
Le ministère de la Vérité comprenait, disait-on, trois mille pièces au-dessus du niveau du sol, et des ramifications souterraines correspondantes. Disséminées dans Londres, il n’y avait que trois autres constructions d’apparence et de dimensions analogues. Elles écrasaient si complètement l’architecture environnante que, du toit du bloc de la Victoire, on pouvait les voir toutes les quatre simultanément. C’étaient les locaux des quatre ministères entre lesquels se partageait la totalité de l’appareil gouvernemental. Le ministère de la Vérité, qui s’occupait des divertissements, de l’information, de l’éducation et des beaux-arts. Le ministère de la Paix, qui s’occupait de la guerre. Le ministère de l’Amour qui veillait au respect de la loi et de l’ordre. Le ministère de l’Abondance, qui était responsable des affaires économiques. Leurs noms, en novlangue, étaient : Miniver, Minipax, Miniamour, Miniplein.
Le ministère de l’Amour était le seul réellement effrayant. Il n’avait aucune fenêtre. Winston n’y était jamais entré et ne s’en était même jamais trouvé à moins d’un kilomètre. C’était un endroit où il était impossible de pénétrer, sauf pour affaire officielle, et on n’y arrivait qu’à travers un labyrinthe de barbelés enchevêtrés, de portes d’acier, de nids de mitrailleuses dissimulés. Même les rues qui menaient aux barrières extérieures étaient parcourues par des gardes en uniformes noirs à face de gorille, armés de matraques articulées.
Winston fit brusquement demi-tour. Il avait fixé sur ses traits l’expression de tranquille optimisme qu’il était prudent de montrer quand on était en face du télécran. Il traversa la pièce pour aller à la minuscule cuisine. En laissant le ministère à cette heure, il avait sacrifié son repas de la cantine. Il n’ignorait pas qu’il n’y avait pas de nourriture à la cuisine, sauf un quignon de pain noirâtre qu’il devait garder pour le petit déjeuner du lendemain. Il prit sur l’étagère une bouteille d’un liquide incolore, qui portait une étiquette blanche où s’inscrivaient clairement les mots « Gin de la Victoire ». Le liquide répandait une odeur huileuse, écœurante comme celle de l’eau-de-vie de riz des Chinois. Winston en versa presque une pleine tasse, s’arma de courage pour supporter le choc et avala le gin comme une médecine.
Instantanément, son visage devint écarlate et des larmes lui sortirent des yeux. Le breuvage était comme de l’acide nitrique et, de plus, on avait en l’avalant la sensation d’être frappé à la nuque par une trique de caoutchouc. La minute d’après, cependant, la brûlure de son estomac avait disparu et le monde commença à lui paraître plus agréable. Il prit une cigarette dans un paquet froissé marqué « Cigarettes de la Victoire », et, imprudemment, la tint verticalement, ce qui fit tomber le tabac sur le parquet. Il fut plus heureux avec la cigarette suivante. Il retourna dans le living-room et s’assit à une petite table qui se trouvait à gauche du télécran. Il sortit du tiroir un porte-plume, un flacon d’encre, un in-quarto épais et vierge au dos rouge et à la couverture marbrée.
Le télécran du living-room était, pour une raison quelconque, placé en un endroit inhabituel. Au lieu de se trouver, comme il était normal, dans le mur du fond où il aurait commandé toute la pièce, il était dans le mur plus long qui faisait face à la fenêtre. Sur un de ses côtés, là où Winston était assis, il y avait une alcôve peu profonde qui, lorsque les appartements avaient été aménagés, était probablement destinée à recevoir des rayons de bibliothèque. Quand il s’asseyait dans l’alcôve, bien en arrière, Winston pouvait se maintenir en dehors du champ de vision du télécran. Il pouvait être entendu, bien sûr, mais aussi longtemps qu’il demeurait dans sa position actuelle, il ne pourrait être vu. C’était l’aménagement particulier de la pièce qui avait en partie fait naître en lui l’idée de ce qu’il allait maintenant entreprendre.
Mais cette idée lui avait aussi été suggérée par l’album qu’il venait de prendre dans le tiroir. C’était un livre spécialement beau. Son papier crémeux et lisse, un peu jauni par le temps, était d’une qualité qui n’était plus fabriquée depuis quarante ans au moins. Winston estimait cependant que le livre était beaucoup plus vieux que cela. Il l’avait vu traîner à la vitrine d’un bric-à-brac moisissant, dans un sordide quartier de la ville (lequel exactement, il ne s’en souvenait pas) et avait immédiatement été saisi du désir irrésistible de le posséder. Les membres du Parti, normalement, ne devaient pas entrer dans les boutiques ordinaires (cela s’appelait acheter au marché libre), mais la règle n’était pas strictement observée, car il y avait différents articles, tels que les lacets de souliers, les lames de rasoir, sur lesquels il était impossible de mettre la main autrement. Il avait d’un rapide coup d’œil parcouru la rue du haut en bas, puis s’était glissé dans la boutique et avait acheté le livre deux dollars cinquante. Il n’avait pas conscience, à ce moment-là, que son désir impliquât un but déterminé. Comme un criminel, il avait emporté dans sa serviette ce livre qui, même sans aucun texte, était compromettant.
Ce qu’il allait commencer, c’était son journal. Ce n’était pas illégal (rien n’était illégal, puisqu’il n’y avait plus de lois), mais s’il était découvert, il serait, sans aucun doute, puni de mort ou de vingt-cinq ans au moins de travaux forcés dans un camp. Winston adapta une plume au porte-plume et la suça pour en enlever la graisse. Une plume était un article archaïque, rarement employé, même pour les signatures. Il s’en était procuré une, furtivement et avec quelque difficulté, simplement parce qu’il avait le sentiment que le beau papier crémeux appelait le tracé d’une réelle plume plutôt que les éraflures d’un crayon à encre. À dire vrai, il n’avait pas l’habitude d’écrire à la main. En dehors de très courtes notes, il était d’usage de tout dicter au phonoscript, ce qui, naturellement, était impossible pour ce qu’il projetait. Il plongea la plume dans l’encre puis hésita une seconde. Un tremblement lui parcourait les entrailles. Faire un trait sur le papier était un acte décisif. En petites lettres maladroites, il écrivit :
4 avril 1984
Il se redressa. Un sentiment de complète impuissance s’était emparé de lui. Pour commencer, il n’avait aucune certitude que ce fût vraiment 1984. On devait être aux alentours de cette date, car il était sûr d’avoir trente-neuf ans, et il croyait être né en 1944 ou 1945. Mais, par les temps qui couraient, il n’était possible de fixer une date qu’à un ou deux ans près.
Pour qui écrivait-il ce journal ? Cette question, brusquement, s’imposa à lui. Pour l’avenir, pour des gens qui n’étaient pas nés. Son esprit erra un moment autour de la date approximative écrite sur la page, puis bondit sur un mot novlangue : double-pensée. Pour la première fois, l’ampleur de son entreprise lui apparut. Comment communiquer avec l’avenir. C’était impossible intrinsèquement. Ou l’avenir ressemblerait au présent, et on ne l’écouterait pas, ou il serait différent, et son enseignement, dans ce cas, n’aurait aucun sens.
Pendant un moment, il fixa stupidement le papier. L’émission du télécran s’était changée en une stridente musique militaire. Winston semblait, non seulement avoir perdu le pouvoir de s’exprimer, mais avoir même oublié ce qu’il avait d’abord eu l’intention de dire. Depuis des semaines, il se préparait à ce moment et il ne lui était jamais venu à l’esprit que ce dont il aurait besoin, c’était de courage. Écrire était facile. Tout ce qu’il avait à faire, c’était transcrire l’interminable monologue ininterrompu qui, littéralement depuis des années, se poursuivait dans son cerveau. En ce moment, cependant, même le monologue s’était arrêté. Par-dessus le marché, son ulcère variqueux commençait à le démanger d’une façon insupportable. Il n’osait pas le gratter car l’ulcère s’enflammait toujours lorsqu’il y touchait. Les secondes passaient. Winston n’était conscient que du vide de la page qui était devant lui, de la démangeaison de sa peau au-dessus de la cheville, du beuglement de la musique et de la légère ivresse provoquée par le gin.
