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Lilith et son amant français (5) 

jeudi 1er décembre 2011, par Mariana Naydova

— J’aime beaucoup mes enfants, Marie. Le jour de Toussaint je les ai emmenés avec ma voiture à Toulouse chez leurs cousins et pour qu’ils voient leur grand-mère.

Il n’y a pas de vent. L’air est fin, pur et tranchant. Fernand se détend sur sa chaise et allume une cigarette. Marie fume avec lui. Elle apporte une bouteille de vin rouge, et la chaleur du vin réchauffe l’estomac. Les yeux de Marie sont absents, et ses joues sont devenues roses. Elle semble rajeunie.
— Est-ce que tu vas faire l’amour avec moi, Fernand ? Pas maintenant, c’est trop beau le silence et cette intimité pour qu’on se jette dans les draps. Mais peut-être, plus tard ? Ou une autre fois, quand tu iras aux champignons ? C’est vivifiant de faire l’amour, seulement il ne faut pas que ce soit trop souvent. Sinon, l’amour est dévastateur.
— J’ai rencontré une femme, Marie. Elle est Bulgare, vit en Bulgarie. Est-ce que tu as entendu parler de la Bulgarie ?
Marie a entendu parler du Pape et de l’attentat contre lui, et encore d’un écrivain bulgare, qui avait été tué, empoisonné à Londres avec un parapluie. Fernand en sait plus qu’elle, aussi pour les soirées d’été, où Lilith se repose sous la vigne et boit des gin-tonic, des scandales de ses voisins, et des chiens errants dans les rues, devenus sauvages à cause de la faim.
— Son prénom est Lilith, et elle pense qu’elle a une mission. Nous allons faire l’amour, Marie. Oui, je pense que je vais te faire l’amour. Et pas seulement une fois.
— Ta femme, Fernand ?
— Anne.
— Est-ce que ta femme est au courant de ton histoire avec Lilith ? Ce prénom, je ne l’ai jamais entendu. Tu sais, j’ai couché avec Marc, c’est mon voisin. Ce n’était qu’une seule fois. Pierre était encore en vie, et Marc, le voisin, venait de rompre avec une femme. Il sentait son coeur brisé et je l’ai réconforté. Il me semble qu’il a aimé être consolé par moi, et on n’a pas fermé l’oeil de la nuit. Marc est un peu refermé sur lui et n’aime pas les effleurements, mais c’est un homme bien, et doux aussi. Il est si tendre qu’on ne peut manquer de le remarquer. C’est parce qu’il est gentil avec tout le monde.
Fernand s’étonne que Marc n’aime pas les effleurements, mais le sexe, c’est comment, avec lui ? Marie le regarde de biais, et Fernand se sent coupable et honteux, comme s’il voyait toujours Anne qui se masturbait.
— Quant à Anne, que je puisse avoir un secret ne lui vient pas à l’esprit. Elle est trop obsédée par elle-même pour me remarquer. Tu dis que ce Marc était doux ?
— Ah, oui ! Il est un homme bien.

A Paris Lilith a fait l’amour avec Mars. Est-ce qu’elle l’a mieux connu, alors ? Elle doit avoir plus de mal. Leurs corps se bousculent l’un contre l’autre avec cette odeur de fin, de bail, d’abandon et de mort, de grain qui ne tombe pas sur le champ. Le corps de Mars pèse sur la poitrine fragile de Lilith. Elle est l’agneau du sacrifice et n’ose même pas bouger. Mars est un peu déçu que la pénétration soit trop rapide et courte. Il lui caresse les cheveux, et puis s’endort. Leurs lettres et la soif d’amour meurent dans l’hôtel. Quand Mars est entré dans son corps, ils ont été déjà des étrangers.

