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L’espoir de Margareth 

mardi 28 août 2012, par Mado Berthier (Date de rédaction antérieure : 17 mars 2010).

A ma grand-mère

La première fois que Margareth me vit, ses yeux pétillaient. Elle me sourit, posa un doigt sur sa bouche et me fit signe de regarder par la fenêtre. Son ami le rouge-gorge venait d’apparaître dans le jardin. L’oiseau s’arrêta sur la quatrième branche du houx, la plus élevée, celle qui lui sert de perchoir, m’expliquera Margareth, et surveilla les alentours d’un œil mauvais et brillant comme un grain de café. Un chat de la rousseur d’un renard l’attend au pied de l’arbre mais les rouges-gorges sont une espèce intrépide et celui-ci émet un piaillement sardonique, lisse ses plumes et bombe sa gorge d’un beau rouge orangé, histoire de narguer le félin en lui montrant bien quel morceau de choix, dodu et succulent il ferait, si seulement les chats pouvaient voler.
Le fils de Margareth était là, assis dans un fauteuil, lisant son journal avec une application surprenante. Il était vexé car il venait d’être convoqué dans le bureau du directeur de la maison de retraite. On l’avait informé que sa mère déambulait partout, même dans les lieux les plus improbables comme les douches ou les toilettes pour hommes, qu’elle avait pris des photos des autres pensionnaires, des photos d’une intimité presque gênante, et qu’il y avait eu des plaintes de la part des proches. Se sentant l’âme d’un écolier qu’on a traîné chez le directeur pour le méfait d’un tiers, il avait violemment rougi. Petit déjà, il avait honte de sa mère. Dans les pages de ce journal qu’il faisait semblant de lire, il la revoyait à la sortie de l’école, lorsqu’il était en primaire, avec sa blouse informe, les cheveux dans les yeux, de la peinture sur le visage, les bras et toutes ces taches qui maculaient ses vêtements. Ce n’était pas une mère comme les autres. Elle avait l’air d’une écolière qui aurait trop joué avec la boîte à couleurs. Elle riait quand il lui disait qu’elle avait de la peinture partout et expliquait que le tableau qu’elle était sur le point d’achever s’était mis en colère et lui avait jeté les couleurs au visage, parce que ce qu’elle avait imaginé pour lui ne lui plaisait pas. Il la regardait, ahuri, honteux, ne comprenant pas ce qu’elle racontait, écoutant malgré lui les paroles blessantes des autres femmes sur sa mère, les quolibets des autres enfants qui la traitaient de clocharde, et les assimilant comme on déglutit. Et aujourd’hui encore, alors qu’elle était une très vieille femme, cela continuait. Le scandale qu’était sa mère. Quand il lui avait parlé de ses photos et des plaintes, elle s’était contentée de répondre qu’elle avait obtenu l’accord de toutes les personnes qu’elle avait photographiées, toutes, et qu’elle se moquait bien de ce que pensaient les soi-disant proches qui enfermaient leurs chers parents dans ce mouroir aseptisé ! Comment avait-elle donc fait pour se procurer cet appareil photo numérique ? Et si elle l’avait volé ?
Ces photos, Margareth me les montrerait par la suite. Je me souviens des doigts noueux et arthritiques d’une très vieille femme, saisis en gros plan et qui avaient l’apparence d’un rhizome de gingembre.
Lorsque sa belle-fille entra, je ne pus retenir un rictus. Je l’avais déjà vue dans le hall tout à l’heure, on me l’avait présentée mais je ne m’étais pas encore habitué à son apparence. Elle était obèse et sans âge. Elle portait un horrible tailleur en tweed, la veste très cintrée à la taille, ce qui donnait l’impression qu’elle avait été gonflée avec une pompe à air au point que sa poitrine et ses hanches étaient prêtes à exploser tandis que ses jambes courtaudes, épaisses et rouges, ressemblaient à deux énormes protubérances poussées au hasard pour compléter l’ensemble. Un petit visage rose et délicat surmontait cet étrange édifice et ce teint radieux ne cessait de me surprendre. Ses cheveux blonds étaient séparés au milieu et ramassés sur la nuque en un chignon sophistiqué. Elle me salua d’un mouvement de tête qui fit bouger ses bajoues poudrées. Tout à l’heure, elle m’avait tendu une main menue, molle et moite, une main de bébé.
Margareth ne semblait pas se rendre compte de la présence de son fils et de sa belle-fille, elle agissait exactement comme si nous étions seuls, elle, le rouge-gorge, le chat et moi. Je m’étais approché de la fenêtre et avais appuyé ma main sur le dos du fauteuil où la vieille dame était assise. De temps en temps, elle dodelinait de la tête et je pouvais alors sentir ses cheveux, fins comme ceux d’une enfant, qui me caressaient doucement la main. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés ainsi à regarder le manège du rouge-gorge et du chat. Je me souviens du bourdonnement qu’émettait, à intervalles réguliers, la voix de la femme d’une corpulence tout à fait extraordinaire et du froissement des pages du journal que tournait son mari.
Finalement, ils étaient partis et Margareth et moi ne nous étions même pas retournés. Ce n’était pas dans mes habitudes de me montrer impoli, et pourtant, là, c’était manifeste, je l’avais été.