Il se mit soudain à écrire, dans une véritable panique, imparfaitement conscient de ce qu’il couchait sur le papier. Minuscule quoique enfantine, son écriture montait et descendait sur la page, abandonnant, d’abord les majuscules, finalement même les points.
4 avril 1984. Hier, soirée au ciné. Rien que des films de guerre. Un très bon film montrait un navire plein de réfugiés, bombardé quelque part dans la Méditerranée. Auditoire très amusé par les tentatives d’un gros homme gras qui essayait d’échapper en nageant à la poursuite d’un hélicoptère. On le voyait d’abord se vautrer dans l’eau comme un marsouin. Puis on l’apercevait à travers le viseur du canon de l’hélicoptère. Il était ensuite criblé de trous et la mer devenait rose autour de lui. Puis il sombrait aussi brusquement que si les trous avaient laissé pénétrer l’eau. Le public riait à gorge déployée quand il s’enfonça. On vit ensuite un canot de sauvetage plein d’enfants que survolait un hélicoptère. Une femme d’âge moyen, qui était peut-être une Juive, était assise à l’avant, un garçon d’environ trois ans dans les bras, petit garçon criait de frayeur et se cachait la tête entre les seins de sa mère comme s’il essayait de se terrer en elle et la femme l’entourait de ses bras et le réconfortait alors qu’elle était elle-même verte de frayeur, elle le recouvrait autant que possible comme si elle croyait que ses bras pourraient écarter de lui les balles, ensuite l’hélicoptère lâcha sur eux une bombe de vingt kilos qui éclata avec un éclair terrifiant et le bateau vola en éclats. Il y eut ensuite l’étonnante projection d’un bras d’enfant montant droit dans l’air, un hélicoptère muni d’une caméra a dû le suivre et il y eut des applaudissements nourris venant des fauteuils mais une femme qui se trouvait au poulailler s’est mise brusquement à faire du bruit en frappant du pied et en criant on ne doit pas montrer cela pas devant les petits on ne doit pas ce n’est pas bien pas devant les enfants ce n’est pas jusqu’à ce que la police la saisisse et la mette à la porte je ne pense pas qu’il lui soit arrivé quoi que ce soit personne ne s’occupe de ce que disent les prolétaires les typiques réactions prolétaires jamais on -
Winston s’arrêta d’écrire, en partie parce qu’il souffrait d’une crampe. Il ne savait ce qui l’avait poussé à déverser ce torrent d’absurdités, mais le curieux était que, tandis qu’il écrivait, un souvenir totalement différent s’était précisé dans son esprit, au point qu’il se sentait presque capable de l’écrire. Il réalisait maintenant que c’était à cause de cet autre incident qu’il avait soudain décidé de rentrer chez lui et de commencer son journal ce jour-là.
Cet incident avait eu lieu le matin au ministère, si l’on peut dire d’une chose si nébuleuse qu’elle a eu lieu.
Il était presque onze heures et, au Commissariat aux Archives, où travaillait Winston, on tirait les chaises hors des bureaux pour les grouper au centre du hall, face au grand télécran afin de préparer les Deux Minutes de la Haine. Winston prenait place dans un des rangs du milieu quand deux personnes qu’il connaissait de vue, mais à qui il n’avait jamais parlé, entrèrent dans la salle à l’improviste. L’une était une fille qu’il croisait souvent dans les couloirs. Il ne savait pas son nom, mais il savait qu’elle travaillait au Commissariat aux Romans. Il l’avait parfois vue avec des mains huileuses et tenant une clef anglaise. Elle s’occupait probablement à quelque besogne mécanique sur l’une des machines à écrire des romans. C’était une fille d’aspect hardi, d’environ vingt-sept ans, aux épais cheveux noirs, au visage couvert de taches de rousseur, à l’allure vive et sportive. Une étroite ceinture rouge, emblème de la Ligue Anti-Sexe des Juniors, plusieurs fois enroulée à sa taille, par-dessus sa combinaison, était juste assez serrée pour faire ressortir la forme agile et dure de ses hanches. Winston l’avait détestée dès le premier coup d’œil. Il savait pourquoi. C’était à cause de l’atmosphère de terrain de hockey, de bains froids, de randonnées en commun, de rigoureuse propreté morale qu’elle s’arrangeait pour transporter avec elle. Il détestait presque toutes les femmes, surtout celles qui étaient jeunes et jolies. C’étaient toujours les femmes, et spécialement les jeunes, qui étaient les bigotes du Parti : avaleuses de slogans, espionnes amateurs, dépisteuses d’hérésies. Mais cette fille en particulier lui donnait l’impression qu’elle était plus dangereuse que les autres. Une fois, alors qu’ils se croisaient dans le corridor, elle lui avait lancé un rapide regard de côté qui semblait le transpercer et l’avait rempli un moment d’une atroce terreur. L’idée lui avait même traversé l’esprit qu’elle était peut-être un agent de la Police de la Pensée. C’était à vrai dire très improbable. Néanmoins, il continuait à ressentir un malaise particulier, fait de frayeur autant que d’hostilité, chaque fois qu’elle se trouvait près de lui quelque part.
L’autre personne était un homme nommé O’Brien, membre du Parti intérieur. Il occupait un poste si important et si élevé que Winston n’avait qu’une idée obscure de ce qu’il pouvait être. Un silence momentané s’établit dans le groupe des personnes qui entouraient les chaises quand elles virent approcher sa combinaison noire, celle d’un membre du Parti intérieur. O’Brien était un homme grand et corpulent, au cou épais, au visage rude, brutal et caustique. En dépit de cette formidable apparence, il avait un certain charme dans les manières. Il avait une façon d’assurer ses lunettes sur son nez qui était curieusement désarmante – et, d’une manière indéfinissable, curieusement civilisée. C’était un geste qui, si quelqu’un pouvait encore penser en termes semblables, aurait rappelé celui d’un homme du XVIIIe offrant sa tabatière. Winston avait vu O’Brien une douzaine de fois peut-être, dans un nombre presque égal d’années. Il se sentait vivement attiré par lui. Ce n’était pas seulement parce qu’il était intrigué par le contraste entre l’urbanité des manières d’O’Brien et son physique de champion de lutte. C’était, beaucoup plus, à cause de la croyance secrète – ce n’était peut-être même pas une croyance, mais seulement un espoir – que l’orthodoxie de la politique d’O’Brien n’était pas parfaite. Quelque chose dans son visage le suggérait irrésistiblement. Mais peut-être n’était-ce même pas la non-orthodoxie qui était inscrite sur son visage, mais, simplement, l’intelligence. De toute façon, il paraissait être quelqu’un à qui l’on pourrait parler si l’on pouvait duper le télécran et le voir seul. Winston n’avait jamais fait le moindre effort pour vérifier cette supposition ; en vérité, il n’y avait aucun moyen de la vérifier. O’Brien, à ce moment, regarda son bracelet-montre, vit qu’il était près de onze heures et décida, de toute évidence, de rester dans le Commissariat aux Archives jusqu’à la fin des Deux Minutes de la Haine. Il prit une chaise sur le même rang que Winston, deux places plus loin. Une petite femme rousse, qui travaillait dans la cellule voisine de celle de Winston, les séparait. La fille aux cheveux noirs était assise immédiatement derrière eux.
