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Conte nourricier 

vendredi 5 septembre 2008, par Karine Macarez

A soixante-seize ans, Odette Lebon était passée maître dans l’art de faire tourner son entourage en bourrique.

Si son fragile gosier se déshydratait, on se précipitait pour lui apporter un verre d’eau ; si un objet lui échappait malencontreusement, quatre paires de mains tâtonnaient sous le canapé pour le récupérer immédiatement. On n’hésitait pas non plus à se rechausser de bonne grâce pour lui acheter des chocolats un jour d’orage, car Odette Lebon avait toujours envie d’une petite douceur à se mettre sous la dent par temps de pluie.
Avec les années et l’expérience, cette dernière avait développé un langage par signes pour exprimer ses besoins, excluant tout verbiage superflu. Un index pointé vers sa gorge indiquait qu’elle avait soif ; une main entière signifiait que c’était la faim qui la tenaillait. Si elle levait la main à la manière d’une écolière, il fallait l’escorter jusqu’au petit coin et attendre sagement derrière la porte close pour la raccompagner ensuite jusqu’à son fauteuil. Une main posée sur le front voulait dire qu’il fallait cesser une conversation ennuyeuse. Enfin, si cette dernière émettait une série de petits bâillements, cela signifiait un congé immédiat pour toute la famille.

A une époque où l’on se débarrasse des vieux encombrants et capricieux dans les maisons de retraite, Odette Lebon tenait bien sa place. Elle était alerte et en excellente santé, hormis une légère arthrite. Celle-ci se rendait toujours deux fois par semaine chez son boucher à l’heure d’affluence pour se plaindre devant témoins qu’il vendait de la viande avariée. Pour rien au monde, elle n’aurait envoyé Nénette, sa « bonniche » comme elle l’appelait, s’acquitter de cette tâche qui lui procurait tant de satisfaction.

Depuis qu’elle avait vu une émission télévisée sur la remballe en boucherie, Odette Lebon ordonnait qu’on découpât la viande devant elle. Bien qu’exaspéré, le boucher s’exécutait et supportait les sarcasmes de la vieille dame car il avait des bouches à nourrir et celle-ci était l’une de ses meilleures clientes.

Personne n’osait jamais contredire Odette Lebon, excepté peut-être les chauffeurs de bus. Un jour, l’un d’entre eux avait osé lui fermer la porte au nez en la regardant droit dans les yeux alors qu’elle agitait la main pour pouvoir monter. Furieuse, elle avait exigé que son fils Barnabé téléphone à la compagnie des bus pour porter plainte. Celui-ci, après une conversation trop polie au goût de cette dernière, s’était tournée vers sa mère et avait dit : « Le chauffeur de bus prétend qu’il ne t’a pas vue ».

Là, Odette s’était mise en rogne et avait traité son fils de bon à rien et de gros porc, son insulte favorite. Elle constatait que cette injure faisait toujours mouche car les yeux de veau de ce dernier s’étaient rétrécis jusqu’à ne former qu’une fente. « Décidément, il n’apprendra jamais à se conduire comme un homme », pensa la vieille dame.

A cinquante et un ans, Barnabé était toujours aussi complexé par son poids. A sa naissance, il était déjà extraordinairement grand et gros, « une vraie force de la nature » avait décrété le médecin accoucheur. Odette ne lui avait pas pardonné de lui avoir causé tant de misères lors de sa venue au monde et l’avait appelé Barnabé pour le surnommer très rapidement Babar. A l’école aussi, tout le monde l’appelait Babar. Dans la cour de récréation, les enfants criaient à tue-tête « gros plat de soupe » et le tenaient systématiquement à l’écart des jeux qui réclamaient un peu de dextérité physique. Personne ne voulait le prendre dans les équipes sportives et il s’ensuivait toujours des protestations et de gros soupirs lorsqu’il échouait de manière arbitraire dans l’une d’entre elles.

A l’adolescence, il avait essayé plusieurs régimes mais sans résultats. La moindre cause de stress ou d’angoisse décuplait son appétit. Son manque de succès auprès des filles avait aggravé les choses et il avait fini par appréhender la nourriture comme un refuge. Lorsqu’il mangeait, il se sentait en sécurité.