Ce soir-là, ma femme me trouva distrait et soucieux. Toujours inquiète, elle tentait de me questionner sans en avoir l’air, ce qui rendait sa sollicitude encore plus insupportable. Elle m’a reproché d’être absent, ailleurs, de ne pas l’écouter. Je ne disais rien mais je ne pouvais pas lui donner tort. C’est vrai que je ne l’écoutais pas, que sa voix devenait un murmure, presque désagréable, je n’étais pas là, avec elle, d’ailleurs le souhaitais-je vraiment ? Elle me parlait d’elle, de sa vie, de cet enfant qu’elle voulait si fort et je sentais monter en moi comme un étrange désir de l’étrangler.
Je n’avais pas envie de lui parler de Margareth.

Aujourd’hui, l’automne est arrivé. L’air est plus frais même si le soleil persiste encore, de plus en plus faible, voilé, n’avançant plus à l’horizon qu’à pas feutrés. Les premières feuilles mortes jonchent l’allée que le jardinier n’a pas ratissée. Je marche sur ce tapis humide, jaune et brun, en fumant la cigarette que je m’autorise tous les après-midi à la même heure, juste après le goûter des pensionnaires. Le goûter ! Je déteste cette infantilisation. Nous sommes dans une maison de retraite, pas dans une crèche. Le directeur a haussé les épaules quand je lui ai proposé de rebaptiser ce moment en « tea time ». Il m’a dévisagé d’un air narquois et m’a demandé si je me rendais bien compte de l’endroit où je me trouvais. « C’est un asile de vieux ici, la plupart sont séniles, comment voulez-vous qu’ils apprennent l’anglais ! Et puis de toute façon, ça ne changerait rien, il faudrait toujours essuyer les filets de bave, « tea time » ou pas ! » J’ai trouvé sa remarque sur l’apprentissage de la langue anglaise complètement idiote. Quel vieillard n’a pas déjà grignoté un de ces délicieux petits biscuits, un de ces gâteaux bien rangés dans une belle boîte en fer blanc sur laquelle on peut justement lire « tea time » ?
Tout à l’heure, j’irai rejoindre Margareth, comme tous les jours depuis maintenant un mois. C’est très étrange cette impression de n’avoir qu’une seule patiente. Certes, je suis affecté à son bâtiment mais ils sont vingt là-dedans. Vingt femmes mais seule Margareth m’importe. Je m’occupe mécaniquement des autres et, je l’avoue, je ne suis pas à leur écoute. Elles ne se plaignent pas. Quelques-unes sont de gentilles grands-mères épuisantes qui vous mettent sous le nez les photos en couleur de leurs petits-enfants, souriants comme des bienheureux, qui sont les plus beaux, les plus intelligents, et vous racontent ce que la petite-fille si douée voudrait faire plus tard, et le petit, là, avec le pull rouge, qui sera un grand chirurgien ou peut-être député, qui sait, il est tellement prometteur ! Ces vieilles-là dégoulinent de paroles, elles en bavent d’ailleurs et deviennent alors parfaitement répugnantes. Je détourne souvent les yeux et les oreilles. D’autres sont de vraies pestes, elles ont une telle opiniâtreté dans la méchanceté que cela force le respect. Elles sont odieuses avec le personnel, doucereuses avec moi, infernales avec leur famille qu’elles refusent de voir alors que les malheureux ont sacrifié leur dimanche et fait parfois des centaines de kilomètres pour s’entendre dire que leur parente est indisposée, mais c’est entre elles qu’elles sont les plus méchantes. J’ai appelé la guerre perpétuelle à laquelle elles se livrent « la joute des vieilles garces ». Souvent, j’ai l’impression que c’est ça qui les maintient en vie, cette façon (même muette) qu’elles ont de s’affronter, toutes ces noises qu’elles se cherchent, ces failles qu’elles traquent, ces larmes qu’elles retiennent et toutes les horreurs qu’elles se lancent à la figure comme autant d’assiettes sales.
La semaine dernière, Noémie a fait tout son possible pour nous convaincre, le directeur et moi, que cette pauvre Madame Gaulard perdait la tête, qu’elle ne devrait pas se trouver ici mais dans le pavillon des Alzheimer. Un peu troublé par les arguments qu’elle ne manqua pas de lui fournir, le directeur entreprit de faire subir des tests à Madame Gaulard. De mon côté, je décidai de mener l’enquête, d’abord en interrogeant les autres pensionnaires (exceptée Margareth qui n’avait pas besoin que je l’interroge pour me donner son avis) puis en me livrant à une surveillance poussée des faits et gestes de Noémie. Je ne tardai pas à m’apercevoir que la rouée n’avait de cesse de farcir la tête de son infortunée compagne, laquelle n’avait pas inventé l’eau chaude, c’est sûr, mais n’était pas plus atteinte de la maladie d’Alzheimer que moi. Elle était bête et craintive, totalement soumise à Noémie qui était très gentille, une véritable amie et une très sainte femme. La sainte en question se livrait à des actes de bienfaisance répétés… et toute cette inlassable gentillesse eut raison de Madame Gaulard…