Un instant plus tard, un horrible crissement, comme celui de quelque monstrueuse machine tournant sans huile, éclata dans le grand télécran du bout de la salle. C’était un bruit à vous faire grincer des dents et à vous hérisser les cheveux. La Haine avait commencé.
Comme d’habitude, le visage d’Emmanuel Goldstein, l’Ennemi du Peuple, avait jailli sur l’écran. Il y eut des coups de sifflet çà et là dans l’assistance. La petite femme rousse jeta un cri de frayeur et de dégoût. Goldstein était le renégat et le traître. Il y avait longtemps (combien de temps, personne ne le savait exactement) il avait été l’un des meneurs du Parti presque au même titre que Big Brother lui-même. Il s’était engagé dans une activité contre-révolutionnaire, avait été condamné à mort, s’était mystérieusement échappé et avait disparu. Le programme des Deux Minutes de la Haine variait d’un jour à l’autre, mais il n’y en avait pas dans lequel Goldstein ne fût la principale figure. Il était le traître fondamental, le premier profanateur de la pureté du Parti. Tous les crimes subséquents contre le Parti, trahisons, actes de sabotage, hérésies, déviations, jaillissaient directement de son enseignement. Quelque part, on ne savait où, il vivait encore et ourdissait des conspirations. Peut-être au-delà des mers, sous la protection des maîtres étrangers qui le payaient. Peut-être, comme on le murmurait parfois, dans l’Océania même, en quelque lieu secret.
Le diaphragme de Winston s’était contracté. Il ne pouvait voir le visage de Goldstein sans éprouver un pénible mélange d’émotions. C’était un mince visage de Juif, largement auréolé de cheveux blancs vaporeux, qui portait une barbiche en forme de bouc, un visage intelligent et pourtant méprisable par quelque chose qui lui était propre, avec une sorte de sottise sénile dans le long nez mince sur lequel, près de l’extrémité, était perchée une paire de lunettes. Ce visage ressemblait à celui d’un mouton, et la voix, elle aussi, était du genre bêlant. Goldstein débitait sa venimeuse attaque habituelle contre les doctrines du Parti. Une attaque si exagérée et si perverse qu’un enfant aurait pu la percer à jour, et cependant juste assez plausible pour emplir chacun de la crainte que d’autres, moins bien équilibrés pussent s’y laisser prendre. Goldstein insultait Big Brother, dénonçait la dictature du Parti, exigeait l’immédiate conclusion de la paix avec l’Eurasia, défendait la liberté de parler, la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté de pensée. Il criait hystériquement que la révolution avait été trahie, et cela en un rapide discours polysyllabique qui était une parodie du style habituel des orateurs du Parti et comprenait même des mots novlangue, plus de mots novlangue même qu’aucun orateur du Parti n’aurait normalement employés dans la vie réelle. Et pendant ce temps, pour que personne ne pût douter de la réalité de ce que recouvrait le boniment spécieux de Goldstein, derrière sa tête, sur l’écran, marchaient les colonnes sans fin de l’armée eurasienne, rang après rang d’hommes à l’aspect robuste, aux visages inexpressifs d’Asiatiques, qui venaient déboucher sur l’écran et s’évanouissaient, pour être immédiatement remplacés par d’autres exactement semblables. Le sourd martèlement rythmé des bottes des soldats formait l’arrière-plan de la voix bêlante de Goldstein.
Avant les trente secondes de la Haine, la moitié des assistants laissait échapper des exclamations de rage. Le visage de mouton satisfait et la terrifiante puissance de l’armée eurasienne étaient plus qu’on n’en pouvait supporter. Par ailleurs, voir Goldstein, ou même penser à lui, produisait automatiquement la crainte et la colère. Il était un objet de haine plus constant que l’Eurasia ou l’Estasia, puisque lorsque l’Océania était en guerre avec une de ces puissances, elle était généralement en paix avec l’autre. Mais l’étrange était que, bien que Goldstein fût haï et méprisé par tout le monde, bien que tous les jours et un millier de fois par jour, sur les estrades, aux télécrans, dans les journaux, dans les livres, ses théories fussent réfutées, écrasées, ridiculisées, que leur pitoyable sottise fût exposée aux regards de tous, en dépit de tout cela, son influence ne semblait jamais diminuée. Il y avait toujours de nouvelles dupes qui attendaient d’être séduites par lui. Pas un jour ne se passait que des espions et des saboteurs à ses ordres ne fussent démasqués par la Police de la Pensée. Il commandait une grande armée ténébreuse, un réseau clandestin de conspirateurs qui se consacraient à la chute de l’État. On croyait que cette armée s’appelait la Fraternité. Il y avait aussi des histoires que l’on chuchotait à propos d’un livre terrible, résumé de toutes les hérésies, dont Goldstein était l’auteur, et qui circulait clandestinement çà et là. Ce livre n’avait pas de titre. Les gens s’y référaient, s’ils s’y référaient jamais, en disant simplement le livre. Mais on ne savait de telles choses que par de vagues rumeurs. Ni la Fraternité, ni le livre, n’étaient des sujets qu’un membre ordinaire du Parti mentionnerait s’il pouvait l’éviter.
À la seconde minute, la Haine tourna au délire. Les gens sautaient sur place et criaient de toutes leurs forces pour s’efforcer de couvrir le bêlement affolant qui venait de l’écran. Même le lourd visage d’O’Brien était rouge. Il était assis très droit sur sa chaise. Sa puissante poitrine se gonflait et se contractait comme pour résister à l’assaut d’une vague. La petite femme aux cheveux roux avait tourné au rose vif, et sa bouche s’ouvrait et se fermait comme celle d’un poisson hors de l’eau. La fille brune qui était derrière Winston criait : « Cochon ! Cochon ! Cochon ! » Elle saisit soudain un lourd dictionnaire novlangue et le lança sur l’écran. Il atteignit le nez de Goldstein et rebondit. La voix continuait, inexorable. Dans un moment de lucidité, Winston se vit criant avec les autres et frappant violemment du talon contre les barreaux de sa chaise. L’horrible, dans ces Deux Minutes de la Haine, était, non qu’on fût obligé d’y jouer un rôle, mais que l’on ne pouvait, au contraire, éviter de s’y joindre. Au bout de trente secondes, toute feinte, toute dérobade devenait inutile. Une hideuse extase, faite de frayeur et de rancune, un désir de tuer, de torturer, d’écraser des visages sous un marteau, semblait se répandre dans l’assistance comme un courant électrique et transformer chacun, même contre sa volonté, en un fou vociférant et grimaçant.
Mais la rage que ressentait chacun était une émotion abstraite, indirecte, que l’on pouvait tourner d’un objet vers un autre comme la flamme d’un photophore. Ainsi, à un moment, la haine qu’éprouvait Winston n’était pas du tout dirigée contre Goldstein, mais contre Big Brother, le Parti et la Police de la Pensée. À de tels instants, son cœur allait au solitaire hérétique bafoué sur l’écran, seul gardien de la vérité et du bon sens dans un monde de mensonge. Pourtant, l’instant d’après, Winston était de cœur avec les gens qui l’entouraient et tout ce que l’on disait de Goldstein lui semblait vrai. Sa secrète aversion contre Big Brother se changeait alors en adoration. Big Brother semblait s’élever, protecteur invincible et sans frayeur dressé comme un roc contre les hordes asiatiques. Goldstein, en dépit de son isolement, de son impuissance et du doute qui planait sur son existence même, semblait un sinistre enchanteur capable, par le seul pouvoir de sa voix, de briser la structure de la civilisation.