Barnabé était pourvu d’une intelligence honnête sans être exceptionnelle. Tout son génie résidait en une mémoire prodigieuse. Il retenait tout et sans effort, ce qui lui permit d’obtenir des notes plus qu’honorables durant sa scolarité. A dix-huit ans, il s’engagea tout naturellement dans des études de droit et devint gestionnaire de patrimoine.

Hormis la nourriture, Barnabé avait une deuxième passion tout aussi dévorante que lui avait transmise sa mère : l’argent. Et pour cause, Odette Lebon était immensément riche, l’une des plus grosses fortunes d’Anjou, léguée par son défunt mari, un ancien industriel mort dans la force de l’âge.
Lorsqu’il était enfant, sa mère le laissait jouer avec les louis d’or du buffet. Il passait des heures à les compter et à les caresser. Lorsqu’il demandait à sa mère s’il pouvait en garder un, cette dernière remettait tout sous clef et lui disait : « Tu n’auras rien maintenant mais je te laisserai tout à ma mort, Babar. Il faudra que tu sois patient. Un jour, tout sera à toi ».
Lorsqu’elle partait et le laissait seul pendant plusieurs heures d’affilée, Barnabé rêvassait et imaginait que la voiture de sa mère s’écrasait contre un arbre et qu’un homme vêtu d’un costume noir entrait dans sa chambre pour lui annoncer qu’il était riche et qu’il allait enfin pouvoir rencontrer Mickey, son héros favori. Mais sa mère rentrait toujours indemne. Alors, pris de remords d’avoir souhaité sa mort, il tentait timidement de se faire câliner pour se faire secrètement pardonner mais il se faisait toujours rabrouer : « Va t’essuyer la bouche, tu es dégoûtant. Tu es encore couvert de chocolat ».

Vers l’âge de trente ans et alors qu’il s’était résolu à finir sa vie tout seul, il fit la rencontre de Muriel, une secrétaire de trente-quatre ans. Petite, brune et trapue, cette dernière avait un léger strabisme. Si elle n’entrait pas dans la catégorie des femmes qui peuplaient les fantasmes nocturnes de Barnabé, il n’en demeura pas moins que l’intérêt que cette dernière lui manifesta l’émoustilla. Six mois plus tard, Muriel était enceinte et ils se marièrent. Ils eurent rapidement trois enfants : Bertrand, Xavier et Chloé.

Sous une placidité apparente, Muriel possédait un sens pratique très aigu. Son mariage avec Barnabé n’était pas le résultat d’un coup de foudre et, cinq ans plus tôt, elle ne l’aurait même pas regardé. A cette époque, elle reconnaissait volontiers qu’elle n’était pas du tout attirée par les gros et qu’elle préférait plutôt les types bien bâtis, le genre Robert Redford. Mais voilà, à trente-quatre ans, il vaut mieux ne pas trop faire la fine bouche si l’on ne veut pas risquer de se retrouver sur le carreau. En outre, Barnabé était un excellent parti avec une situation stable. Et puis surtout, elle ne risquait pas de se le faire piquer.

Malgré des origines modestes, un père ouvrier à l’usine et une mère au foyer, Muriel avait des goûts très petit-bourgeois. Dans un contexte socio-économique où il était difficile de faire un bon mariage, elle se disait qu’elle avait eu beaucoup de chance d’épouser le fils d’une des plus grandes fortunes d’Anjou. Un jour, tout cela lui appartiendrait aussi, pensait-elle en caressant les chandeliers d’argent de sa belle-mère.