Tous les matins depuis quinze jours, alors que Madame Gaulard faisait son brin de toilette avant de descendre au réfectoire, Noémie la miséricordieuse versait consciencieusement le contenu de son pot de chambre dans les draps de la coquette, laquelle ne paraissait jamais sans avoir le visage soigneusement poudré et les yeux maquillés à l’orientale. Imaginez la tête de la pauvre femme quand on venait dire devant tout le monde à Madame Gaulard qu’elle avait encore souillé son lit et que les draps étaient à changer en dépit de l’alèze. Si cela continuait, on allait être obligé de demander un supplément à sa famille ! La pauvre petite vieille se mettait invariablement à pleurer, s’excusant en hoquetant, disant qu’elle ne se rendait pas compte. Là-dessus, Noémie tirait un peu sa chaise pour s’éloigner de Madame Gaulard et se bouchait le nez en roulant des yeux suggestifs. Les autres pensionnaires prenaient des mines outrées, d’autres secouaient la tête en disant que c’était le début de la fin, plus rares étaient celles qui la plaignaient.
Mais la méchanceté de Noémie ne s’arrêtait pas là et elle fut malheureusement fatale à sa voisine de chambre. Madame Gaulard était une bonne joueuse aux cartes et elle était fréquemment réclamée par différents groupes pour faire une belotte ou un tarot. Noémie, qui ne se livrait pas à ces occupations vulgaires, disait qu’elle se retirait dans sa chambre pour lire quelques pages de Proust. Une fois à l’étage, elle trottait jusqu’à la porte de la chambre de Madame Gaulard, l’ouvrait et se précipitait à l’intérieur. Margareth avait été plusieurs fois témoin de son manège.
Elle avait commencé par découper en lanières les feuilles du yucca de Madame Gaulard qui s’était demandée pourquoi son cher arbre se multipliait soudain de la sorte. Ensuite, elle avait déchiré ses vêtements, décousu les ourlets, cassé les talons de ses chaussures (ce qui avait valu un joli vol plané à Madame Gaulard, qui s’était d’ailleurs fort bien rattrapée à la rambarde), remplacé son gel douche par du lait périmé, changé ses bibelots de place (emportant au passage ceux qui lui plaisaient et les cachant dans le coffrage de la gaine d’aération des toilettes), allant jusqu’à verser des gouttes de tabasco dans son flacon de khôl !
Mais un soir où Madame Gaulard, très en forme, gagnait bruyamment à la belotte, Noémie fut prise d’une soudaine crise de rage, d’une envie extraordinaire de la voir crever, nous dira-t-elle plus tard. Elle monta dans sa chambre prétextant que la tête lui tournait et qu’elle avait besoin de se reposer. Elle entra dans celle de sa voisine, poussa la porte des sanitaires et entreprit de savonner le carrelage, pour qu’elle se casse la gueule, cette horrible bonne femme tellement stupide ! Avec un peu de chance, on l’enverrait à l’hôpital pour un certain temps. Toujours ça de gagné !
En nage, les cheveux plaqués sur le crâne et le reste du pain de savon au creux de la paume, Noémie contemplait le carrelage luisant et les bulles qui crevaient à la surface. Satisfaite, elle referma la porte de la salle de bains puis sortit précautionneusement en prenant bien garde de ne pas être vue. Elle entra dans sa chambre et s’adossa au mur où elle s’autorisa à reprendre son souffle et poussa un profond soupir de soulagement. Elle se recoiffa machinalement et s’allongea sur le gros édredon bleu qui ne l’avait pas quittée depuis cinquante ans. Noémie allait s’assoupir quand des voix venant du couloir lui parvinrent. Elle reconnut sans peine le rire de Madame Gaulard, celui de fin de partie, et grimaça en se disant que la vieille avait encore abusé du cidre. Elle entendit le déclic lui indiquant que sa voisine avait rejoint ses pénates, tendit l’oreille et perçut distinctement le petit cri que poussa Madame Gaulard lorsqu’elle glissa. Puis, elle entendit un bruit sourd, des gémissements et, enfin, le silence. Noémie sourit : enfin tranquille, une bonne nuit en perspective ! Ce soir, elle n’entendra pas les inepties crachées par la petite radio de la vieille peau, non, elle pourra dormir sans avoir recours aux boules quiès. Elle se leva, brossa les quelques dents qui lui restaient, passa un coton imbibé de lotion démaquillante sur sa peau usée, tamponna son visage à l’aide d’un petit carré d’éponge qui sentait bon la verveine, appliqua un doigt de crème à la gelée royale sur le front, les ailes du nez et les joues puis se glissa entre les draps. Quel bonheur de pouvoir s’endormir ainsi sans entendre les crachotements de la radio de la vieille ! Elle dormit d’un sommeil sans rêve jusqu’au lendemain matin.