On pouvait même, par moments, tourner le courant de sa haine dans une direction ou une autre par un acte volontaire. Par un violent effort analogue à celui par lequel, dans un cauchemar, la tête s’arrache de l’oreiller, Winston réussit soudain à transférer sa haine, du visage qui était sur l’écran, à la fille aux cheveux noirs placée derrière lui. De vivaces et splendides hallucinations lui traversèrent rapidement l’esprit. Cette fille, il la fouettait à mort avec une trique de caoutchouc. Il l’attachait nue à un poteau et la criblait de flèches comme un saint Sébastien. Il la violait et, au moment de la jouissance, lui coupait la gorge. Il réalisa alors, mieux qu’auparavant, pour quelle raison, exactement, il la détestait. Il la détestait parce qu’elle était jeune, jolie et asexuée, parce qu’il désirait coucher avec elle et qu’il ne le ferait jamais, parce qu’autour de sa douce et souple taille qui semblait appeler un bras, il n’y avait que l’odieuse ceinture rouge, agressif symbole de chasteté.
La Haine était là, à son paroxysme. La voix de Goldstein était devenue un véritable bêlement de mouton et, pour un instant, Goldstein devint un mouton. Puis le visage de mouton se fondit en une silhouette de soldat eurasien qui avança, puissant et terrible dans le grondement de sa mitrailleuse et sembla jaillir de l’écran, si bien que quelques personnes du premier rang reculèrent sur leurs sièges. Mais au même instant, ce qui provoqua chez tous un profond soupir de soulagement, la figure hostile fut remplacée, en fondu, par le visage de Big Brother, aux cheveux et à la moustache noirs, plein de puissance et de calme mystérieux, et si large qu’il occupa presque tout l’écran. Personne n’entendit ce que disait Big Brother. C’étaient simplement quelques mots d’encouragement, le genre de mots que l’on prononce dans le fracas d’un combat. Ils ne sont pas précisément distincts, mais ils restaurent la confiance par le fait même qu’ils sont dits. Le visage de Big Brother disparut ensuite et, à sa place, les trois slogans du Parti s’inscrivirent en grosses majuscules :
LA GUERRE C’EST LA PAIX
LA LIBERTÉ C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE C’EST LA FORCE
Mais le visage de Big Brother sembla persister plusieurs secondes sur l’écran, comme si l’impression faite sur les rétines était trop vive pour s’effacer immédiatement. La petite femme aux cheveux roux s’était jetée en avant sur le dos d’une chaise. Avec un murmure tremblotant qui sonnait comme « Mon Sauveur », elle tendit les bras vers l’écran. Puis elle cacha son visage dans ses mains. Elle priait.
L’assistance fit alors éclater en chœur un chant profond, rythmé et lent : B-B !... B-B !... B-B !... – encore et encore, très lentement, avec une longue pause entre le premier « B » et le second. C’était un lourd murmure sonore, curieusement sauvage, derrière lequel semblaient retentir un bruit de pieds nus et un battement de tam-tams. Le chant dura peut-être trente secondes. C’était un refrain que l’on entendait souvent aux moments d’irrésistible émotion. C’était en partie une sorte d’hymne à la sagesse et à la majesté de Big Brother, mais c’était, plus encore, un acte d’hypnose personnelle, un étouffement délibéré de la conscience par le rythme. Winston en avait froid au ventre. Pendant les Deux Minutes de la Haine, il ne pouvait s’empêcher de partager le délire général, mais ce chant sous-humain de « B-B !... B-B !... » l’emplissait toujours d’horreur. Naturellement il chantait avec les autres. Il était impossible de faire autrement. Déguiser ses sentiments, maîtriser son expression, faire ce que faisaient les autres étaient des réactions instinctives. Mais il y avait un couple de secondes durant lesquelles l’expression de ses yeux aurait pu le trahir. C’est exactement à ce moment-là que la chose significative arriva – si, en fait, elle était arrivée.
Son regard saisit un instant celui d’O’Brien. O’Brien s’était levé. Il avait enlevé ses lunettes et, de son geste caractéristique, il les rajustait sur son nez. Mais il y eut une fraction de seconde pendant laquelle leurs yeux se rencontrèrent, et dans ce laps de temps Winston sut – il en eut l’absolue certitude – qu’O’Brien pensait la même chose que lui. Un message clair avait passé. C’était comme si leurs deux esprits s’étaient ouverts et que leurs pensées avaient coulé de l’un à l’autre par leurs yeux. « Je suis avec vous » semblait lui dire O’Brien. « Je sais exactement ce que vous ressentez. Je connais votre mépris, votre haine, votre dégoût. Mais ne vous en faites pas, je suis avec vous ! » L’éclair de compréhension s’était alors éteint et le visage d’O’Brien était devenu aussi indéchiffrable que celui des autres.
C’était tout, et Winston doutait déjà que cela se fût passé. De tels incidents n’avaient jamais aucune suite. Leur seul effet était de garder vivace en lui la croyance, l’espoir, que d’autres que lui étaient les ennemis du Parti. Peut-être les rumeurs de vastes conspirations étaient-elles après tout exactes ! Peut-être la Fraternité existait-elle réellement ! Il était impossible, en dépit des innombrables arrestations, confessions et exécutions, d’être sûr que la Fraternité n’était pas simplement un mythe. Il y avait des jours où il y croyait, des jours où il n’y croyait pas. On ne possédait pas de preuves, mais seulement de vacillantes lueurs qui pouvaient tout signifier, ou rien : bribes entendues de conversations, griffonnages indistincts sur les murs des waters – une fois même, lors de la rencontre de deux étrangers, un léger mouvement des mains qui aurait pu être un signe de reconnaissance. Ce n’étaient que des suppositions. Il avait probablement tout imaginé. Il était retourné à son bureau sans avoir de nouveau regardé O’Brien. L’idée de prolonger leur contact momentané lui traversa à peine l’esprit. Cela aurait été tout à fait dangereux, même s’il avait su comment s’y prendre. Pendant une, deux secondes, ils avaient échangé un regard équivoque, et l’histoire s’arrêtait là. Même cela, pourtant, était un événement mémorable, dans la solitude fermée où chacun devait vivre.
Winston se réveilla et se redressa. Il éructa. Le gin lui remontait de l’estomac.
Son attention se concentra de nouveau sur la page. Il s’aperçut que pendant qu’il s’était oublié à méditer, il avait écrit d’une façon automatique. Ce n’était plus la même écriture maladroite et serrée. Sa plume avait glissé voluptueusement sur le papier lisse et avait tracé plusieurs fois, en grandes majuscules nettes, les mots :
À BAS BIG BROTHER
À BAS BIG BROTHER
À BAS BIG BROTHER
À BAS BIG BROTHER
À BAS BIG BROTHER
La moitié d’une page en était couverte.
Il ne put lutter contre un accès de panique. C’était absurde, car le fait d’écrire ces mots n’était pas plus dangereux que l’acte initial d’ouvrir un journal, mais il fut tenté un moment de déchirer les pages gâchées et d’abandonner entièrement son entreprise.
Il n’en fit cependant rien, car il savait que c’était inutile. Qu’il écrivît ou n’écrivît pas À BAS BIG BROTHER n’avait pas d’importance. Qu’il continuât ou arrêtât le journal n’avait pas d’importance. De toute façon, la Police de la Pensée ne le raterait pas. Il avait perpétré – et aurait perpétré, même s’il n’avait jamais posé la plume sur le papier – le crime fondamental qui contenait tous les autres. Crime par la pensée, disait-on. Le crime par la pensée n’était pas de ceux que l’on peut éternellement dissimuler. On pouvait ruser avec succès pendant un certain temps, même pendant des années, mais tôt ou tard, c’était forcé, ils vous avaient.
C’était toujours la nuit. Les arrestations avaient invariablement lieu la nuit. Il y avait le brusque sursaut du réveil, la main rude qui secoue l’épaule, les lumières qui éblouissent, le cercle de visages durs autour du lit. Dans la grande majorité des cas, il n’y avait pas de procès, pas de déclaration d’arrestation. Des gens disparaissaient, simplement, toujours pendant la nuit. Leurs noms étaient supprimés des registres, tout souvenir de leurs actes était effacé, leur existence était niée, puis oubliée. Ils étaient abolis, rendus au néant. Vaporisés, comme on disait.