Odette Lebon, quant à elle, avait tout de suite vu clair dans le jeu de sa bru le jour où Barnabé la lui avait ramené à la maison. Elle n’avait pas manqué de remarquer l’appétit avec lequel cette fille avait fixé les chandeliers d’argent et son obséquiosité servile et doucereuse. « Tu n’auras rien, ma fille », avait-elle pensé.
Elle l’avait trouvé laide mais cela l’avait plutôt rassurée. Il n’y aurait pas de mésalliance avec Barnabé. Elle aurait été plus inquiète si ce dernier lui avait ramené une de ces limandes qu’on appelle dans les magazines « top-model », les « chasseuses de diamants » comme les surnommaient Odette. Au moins, cette Muriel ne risquait pas de lui faire tourner la tête.
Bizarrement, ce couple peu gracieux avait produit de beaux enfants, à part le premier, Bertrand, qui était le portrait craché de Barnabé et qui avait hérité, en plus ! du strabisme de sa mère. Grand et gros, le genre indolent, à vingt-cinq ans, il vivait dans un appartement où il ne fichait rien à part soi-disant composer de la musique. Il avait arrêté ses études et passait son temps dans les bars. Etrangement, ce dernier ne paraissait pas complexé par son physique ingrat. D’un naturel rieur, cet enfant était toujours d’une bonne humeur agaçante.

Lorsqu’il était petit, la vieille dame l’avait affublé du surnom de « Porcinet » avec l’intention de le provoquer mais il n’avait pas réagi. Au contraire, il avait même semblé s’en amuser et depuis il signait toujours les cartes postales de vacances qu’il lui adressait de son sobriquet.
Elle avait également tenté sans succès de l’initier au comptage des louis d’or comme jadis Barnabé. A six ans, il avait haussé les épaules et décrété : « C’est nul comme jeu ». Des années plus tard, il avait même osé lui dire : « Tu vas finir gâteuse si tu continues à compter ce tas de ferraille ». Ce jour-là, pour ne pas déplaire à sa mère, Barnabé avait haussé le ton et exigé que Bertrand s’excuse. Ce dernier s’était exécuté sans mauvaise humeur.

Odette était restée intriguée par ce comportement si atypique au sein de cette famille car tous les autres étaient de véritables carpettes. Xavier et Chloé se battaient toujours pour aller chercher ses verres d’eau ou rouler sous le canapé lorsqu’elle laissait tomber négligemment l’une de ses boucles d’oreilles en or. Ils se tenaient toujours au garde-à-vous, prêts à recevoir l’aumône, quand elle ouvrait son sac à main à clapet. Elle s’amusait beaucoup de leurs mines déçues lorsque, avec nonchalance, au lieu de son porte-monnaie, elle extirpait à la place un paquet de kleenex.

Odette avait développé un peu d’affection pour Chloé car elle était longue et gracieuse et lui ressemblait un peu lorsqu’elle était jeune, mais avec l’intelligence en moins. A vingt ans, Chloé avait une passion pour les parfums de luxe et les chaussures. Elle ne semblait pas avoir grand-chose d’autre dans la tête, c’était d’ailleurs une étudiante médiocre promise à un avenir très incertain. Elle ramenait toujours d’innombrables catalogues de mode pour les montrer à sa grand-mère avec l’espoir que cette dernière lui concèderait quelques pièces. Ce qu’Odette faisait parfois pour exciter la jalousie de Xavier qui, attentif comme un chat, guettait le moindre mouvement du sac à clapet. La transaction avait toujours lieu discrètement dans l’embrasure d’une porte. Les yeux brillants, Chloé parvenait mal à contenir son excitation et couvait sa grand-mère d’un regard reconnaissant plein de connivence. Odette devinait la colère du jeune homme à son air soupçonneux et ses gestes nerveux et s’en amusait beaucoup comme on se félicite d’une mauvaise farce commise en toute impunité.

La vieille dame n’était toutefois pas dupe de cette sollicitude affectée qu’on lui portait.
« Ces rapaces attendent ma mort », avait-elle dit à Madeleine, « J’ai engendré une lignée de vautours. Oui, voilà ce qu’ils sont, juste une bande de vautours, qui attendent ma mort. Tu aurais dû voir Barnabé dimanche plonger sous le canapé pour ramasser mon comprimé, le visage rouge et ses grosses fesses bombées qui dépassaient. Il était grotesque, comme à son habitude ».
Tu ne devrais pas te plaindre, avait rétorqué Madeleine les yeux toujours humides, au moins ta famille vient te rendre visite. La mienne ne vient jamais. C’est tout juste si on se rappelle que j’existe.
Ah, Madeleine. Tu ne vas pas recommencer à pleurnicher et me rejouer ta sérénade. Si tu étais moins pleurnicharde, ta famille pointerait davantage le bout de son nez. Au moins, on n’en veut pas à ton argent, ajouta Odette.
Bah, c’est que je n’en ai pas...
Hum, peut-être. Mais tout de même, tu te rends bien compte que tes airs de vierge sacrifiée ne te mènent nulle part. C’est fatigant à la fin les vieux qui se plaignent ! Rien de surprenant à ce que personne ne vienne jamais te voir. Joue donc au lieu de parler pour ne rien dire, c’est ton tour.

