La Revue des Ressources

Vampires 

mardi 29 décembre 2009, par Jean-Clet Martin

Le vampire est d’abord un nom de chauve-souris, à la fois mammifère et oiseau gris, comme naguère le Léviathan, être hybride venu des terres pour se fondre dans l’océan, s’y cacher : cachalot dévoreur d’hommes. Ces animaux sans essence, inclassables parce que hors de tout milieu, sont le signe d’une mystérieuse prolifération dont on ne sait d’ailleurs jamais par où elle passe ni comment elle se produit. Quel mode de reproduction les perpétue et comment les retrouve-t-on par delà les générations ? Quel est l’avenir d’un mort-vivant de ce genre qui, immémorial, semble pouvoir se passer de toute gestation ?

Le vampire n’a pas besoin de voir, il sent, il se glisse dans la nuit dont il possède la couleur pour se confondre avec les vivants et les morts. Son existence prouve la mutation, la possibilité pour un être de devenir autre chose, de sortir de sa catégorie en rivalisant avec l’oiseau tout en conservant la dentition du carnassier. Le sang est sa ligne de fuite glissant sur son manteau noir comme des gouttes en lesquelles se modifier, nouer un pacte avec d’autres codes, dans la transsubstantiation des genres. En lui saigne la molécule qui fera muter les espèces, le brin hybride qui constitue la curiosité des rencontres, leur puissance de contagion. Non pas seulement épidémie, mais "Nouvelle alliance" impossible à cicatriser... pullulement et hululement...

Les vampires sont un débordement du sang qui coule entre les règnes du vivant. Alors que le bestiaire dont disposait le Créateur montre partout des noms pour des êtres auxquels il fallait s’attendre, ces autres sont le résultat d’une création qui se poursuit bizarrement et dont manquait la définition. Non pas des miracles, mais des entités issues du hasard, des créatures fabriquées par des molécules inscrites sur les fichiers de Dieu, mais autrement associées, virales pour ainsi dire. Naissent ainsi d’autres créatures, d’autres croisements, inter/dits. Leur nom manque à l’appel des sept premiers jours de la création. Intriguants comme le mulet –croisement de l’âne et du cheval- sans avenir, sans descendance, ils n’ont pas la possibilité de se reproduire, condamnés à l’éternité de la nuit, à la résurrection du même, se reconstituant à partir d’une poussière de sang, d’une fiole de leur tombeau.

Leur sexualité est orale, buccale. Ils n’ont pas de fils, celui-ci n’étant qu’un clone de la même molécule. Ils se répliquent, se répètent, se propagent par division cellulaire, par morsure, mais jamais par généalogie, ni par naissance. Ils sont un outrage à leur naissance. Le vampire cesse d’être vivipare pour devenir scissipare. Un reste de son corps peut le reconstituer, une morsure le prolonger et le répandre parce qu’il n’a pas d’autres moyens de survivance que le parasitage, l’occupation du sang d’un autre. Il est séduit par les belles créatures mais ne leur laisse aucune fécondation, aucune semence d’une vie nouvelle, condamné à l’éternité de la répétition, à l’éternel retour du même. C’est sans doute le grand malheur des vampires devenus inféconds, inutiles en leur vie de mulet. Ils n’ont que des nuits interminables à remplir. Ils n’ont que leurs cellules comme avenir, avatars d’un défaut copulatif, d’une copulation de chauve-souris.

Sans êtres des hommes et sans être des animaux, ils ont été fabriqués avec des restes. Fruit d’un croisement comme deux arbres bouturés, dénaturés, leur beauté ne saurait aboutir à une stabilité familiale, renégat à leur famille, incapable d’en refonder une autre. Ils errent entre les heures du temps, à minuit, moment où tout se fige, où l’éternité trouve l’existence d’un instant qui sera toujours le même, divisé à l’ombre des paramécies. Leur détresse provient de l’identité de leur avenir, avec toujours le même sang à poursuivre, capable de survivre sans une goutte nouvelle, bien plus longtemps d’ailleurs qu’une graine de cactus séchée dans le désert. Ils ne vivent pas, ni même ne survivent. Ils sont ! Ils sont et désespèrent d’être sans que personne, ni une croix, ni même un pieu ne sauraient les abattre. Que la lumière les détruise, cela est certain, mais il restera bien quelque part une cellule à partir de laquelle se refaire, se reformater, condamnée à l’éternité d’un cancer libéré des lois de l’organisme.

Le vampire est « diabilisation » infinie qui montre que l’éternité est résultat d’une erreur, d’une réplication sauvage, que l’éternité est l’enfer lui rendant, du coup, les mortels si désirables. Il est le damné de la création, un dé pipé dont on ne peut qu’avoir pitié rejouant le salut chrétien sur son versant le plus obscur, le plus noir dont on voudrait d’ailleurs pouvoir le tirer, au point de l’aimer enfin. Ange à l’envers, son désir le plus ardent serait sans doute de perdre ses ailes éternelles, en trouvant un peu d’amour dans le regard d’une femme capable d’autres naissances, d’une autre reproduction... Ceci est mon corps… Nosferatu nous apparaît alors comme l’autre extrémité de l’ange, exclu lui aussi en un monde insipide dont le film de Wenders montre l’ennui par Les ailes du désir. D’où une allure d’antéchrist, une version tellurique du salut, l’attente d’une descendance au lieu de la division éternelle de soi dans la résurrection.

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