J’écoute toujours Eve avec attention. Peut-être que je pourrais changer, apprendre quelque chose d’elle. Elle rougit, je ne rougis pas. Je commence à penser qu’elle est meilleure que moi au lit. Si elle rougit tellement, alors qui peut savoir quels fantasmes peuplent son esprit. En tout cas, son appétit pour le sexe est énorme. Elle sait qu’il ne faut pas refuser sa friandise à Adam. Le Dieu lui a donné tout ce qui lui était necessaire pour ne pas décevoir Adam. Quant à moi, dans cet hôtel, je n’ai même pas bougé, engourdie par la peur de décevoir Mars. A ma place, Eve lui aurait vite montré l’Andromaque, et les deux cuillères, ou la levrette, et ensuite lui aurait parlé du mystère du sexe. Je ne respirais pas, et je ne me suis même pas déshabillée, enveloppée bêtement dans le morceau de soie rouge que j’avais acheté pour lui. Cependant, mes cuisses étaient belles et chaudes, brûlantes et ouvertes. Mars m’a retournée, et les coups sur ma porte étaient forts. Il voulait peut-être me dire quelque chose comme cela, que mon vagin était étroit et tout doux comme celui d’ une jeune femme. J’écoutais les battements de mon coeur, et quand j’ai chevauché son corps, ses yeux étaient devenus déjà lointains et étrangers. Sa main paresseusement m’a montré son désir. J’ai pensé que j’étais minable. Le lit était énorme, je pouvais me cacher dans un de ses coins, comme si j’avais disparu et attendre l’aube. Il a seulement dit : "Après toutes tes lettres, Lilith ...” — et a souri tristement. Ensuite il m’a couverte de son corps, encore et encore.

Je ne suis pas méfiante, Fernand, mais je ne t’adresserai pas une photo de moi, du moins pas maintenant. Lorsque j’ai mis mon annonce sur le site, j’ai reçu de nombreuses lettres, et même envoyé à plusieurs personnes ma photo. Mais tu dois savoir que vous les Français, vous êtes horriblement soupçonneux. Je suis Bulgare quand même, et les hommes ont vite cessé de m’écrire en l’apprenant. Personne ne veut perdre son temps pour une aventure sans lendemain. Prendre une femme d’Europe de l’Est ce n’est pas comme de prendre un chien à la maison. C’est pire ! Mais bien sûr il ne faut pas la faire vacciner, hein ! Mais autrement, c’est un fardeau une telle femme. C’est pourquoi les hommes cherchent une femme plus près. Cela facilite les choses. Même Mars m’a écrit cela. Une fois, j’ai créé le faux profil d’une Allemande. Mars lui avait confié sa solitude, et donc, elle, avait été la première à lui écrire, et à dire comment un jour, qui sait, ils pourraient se rencontrer. Sinon, il cherchait une femme, douce, et tendre, qu’elle vive près de lui, cela simplifierait le problème. J’ai été blessée, malade de jalousie, et mon cœur saignait, lorsque de la bouche de Mars le sang tombait goutte à goutte. Je lui ai crié au visage :
— Mais, c’est moi, Lilith, Lilith, hein ! — J’ai été folle à lier. C’était sa réponse, car je le guettais, étant jalouse et obsessionnelle, une vraie obsédée, alors que lui, mais il s’amusait. Je ne devais jamais oublier que je n’étais pas sa femme, et que je ne le serai pas. Quant à lui, il cherchait une amitié avec quelqu’un qui écrivait de courtes lettres, pas comme moi, la prolixe. Je l’étouffais avec ma jalousie, une folle à lier, mais il était déjà attaché à ma folie. Donc, ne pas cesser de lui écrire. Je n’ai pas cessé. Ensuite j’ai pris l’avion, j’ai traversé tous ces kilomètres pour qu’il me baise dans un hôtel. Et toi, Fernand, tu veux ma photo ! Pourrais-je t’envoyer une photo, parmi celles avec lequelles Mars passe ses nuits solitaires, une photo où j’ai les jambes écartées. Il les a passées, serait plus exact à dire, je crois ! Je n’envoie plus à personne de photos ! Lilith


C’est Héphaïstos qui m’a aujourd’hui écrit à nouveau. Il est comme un mari jaloux, faché. Il veut des explications. Que des Grecs, hein ! Ils peuvent sans doute tout abandonner même la belle Aphrodite manifique dans les mains de ce singe boiteux. Mais il était un bon singe, et faisait des dons pour les dieux dans sa forge divine, Héphaïstos aux mains ingénieuses ! Je lui réponds que j’ai mon Mars, non pas que le forgeron ne le sache déjà.

