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L’entrée d’Hitler à Jendouba 

samedi 25 avril 2015, par Mohamed Kacimi

Dans ce monde désormais régi par les réseaux sociaux tout passe comme une lettre à la poste, les drames, les fakes, les massacres, les crimes, les enlèvements, les noyades. Persuadés que grâce aux « like », nous avons un avis sur tout et même un pouvoir sur le réel, nous ne bougeons plus de nos fauteuils. Si, il nous arrive de dire « je n’aime pas » ; et puis comment suivre ce défilé d’infos ? Le monde file et à quelle vitesse, nous passons en une fraction de seconde d’un naufrage de sept cent personnes en Méditerranée à une vidéo postée de Pékin qui montre un bébé rouler une pelle à un mérou. Nous sautons des bombardements du Yémen à la débâcle du PSG, en un clin d’œil. La vie va plus vite que nous. Le monde court plus vite que nous et nous coiffe, à chaque seconde au poteau. Et nous, nous regardons passer les trains. Persuadés que nous avons avis sur tout, nous ne bougeons plus. Aux dernières élections départementales qui se sont soldées par un raz de marée historique du Front National, et qui laissent entrevoir ce que ce sera le visage du pays dans une décennie ou deux, personne n’a mouffeté. Le PS, a botté en touche et des milliers de citoyens, républicains, sont restés chez eux, car la plupart on tagué « Salope » sur une photo de Marine Le Pen et ont reçu dans la seconde plus de cent like A quoi bon descendre dans la rue, si un simple clic nous attire autant de foules ? Et provoque autant de vagues, même virtuelles ?

Tout comme la mondialisation entraine la tribalisation de la planète, les réseaux sociaux engendrent un individualisme forcené. Quand le mal frappe notre monde, comme ce fut le cas lors de l’attentat contre Charlie, nous ne sommes pas une société qui affronte ce mal, mais une infinité d’individus. Je suis Charlie. Cette personnalisation en dit long sur l’évolution de la société. Alors qu’en mai 68 le slogan était « Nous sommes tous des juifs allemands ». Aujourd’hui, il serait « Je suis Juif allemand ». Chacun pour soi, chacun pour sa pomme. Je suis Danois, je suis Sarre Union. Je suis Bardo…
Et devant le dérisoire de cette empathie, j’attends le jour où des millions de citoyens vont crier « Je suis le vase de Soisson ». Au prix qu’a la solidarité de nos jours, nous pouvons nous permette le luxe d’avoir des révoltes rétroactives.
Bien entendu cette empathie a ses limites géographiques et traverse rarement la Méditerranée. Personne n’est Yazidi. Personne n’est Yarmouk. Personne n’est une fille enlevée par Boko Haram. Personne n’est chrétien d’Éthiopie égorgé en Cyrénaïque. Personne n’est Copte décapité sur une plage.
Même sur le Web, on évite les contrées mal famées.
Comme beaucoup, je me suis fait à cette routine du mal. Ou du moins j’essaye, mais hier en découvrant les images des Lycées de Jendouba, j’ai ressenti une terrible révolte et grande tristesse. Comment est-ce possible dans cette Tunisie, qui incarne nos derniers espoirs en une expérience démocratique et où le niveau d’instruction est l’un des plus élevés du monde arabe ? D’autant que l’information n’a pas suscité de grands remous. Mieux, certains m’ont écrit qu’il faut les comprendre, les gamins, c’est leur façon de fêter le bac.
Pire, une « amie » m’assure que c’est un jeu. Un jeu ! On est si démunis à Jandouba pour que les gamins n’aient rien d’autre dans leur coffre à jouets qu’Hitler et Daesh ? On s’éclate donc avec le fascisme et le terrorisme ! Une société qui laisse ses enfants dire qu’Hitler et Daesh sont leurs pères Noël est une société qui a renoncé à l’avenir, à son humanité.
Depuis des mois, à suivre ce qui se passe à travers le monde, j’ai l’impression de vivre sur le pont du Titanic. Mais on s’y fait. On se dit qu’aujourd’hui avec Face Book on a de la chance. Quand le bateau craquera contre l’iceberg, nous avons en réserve mille smileys pour pleurer ou rager à notre place et on pourra même tirer la langue aux eaux glacées. Sauvés, vous dis-je.

Mohamed Kacimi

Avec l’autorisation de l’auteur.

P.-S.

Source de l’article : FB Mohamed Kacimi.

Source du logo : businessnews.com.

1 Message

  • L’entrée d’Hitler à Jendouba 26 avril 2015 03:44, par Zoe

    Caricature de l’Allemagne ou affichage voulant impressionner des adversaires sportifs par une métaphore de la violence radicale ?

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