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Arménie 

mercredi 23 février 2011, par Romain Noir

Arménie

Pays-décor
désert ou presque
où surgit la pierre gravée
dans le signe qui panse
les plaies.

Après l’ouvrage écrit
taillé de texte clos
je m’assieds sur le banc
et je te regarde.

Arménie.

Pays de pierre diffuse
où se détend le ciel
et la terre en volutes,
où mille et un soupirs
soufflés de tons terreux
se mélangent
en vibrants corps à courbes.

Pays qui se tait fort
étourdit des breloques
de champs terrassés
de pâturages aigris
qui se perdent ou se disloquent
en de longs silences.

Pays de couleur
nuancée de creux qui coulent
en route hasardeuse,
en ruisseaux perdus.

Pays qui crie tout seul
de froid.

Arménie.

Pays qui tend ses seins
la pâleur sur son grain
puis soupire à la neige.

Pays qui décline
en d’infinies métamorphoses
tous les rayons du jour..

Pays qui se vide
en d’éternels voyages
et d’incessants adieux.

Sage pays de paysages
et de gens magnifiques
qui contre tout,
survivent.

Arménie.

Dans l’ombre d’un éclair
une courbe se lève
et l’ horizon fait femme,
s’évanouit dans l’ombre.

Et c’est beau.

Cascades

Ici tout est cascades
élan du cycle continu
du saut jusqu’à la ruine
à la dégringolade

Une suite prolonge une autre

Tout se vide en foule
ou se déduit par ricochet
Tout va et vient
en circuits de trames

Un pays
comme une longe chaine de chutes
où les restes d’un déluge
tirent des flots de solitude

Un défilé d’abrasif
où tout s’échange ou se remplace
dans un cortège
de lenteurs successives

Dans le jardin

Il fait calme dans le jardin
Pas un souffle ne parle
au corps transi
brulé de froid
la vie murmure et se vide
derrière la blessure
de l’amour

Dans l’inouï

Le temps nous a perdu.
Dans notre histoire,
y a tous nos aperçus,
nos immobiles.
Le temps nous a reclus
et puis,
il s’est perdu dans l’inouï,
dans l’inouï.
Ma peau contre ta peau,
mes os contre tes os,
mes yeux dans tes yeux
c’était pareil au même
au bord du ciel qui fuit.
L’amour nous démarque.
Il fait de nous des perles grises.
Le temps, c’est vrai, nous dégriffe
et nous griffe.

Espace

La terre se méfie d’elle-même
géométrie de carnaval

Sous les hauteurs timides
ou les grandeurs insolentes
c’est le masque paresseux
qui tend les courbes
au creux du soir

Sans cesse
l’espace doute
déroute des courses

Excès de mollesses
sous les douces moiteurs

du ciselet

Exil

J’ai vu des villes s’accrocher
sur des bords
surgir du néant.

Tout s’éprend
du relief
noir ou multicolore.

J’ai vu des villes s’attacher
petites sangsues
loin du monde du vivant.

Parfois,
la terre inspire les gens dans les gouffres et les expire au-dehors.

Tous
au courage obstiné
tiennent,
coûte que coûte.

Inertie

De lourdes chutes de vent malmènent les heures de promenade.
Je vois des cieux se jeter dans des vallées, siffleuses.
Un long crépuscule ne finit pas et défait le nœud du rideau.
De l’eau qui coule, vertus miraculeuses.
Entre le bleu et le jaune, une couleur aigre.
Le sol râpeux.

L’heure est acide
dans l’inertie du jour.

Le puits

Je me suis assis près du puits
pour observer devant
le semis tout pierreux
pour deviner dessous
les appuis, les assises
les jalets, les amas
les remblais, les caillasses.

Je me suis penché
pour ramasser tout près
de tout petit cailloux
surgissant du sous-sol, des appuis, des assises,
des jalets, des amas, des remblais, des caillasses.

J’ai fermé les yeux
pour gommer la surface et le panorama
couvert de pellicule.

Comme il n’y avait plus rien
plus rien du tout dessus, plus rien du tout dessous,
je rêvais du semis,
du grand puits tout pierreux.

