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Fiche cuisine exotique : les galettes de boue haïtiennes 

lundi 18 janvier 2010, par Michel Tarrier

« Cette terre est la plus proche du paradis, avec les plus beaux paysages que les yeux humains puissent voir. » Christophe Colomb, 1492

Regardez bien cette illustration, tout y est, y compris l’arme-crucifix.
C’est dès lors le début du chaos et de l’effroi pour les populations conquises, leurs ressources et leurs paysages. Partout, l’arrivée de l’homme Blanc aura semé la pire désolation.

Brève intro d’actualité

L’envol des prix des céréales et du lait, objets de spéculations iniques assimilables à un crime contre l’humanité, dorénavant ajouté à la crise de l’inconscience financière du monde marchand, sont en passe de provoquer un drame alimentaire mondial. Un de plus, tous les prétextes sont bons. Le programme alimentaire mondial va ainsi devoir réduire les rations qu’il distribue aux pays les plus appauvris d’une planète dite humaniste.

D’autres facteurs interviennent, comme le prix récemment élevé du baril de pétrole, grevant l’acheminement des denrées, et qui ne manquera pas d’augmenter puisque nous sommes à l’avant-veille du pic des énergies fossiles, mais aussi et surtout notre consommation effrénée de viande, ajoutée à celle accrue des pays émergents (Chine, Inde…), qui exige une grande quantité de grain pour nourrir le bétail. Il en va de même du nouvel usage des cultures alimentaires à des fins énergétiques avec le développement des agrocarburants (rouler ou manger, scandaleux dilemme).

En Haïti, l’un des pays parmi les plus pillés et ruinés du monde, les paysans affamés en sont réduits à manger des galettes de boue. Le mélange, avec un peu d’eau, du sel et de la matière grasse végétale, donne une masse boueuse lisse. Découpée en rondelles plates et séchées au soleil, elle prend l’aspect d’un biscuit qui procure de redoutables maux de ventre. Mais c’est l’unique repas que prennent des milliers d’Haïtiens depuis déjà longtemps.

Au rang des accusés : les États-Unis et l’Europe subventionnant leurs exportations de riz, de farine et d’autres denrées alimentaires. Les cultivateurs haïtiens, déstabilisés par les importations à bas prix, ont abandonné les champs. Aujourd’hui, le pays importe l’essentiel des produits alimentaires de base. Mais lorsque le marché international est à la hausse, les Haïtiens paient le prix fort.

La recette des galettes de boue façon Perle des Antilles, sauce coloniale
Une recette humaniste de cuisine exotique, un plaisir gourmand très apprécié des enfants.

Prenez une île (flottante), comme Haïti…

Envoyez Christophe Colomb pour la découvrir. Impressionné par sa beauté et la gentillesse de ses habitants, il la rebaptise Hispaniola. Les autochtones Arawaks qui accueillent l’équipage de Colomb viennent vers lui en criant « Taïno ! Taïno ! », ce qui en Arawak signifie « homme bon ». Faites comme si l’île n’appartenait à personne, quitte à considérer la nation première comme formée de sous-hommes, d’animaux sans âme, de païens. Les Espagnols, « hommes bons », soumirent les Arawaks, les Caraïbes et les Tainos à des travaux miniers forcés afin d’extraire et de s’approprier tout l’or du pays. D’un million d’indigènes en 1492, décimés par une cruelle exploitation, il n’en restait plus que quelques centaines vingt-cinq ans après. La main d’œuvre gratuite et corvéable à merci vint donc à manquer. Le bon Charles Quint autorisant la traite des esclaves, l’ « évangélisation » se poursuivit sur l’initiative altruiste (christique ?) d’un moine dominicain, Bartolomeo de Las Casas et l’on fit venir d’Afrique les premiers Noirs. Ce fut le début de la traite négrière et de son cortège de malheurs. Peu avant la fin du XVIIIe siècle, Hispaniola devint Saint-Domingue, soit la colonie française la plus riche de l’Amérique, grâce aux profits immenses de l’industrie sucrière et de celle de l’indigo. Des milliers d’Africains seront sans cesse amenés comme esclaves pour travailler dans les plantations et faire fonctionner ces industries. C’est en cette période que fut appliqué le fameux code noir, une ordonnance de Louis XIV destinée à réglementer le régime de l’esclavage, en précisant les devoirs des maîtres et des esclaves. Depuis, un très grand nombre d’étrangers, notamment Français, Anglais, Allemands et Nord-Américains vinrent participer au « développement » d’Haïti et appauvrir un pays désormais exsangue. Dès que le pouvoir se fragilisait, des révoltes armées se déclenchaient, entretenues par les candidats à la succession. Au début du XXe siècle, le pays était en état d’insurrection quasi-permanente. Les États-Unis occupèrent l’île de 1915 à 1934, puis la sinistre famille Duvalier régna, sombre dictature ayant mis en place une milice paramilitaire de délation et d’escadrons de la mort baptisée Tonton Macoute. Un semblant de démocratie s’installe en 1991 avec, comme président de la république haïtienne, un prêtre engagé et partisan de la théologie de la libération, Jean-Bertrand Aristide. Sur ordre du Vatican qui veille au grain, Aristide est accusé de mettre l’Église au service de la politique (entendez d’une autre politique que celle colonisatrice), d’exalter la lutte de classe (encore un communiste !) et de s’être enrichi par millions de dollars, y compris d’avoir participé au trafic de drogue. Il est définitivement forcé à exil en 2004.