J’AI TROUVÉ LES POÈMES D’ADAM, SES AVEUX D’AMOUR POUR EVE ET JE L’AI SURPRIS AVEC ELLE.

Lilith, merci beaucoup pour l’analyse astrologique que tu as faite. Je crois qu’il y a beaucoup de choses qui coïncident avec ce que tu as vu, sauf au sujet de mon père qui n’était pas autoritaire et que j’aimais plus que tout au monde. Sur ma nature de rêveur, c’est bien juste. Je rêve trop, et je n’arrive pas à me détacher de mes rêves. Au point que je reste obstinément dans l’idée de les réaliser, ce qui est dangereux. Sur la sexualité, je crois que tu as dis des choses très vraies. Sur ton message d’hier, je voudrais te dire que je n’ai pas compris pourquoi tu n’as pas pu pardonner à Adam, au point de rendre ta vie si douloureuse. Je vais peut-être te surprendre, mais je n’attache pas d’importance à la fidélité sexuelle. Si j’apprenais que ma compagne a eu une relation extra-conjugale, du moment que cette relation a été épisodique et qu’elle est finie, j’accepterais cela sans trop poser de questions. Pour moi, la sexualité est de très peu d’importance d’un point de vue symbolique. Je veux dire que c’est peu de chose en vérité, juste le travail des hormones. C’est dommage que tu n’aies pas surmonté cette déception, pourtant je te vois comme une intellectuelle, pas comme une petite ménagère qui s’attache à des choses aussi basiques. Mais ce n’est que mon point de vue, et je comprends qu’il ne soit pas partagé. De plus il y a aussi la barrière de la langue qui peut faire que j’ai mal compris ton message dans sa subtilité. Apprendre le bulgare, pourquoi pas ! Mais avant que je le parle aussi bien que tu parles le français, il me faudra beaucoup de temps et d’énergie. Ainsi tu vas te rendre à Paris ? Mais c’est une très bonne nouvelle. J’en suis ravi. Il faudra que l’on se rencontre. Mars

Je n’avais pas pu vendre mon aspirateur. Mars me disait que j’étais une vendeuse de première classe. L’été, quand je lui demandais de venir en Bulgarie, mon amant français plaisantait, en disant qu’avec ma redoutable détermination de l’avoir dans mon lit, je ressemblais à une vendeuse aux abois, clamant tristement : « Achetez, monsieur, mon aspirateur ! Il est fabriqué en Corée. Si cette offre est un peu chère, c’est à cause des frais de livraison, mais voyez plutôt sa puissance ! Il aspire tout, d’une seule goulée » ! Je n’ai pas arrêté d’en faire l’éloge, mais malgré cela, mon petit commerce n’a pas marché. Mars a refusé de venir, déclarant sans ambages, que une semaine dans mon lit ne changerait rien, que je serais encore plus malheureuse, et que lui — encore plus désespéré de devoir admettre que notre temps avait expiré. Plus jeune, il aurait accouru à la vitesse de la lumière pour me rejoindre. Mais déjà il ne pouvait plus prendre cette décision, c’était trop tard. Je me demande ce qui, finalement, l’avait fait accepter notre rencontre à Paris ? Ce qui l’avait décidé à s’arracher de sa philosophie de bernard-l’ermite, enfermé dans sa grande maison ? Ainsi cloîtré, le temps pour Mars s’arrêtait et ne coulait plus entre ses doigts, chaque jour étant identique au précédent. Mais s’il s’était enfoui en moi, le fleuve tumultueux des minutes se serait remis à courir vite.
Ensuite, dans l’aéroport, Mars m’avait étreinte. Sa main avait été douce dans le grand lit parisien où il avait gémit sourdement.

Marie jette du bois dans le feu. Son visage s’éclaire et Fernand ne peut pas détacher ses yeux d’elle. Chien et la bergère allemande dorment embrassés. Un brouillard léger est tombé, très fin et le soleil ressemble à une aquarelle.

— Est-ce qu’elle est belle, cette Lilith ?