A huit heures, elle fut réveillée par des coups répétés à sa porte. Quelqu’un entra, s’avança jusqu’au lit et posa une main sur son épaule. Elle sentit qu’on la secouait et ouvrit son œil de grenouille. La plus grande des infirmières, celle qu’elle appelait la grande aigrette, la regardait d’un air angoissé. « Oui, oui, ça va, je ne suis pas encore morte !

— Vous non, mais votre voisine, cette pauvre Madame Gaulard, oui. La malheureuse femme a fait une mauvaise chute dans la salle de bains et s’est violemment cogné la tête contre le rebord de la baignoire.

— Et c’est pour me dire ça que vous venez me réveiller alors que depuis des mois je n’arrive pas à fermer l’œil à causes des inepties radiophoniques qu’écoutait cette vieille bique ! Tous les soirs, vous entendez, tous les soirs, et je devais aussi subir ces bruits à elle, ses immondes gargarismes et ses crachats, ses tousseries et tout le reste ! Elle ne faisait rien de manière discrète, vous me comprenez ?

— Mais enfin, Madame Marciac, c’était votre amie, elle vous adorait ! Comment osez-vous dire des choses pareilles ?

— Grande sotte », siffla Noémie qui reposa la tête sur l’oreiller et ramena la couverture sur elle.
L’infirmière n’insista pas mais elle claqua la porte en sortant.
Noémie ne parvint pas à se rendormir. Elle écoutait les éclats de voix qui lui parvenaient. On parlait haut à côté. Soudain, la porte de sa chambre s’ouvrit largement sur le directeur. Il s’approcha du lit et demanda à Noémie de se lever car il était arrivé un malheur dans l’établissement et tous les pensionnaires devaient se retrouver en bas, au réfectoire. Noémie ouvrit les yeux, se redressa sur un coude et fixa le directeur. Il était toujours aussi laid mais il n’avait pas l’air de plaisanter. Elle se leva lentement, enfila ses pantoufles et la robe de chambre de peluche rose. Elle suivit les autres dans le couloir mais ne leur adressa pas la parole. Tout ce dérangement pour une vieille peau qui avait cassé sa pipe ! Elle croisa le regard de Margareth et pour la première fois elle se sentit mal à l’aise. Docilement, elle s’assit à la grande table du réfectoire et écouta le discours du directeur qui regrettait ce déplorable accident. Au bout d’un moment, elle n’y tint plus, se leva et cria : « Ce n’était pas un accident, je l’ai tuée. J’ai savonné le sol pour qu’elle glisse, je voulais en être débarrassée pour un moment, je savais qu’elle était stupide mais j’ignorais que sa grosse tête de vache irait heurter le rebord de la baignoire ! Je voulais qu’on l’emmène à l’hôpital et bien ce sera à la morgue, un point c’est tout. »
A ce moment-là, elles étaient deux à être debout. Noémie, vers laquelle l’attention de tous était tournée, et Margareth, qui prenait des photos. Le directeur, irrité, finit par découvrir Margareth et voulut lui arracher l’appareil des mains. En un bond, je m’interposai et la fis asseoir. Un silence glacial s’installa. Chacun semblait réfléchir à la conduite à tenir. Puis, quelques petites vieilles se mirent à sangloter. Des soignantes vinrent les chercher pour les reconduire dans leur chambre. Le directeur me demanda de rester auprès de Noémie pendant qu’il appelait la police.
« Elle est si vieille, dis-je.

— Je sais, mais c’est un meurtre et elle l’a avoué devant tout le monde. Nous ne pouvons pas faire comme si nous n’avions rien entendu. »
Il soupira et quitta la pièce, secouant la tête comme un automate.
J’allai m’asseoir à côté de Noémie et Margareth ne tarda pas à nous rejoindre. Sans rien dire, elle prit les mains de la meurtrière dans les siennes et les caressa doucement, consciencieusement, en regardant uniquement son geste et sans jamais croiser les yeux bleus de Noémie. Je ne sais pas combien de temps nous restâmes ainsi, elles qui étaient absorbées dans leurs pensées et moi qui les regardait à en avoir mal aux yeux, cherchant à comprendre, à déceler ce qui m’échappait de ce sentiment qui passait.
J’aurais cru que Noémie sortirait aisément victorieuse de ce qui était en fait un affrontement, mais il n’en était rien. Elle ne se battait pas avec toute la puissance de feu dont elle dispose encore, indubitablement. Quelque chose, je le voyais bien, la freinait, quelque chose dont Margareth avait parfaitement conscience et sur lequel elle s’appuyait. Elle ne la regardait pas. Puis, soudainement, elle cessa de caresser les vieilles mains, celles qui avaient tué, et les laissa reposer sur les genoux de Noémie. Sans se presser, elle prit l’appareil, effectua des réglages qui me parurent bien compliqués et prit la photo.