Tout le monde aura compris la recette, c’est partout la même dans les pays du Sud aux richesses rançonnées, aux paysages saccagés et dont on exhorte les populations à une démographie exponentielle en inéquation avec les ressources sciemment décimées. Avec l’irrespect comme morale et la perte de conscience comme symptôme positif, l’accumulation comme principe majeur fut ainsi et partout perpétré par un capitalisme héritier en droite ligne des religions monothéismes et conférant indûment à l’homme Blanc plus qu’un droit de cuissage sur les autres races et de saccage de la nature.

On pourrait ainsi résumer la recette aux mains du cuisinier colon : exploitez puis éliminez les peuples premiers, exploitez jusqu’à la corde les ressources du sol et du sous-sol, épluchez les écosystèmes, dépecez les paysages, érodez les montagnes, déboisez et laissez déboiser, faites table rase de tout ce qui pousse et de tout ce qui bouge, épuisez et nettoyez toute la terre végétale de manière à ce que les pluies diluviennes dévalent les flancs, inondant les vallées et soumettant les habitants à des catastrophes « naturelles », massacrez, assassinez, puis faites accroire que vous portez secours, que vous soutenez. Mettre au four, quand c’est bien cuit, montrez la misère aux téléspectateurs du premier monde qui s’en apitoieront en mangeant leur entrecôte.

Excellent coupe-faim, la galette de boue est festive, apéritive et se grignote à l’apéritif comme mise en bouche ! Apport en calcium garanti ! Bientôt en vente chez Hédiard et Fauchon, aux rayons bio. Un seul problème : la boue coûte de plus en plus cher…

Notez bien, ce n’est pas précisé dans les guides touristiques, qu’on ne sert pour l’instant cette gastronomie créole que chez l’habitant de Cité Soleil, lequel vous souhaitera spontanément la bienvenue écotouristique dans la misère où on l’enfonce.

Je doute que l’on vous propose cette recette typiquement haïtienne lors de votre soirée barbecue à l’hôtel Montana tout proche de Port-au-Prince, « un site unique, une histoire d’atmosphères… »
C’est un scandale, mais vous ne trouverez pas davantage cette spécialité à la prestigieuse carte du steak house des hôtels de luxe de la République Dominicaine voisine.

Darwinisme social, catastrophe malthusienne ou colonialisme effronté ?
Chrétiens envahisseurs et exterminateurs, qu’avez-vous fait du monde ?

En digestif, des vidéos qui font mal au ventre

Haïti crie famine :
http://www.dailymotion.com/video/x481i2_haiti-famine-galette-dargile_news

http://www.lepost.fr/article/2008/10/02/1278780_quand-c-est-la-crise-dans-les-pays-riches-c-est-l-enfer-dans-les-pays-pauvres.html

http://www.youtube.com/watch?v=qJ_zzgwbwSs

Massacre à Cité Soleil :
http://www.youtube.com/watch?v=5TVBNbmoD_Y&NR=1

Le silence des chiens :
http://www.youtube.com/watch?v=Qbu2HPvFn_E&feature=related

Vivre en Haïti, sujets variés du malheur à toutes les sauces (émeutes de la faim, catastrophes, ouragans, tragédies, violences, prostitution infantile…) :

http://www.youtube.com/watch?v=uZf1_6W61c8&feature=channel

http://www.youtube.com/watch?v=adEUkAUjuxY&feature=channel

http://www.youtube.com/watch?v=Ki9JFaS6ZuQ&feature=channel

http://www.youtube.com/watch?v=eGVhhvsMf54&feature=channel

http://www.youtube.com/watch?v=SeewxE3XvPs&feature=related

http://www.youtube.com/watch?v=1jO_EcC0Www

http://www.dailymotion.com/video/x30oq2_les-enfants-du-coup-detat-haiti-ext

Aux limites de la mémoire :
http://elsie-news.over-blog.com/article-15520345-6.html

Duvalier et la mafia américaine :
http://elsie-news.over-blog.com/pages/Lensauvagement_macoute_et_ses_consequences_19571999_un_article_passionnant_et_bien_documente_de_Leslie_Pean-35910.html

Adieu Haïti :
http://www.youtube.com/watch?v=_He92Hp_AkM&feature=channel

Pour la bonne bouche

Vivre plus nombreux en enfer

Voici la courbe démographique d’Haïti de 1960 (3,6 millions d’habitants) à 2003 (9 millions) ; moyenne d’âge : 18 ans ; taux brut de natalité : 36,4% (France : 13,1%) ; espérance de vie des femmes : 54 ans (France : 84,2 ans) ; taux d’alphabétisation : 52% ; Accès à l`eau potable : 46%.

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