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Le manteau gris 

traduit de l’arabe (Irak) par Alaa Al Fakhri

jeudi 3 avril 2008, par Nahidh Al Ramadani (Date de rédaction antérieure : 3 avril 2008).

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Le point B n’est pas loin du point A, cinq cents mètres les séparent. Pourtant, sortir de chez moi et arriver au magasin qui se trouve au point B est devenu un vrai risque ces jours-ci. Moi, j’ai pris toutes les précautions possibles. Je marche sur le trottoir... j’y serai moins exposé au danger de voitures étranges et toujours rapides, de voitures de police étourdies, de patrouilles téméraires des Américains. Je marche, seul sur le trottoir, pourtant, je suis si prudent. Je guette mes pas, et j’évite tout trou où une explosive peut être enfouie, je m’éloigne de toute boîte de carton vide et de toute boîte de métal abandonnée. Je m’éloigne des poubelles. Qui sait ce qu’on peut trouver dans toutes ces choses-là ! Je marche sur le trottoir mais j’observe la rue du coin de l’œil, mes oreilles sont à l’écoute du moindre bruit étrange. Il faut être prudent et prendre toutes les précautions. J’ai non seulement changé le lieu de mon travail, mais j’ai aussi pris un long congé sans salaire de ma nouvelle administration. Le travail est devenu très risqué ces jours-ci. Soyez correct, vous dérangerez des dizaines de personnes ! Agissez autrement et vous pourriez en déranger des centaines !

Le long congé m’épuise...or, il est nécessaire. Il faut être prudent, très prudent même. Ma nouvelle maison est plus petite que la précédente. Un peu humide, mais plus sûre, car personne ne me connaît dans ce quartier. Il leur sera difficile de connaître mon appartenance. Heureusement, mon prénom est neutre et il ne signifie rien. Je me comporte prudemment, trop même. Je suis gentil avec tout le monde, je ne dépasse pas mes limites avec les gens. Rien que la salutation et les complaisances générales.
Mes voisins peuvent être bons, ou peut-être pas ! Ils sont tous méfiants envers moi, peut-être. Cela me rend plus prudent. Aller à la mosquée représente un grand risque. Ne pas y aller est beaucoup plus risqué. La prudence me poussait à ne pas y entrer, pourtant je me trouvais toujours près de sa porte pour saluer ceux qui avaient fini leur prière. La prudence l’exige. Elle exige également d’avoir un statut neutre. Mes cheveux coupés étaient toujours peignés correctement. J’étais toujours bien rasé, mais je tenais à mes moustaches, non seulement par fierté virile, mais aussi parce qu’elles me donnent un aspect neutre. Mes moustaches étaient neutres aussi, pas trop épaisses et agressives comme celles des fanatiques, ni rasées comme celles des nationalistes, ni trop fines comme celles des communistes.... et mes habits. Je les ai choisis avec soin. Un costume gris rayé comme celui des milliers de fonctionnaires. Mes chaussures noires qui étaient toujours propres, j’ai renoncé à les vernir, car rien n’attire plus l’attention que l’éclat des chaussures noires. Pourquoi devraient-elles toujours être propres ? Par prudence, je vais les tacher un peu. J’ai remplacé ma serviette en cuir, que j’ai achetée très cher à l’époque, par un banal sac en plastique où j’ai mis mes papiers. Les serviettes chères peuvent attirer l’attention et la curiosité. On n’a pas besoin de porter une serviette chère pour aller au point B. Même ma montre, je ne l’ai pas oubliée. Je l’ai remplacée par une autre, numérique et banale. Est-ce que tout cela est suffisant ? Bien sûr que non. Toutes mes précautions ne seront accomplies que par ce manteau gris. Il est un peu usé, mais tant mieux. Un manteau banal, gris, qui descend sous les genoux. Je n’oublie pas de me pencher un petit peu quand je marche, mettant mes mains dans les poches de ce manteau gris. Personne ne me remarquera avec ce statut. Des pas....seulement quelques pas et je vais arriver au point B. Je vais finir très vite ce que j’ai à faire et je vais retourner au point A. Je veux dire chez moi.... Mais il faut d’abord traverser la rue.
Qui sont ces gens là !!!
Quel bruit !!

Mets-toi par terre... par terre, tu n’as que la terre pour refuge. Allonge-toi, il n’y a que le ciel qui te protégera. Tu es seul, allonge-toi, et enfouis ton corps dans la terre, les balles se succèdent. Que tout ton corps soit par terre ! Allonge-toi, ne te tourne pas et ne te demande rien ! Ne te retourne pas, tu vas peut-être les voir, et ils pourraient, eux, te voir et tu serais leur cible, ne te retourne pas...

Non.....

Les balles s’arrêtent, attends un peu et ne bouge pas maintenant ! Tu es tout près du point B. Lève-toi maintenant et finis ton affaire ! Le chemin de retour au point A commence. Tu prends le même chemin de retour. Ne marche pas avec confiance, ne te dépêche pas ! Traverse la rue et ne regarde jamais là-bas. Ne regarde pas ! Continue tout droit et n’oublie pas de te pencher ! Marche et ne pense pas ! A quoi bon penser ? Tu ne peux rien changer. Tu as un chemin à traverser, tu dois arriver au point A. Sois prudent !.... Sois prudent et marche ! Ne lève pas la tête, ne te pose pas de question, ne te retourne pas !

Non......

Il n’a pas tourné la tête, car s’il l’avait tournée, il aurait vu une flaque de sang entourant un homme aux moustaches neutres, portant un costume gris rayé, une fausse montre numérique et des chaussures boueuses, ses papiers éparpillés hors de son sac en plastique.

Sur le trottoir d’en face, un manteau vide et gris marche...Il marche seul, penché, mettant les mains dans ses poches ; et malgré tous les trous qui ornent son dos, il continue à marcher avec prudence, peut-être pourrait-il arriver sain et sauf à n’importe quel point......

Nahidh Al Ramadani
Mossoul
23/2/2008

P.-S.

Traduit par : Alaa Al Fakhri
Professeur assistant à L’Université de Bagdad

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