La Revue des Ressources

TYPHON  

9 poèmes extraits de Typhon, accompagnés de 9 crânes de Benjamin Bondonneau

vendredi 5 septembre 2025, par Benjamin Bondonneau, Lionel Marchetti

Typhon (extraits) 9

accompagné
de

9 crânes

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1.

L’OBSCURITÉ

« C’est un fait que la forme
dont nous affirmons avoir conservé le souvenir
est totalement perdue et anéantie. »

Pic de la Mirandole ; selon Albert le Grand

Né aveugle ; aveugle né – parmi les aveugles.

Avancer à tâtons.

L’œil. Fragment d’une étoile. Les étoiles en leurs éclats. Un fait avéré.

Andromède.

Les Nuages de Magellan.

Vénus et Saturne, dans l’axe, en direction de Poisson austral, vers le Sculpteur.

Nommer les choses – les choses et les phénomènes ; « la ruée vers les phénomènes » ! – non pour en faire des choses, les objectiver et se les approprier abusivement
mais simplement pour devenir leur allié
librement.

Regarder. Écouter. Beauté du grand ciel ; l’immense et surtout, l’immensité.

Je ferme les yeux.

Retour à l’obscurité – en ces régions où subsiste encore quelque chose, dirait-on, de l’essence des formes.

J’ouvre et je lève les yeux.

Voici le jeu, celui qui permet la venue de certaines choses.

Elles frayent entre nous et le monde
l’ensemble étant soutenu par le grand jeu, silencieux et nu.

Les illusions, considérées pour ce qu’elles sont – sont-elles malgré tout intimement liées à l’essence des formes
puisqu’elles nous informent ?

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2.

RÊVE NOIR

Entre deux lumières

Esprit déchiré, vie
déchirée.

Noyade. Les poumons sont obstrués.

Le combat est-il à la hauteur ?

La douleur, toujours
maîtresse de la douleur. Sorte de roulis, d’écume immonde sur les grèves de l’immonde.

Une image se décompose, très lentement, vainement mélangée à ces émanations.

Poussière artificielle, un peu de boue.

L’arrêt.

L’illisible.

Rêve noir, cauchemar, tête pleine – rencontre inattendue avec un mot sans vie.

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3.

LA ROUE

« Dans l’augmentation et la diminution de son intensité, la forme ne varie pas selon son essence, mais selon son être. »
Pic de la Mirandole, selon Albert le Grand.

Intuition vive. Je sais sans savoir, dit-il – donc je sais. Et je ne sais pas.

La roue. Où commence-t-elle ? Ou finit-elle ?

Temps mort vivant de son absence.

Danser.

Lorsque la danse respire
aussi simplement que respirer et expirer sont la substance du ciel.

Aller, tout comme s’en aller
ne veut plus rien dire.

Agir sur le champ !

Vent glacial
quelques flocons de neige
se mêlent aux fleurs du printemps.

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4.

BEAUTÉ FROIDE

Beauté froide de cet immense nuage noir façonné par le vent.

Déjà défait – depuis cette lumière de haute atmosphère qui l’avait pourtant formé, méticuleusement.

Il existe et il n’existe pas.

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5.

HARMONIE DU MOUVANT

Une façon de s’incliner, respectueusement.

Tant en ce qui concerne le geste artiste (façonner, écrire et composer)
que le fait perceptif (lorsque l’on s’accorde avec l’image, sa présence, comme en regard de son harmonie).

L’harmonie ? Ce serait la justesse d’un geste juste qui laisse advenir une clarté.

Celle qui ne désigne rien.

Rien d’autre que le mouvant.

Lecture de Pic de la Mirandole ; selon Henri de Gand :

« La relation ne se distingue pas réellement du fondement. »

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6.

LE TEMPS

1.

Sortir et respirer. S’accorder avec le réel, qui est là, où que tu sois, quelque soit la situation
et considérer, tout simplement
le théâtre du monde pour ce qu’il est.

2.

L’ego n’a-t-il pas droit, lui-aussi, à la beauté vive et effilée des grands nuages ?

3.

Sans se soucier du jeu des acteurs, ni du terrain sur lequel ils prétendent danser
marcher, dans la substance

Soleil pleine face.

4

Un point. Une alliance sans alliance (puisqu’elle est
déjà là)
née du monde dont nous sommes l’émanation
les composants, le vivace
plus que l’invention.

