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Réaction, réactionnaires 

mercredi 4 décembre 2002, par Robin Hunzinger

La réaction est toujours égale et opposée à l’action, mais c’est avant tout une action dirigée contre un état des choses existant pour restaurer l’ancien. La réaction peut aussi vouloir affirmer quelque chose de nouveau face à un ordre établi.

On parle beaucoup de réaction aujourd’hui et d’ordre moral. Certains menacent d’interdire des livres, d’autres applaudissent le nouveau gouvernement. Le Monde diplomatique, quant à lui, dresse un portrait féroce des "nouveaux réactionnaires" : c’est ainsi que Maurice Maschino estampille Finkielkraut, Jacques Julliard, Philippe Sollers, André Glucksmann, Luc Ferry, BHL ou Bruckner, des "intellectuels de parodie qui occupent le devant de la scène médiatique, écrit Maschino. Politiquement soumis, idéologiquement serviles, adulateurs des grands, courtisans flagorneurs couverts de titres, souvent beaux parleurs, parfois stylistes brillants... ils ont oublié la fonction première d’un intellectuel, la fonction critique, le refus total de compromis avec les dominants".

Tous les individus visés partagent en effet une capacité de « réaction », mais il semble difficile d’en tirer un portrait de groupe convaincant. Les intellectuels ont du mal à avoir des idées. Ils s’entredéchirent, n’arrivent plus à penser le monde. Tout cela est bien plat. Alors que la télévision et les journaux accentuent leur pression à propos des "flux migratoires", relisons simplement Jean-Christophe Bailly qui écrivait dans Basse continue :
"La maîtrise des flux migratoires", combien d’années de domestication faut-il pour entendre derrière cette expression si policée autre chose, justement, que l’exercice de la police des frontières ? Que les hommes se déplacent librement rendant aux métropoles la menue monnaie de leur pièce coloniale c’est bien le moins et d’ailleurs la plupart, sur tant qui meurent, meurent là-bas, chez eux, sans rien...

La littérature et la pensée peuvent aussi nous offrir des visions du réel et nous faire réfléchir. C’est le cas du livre Sniper de Pavel Hak, qui nous propose un autre type de "réaction".

Pavel Hak livre un texte court, massif et asphyxiant, sur la guerre, ses logiques et sa rationalité monstrueuse. Ici, les protagonistes du drame seront tour à tour un sniper fou, une bande de fuyards anonymes emmenée par une muette, un homme exténué qui cherche le cadavre de ses proches. On pense évidemment à ce qui c’est passé en Bosnie et au Kosovo.
Pavel Kak va loin. Il propose un livre construit, écrit, un livre qui est une réaction face à ce qui se passe encore aujourd’hui un peu partout dans le monde. Car Sniper peut se situer en Bosnie, mais aussi en Tchétchénie, en Algérie.... La littérature ici rappelle sa puissance et sa force, et même, sa supériorité.

Dans un entretien l’auteur déclare :

"C’était un des enjeux du roman : refléter l’engrenage de la guerre, montrer comment un événement complexe frappe et absorbe la vie et le destin de personnes très différentes les unes des autres. Pourquoi donc est-ce le sniper qui endosse le « je » ? C’est peut-être là le cœur du récit... Il fallait se situer dans le mental de celui qui véhicule emblématiquement le mal et qui donne la mort. Comme l’origine de la terreur, c’est le sniper, il fallait sonder son délire....

C’est le corps de l’autre qu’il faut frapper. Tout d’abord celui de la femme qui doit souffrir, être marquée, et qui, si elle n’est pas tuée, doit voir inscrites à même sa chair les traces de l’atrocité. Il y a donc une relation très étroite entre la guerre et le corps sexué. Dès qu’il y a torture, c’est le sexe qui est pris pour cible. Celui des femmes, mais aussi celui des hommes. Ce qui m’a intéressé dans Sniper, c’était de montrer que quelque chose de décisif se joue là, dans cette attaque systématisée du corps sexuel. La rationalisation délirante du génocide passe par là.

Le génocide doit aller jusque-là pour éviter que quelque chose d’accusateur ne subsiste. Dès qu’on se lance dans une entreprise d’extermination, dès qu’on systématise la mise à mort, il faut que rien ne reste du meurtre. Ce qui est très étrange, car quelque chose du carnage s’obstine toujours à demeurer. Sous un angle matériel, avec la terre qui peut cacher des traces et des preuves de ce qui s’est produit. Sous un angle immatériel également, avec la conscience et la mémoire des événements, que quelqu’un aura un jour à assumer et à transmettre. C’est là une question philosophique très riche."

Alors que certains "intellectuels français" n’ont rien compris à ce qui se passait en ex-Yougoslavie, que certains "écrivains" allaient parader auprès de Radovan Karadzic (ancien président de la république autoproclamée des serbes de Bosnie et aujourd’hui inculpé de génocide par le Tribunal pénal international), Pavel Hak nous propose un livre fascinant et vrai, bien loin des vaines polémiques parisiennes. La réaction de Pavel Hak est progressiste.

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