Winston, un instant, fut en proie à une sorte d’hystérie.
Il se mit à écrire en un gribouillage rapide et désordonné :
ils me fusilleront ça m’est égal ils me troueront la nuque cela m’est égal à bas Big Brother ils visent toujours la nuque cela m’est égal À bas Big Brother.
Il se renversa sur sa chaise, légèrement honteux de lui-même et déposa son porte-plume. Puis il sursauta violemment. On frappait à la porte.
Déjà ! Il resta assis, immobile comme une souris, dans l’espoir futile que le visiteur, quel qu’il fût, s’en irait après un seul appel. Mais non, le bruit se répéta. Le pire serait de faire attendre. Son cœur battait à se rompre, mais son visage, grâce à une longue habitude, était probablement sans expression. Il se leva et se dirigea lourdement vers la porte.
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[ Chapitre 1 extrait de 1984, George Orwell, traduit par Amélie Audiberti — publication à titre de bonne feuille de l’ouvrage édité en 1950, dans la collection Du monde entier, aux éditions de la nrf, Gallimard, Paris. (Sous réserve d’une demande d’autorisation des ayants-droit en France) ]
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Le livre de poche (Folio, Gallimard, 1972) :
- George Orwell, 1984
Traduction originale de 1950 par Amélie Audiberti
Folio (Gallimard) 1972
- Source amazon.fr
Le livre de collection (Du monde entier, nrf, Gallimard, 1950) :
- George Orwell, 1984
Traduction originale de Amélie Audiberti
coll. Du Monde entier
(nrf, Gallimard) 1950
- Source amazon.com
Œuvres complètes (téléchargeables), en langue originale, de George Orwell :
http://www.george-orwell.org/.
L’édition originale de l’ouvrage Nineteen eighty-four chez Secker & Warburg, 1949, Londres. In octavo, jaquette originale verte. Deuxième tirage la même année sous jaquette rouge, manchon "Livre du mois" — sans priorité originale établie entre les deux tirages :
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- George Orwell, Nineteen eighty-four
London : Secker & Warburg, 1949. Octavo, original green cloth, original green dust jacket. Issued in both green (this copy) and red dust jackets (no priority established)
- Source Manhattan rare books
- George Orwell, Nineteen eighty-four
London : Secker & Warburg, 1949. Octavo, original red dust jacket
Muff "Book of The Month"
Issued in both red and green dust jackets (no priority established)
- Source Special collections @ Brown University Library
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La page dédiée du livre original dans wikipedia (anglophone) :
http://en.wikipedia.org/wiki/Nineteen_Eighty-Four
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George Orwell
1984
Part 1, Chapter 1
Part One
1
It was a bright cold day in April, and the clocks were striking thirteen. Winston Smith, his chin nuzzled into his breast in an effort to escape the vile wind, slipped quickly through the glass doors of Victory Mansions, though not quickly enough to prevent a swirl of gritty dust from entering along with him.
The hallway smelt of boiled cabbage and old rag mats. At one end of it a coloured poster, too large for indoor display, had been tacked to the wall. It depicted simply an enormous face, more than a metre wide : the face of a man of about forty-five, with a heavy black moustache and ruggedly handsome features. Winston made for the stairs. It was no use trying the lift. Even at the best of times it was seldom working, and at present the electric current was cut off during daylight hours. It was part of the economy drive in preparation for Hate Week. The flat was seven flights up, and Winston, who was thirty-nine and had a varicose ulcer above his right ankle, went slowly, resting several times on the way. On each landing, opposite the lift-shaft, the poster with the enormous face gazed from the wall. It was one of those pictures which are so contrived that the eyes follow you about when you move. BIG BROTHER IS WATCHING YOU, the caption beneath it ran.
Inside the flat a fruity voice was reading out a list of figures which had something to do with the production of pig-iron. The voice came from an oblong metal plaque like a dulled mirror which formed part of the surface of the right-hand wall. Winston turned a switch and the voice sank somewhat, though the words were still distinguishable. The instrument (the telescreen, it was called) could be dimmed, but there was no way of shutting it off completely. He moved over to the window : a smallish, frail figure, the meagreness of his body merely emphasized by the blue overalls which were the uniform of the party. His hair was very fair, his face naturally sanguine, his skin roughened by coarse soap and blunt razor blades and the cold of the winter that had just ended.
Outside, even through the shut window-pane, the world looked cold. Down in the street little eddies of wind were whirling dust and torn paper into spirals, and though the sun was shining and the sky a harsh blue, there seemed to be no colour in anything, except the posters that were plastered everywhere. The blackmoustachio’d face gazed down from every commanding corner. There was one on the house-front immediately opposite. BIG BROTHER IS WATCHING YOU, the caption said, while the dark eyes looked deep into Winston’s own. Down at streetlevel another poster, torn at one corner, flapped fitfully in the wind, alternately covering and uncovering the single word INGSOC. In the far distance a helicopter skimmed down between the roofs, hovered for an instant like a bluebottle, and darted away again with a curving flight. It was the police patrol, snooping into people’s windows. The patrols did not matter, however. Only the Thought Police mattered.
Behind Winston’s back the voice from the telescreen was still babbling away about pig-iron and the overfulfilment of the Ninth Three-Year Plan. The telescreen received and transmitted simultaneously. Any sound that Winston made, above the level of a very low whisper, would be picked up by it, moreover, so long as he remained within the field of vision which the metal plaque commanded, he could be seen as well as heard. There was of course no way of knowing whether you were being watched at any given moment. How often, or on what system, the Thought Police plugged in on any individual wire was guesswork. It was even conceivable that they watched everybody all the time. But at any rate they could plug in your wire whenever they wanted to. You had to live — did live, from habit that became instinct — in the assumption that every sound you made was overheard, and, except in darkness, every movement scrutinized.
Winston kept his back turned to the telescreen. It was safer, though, as he well knew, even a back can be revealing. A kilometre away the Ministry of Truth, his place of work, towered vast and white above the grimy landscape. This, he thought with a sort of vague distaste — this was London, chief city of Airstrip One, itself the third most populous of the provinces of Oceania. He tried to squeeze out some childhood memory that should tell him whether London had always been quite like this. Were there always these vistas of rotting nineteenth-century houses, their sides shored up with baulks of timber, their windows patched with cardboard and their roofs with corrugated iron, their crazy garden walls sagging in all directions ? And the bombed sites where the plaster dust swirled in the air and the willow-herb straggled over the heaps of rubble ; and the places where the bombs had cleared a larger patch and there had sprung up sordid colonies of wooden dwellings like chicken-houses ? But it was no use, he could not remember : nothing remained of his childhood except a series of bright-lit tableaux occurring against no background and mostly unintelligible.
The Ministry of Truth — Minitrue, in Newspeak — was startlingly different from any other object in sight. It was an enormous pyramidal structure of glittering white concrete, soaring up, terrace after terrace, 300 metres into the air. From where Winston stood it was just possible to read, picked out on its white face in elegant lettering, the three slogans of the Party :
WAR IS PEACE
FREEDOM IS SLAVERY
IGNORANCE IS STRENGTH
The Ministry of Truth contained, it was said, three thousand rooms above ground level, and corresponding ramifications below. Scattered about London there were just three other buildings of similar appearance and size. So completely did they dwarf the surrounding architecture that from the roof of Victory Mansions you could see all four of them simultaneously. They were the homes of the four Ministries between which the entire apparatus of government was divided. The Ministry of Truth, which concerned itself with news, entertainment, education, and the fine arts. The Ministry of Peace, which concerned itself with war. The Ministry of Love, which maintained law and order. And the Ministry of Plenty, which was responsible for economic affairs. Their names, in Newspeak : Minitrue, Minipax, Miniluv, and Miniplenty.