La police vint interroger Noémie l’après-midi même. L’inspecteur a fait preuve de beaucoup de calme et de gentillesse, j’en ai été vraiment surpris. On m’a autorisé à assister à l’interrogatoire. Noémie a tout raconté en détails, combien sa voisine de chambre l’exaspérait, toutes les humiliations qu’elle lui avait infligées pour qu’elle comprenne, qu’elle la laisse tranquille. Mais l’autre ne s’était jamais rendu compte à quel point elle lui était insupportable. Elle n’avait plus que cette possibilité pour espérer enfin dormir. Avait-elle délibérément chercher à la tuer ? Cette fois-ci en particulier ? Non, mais elle y avait souvent pensé, elle avait imaginé d’effroyables scénari et finalement, voyez comme la mort est moqueuse, elle était partie d’une glissade ! Non, elle n’aurait pas pensé que cela suffirait à la faire basculer de l’autre côté. En fait, elle l’aurait déçue jusqu’au bout, cette vieille, elle l’aurait crue plus coriace.

En raccompagnant l’inspecteur jusqu’à sa voiture, je lui ai demandé s’il comprenait le geste de Noémie. Il m’a regardé de ses yeux gris et m’a dit que Noémie avait exprimé toute la violence qu’elle avait en elle hier soir, sans doute depuis des années. « Vous savez, la personne violente agit non pas à cause du comportement ou de l’attitude de l’autre, mais parce que quelque chose en elle réagit à ce que l’autre fait. Sa réaction ne dépend pas du comportement ou de l’attitude de l’autre, mais de ce que ce comportement ou cette attitude l’amène à revivre de l’expérience du passé. Ce faisant, la personne violente cherche à contrer ce qui est éveillé en elle par une tentative de contrôler le comportement ou l’attitude de l’autre. Cet autre est alors perçu par la personne violente en tant que déclencheur de sa souffrance actuelle, bien que cette souffrance soit en fait la réactivation d’une blessure antérieure. Cela vous surprend ? En fait, vous ne connaissiez pas du tout Noémie Marciac. Elle était pourtant ici depuis dix ans. C’est assez pour tenter de connaître quelqu’un, non ?

— Je ne suis ici que depuis un mois, » dis-je pour me dédouaner.
Il leva les bras au ciel dans un geste d’impuissance.
« Que va-t-il arriver à Noémie ?

— Elle est trop âgée et de plus, malade, pour que le juge ordonne un emprisonnement. Ce serait du sadisme. Elle ira sans doute à l’hôpital psychiatrique.

— Mais elle n’est pas folle.

— Peut-être pas. Elle est vieille, malade et meurtière, que voulez-vous qu’on en fasse ? Vous voulez sans doute la prendre chez vous avec un bracelet électronique ? »
Je ne jugeai pas utile de lui répondre. Il monta dans sa voiture et s’éloigna.

Lorsque Margareth était devant l’appareil, on aurait dit une aveugle, ses yeux perdaient de leur éclat, une lumière essentielle s’éteignait. Elle semblait regarder son sujet non pas à travers l’objectif mais plutôt de l’intérieur d’elle-même, en cherchant une perspective déterminante, un point de vue exceptionnel. Elle tenait fermement son appareil à hauteur des yeux et inclinait la tête, l’espace d’une seconde, sans rien voir, comme si les traits des photographiés étaient inscrits en braille et qu’elle pouvait aisément les déchiffrer ; quand elle appuyait sur le déclencheur, son geste paraissait anodin. Sur les dizaines de photos en noir et blanc, tête et épaule, qu’elle prit de moi, j’eus la sensation d’être totalement faux. Ce n’est pas qu’elle me faisait paraître laid ou déformé. Les gens qui les virent déclarèrent que ces photos me flattaient, que j’étais même très beau. Mais je n’étais pas flatté du tout. Je me sentais méprisant, ambitieux, sournois. Je n’aimais pas ce jeune vaniteux que je ne reconnaissais pas. C’était son talent, cet œil désenchanté.