Je me penchais
pour y jeter dedans
les tout petit cailloux.
Je les précipitai d’un coup
vers le sous-sol, les appuis, les assises,
les jalets, les amas, les remblais, les caillasses.

Et j’ai dormi.

Mélanges

Dans les terres basses.
Sous les vents, les sensitives.
Zones de transit.
Aux tons rompus de surbrillance.
Aux infinis mélanges.

Noradus

En quittant Vardenis
je me suis attardé
quelque temps sur la route
à l’ombre des khachkars

Toute une armée de pierre
est sur la position
qu’on voit non loin de l’eau
sur les bords d’un village

A l’horizon du lac
des rocs montent la garde
et font des silhouettes
avec la pierre tombale

J’arpente et je me perds
dans le cimetière étrange
recueil-cercueil aux épitaphes
où tout le vent serpente
où toute la pierre chante

Au pied des socles nus
mon œil lit les éclats
des gravures qu’il caresse

Cache-cache en blocs
de corps-à-morts
amorcés à la taille
en cogneur de scorilles.

Rongés fendus jaunis de rouille
hantés par l’os au pied du roc.

Au sommet de la butte
immobile, éternelle
j’attends l’ombre du soir
au milieu des khachkars.

Questions de paysage

Quand on a trop dit et pas assez.
Quand les mots ne peuvent plus.
Il faut les ranger et regarder.
Se voir.
Loin devant.
Écouter la terre qui nous parle.
Le vent qui s’égoutte.
Le ciel qui palpite.
Des sentiers se tordent jusqu’aux sommets.
Des nœuds se dénouent et nous lient.
Ensemble, la route devient belle.
L’amour est infini.
Tout redevient possible.
Sur les montagnes pleuvent de longs silences.

Sevan

De Noradus
on arrive à Sevan
au lac poudreux

qui se cogne à l’hiver

On marche on marche
au monté de la course
au ciel du monastère
Un lac est déchiré
jusqu’au sommet du bord

Blotti dans le creux
qui s’accroche aux rochers
il s’étire
jusqu’en haut
de l’arbre au clocher

Haut lac venteux
qui se glace au sommet
du bond de l’altitude
au sel des basses terres

Sevan
plein de mystère
appât du voyageur
si lente traversée

Amour du voyageur
qui se rend sur la grève

plein de mystère

du reflété de l’air
au bosselé du gravier

Au lac Sevan
je vois des ronds dans l’eau
je vois le rêve en bas des pierres

Spectral

Sans géographie
le ciel sur l’écliptique
mon regard le suit des yeux

Naine jaune
le cœur au noyau
sur les sursauts du cycle

A découvert
sur la plate-forme
la couronne
en taches claires

Etoile variable
au temps du monde
au thermostat céleste
celui qui désignait les morts
poitrine sacrificielle
d’où s’arrachait le coeur

A découvert
sous la marée solaire

Suivre ses taches
en ondes courtes

A découvert
Seul sous le spectre

Tornade

Je scrute le ciel en chassant la tornade.

Immobile au centre du déluge.

Tous les ravages de l’orage
dans ma tête
font de longs projectiles.

Tout se tortille.
Tout tourbillonne.
Tout se tord en d’immenses torsades.
Tourmente à me croquer le cou.
Détachés de spirales et grands tremblements.
La bourrasque est foreuse et distribue la mort.
Folle mèche qui s’emballe.

Foreuse à chaud qui déballe en fragments
l’hélice
à la spirale.

Troglodyte

J’ai vu des villes trouées
des étages à ronds vidés de gens
creusés par des mineurs ordinaires.

Sous terre et dans les airs
dans la montagne aux abris,
dans les grottes,
sur les hauteurs,
j’ai vu la ruche qui frémissait encore.

Dans la montagne vaincue par l’homme
à l’ombre des chaleurs
se déroule en silence
un immense puzzle
Les pièces d’une ville à pic
s’entrechoquent dans la paroi
des coffres à vides
des traces d’existences
cloisonnées par la roche
en d’infinis compartiments.

La foule
se répandait encore
sous la résonance caverneuse.

Des fragments de vie
murmuraient toujours
du ciel aux ouvertures.

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