The Ministry of Love was the really frightening one. There were no windows in it at all. Winston had never been inside the Ministry of Love, nor within half a kilometre of it. It was a place impossible to enter except on official business, and then only by penetrating through a maze of barbed-wire entanglements, steel doors, and hidden machine-gun nests. Even the streets leading up to its outer barriers were roamed by gorilla-faced guards in black uniforms, armed with jointed truncheons.
Winston turned round abruptly. He had set his features into the expression of quiet optimism which it was advisable to wear when facing the telescreen. He crossed the room into the tiny kitchen. By leaving the Ministry at this time of day he had sacrificed his lunch in the canteen, and he was aware that there was no food in the kitchen except a hunk of dark-coloured bread which had got to be saved for tomorrow’s breakfast. He took down from the shelf a bottle of colourless liquid with a plain white label marked VICTORY GIN. It gave off a sickly, oily smell, as of Chinese ricespirit. Winston poured out nearly a teacupful, nerved himself for a shock, and gulped it down like a dose of medicine.
Instantly his face turned scarlet and the water ran out of his eyes. The stuff was like nitric acid, and moreover, in swallowing it one had the sensation of being hit on the back of the head with a rubber club. The next moment, however, the burning in his belly died down and the world began to look more cheerful. He took a cigarette from a crumpled packet marked VICTORY CIGARETTES and incautiously held it upright, whereupon the tobacco fell out on to the floor. With the next he was more successful. He went back to the living-room and sat down at a small table that stood to the left of the telescreen. From the table drawer he took out a penholder, a bottle of ink, and a thick, quarto-sized blank book with a red back and a marbled cover.
For some reason the telescreen in the living-room was in an unusual position. Instead of being placed, as was normal, in the end wall, where it could command the whole room, it was in the longer wall, opposite the window. To one side of it there was a shallow alcove in which Winston was now sitting, and which, when the flats were built, had probably been intended to hold bookshelves. By sitting in the alcove, and keeping well back, Winston was able to remain outside the range of the telescreen, so far as sight went. He could be heard, of course, but so long as he stayed in his present position he could not be seen. It was partly the unusual geography of the room that had suggested to him the thing that he was now about to do.
But it had also been suggested by the book that he had just taken out of the drawer. It was a peculiarly beautiful book. Its smooth creamy paper, a little yellowed by age, was of a kind that had not been manufactured for at least forty years past. He could guess, however, that the book was much older than that. He had seen it lying in the window of a frowsy little junk-shop in a slummy quarter of the town (just what quarter he did not now remember) and had been stricken immediately by an overwhelming desire to possess it. Party members were supposed not to go into ordinary shops (’dealing on the free market’, it was called), but the rule was not strictly kept, because there were various things, such as shoelaces and razor blades, which it was impossible to get hold of in any other way. He had given a quick glance up and down the street and then had slipped inside and bought the book for two dollars fifty. At the time he was not conscious of wanting it for any particular purpose. He had carried it guiltily home in his briefcase. Even with nothing written in it, it was a compromising possession.
The thing that he was about to do was to open a diary. This was not illegal (nothing was illegal, since there were no longer any laws), but if detected it was reasonably certain that it would be punished by death, or at least by twenty-five years in a forced-labour camp. Winston fitted a nib into the penholder and sucked it to get the grease off. The pen was an archaic instrument, seldom used even for signatures, and he had procured one, furtively and with some difficulty, simply because of a feeling that the beautiful creamy paper deserved to be written on with a real nib instead of being scratched with an ink-pencil. Actually he was not used to writing by hand. Apart from very short notes, it was usual to dictate everything into the speakwrite which was of course impossible for his present purpose. He dipped the pen into the ink and then faltered for just a second. A tremor had gone through his bowels. To mark the paper was the decisive act. In small clumsy letters he wrote :
April 4th, 1984.
He sat back. A sense of complete helplessness had descended upon him. To begin with, he did not know with any certainty that this was 1984. It must be round about that date, since he was fairly sure that his age was thirty-nine, and he believed that he had been born in 1944 or 1945 ; but it was never possible nowadays to pin down any date within a year or two.
For whom, it suddenly occurred to him to wonder, was he writing this diary ? For the future, for the unborn. His mind hovered for a moment round the doubtful date on the page, and then fetched up with a bump against the Newspeak word doublethink. For the first time the magnitude of what he had undertaken came home to him. How could you communicate with the future ? It was of its nature impossible. Either the future would resemble the present, in which case it would not listen to him : or it would be different from it, and his predicament would be meaningless.
For some time he sat gazing stupidly at the paper. The telescreen had changed over to strident military music. It was curious that he seemed not merely to have lost the power of expressing himself, but even to have forgotten what it was that he had originally intended to say. For weeks past he had been making ready for this moment, and it had never crossed his mind that anything would be needed except courage. The actual writing would be easy. All he had to do was to transfer to paper the interminable restless monologue that had been running inside his head, literally for years. At this moment, however, even the monologue had dried up. Moreover his varicose ulcer had begun itching unbearably. He dared not scratch it, because if he did so it always became inflamed. The seconds were ticking by. He was conscious of nothing except the blankness of the page in front of him, the itching of the skin above his ankle, the blaring of the music, and a slight booziness caused by the gin.
Suddenly he began writing in sheer panic, only imperfectly aware of what he was setting down. His small but childish handwriting straggled up and down the page, shedding first its capital letters and finally even its full stops :
April 4th, 1984. Last night to the flicks. All war films. One very good one of a ship full of refugees being bombed somewhere in the Mediterranean. Audience much amused by shots of a great huge fat man trying to swim away with a helicopter after him, first you saw him wallowing along in the water like a porpoise, then you saw him through the helicopters gunsights, then he was full of holes and the sea round him turned pink and he sank as suddenly as though the holes had let in the water, audience shouting with laughter when he sank. then you saw a lifeboat full of children with a helicopter hovering over it. there was a middle-aged woman might have been a jewess sitting up in the bow with a little boy about three years old in her arms. little boy screaming with fright and hiding his head between her breasts as if he was trying to burrow right into her and the woman putting her arms round him and comforting him although she was blue with fright herself, all the time covering him up as much as possible as if she thought her arms could keep the bullets off him. then the helicopter planted a 20 kilo bomb in among them terrific flash and the boat went all to matchwood. then there was a wonderful shot of a child’s arm going up up up right up into the air a helicopter with a camera in its nose must have followed it up and there was a lot of applause from the party seats but a woman down in the prole part of the house suddenly started kicking up a fuss and shouting they didnt oughter of showed it not in front of kids they didnt it aint right not in front of kids it aint until the police turned her turned her out i dont suppose anything happened to her nobody cares what the proles say typical prole reaction they never —
Winston stopped writing, partly because he was suffering from cramp. He did not know what had made him pour out this stream of rubbish. But the curious thing was that while he was doing so a totally different memory had clarified itself in his mind, to the point where he almost felt equal to writing it down. It was, he now realized, because of this other incident that he had suddenly decided to come home and begin the diary today.
It had happened that morning at the Ministry, if anything so nebulous could be said to happen.