La première fois qu’elle me demanda si elle pouvait me photographier, elle ressemblait à une jeune fille rougissante. Elle était tellement émue que j’en fus surpris. La main sur la gorge, les yeux fermés, elle me fit signe qu’elle ne pouvait pas me parler maintenant. Elle eut un geste vers l’appareil, rouvrit les yeux et me demanda d’ôter ma blouse blanche. Dessous, je portais une chemise bleue et un pantalon noir. Elle me dit qu’elle ne prendrait que mon visage, mon cou et mes épaules. Elle s’approcha de moi et ses vieux doigts maigres entreprirent de déboutonner ma chemise. Le trouble qui me gagna alors m’empêcha d’intervenir. Elle s’arrêta au troisième bouton puis saisit mon menton d’une main ferme et changea la direction de mon visage. Ensuite, elle s’éloigna et me demanda de m’asseoir sur le tabouret près de la fenêtre. Je faisais ce qu’elle me demandait sans rien dire, obéissant comme un enfant à une mère trop aimée ou un amant devant une maîtresse directive. A ce moment, je ne savais plus qui j’étais. L’œil de Margareth me scrutait et je me sentais mal, entre la fièvre et la nausée. Je ne bougeais pas, j’osais à peine respirer, j’écoutais les battements de mon cœur irrégulier. Margareth prit plusieurs clichés, en noir et blanc car le bleu dur de ma chemise l’indisposait. Comme je souriais, elle se mit en colère : « Non, non, ne souris pas ! Tu n’es jamais aussi intéressant que quand tu as ce regard inquiet, égaré, toute cette mélancolie que tu caches si mal. » Je déglutis péniblement. Elle appuya une dernière fois sur le déclencheur. Elle me dit que c’était fini, que je pouvais me rhabiller. J’eus l’impression d’être chez le médecin ! Mais qui était le soignant ici ? « Je te les montrerai plus tard et je t’expliquerai . »
Je quittai la pièce sans un mot, d’un pas brumeux comme si je sortais d’un rêve.

Sur les photos prises par Margareth, il y avait un vieillard, la jambe amputée au-dessous du genou, qui arborait sur la largeur de son moignon étincelant une épaisse ligne de sutures qui évoquait une fermeture éclair. Il y avait une vieille femme malicieuse qui souriait de toutes ses gencives, son dentier à la main. Un homme à la stature de colosse, nu et vulnérable au sortir de la douche. Une femme qui se savonnait la poitrine avec un gant de toilette, un visage plissé, éteint, mais des seins jeunes, encore fermes et palpitants. Une infirmière décoiffée, les mains sur les hanches, vociférant on ne saura jamais quoi. Il y avait un cliché, pris en plongée, d’une poubelle métallique garnie de petits amas noirâtres qu’il était impossible d’identifier, ces déchets venaient-ils de la cuisine ou de la salle d’opération de l’hôpital ? Ces photos exerçaient sur moi une sombre fascination, même celles où je figurais, misérable clown triste et lâche, toutes me donnaient la nausée.

Le lendemain de la mort de Madame Gaulard, Margareth eut un malaise cardiaque, sans gravité, qui ne nécessita pas d’hospitalisation. On lui fit garder le lit et elle me demanda de rester à son chevet, pas pour la veillée mortuaire, pas encore, dit-elle en souriant d’une façon qui me déchira le cœur, mais parce qu’il fallait qu’elle m’explique la raison de son trouble lorsqu’elle m’avait photographié, la première fois, qu’il fallait en finir avec ça, du moins essayer. Je m’assis auprès d’elle, prit sa main que j’embrassai et attendit qu’elle parle. Elle ferma les yeux, exerça une pression sur ma main froide et pourtant légèrement moite. Quelques instants s’écoulèrent et j’étais encore serein.

Elle venait d’achever son récit quand on apporta le plateau repas, il était donc 18h30. J’avais machinalement regardé le réveil quand je m’étais approché du lit de Margareth, elle avait parlé pendant un peu plus de quatre heures. Je l’aidai à s’asseoir dans le lit et avançai le plateau jusqu’à elle. Le bavardage de la soignante m’indisposa et je quittai Margareth, prétextant une irrépressible envie de fumer. Elle me répondit d’un mouvement de paupières et se mit à manger. Ses vieilles lèvres tremblotantes devant la cuiller de soupe me firent monter les larmes et je m’enfuis dans le parc. Là, j’enserrai le tronc d’un vieux chêne et je pleurai, je pleurai. Quand j’en eus assez de me répandre en eau, je m’assis au pied de l’arbre et allumai une cigarette.
L’espoir de Margareth.