Un deuxième point ? Remercier, acquiescer – dire oui.

Voici, cette fois-ci, un cercle.

5.

J’ouvre un ouvrage au hasard et je trouve cette parole de Roland Yuno Rech :

« Quand il fait chaud, on a simplement chaud, quand il fait froid, on a simplement froid. Quand quelque chose d’inévitable arrive, on l’accepte. Quand on peut modifier quelque chose, on fait ce qu’il faut faire. »

6.

Les détritus, tout naturellement, sont de l’or ; les voici
revenus depuis le grand cycle au travers du jeu des formes et dansant, même si c’est improbable, la danse des temporalités justes.

De l’amitié avec les formes.

De l’amitié avec ces imprévisibles moments de temps, reliés, dirait-on
au grand Temps.

Qu’il existe ou qu’il n’existe pas, qu’importe
puisqu’il est là !

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7.

D’AUCUNE CIBLE

Viser, en plein centre. Se détourner
au moment du tir. Laisser la flèche
s’enfuir.

Elle retombe on ne sait où – autre façon
ou autre manière du jeu : ce qui sera finalement formulé plus loin, beaucoup plus loin
que toute idée de jeu ?

Surtout, se situer. Par par-delà le temps, par-delà l’espace.

En-deçà, au-delà de toute ambiguïté.

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8.

UN THÉÂTRE DE PIERRES MOUVANTES

1.

J’observe, j’écoute le feu. Cette manifestation de bruits dessine finement le réel et semble être une musique première.

Une telle musique se confond, dirait-on, avec l’espace, qui gobe tout.

Relever la tête, suivre la flamme, jouer avec l’ensemble de tous les éclats.

Force du grand ciel étoilé
et de ces quelques mots ou phrases
qui naissent ainsi.

2.

Les ombres, magnifiquement dansantes.

Le feu projette un nombre incalculable de formes sur les parois.

Est-il nécessaire de nommer ces images ?

Est-ce simplement une façon de mieux s’en approcher, de se les approprier ?

Cette improbable chorégraphie, en réponse, depuis la nuit des temps : mains positives sur ces mêmes parois dans l’espace fantastique du théâtre tellurique.

De la pierre sèche à la lave mouvante.

Comme le serait l’espace, en son expansion.

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&

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9.

MERVEILLE

« Chaque âme est et devient ce qu’elle regarde. »
Plotin

L’expérience, reçue
l’émerveillement du sein même de la merveille, qui est là
n’est pas une image fabriquée
ni aucunement une façon de dire ou de nommer (au sens, par exemple, d’un quelconque index pointé).

Ce qui est là
nuage fugace, inconnaissant
situé, certainement, au-delà de toute passe ou faille
se manifeste – vibre – par soi-même
à la bascule ouverte de l’inspir et de l’expir.

Un volume, lumineux
sonore en son grand silence
très palpable
observable
et
entier.

Détaché de soi
bien que secrété par le Soi – malheureusement (ou heureusement) déjà disparu !

P.-S.

Les crânes de Benjamin Bondonneau – issus de la série intitulée Vanités aux flûtes, tracés digitaux et crayon
sont tirés d’un livre en cours de réalisation : Paléophonies, la fabrique d’hybridité.

Les vanité seront notamment accompagnées du poème suivant, de Benjamin Bondonneau :

“Voici le crâne, dans la lumière effacée,
Où souffle encore un peu de souvenance,
Comme si l’air du monde y cherchait un chant.
Le vent s’aventure et joue des plaintes légères,
Et l’os, fidèle, ne répond que par silence.

La main revient, hésite, reprend la mesure,
Car l’espace est habité de mille présences,
Et le silence lui-même a une densité d’ombres,
Peuple discret qui veille entre les sons,
Vieilles âmes d’argile et de feu, endormies.

La flûte repose entre os et poussière,
Elle se souvient de lèvres disparues,
Elle mélange le vent au secret de la tête,
Les premiers animaux, les souffles du monde.

Le crâne devient chambre de résonance,
Chaque orifice une entrée vers un passé oublié,
Chaque fissure une possible respiration du temps.
Prêt à surgir d’un souvenir sonore,
À faire renaître un monde disparu.”

Typhon, de Lionel Marchetti, est également une suite poétique en cours d’écriture.

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