It was nearly eleven hundred, and in the Records Department, where Winston worked, they were dragging the chairs out of the cubicles and grouping them in the centre of the hall opposite the big telescreen, in preparation for the Two Minutes Hate. Winston was just taking his place in one of the middle rows when two people whom he knew by sight, but had never spoken to, came unexpectedly into the room. One of them was a girl whom he often passed in the corridors. He did not know her name, but he knew that she worked in the Fiction Department. Presumably — since he had sometimes seen her with oily hands and carrying a spanner she had some mechanical job on one of the novel-writing machines. She was a bold-looking girl, of about twenty-seven, with thick hair, a freckled face, and swift, athletic movements. A narrow scarlet sash, emblem of the Junior Anti-Sex League, was wound several times round the waist of her overalls, just tightly enough to bring out the shapeliness of her hips. Winston had disliked her from the very first moment of seeing her. He knew the reason. It was because of the atmosphere of hockey-fields and cold baths and community hikes and general clean-mindedness which she managed to carry about with her. He disliked nearly all women, and especially the young and pretty ones. It was always the women, and above all the young ones, who were the most bigoted adherents of the Party, the swallowers of slogans, the amateur spies and nosers-out of unorthodoxy. But this particular girl gave him the impression of being more dangerous than most. Once when they passed in the corridor she gave him a quick sidelong glance which seemed to pierce right into him and for a moment had filled him with black terror. The idea had even crossed his mind that she might be an agent of the Thought Police. That, it was true, was very unlikely. Still, he continued to feel a peculiar uneasiness, which had fear mixed up in it as well as hostility, whenever she was anywhere near him.
The other person was a man named O’Brien, a member of the Inner Party and holder of some post so important and remote that Winston had only a dim idea of its nature. A momentary hush passed over the group of people round the chairs as they saw the black overalls of an Inner Party member approaching. O’Brien was a large, burly man with a thick neck and a coarse, humorous, brutal face. In spite of his formidable appearance he had a certain charm of manner. He had a trick of resettling his spectacles on his nose which was curiously disarming — in some indefinable way, curiously civilized. It was a gesture which, if anyone had still thought in such terms, might have recalled an eighteenth-century nobleman offering his snuffbox. Winston had seen O’Brien perhaps a dozen times in almost as many years. He felt deeply drawn to him, and not solely because he was intrigued by the contrast between O’Brien’s urbane manner and his prize-fighter’s physique. Much more it was because of a secretly held belief — or perhaps not even a belief, merely a hope — that O’Brien’s political orthodoxy was not perfect. Something in his face suggested it irresistibly. And again, perhaps it was not even unorthodoxy that was written in his face, but simply intelligence. But at any rate he had the appearance of being a person that you could talk to if somehow you could cheat the telescreen and get him alone. Winston had never made the smallest effort to verify this guess : indeed, there was no way of doing so. At this moment O’Brien glanced at his wrist-watch, saw that it was nearly eleven hundred, and evidently decided to stay in the Records Department until the Two Minutes Hate was over. He took a chair in the same row as Winston, a couple of places away. A small, sandy-haired woman who worked in the next cubicle to Winston was between them. The girl with dark hair was sitting immediately behind.
The next moment a hideous, grinding speech, as of some monstrous machine running without oil, burst from the big telescreen at the end of the room. It was a noise that set one’s teeth on edge and bristled the hair at the back of one’s neck. The Hate had started.
As usual, the face of Emmanuel Goldstein, the Enemy of the People, had flashed on to the screen. There were hisses here and there among the audience. The little sandy-haired woman gave a squeak of mingled fear and disgust. Goldstein was the renegade and backslider who once, long ago (how long ago, nobody quite remembered), had been one of the leading figures of the Party, almost on a level with Big Brother himself, and then had engaged in counter-revolutionary activities, had been condemned to death, and had mysteriously escaped and disappeared. The programmes of the Two Minutes Hate varied from day to day, but there was none in which Goldstein was not the principal figure. He was the primal traitor, the earliest defiler of the Party’s purity. All subsequent crimes against the Party, all treacheries, acts of sabotage, heresies, deviations, sprang directly out of his teaching. Somewhere or other he was still alive and hatching his conspiracies : perhaps somewhere beyond the sea, under the protection of his foreign paymasters, perhaps even — so it was occasionally rumoured — in some hiding-place in Oceania itself.
Winston’s diaphragm was constricted. He could never see the face of Goldstein without a painful mixture of emotions. It was a lean Jewish face, with a great fuzzy aureole of white hair and a small goatee beard — a clever face, and yet somehow inherently despicable, with a kind of senile silliness in the long thin nose, near the end of which a pair of spectacles was perched. It resembled the face of a sheep, and the voice, too, had a sheep-like quality. Goldstein was delivering his usual venomous attack upon the doctrines of the Party — an attack so exaggerated and perverse that a child should have been able to see through it, and yet just plausible enough to fill one with an alarmed feeling that other people, less level-headed than oneself, might be taken in by it. He was abusing Big Brother, he was denouncing the dictatorship of the Party, he was demanding the immediate conclusion of peace with Eurasia, he was advocating freedom of speech, freedom of the Press, freedom of assembly, freedom of thought, he was crying hysterically that the revolution had been betrayed — and all this in rapid polysyllabic speech which was a sort of parody of the habitual style of the orators of the Party, and even contained Newspeak words : more Newspeak words, indeed, than any Party member would normally use in real life. And all the while, lest one should be in any doubt as to the reality which Goldstein’s specious claptrap covered, behind his head on the telescreen there marched the endless columns of the Eurasian army — row after row of solid-looking men with expressionless Asiatic faces, who swam up to the surface of the screen and vanished, to be replaced by others exactly similar. The dull rhythmic tramp of the soldiers’ boots formed the background to Goldstein’s bleating voice.
Before the Hate had proceeded for thirty seconds, uncontrollable exclamations of rage were breaking out from half the people in the room. The self-satisfied sheep-like face on the screen, and the terrifying power of the Eurasian army behind it, were too much to be borne : besides, the sight or even the thought of Goldstein produced fear and anger automatically. He was an object of hatred more constant than either Eurasia or Eastasia, since when Oceania was at war with one of these Powers it was generally at peace with the other. But what was strange was that although Goldstein was hated and despised by everybody, although every day and a thousand times a day, on platforms, on the telescreen, in newspapers, in books, his theories were refuted, smashed, ridiculed, held up to the general gaze for the pitiful rubbish that they were in spite of all this, his influence never seemed to grow less. Always there were fresh dupes waiting to be seduced by him. A day never passed when spies and saboteurs acting under his directions were not unmasked by the Thought Police. He was the commander of a vast shadowy army, an underground network of conspirators dedicated to the overthrow of the State. The Brotherhood, its name was supposed to be. There were also whispered stories of a terrible book, a compendium of all the heresies, of which Goldstein was the author and which circulated clandestinely here and there. It was a book without a title. People referred to it, if at all, simply as the book. But one knew of such things only through vague rumours. Neither the Brotherhood nor the book was a subject that any ordinary Party member would mention if there was a way of avoiding it.
In its second minute the Hate rose to a frenzy. People were leaping up and down in their places and shouting at the tops of their voices in an effort to drown the maddening bleating voice that came from the screen. The little sandy-haired woman had turned bright pink, and her mouth was opening and shutting like that of a landed fish. Even O’Brien’s heavy face was flushed. He was sitting very straight in his chair, his powerful chest swelling and quivering as though he were standing up to the assault of a wave. The dark-haired girl behind Winston had begun crying out ’Swine ! Swine ! Swine !’ and suddenly she picked up a heavy Newspeak dictionary and flung it at the screen. It struck Goldstein’s nose and bounced off ; the voice continued inexorably. In a lucid moment Winston found that he was shouting with the others and kicking his heel violently against the rung of his chair. The horrible thing about the Two Minutes Hate was not that one was obliged to act a part, but, on the contrary, that it was impossible to avoid joining in. Within thirty seconds any pretence was always unnecessary. A hideous ecstasy of fear and vindictiveness, a desire to kill, to torture, to smash faces in with a sledge-hammer, seemed to flow through the whole group of people like an electric current, turning one even against one’s will into a grimacing, screaming lunatic. And yet the rage that one felt was an abstract, undirected emotion which could be switched from one object to another like the flame of a blowlamp. Thus, at one moment Winston’s hatred was not turned against Goldstein at all, but, on the contrary, against Big Brother, the Party, and the Thought Police ; and at such moments his heart went out to the lonely, derided heretic on the screen, sole guardian of truth and sanity in a world of lies. And yet the very next instant he was at one with the people about him, and all that was said of Goldstein seemed to him to be true. At those moments his secret loathing of Big Brother changed into adoration, and Big Brother seemed to tower up, an invincible, fearless protector, standing like a rock against the hordes of Asia, and Goldstein, in spite of his isolation, his helplessness, and the doubt that hung about his very existence, seemed like some sinister enchanter, capable by the mere power of his voice of wrecking the structure of civilization.