A dix-sept ans, alors qu’elle était en apprentissage chez un pâtissier, en plein cœur de Nantes, elle avait fait la connaissance de Jean, vingt ans, représentant de commerce. Ce jour où il était entré et avait demandé une religieuse au chocolat, en passant une main paresseuse dans ses cheveux ébouriffés, elle était tombée amoureuse pour toute la vie. Les jours suivants, il était revenu, choisissant un gâteau différent à chaque fois, s’attardant, s’arrangeant pour passer après les autres clients. Elle avait fini par se dire que dans quelques jours, il aurait goûté à toutes les pâtisseries et qu’alors il ne reviendrait plus. Cela la rendait triste mais elle était trop timide pour faire le premier pas. Le jour arriva où il mangea le dernier, un baba au rhum, celui qu’il aimait le moins. Au moment de franchir le seuil, il entendit un cri et la belle personne courut vers lui. Il ouvrit les bras, la serra très fort et ne la lâcha plus pendant huit mois. Ce fut la seule période heureuse de la vie de Margareth. Par la suite, il commença à rentrer plus tard que d’habitude, il était distrait, soucieux, parlait peu. Margareth s’inquiéta, il lui expliqua qu’on l’envoyait démarcher en province, qu’il serait absent quelques jours. Elle en fut peinée mais le soulagement qu’elle éprouva en se disant, bon, ce n’est que ça, atténua sa douleur. Il partit un lundi de décembre et ne revint jamais. Margareth l’attendit jusqu’à Noël, perdit l’enfant qu’elle portait. Ensuite, elle continua à l’attendre, les années passèrent. Elle se maria à un riche industriel qui lui fit deux enfants, sans un mot, dans le noir, et qu’elle ne parvint jamais à aimer. Les enfants non plus. Deux étrangers. D’ailleurs, sa fille ne venait jamais la voir. Les enfants grandissaient, Margareth attendait Jean. Après la mort de son mari, les mariages des enfants, les tableaux qui s’entassaient dans l’atelier-verrière, les vernissages au champagne, elle l’avait encore attendu. La vieillesse, la maladie, la maison de retraite médicalisée. Aujourd’hui encore, à quatre-vingt seize ans, elle attendait Jean.
Je sors de ma poche la photo jaunie qu’elle m’a donnée tout à l’heure. Margareth pose en robe du dimanche avec un joli chapeau, langoureusement appuyée contre mon épaule. Je suis Jean. Je suis revenu. Voilà ce que m’a dit Margareth, ce qu’elle m’a tu lors des séances photo. La ressemblance est terrifiante. Non seulement, nous avons la même taille, les mêmes yeux noirs légèrement cernés, les mêmes cheveux toujours emmêlés mais le visage, l’expression même du visage est semblable, d’une nonchalance étudiée, la bouche mince et moqueuse, un air de fausse désinvolture, un mensonge séduisant mais un mensonge. C’est moi. Je me reconnais mieux sur ce cliché que sur ceux que Margareth a pris il y a quelques semaines.
J’ai froid. D’emblée, j’ai pensé à mon grand-père. Etait-ce possible ? Un bref calcul me permit de me rendre compte que, malheureusement, je ne pouvais pas être le petit-fils de Jean. Mon grand-père était médecin de brousse en Afrique lorsque Margareth rencontra le seul amour de sa vie. Rien ne pouvait donc être expliqué.
Dans la chambre de Margareth, cet après-midi-là, j’avais eu très peur. Lorsqu’elle m’avait caressé la joue en me disant que j’étais Jean, que j’étais revenu auprès d’elle, enfin, j’avais saisi sa main en répétant mon prénom comme un obstiné, Rodolphe, Rodolphe, Rodolphe. Elle avait soupiré et m’avait rétorqué sur un ton cassant que je ne lui connaissais pas qu’elle le savait pertinemment, qu’elle n’était pas une vieille folle, mais une femme qui avait aimé comme je ne serai jamais capable de le faire parce que j’étais bien trop bête. Un petit imbécile prétentieux. J’avais demandé pardon, elle avait marmonné ça va, ça va.
Je ne pouvais pas rentrer chez moi sans avoir revu Margareth. Je repris donc le couloir qui menait à sa chambre, les yeux au sol pour ne pas en croiser d’autres, la mine faussement soucieuse. Je frappai doucement et entrai.
« C’est toi, viens t’asseoir. » J’obéis avec un sourire. Avant qu’elle ne le formule, je savais ce qu’elle allait me demander. Ces deux choses terribles, belles, les seules qui pour moi auront vraiment compté.

Ce soir-là, j’oubliai d’embrasser ma femme et m’assis sans un mot à la table du dîner. Elle me servit sans rien dire et toucha mon front comme une mère inquiète. Ce geste m’exaspéra et je retirai vertement sa main. Elle en fut piquée, je le vis sur sa figure allongée, mais elle fit comme si de rien n’était et commença à me raconter sa journée. Il était question de jardinerie, de poissons exotiques, de son amie Evelyne, de cocktails, un verbiage insipide qui me donna mal à la tête au point de lui demander de se taire. Interloquée, puis en colère, elle se lança dans une scène en règle. Je la regardai. J’étais déçu. C’était donc ça mon bel amour, celle que j’avais épousée en costume trois pièces et lavallière il y avait presque cinq ans, cette face brouillée de pleurs, cette bouche de caverne qui me reprochait de ne pas l’aimer, de ne pas la comprendre, de ne penser qu’à mes malades, ces vieilles putes de merde ! Le mot « putes » associé à « vieilles » et donc au doux prénom de Margareth me fit réagir avec une promptitude et une violence inattendue chez un homme de ma nonchalance. Je lui hurlai de se taire, tirai la nappe d’un grand coup sec (j’avais toujours rêvé de faire ça, comme dans les films) et lui annonçai que je ne voulais pas avoir d’enfant, ni avec elle ni avec qui que ce soit d’autre, et que je la quittai parce que non, elle avait raison, je ne l’aimais pas. Je partis tout de suite après sans même refermer la porte derrière moi. En descendant l’escalier, je fus soulagé de constater que je n’avais pas honte.