Madeleine et Odette se connaissaient depuis treize ans et se réunissaient une fois par semaine pour jouer à la crapette autour d’une tasse de café. Comme envers tous les gens qui composaient son entourage, Odette n’avait pas beaucoup d’estime pour Madeleine qu’elle trouvait sotte et geignarde. Elle supportait sa compagnie car les partenaires sérieux de crapette étaient devenus une denrée rare.
Madeleine appartenait à cette catégorie de vieux pleurnichards désargentés qui finit inévitablement dans une maison de retraite. Elle avait déjà usé des tours classiques qui accélèrent le processus de placement, comme par exemple monter sur un escabeau branlant alors que le médecin vous l’a fortement déconseillé ou prendre ses médicaments par deux fois le même soir.

Sa dernière trouvaille montrait tout le désespoir et le peu de dignité auquel Madeleine était réduite pour attirer l’attention. Prise de diarrhée après s’être enfilée deux tablettes de chocolat, elle avait téléphoné au cabinet médical en se plaignant de graves douleurs au ventre et avait supplié son médecin de prévenir ses enfants de sa mort imminente. Une ambulance avait été dépêchée à son domicile pour l’hospitaliser d’urgence car les cas de déshydratation cet été-là avaient été très importants et les vieux tombaient tous comme des mouches.
Le lendemain de l’incident, toute la famille était réunie autour d’une Madeleine à la mine compassée, les bras posés en croix sur sa poitrine, qui répétait inlassablement : « Vous n’auriez dû pas venir, ce n’est rien. Vous avez dû faire de la route. Cinq heures de voiture, ce n’est pas rien tout de même. Vous devez être fatigués, surtout les enfants ».

Ce jour-là, après une crapette acharnée, Odette ressentit des palpitations particulièrement fortes dans la poitrine. Elle ne s’en alarma pas outre mesure mais après une semaine, comme les douleurs ne la quittaient pas, Odette se décida à consulter son médecin, qui diagnostiqua un problème cardiaque :
« Il n’y a pas de quoi s’inquiéter Madame Lebon mais il va falloir faire des analyses un peu plus poussées. Vous reviendrez demain pour des examens ».
Foutaises, rétorqua Odette Lebon, j’ai toujours été en bonne santé. Je n’ai pas encore un pied dans la tombe.
Bien sûr que non, je dirais même que c’est assez courant à votre âge mais il ne faut pas prendre les choses à la légère. Il va falloir vous ménager.
Odette rentra chez elle, les sens agités : « Ca y’est, c’est arrivé. C’est le début de ma décadence », pensa-t-elle.

Lorsque le médecin lui prescrivit un traitement, Odette acheta une petite boîte rouge et jaune au motif mosaïque avec des compartiments pour ranger ses pilules roses et bleues. Elle sombra dans une humeur étrange, passant d’une énergie débordante à la léthargie la plus complète, refusant parfois même de se lever le matin. Elle restait alors allongée sur son lit et fixait obstinément le plafond, absorbée dans ses pensées.
Nénette fut la première personne de son entourage à s’inquiéter de ce brusque changement et lorsqu’elle découvrit la petite boîte à mosaïques cachée dans la boîte à pain, alarmée, elle se fit un devoir de prévenir sa famille. Or, alerter les vautours était bien la dernière chose que souhaitait Odette Lebon et c’était justement l’idée de son dépouillement prochain qui l’obsédait et la plongeait dans la torpeur. Bien sûr, elle n’était pas à l’article de la mort mais sa nouvelle condition physique lui faisait brusquement prendre conscience que toute cette histoire commençait à sentir le sapin. La simple pensée d’imaginer finir six pieds sous terre la tourneboulait. Mais elle s’inquiétait surtout du devenir de ses louis d’or et de son argent bien placé à la banque.