It was even possible, at moments, to switch one’s hatred this way or that by a voluntary act. Suddenly, by the sort of violent effort with which one wrenches one’s head away from the pillow in a nightmare, Winston succeeded in transferring his hatred from the face on the screen to the dark-haired girl behind him. Vivid, beautiful hallucinations flashed through his mind. He would flog her to death with a rubber truncheon. He would tie her naked to a stake and shoot her full of arrows like Saint Sebastian. He would ravish her and cut her throat at the moment of climax. Better than before, moreover, he realized why it was that he hated her. He hated her because she was young and pretty and sexless, because he wanted to go to bed with her and would never do so, because round her sweet supple waist, which seemed to ask you to encircle it with your arm, there was only the odious scarlet sash, aggressive symbol of chastity.
The Hate rose to its climax. The voice of Goldstein had become an actual sheep’s bleat, and for an instant the face changed into that of a sheep. Then the sheep-face melted into the figure of a Eurasian soldier who seemed to be advancing, huge and terrible, his sub-machine gun roaring, and seeming to spring out of the surface of the screen, so that some of the people in the front row actually flinched backwards in their seats. But in the same moment, drawing a deep sigh of relief from everybody, the hostile figure melted into the face of Big Brother, black-haired, black-moustachio’d, full of power and mysterious calm, and so vast that it almost filled up the screen. Nobody heard what Big Brother was saying. It was merely a few words of encouragement, the sort of words that are uttered in the din of battle, not distinguishable individually but restoring confidence by the fact of being spoken. Then the face of Big Brother faded away again, and instead the three slogans of the Party stood out in bold capitals :
WAR IS PEACE
FREEDOM IS SLAVERY
IGNORANCE IS STRENGTH
But the face of Big Brother seemed to persist for several seconds on the screen, as though the impact that it had made on everyone’s eyeballs was too vivid to wear off immediately. The little sandyhaired woman had flung herself forward over the back of the chair in front of her. With a tremulous murmur that sounded like ’My Saviour !’ she extended her arms towards the screen. Then she buried her face in her hands. It was apparent that she was uttering a prayer.
At this moment the entire group of people broke into a deep, slow, rhythmical chant of ’B-B ! ...B-B !’ — over and over again, very slowly, with a long pause between the first ’B’ and the second-a heavy, murmurous sound, somehow curiously savage, in the background of which one seemed to hear the stamp of naked feet and the throbbing of tom-toms. For perhaps as much as thirty seconds they kept it up. It was a refrain that was often heard in moments of overwhelming emotion. Partly it was a sort of hymn to the wisdom and majesty of Big Brother, but still more it was an act of self-hypnosis, a deliberate drowning of consciousness by means of rhythmic noise. Winston’s entrails seemed to grow cold. In the Two Minutes Hate he could not help sharing in the general delirium, but this sub-human chanting of ’B-B ! ...B-B !’ always filled him with horror. Of course he chanted with the rest : it was impossible to do otherwise. To dissemble your feelings, to control your face, to do what everyone else was doing, was an instinctive reaction. But there was a space of a couple of seconds during which the expression of his eyes might conceivably have betrayed him. And it was exactly at this moment that the significant thing happened — if, indeed, it did happen.
Momentarily he caught O’Brien’s eye. O’Brien had stood up. He had taken off his spectacles and was in the act of resettling them on his nose with his characteristic gesture. But there was a fraction of a second when their eyes met, and for as long as it took to happen Winston knew-yes, he knew !-that O’Brien was thinking the same thing as himself. An unmistakable message had passed. It was as though their two minds had opened and the thoughts were flowing from one into the other through their eyes. ’I am with you,’ O’Brien seemed to be saying to him. ’I know precisely what you are feeling. I know all about your contempt, your hatred, your disgust. But don’t worry, I am on your side !’ And then the flash of intelligence was gone, and O’Brien’s face was as inscrutable as everybody else’s.
That was all, and he was already uncertain whether it had happened. Such incidents never had any sequel. All that they did was to keep alive in him the belief, or hope, that others besides himself were the enemies of the Party. Perhaps the rumours of vast underground conspiracies were true after all — perhaps the Brotherhood really existed ! It was impossible, in spite of the endless arrests and confessions and executions, to be sure that the Brotherhood was not simply a myth. Some days he believed in it, some days not. There was no evidence, only fleeting glimpses that might mean anything or nothing : snatches of overheard conversation, faint scribbles on lavatory walls — once, even, when two strangers met, a small movement of the hand which had looked as though it might be a signal of recognition. It was all guesswork : very likely he had imagined everything. He had gone back to his cubicle without looking at O’Brien again. The idea of following up their momentary contact hardly crossed his mind. It would have been inconceivably dangerous even if he had known how to set about doing it. For a second, two seconds, they had exchanged an equivocal glance, and that was the end of the story. But even that was a memorable event, in the locked loneliness in which one had to live.
Winston roused himself and sat up straighter. He let out a belch. The gin was rising from his stomach.
His eyes re-focused on the page. He discovered that while he sat helplessly musing he had also been writing, as though by automatic action. And it was no longer the same cramped, awkward handwriting as before. His pen had slid voluptuously over the smooth paper, printing in large neat capitals -
DOWN WITH BIG BROTHER
DOWN WITH BIG BROTHER
DOWN WITH BIG BROTHER
DOWN WITH BIG BROTHER
DOWN WITH BIG BROTHER
over and over again, filling half a page.
He could not help feeling a twinge of panic. It was absurd, since the writing of those particular words was not more dangerous than the initial act of opening the diary, but for a moment he was tempted to tear out the spoiled pages and abandon the enterprise altogether.
He did not do so, however, because he knew that it was useless. Whether he wrote DOWN WITH BIG BROTHER, or whether he refrained from writing it, made no difference. Whether he went on with the diary, or whether he did not go on with it, made no difference. The Thought Police would get him just the same. He had committed — would still have committed, even if he had never set pen to paper — the essential crime that contained all others in itself. Thoughtcrime, they called it. Thoughtcrime was not a thing that could be concealed for ever. You might dodge successfully for a while, even for years, but sooner or later they were bound to get you.
It was always at night — the arrests invariably happened at night. The sudden jerk out of sleep, the rough hand shaking your shoulder, the lights glaring in your eyes, the ring of hard faces round the bed. In the vast majority of cases there was no trial, no report of the arrest. People simply disappeared, always during the night. Your name was removed from the registers, every record of everything you had ever done was wiped out, your one-time existence was denied and then forgotten. You were abolished, annihilated : vaporized was the usual word.
For a moment he was seized by a kind of hysteria. He began writing in a hurried untidy scrawl :
theyll shoot me i don’t care theyll shoot me in the back of the neck i dont care down with big brother they always shoot you in the back of the neck i dont care down with big brother —
He sat back in his chair, slightly ashamed of himself, and laid down the pen. The next moment he started violently. There was a knocking at the door.
Already ! He sat as still as a mouse, in the futile hope that whoever it was might go away after a single attempt. But no, the knocking was repeated. The worst thing of all would be to delay. His heart was thumping like a drum, but his face, from long habit, was probably expressionless. He got up and moved heavily towards the door.
(Public Domain) Source www.george-orwell.org