Les jours qui suivirent furent étranges et merveilleux. Je n’étais plus moi. J’étais Jean. J’aimais Margareth, j’étais de retour et je lui racontais tout ce qui m’était arrivé pendant ces longues années. Elle riait comme une jeune femme trop jolie, pleurait contre ma poitrine, me regardait d’un air grave mais jamais de reproche, m’attirait contre elle et me caressait les cheveux. Je ne savais plus que je jouais. Et pourtant, ce que mon imagination lui contait dépassait souvent les bornes du vraisemblable. Au début, je me souciais un peu de la chronologie, je préparais mes histoires dans la petite chambre d’hôtel au papier vermillon, je répétais comme un acteur qui répète ou qui s’invente des procédés quelconques. Le temps passant, j’étais plus Jean que Rodolphe, j’étais libre d’avoir été espion pour la RDA, emprisonné pour trafic de stupéfiants, agent du FBI sur les traces d’un dangereux psychopathe, chômeur désabusé, vendeur de cacahuètes sur les plages de Biarritz ou promeneur de toutous permanentés. J’étais drôle, vif, et elle était heureuse. C’était tout ce qui comptait.
Un matin, le directeur me convoqua. Je fus surpris de l’entendre m’appeler Rodolphe. Je me fichais bien de ce qu’il avait à me raconter, j’étais Jean. Je pris une mine contrite, expliquai que j’étais en instance de divorce, que je n’allais pas très bien. Il me considéra avec une grande perplexité et s’étonna de m’avoir entendu rire si fort et si souvent avec Madame B. ces derniers temps. Je haussai les épaules sans rien répondre. Il n’insista pas et me demanda simplement de m’investir davantage dans mon travail. Je promis. Je sortis. J’étais Jean et je me mis à danser dans les couloirs sous les yeux ébahis de l’infirmière que je n’aimais pas car elle me rappelait la copine de Mac Murphy dans « Vol au-dessus d’un nid de coucou », la coiffe en moins.

Les jours s’écoulaient et Margareth déclinait. Elle somnolait lorsque je narrais les aventures de Jean, cela m’alarma immédiatement. Au début, j’essayais de ne pas remarquer ses absences, par la suite, je la secouai doucement, je ne voulais pas qu’elle s’endorme, pas maintenant, devant Jean qui était revenu pour elle. Non, Margareth ne pouvait pas lui faire ça, ni me faire ça à moi qui n’était devenu un autre que pour lui plaire. L’honnêteté me pousse ici à préciser que c’était faux. Si j’étais devenu Jean, c’était aussi pour moi, parce que je ne me supportais plus, que je voulais devenir un autre. C’est pour cette raison que j’avais toujours envié les acteurs.
Un matin, Margareth me dit que c’était le moment, qu’il fallait le faire maintenant, pendant qu’elle était encore consciente. Et pourtant, elle m’appelait Jean ! J’étais désemparé, agité, fou de douleur à la seule pensée de sa mort. Je savais que je le ferai, j’avais promis, j’avais compris. On lui avait pris son amour, elle n’avait rien décidé de sa vie, elle voulait disposer de ses derniers instants et choisir sa mort. Décider, pour une fois. Elle m’avait expliqué clairement ce qu’elle souhaitait, que je saurais ce qu’il fallait employer puisque j’étais médecin, que surtout elle ne voulait pas se réveiller demain matin avec la bouche pâteuse, les tempes douloureuses et le constat d’un échec. Elle m’avait fait promettre de rester avec elle jusqu’à la fin, elle ne voulait pas être seule, et plus que tout elle voulait rester avec moi, je ne devais pas lâcher sa main. Je promis aussi de ne pas m’impliquer, de ne rien divulguer, de jeter tout ce qui aurait servi dans une poubelle, dans une autre ville, de bien penser à porter des gants pour toutes les manipulations nécessaires. J’avais ce qu’il fallait dans la poche de ma blouse. La boîte trembla dans ma main, j’eus du mal à préparer la seringue. Lorsque l’aiguille pénétra dans sa vieille veine, Margareth me sourit comme la première fois. J’essayai de sourire aussi à travers mes larmes mais je ne parvenais pas à réprimer le tremblement de ma bouche.
C’était fait.
Je m’étendis sur le lit au côté de Margareth et lui prit la main. Elle serra la mienne. Ensuite, elle me demanda de lui raconter notre rencontre. Je lui parlai des gâteaux, et du dernier, celui que j’aimais le moins, mais elle secoua doucement la tête, tourna vers moi ses beaux yeux d’améthyste et me dit, non, tu racontes mal, tu te trompes, as-tu donc oublié le rouge-gorge et le chat roux ?

1 Message

  • L’espoir de Margareth 14 août 2010 12:27

    Merci pour cette jolie histoire.
    Je l’ai l’eue car j’ai le même prénom avec le même orthographe, c’est à dire le H à la fin et ma fille s’appelle Noémie, elle est au tout début de sa vie de sa femme. En effet, elle vient de sortir de l’enfance et j’espère de tout coeur qu’elle n’aura pas dans ses vieux jours un si grand desespoir.
    Bonne journée

    Margareth

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