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Sous la surface 

lundi 10 octobre 2005, par D. James Eldon

L’écran clignote tandis qu’un bourdonnement sourd provient des enceintes au son métallique. A part une unique chaise en bois, décentrée vers la droite, la pièce est vide. Les murs sont peints d’un blanc crasseux virant au jaune et le sol est gris, fait d’un matériau qui pourrait être du ciment.
On entend, hors champ, le bruit d’une porte qui s’ouvre et se referme.

Une silhouette apparaît, vue de dos avec des longs cheveux blonds et des épaules étroites. Une chemise blanche. Quand elle s’approche de la chaise, on remarque un pantalon noir.
Elle se retourne et nous voyons sont visage devenir flou pendant quelques secondes, puis un zoom se concentre sur son visage encadré de cheveux blonds. Les yeux sont d’un gris-bleu pâle. Elle sourit nerveusement, les lèvres serrées.
La caméra s’éloigne doucement.
- Assieds-toi, lui enjoint l’homme, hors champ, d’une voix un peu distante.
Elle s’assoit.
La caméra se stabilise, cadrant le buste et le même sourire tendu.
- Détends-toi, dit l’homme. Dis-nous ton nom.
Elle baisse les yeux, qui apparaissent presque fermés.
- Vous voulez dire mon vrai nom ou... ? demande-t-elle.
- Non, celui dans le...
- Oui, bien sûr. Oh, on a déjà commencé ? demande-t-elle à nouveau.
- Oui, oui, on a commencé... La caméra tourne. Regarde-moi.
Elle lève les yeux.
- Redresse un peu le menton.
Son visage se relève, révélant des traits épanouis, un sourire un peu plus large, le résultat d’années d’école de théâtre, le look frais de la fille des pubs de savon.
- Parfait, dit l’homme. Maintenant, dis-nous ton nom...
- Candy, répond-elle d’une voix haut perchée, presque de petite fille.
- Très bien, acquiesce l’homme. Maintenant parle-nous un peu de toi.
- Oh, OK... J’ai euh... J’ai dix-huit ans et...
Elle s’arrête. Il y a un silence et ses yeux semblent chercher quelque chose.
- Qu’est-ce qui ne va pas ? demande l’homme.
- Est-ce que je dois dire son âge ? C’est pas un problème ? dit-elle d’une voix timide, plus grave que l’autre.
- Dix-huit ans, c’est parfait, t’es plus âgée de toutes façons, alors c’est parfaitement légal... Il y a pas de problème, t’es très bonne... Continue.
- Je peux recommencer ?
- Oui, vas-y... Dis ce que tu veux.
- OK.
Sa voix monte à nouveau d’une octave.
- Salut, je m’appelle Candy, j’ai dix-huit ans et j’aime faire du ski, écouter de la musique, aller danser, faire du shopping et dîner dans de bons restaurants.
- C’est très bon, ça... Continue, dit l’homme.
- Oh... J’aime les hommes intelligents et qui savent me faire rire.
Elle baisse de nouveau les yeux.
- Super. Bon, maintenant tu défais deux ou trois boutons de ton chemisier...
- Non, non... Vous aviez dit que ce ne serait pas du...
-Pas de panique... Ce n’en est pas... On en a déjà parlé...C’est juste...
- Excusez-moi, mais... J’ai cru que vous aviez dit... Je vous avais prévenu que je ne ...
- C’est simplement que... Non, je ne vous demanderai pas de faire quoi que ce soit. Attendez !
Mais elle se lève de la chaise, marche vers nous jusqu’à en devenir floue, puis disparaît complètement du cadre.
- Non, attends ! Attends ! supplie la voix de l’homme, hors champ. Ne le prends pas comme ça ! C’était pas du tout ce que....
La caméra tremblote violemment.
On ne voit plus que la chaise au milieu de la pièce nue. Le plan est fixe et on entend seulement l’éclat des voix en off.
- Oui, oui, t’as parfaitement raison, mais moi j’essaie juste de faire ce truc, là... Ecoute, il faut juste que tu sois un peu sexy... Style classique, années cinquante... Comme Betty Page, tu vois ?
- C’est qui ? demande-t-elle, soupçonneuse.
- Peu importe... T’es censée être un pin-up des fifties, tu vois le truc ? Elles montrent un bout d’épaule, un carré de peau, un décolleté, rien de bien méchant, tu vois ? C’est suggestif, pas plus. Il n’y a rien de cochon.
- Peut-être, mais moi...