Lorsque Barnabé et les enfants lui rendirent visite la semaine suivante, à leurs mines plus obséquieuses que jamais, elle comprit tout de suite que cette sotte de Nénette avait découvert le pot aux roses et les avaient prévenus. L’air grave et sérieux, Barnabé faisait les cent pas dans la pièce du séjour, sans parvenir à fixer son gros derrière sur un fauteuil. Muriel, quant à elle, les mains posées à plat sur ses genoux, affichait une mine faussement préoccupée dans laquelle Odette crut déceler un mélange de commisération et de satisfaction. Les enfants étaient assis bien sagement et ne pipaient mot. Xavier tripotait la ceinture de son nouveau jean et Chloé semblait perdue dans ses pensées.
Un curieux pli s’était formé sur le front de cette dernière, lui donnant un air de concentration qui ne lui était pas coutumier et Odette se dit que cette petite tête de linotte était sûrement en train de compter le nombre de chaussures qu’elle pourrait s’acheter avec sa part d’héritage.
Le silence était pesant et lorsque Odette laissa échapper maladroitement son verre d’eau et que Barnabé se précipita pour étancher la moquette, elle laissa exploser sa colère :
« Qu’est-ce que tu fiches ? Laisse donc. Je ne t’ai rien demandé. Et puis, qu’est-ce que vous avez tous là à me regarder avec vos mines d’enterrement ? C’est quoi cette comédie ? »
Qu’est-ce qui te prend ? Tu ne vois donc pas qu’on s’inquiète pour toi ? répondit Barnabé.
Inquiets ? Tu me crois née de la dernière pluie ? Tu crois peut-être que je ne sais pas ce que j’ai engendré ? Je sais bien ce que vous attendez tous là, rassemblés comme des vautours. Vous attendez que je crève pour récupérer mon argent !
Odette, ne vous mettez pas dans un état pareil, vous devriez..., s’interposa Muriel.
Vous, la fille de ferme, on ne vous a pas sonné. Depuis quand osez-vous me dire ce que je dois faire ou ne pas faire ? Si vous pensez que je ne vous ai pas vue venir avec vos gros sabots et vos airs de sainte-nitouche. On peut dire que vous avez tiré le gros lot, laide comme vous êtes. Si vous n’aviez pas rencontré Barnabé, vous seriez restée vieille fille à taper à la machine et coller des enveloppes. Au lieu de cela, vous restez au chaud à la maison, avec vos grosses fesses vissées sur le canapé, à engendrer des parasites de votre espèce et à regarder des feuilletons imbéciles en attendant que...

Odette s’interrompit au beau milieu de sa phrase, prise de stupeur. Barnabé se tenait au milieu du salon, les yeux rouges injectés de sang, avec un regard que la vieille dame ne lui avait jamais vu. Il tremblait et ses poings étaient résolument serrés à la manière d’un boxeur prêt à frapper. A cet instant précis, il lui sembla immense. « C’est de la haine qu’il y a dans son regard », pensa Odette avec surprise.

Il s’avança vers elle, les poings toujours serrés, et, prise de frayeur, elle se ratatina instinctivement devant ce géant, portant les bras à son visage pour se protéger. Ce dernier lui écarta simplement les mains et dit : « Tu as l’air fatiguée. Nous partons ». La vieille dame ne trouva rien à répondre et assista, impuissante, au départ de la famille qui prit congé sans un mot.

Quelques heures plus tard, Odette Lebon avait retrouvé ses esprits mais elle pensait toujours à l’attitude de Barnabé, et surtout à ce regard qu’il lui avait lancé. Elle ne parvenait pas à dissiper le sentiment de malaise qui l’habitait depuis le départ de ce dernier. Et si cette fois j’avais été trop loin ? Pensait-elle.

Comme elle ne réussissait pas à trouver le sommeil, elle décrocha son téléphone : « C’est moi. Je n’arrive pas à dormir. Est-ce que tu peux venir pour m’aider à compter les louis d’or ? ». Il répondit simplement comme à l’accoutumée : « J’arrive ».

P.-S.

Illustration tirée du film de René Allio, La Vieille Dame indigne.

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