— Je ne sais pas. Mais elle se comporte comme si elle l’était. Marie, tout cela n’est que virtuel avec elle. Le cœur de Lilith a été brisé, bien que je ne connaisse personne dont le cœur ne soit pas déchiré. Elle m’a raconté l’histoire d’un homme, qui lui a fait mal. Ils ont fait l’amour, pourtant Lilith s’est sentie seule dans le lit. Que signifie tout cela ?! Elle rêve de vengeance, qu’il souffre, qu’il sache qu’il l’avait laissée s’en aller.
— Il fallait qu’elle voie les mamelles de l’amante de mon Pierre, et elle serait maintenant libre comme moi. La sérénité c’est juste de ne pas tomber dans les pièges imaginés. Je suis lucide, donc, car je ne m’en imagine plus.

Marie avait eu un très bon amant. Bizarrement, c’était son mari, Pierre. Il s’est donné à elle, en faisant l’amour, a pris soin de ses plaisirs. Comme s’il lui rendait un service, en demandant sans cesse ce qu’elle aimait. Il pensait que Marie aimait le sexe oral, et faisait tout comme s’il lui donnait des cadeaux. Comme il disait : “Tu vois, si je suis là-bas, entre tes jambes, ce n’est que pour toi, parce que cela te plaît”.

— Il n’y a aucune raison pour moi que quelqu’un me suive dans le lit, Fernand.
Lorsque Marie a couché avec Marc, son voisin, il n’a guère été surpris. Il lui a juste grimpé dessus, et elle s’est relâchée quand Marc lui a dit : “Calme-toi, je vais te baiser doucement” ! J’ai soufflé lourdement, car il était fort, — elle rit — tu sais, Fernand, si l’homme n’a aucun autre avantage, au moins il pèse dans le lit. J’ai gémi, parce que je pensais qu’il attendait ça de moi, que je lui montre ma passion, que j’ai envie de lui. — “Détends-toi, fais comme si tu étais morte” ! — m’a-t-il dit. — Je me suis détendue, en me disant que j’allais arrêter de bouillonner ! Mais c’est moi qui est la terre, et lui, il est le laboureur. La terre ne conseille pas son laboureur pour qu’il s’enfonce car là c’est de l’argile, ni qu’il se glisse sur le sable, qu’il soit prudent avec le sol friable. La terre se laisse juste labourer. Marc est né laboureur, et bien qu’il ne semblait penser qu’à lui-même, il m’a si bien retournée que je lui en ai été reconnaissante. Ensuite, il s’est endormi. Il avait bien fait son travail, mais pas de tendresse, ou des embrassements après. Donc, je t’ai dit qu’il déteste tous ces petits effleurements, se faire bichonner, des bisous, ou se dorloter, mais cela n’avait rien à voir avec moi, juste avec lui. Alors, soit ta Lilith comprend, soit elle se fait des films.

Lilith, je ne saurai pas te réparer à distance ! Mais je comprends ta réaction, le flagrant délit ajoutant à ce qui est désespérant dans l’infidélité. Pour te réparer, que puis-je dire ? Que l’amour n’est pas ce que l’on croit, que les sentiments peuvent souffrir de la réalité et de la force de la chimie qui nous gouverne. Je regarde l’amour physique avec beaucoup de distance. Je n’attache pas d’importance au frottement de deux corps. Pour moi c’est étrange toute cette symbolique que l’on met dans cet acte assez peu intéressant. Faire l’amour n’a rien de bien supérieur à éternuer, ou manger, à trouver du plaisir dans un plat. Alors cela m’est indifférent que la personne que j’aime soit tentée d’éprouver du plaisir physique avec elle-même ou avec un autre. Je suis comme l’étranger de Camus. Oui, j’aime beaucoup cet écrivain et principalement ce petit livre “L’étranger” pour son style qui est extraordinaire, car il est dépouillé, ascétique, et surtout car il exprime par lui-même la distance si courte entre la vie et la mort. Regarde les cadavres des oiseaux ou des chats écrasés au bord des routes. Ils sont calmes, inanimés, indifférents au passage des voitures, à la gesticulation de la vie. Ils sont prostrés parfois dans des postures indécentes, ou ridicules, mais ils s’en fichent royalement. Camus me fait songer à cette indifférence lasse. Bon, il faut que je plonge dans mon travail, hélas ! Merci pour ta photo et celle de cette autre personne ! Qui est-elle ? Mars

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