- Ecoute, voici ce que je te propose... On essaie encore une fois et... Bon, si on disait deux cents dollars, c’est pratiquement le...
- Vous essayer de me donner plus de fric pour que j’enlève mes fringues ?
- Non, bon sang ! Je viens de dire... De simplement dire...
Il fait une pause.
- Je croyais que t’avais besoin de fric.
- Oui, mais je ne vais pas me désaper, me balader avec mon... mon machin à l’air pour du fric !
- Ça va, ça va, j’ai compris. C’est pas ce que je te demande. Je t’ai simplement proposé plus de fric pour t’aider... Je pensais qu’on s’était compris...
Il s’interrompt à nouveau.
- Je croyais que t’étais une actrice professionnelle.
- J’en suis bien une, répond-elle après une légère hésitation.
- Bon, alors on est deux professionnels et on va faire notre boulot de manière professionnelle. Tu es une actrice, qui doit faire son boulot. Et moi, je te paye deux cents dollars...
- Mais je ne me déshabillerai pas ! Je ne ferai pas de porno !
- OK, calme-toi. C’est pas du porno. C’est une vraie scène à jouer. Tout ce que je te demande, c’est d’être un peu sexy, tu comprends ? Tu dois me séduire... avec ton personnage. Pas toi, ton personnage. Candy... OK ?
Il y a un long silence. La chaise, les murs, le plafond, la pièce tout entière semblent patiemment attendre quelque chose.
Elle rentre à nouveau dans le champ, tire la chaise vers nous et s’assoit de face.
Son visage se rapproche sans qu’elle se déplace. Un portrait, tête, cou, épaules. Ses cheveux blonds, ses yeux bleus et son teint pâle emplissent notre regard. Elle hésite, semble nerveuse. Elle se racle la gorge et baisse la tête.
- Est-ce que tu peux me regarder ? demande l’homme, d’une voix douce.
- Attends une minute, répond-elle sans bouger, mais en levant une main comme pour signifier qu’elle ne veut pas qu’on la dérange pendant qu’elle se concentre.
Elle finit par baisser la main, remue les épaules et aspire profondément. La caméra recule un peu.
Ses cheveux reprennent leur place comme elle relève la tête. Elle a pris la voix moqueuse d’une adolescente de quinze ans qui vient de découvrir le pouvoir de sa sexualité.
- Salut, je m’appelle Candy, commence-t-elle.
Ses yeux semblent un peu trop brillants, malgré la voix et le sourire.
- J’ai dix-huit ans et j’aime bien faire du ski, faire du shopping, écouter de la musique et sortir avec mes copines...
Avec la même main qui faisait un geste de protestation quelques secondes auparavant, elle fait sauter le premier bouton de son chemisier.
- J’aime les hommes intelligents...
Un autre bouton saute, révélant un trait de peau laiteuse.
- ...et qui savent me faire rire.
Une petite larme perle au coin de son œil droit, même si elle continue de sourire.
- J’adore danser...
Sa voix dérape et s’étrangle un peu.
Encore un bouton et nous voyons la naissance de sa poitrine.
-... ou rester à la maison et me réchauffer au coin d’un bon feu de bois.
La larme laisse un sillon mouillé sur sa joue qui rougit. Elle baisse brusquement la tête.
- Je n’arriverai jamais à le faire... dit-elle d’une voix enrouée.
- Si, si... C’est super... Tu es excellente... Ils vont t’adorer !
Elle ne bouge pas mais renifle bruyamment.
- Si tu pouvais juste un peu relever la tête...
Son visage se redresse soudain, révélant ses traits bouffis et rougis par les larmes. Elle se lève d’un bond et se jette vers notre direction.
- Espèce de fils de pute ! rugit-elle.
Un instant nous apercevons sa poitrine tout entière, enserrée dans son soutien-gorge, avant de devenir floue. Puis la caméra est renversée. Nous voyons passer une des ampoules du plafond tandis qu’elle continue à hurler « Espèce de fils de... »

L’écran devient noir. Le silence règne dans la salle de projection. Nous attendons que la lumière se fasse pour que nous puissions nous faufiler au dehors.
Nous attendons.
Nous attendons et la lumière ne revient toujours pas.
La salle est plongée dans l’obscurité.

P.-S.

Traduction de l’anglais (américain) par Sébastien Doubinsky.

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