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A propos de Essais de voix malgré le vent de Olivier Barbarant 

lundi 30 mai 2005, par Jean-Patrice Dupin

"Le vent, [...] représente ici toutes les forces de dislocation s’exerçant sur l’âme, et par voie de conséquence sur le vers : la mort bien sûr [...] mais aussi cette fois l’assez aberrant tintamarre de l’époque. [...] Malgré le vent donc, comme en dépit de l’éparpillement du langage, il arrive qu’ici ou là un murmure résiste, offre presque une consistance." Ces mots que l’on peut lire en quatrième de couverture du dernier livre d’Olivier Barbarant, et que l’auteur revendique en les signant de ses initiales, n’ont pas pour seule fonction d’expliquer un titre ; ils sont aussi un manifeste, une déclaration d’intention quant au contenu de l’ouvrage que ce titre recouvre, et c’est sous leur lumière qu’il convient d’aborder chacun des poèmes de ces Essais de voix malgré le vent.

De fait, outre des textes à contenu intimiste ou autobiographique, outre des hommages aux écrivains et artistes qu’il admire (ici notamment Soutine ou Théophile de Viau), tels que l’on en trouvait déjà dans les deux premiers recueils de poésie de Barbarant, Les Parquets du ciel (1991) et Odes dérisoires et quelques autres un peu moins (1998), on pourra lire dans le présent ouvrage des poèmes aux sujets nouveaux chez l’auteur, se référant à la politique, à l’actualité, aux médias, à la société, par lesquels Barbarant entend faire savoir qu’il n’est pas indifférent aux malheurs de son temps. Également prosateur (Douze Lettres d’amour au soldat inconnu, 1993), essayiste (Aragon : la mémoire et l’excès, 1997), diariste (Temps mort : journal imprécis (1986-1998), 1999), enseignant, Barbarant se propose ici de montrer, s’il en était encore besoin, qu’il ne s’accorde en aucun cas au cliché que se font peut-être encore certains du poète enfermé dans sa tour d’ivoire, évoluant dans une autre sphère, occupé la plupart du temps à des rêveries vagues ou hermétiques, d’accès difficile pour ne pas dire carrément superflu, de toute façon totalement déconnecté des réalités concrètes, des problèmes de son époque. On saura donc qu’Olivier Barbarant s’intéresse à ses contemporains, qu’il n’est pas insensible à leurs malheurs, à leurs faiblesses, à leurs blessures, à leurs craintes, et même qu’il en souffre. Il est des choses dans ce monde qui ne devraient pas être, qui sont pourtant mais qu’y faire ? L’auteur souffrirait-il à l’unisson de tous les blessés, de tous les solitaires, de tous les malheureux du monde, que cette souffrance prise sur soi ne ferait que se surajouter à celle des autres, sans pour autant les soulager en rien, et l’auteur du coup de souffrir en plus de sa propre impuissance à changer quoi que ce soit à l’état des choses, à leur cours : "le monde quoi qu’on fasse affûte ses couteaux".

Mais dans ce monde tel que nous le connaissons nous aussi, Barbarant est-il le premier, est-il le seul ou l’un des seuls à s’insurger, à se révolter, à se désoler de son impuissance à changer les choses ? Si le contenu de tels poèmes, qu’on pourrait dire circonstanciels, met en évidence la sensibilité de l’auteur ainsi que son indéniable faculté d’empathie, il reste à craindre que ce ne soit pas là qu’il faille chercher cette "voix" annoncée par le titre, qu’elle ne soit, vue sous cet angle, qu’un souffle de plus à disperser dans le "vent", et il semble bien que la "consistance" dont se réclame l’auteur soit à chercher ailleurs, dans une autre forme de son discours, dans un autre aspect de son livre.

Car cette voix existe bel et bien, de même qu’elle existait déjà dans les deux précédents recueils de poésie de l’auteur. À trop se focaliser sur les sujets de certains des poèmes présents dans ce livre, et qui pourraient aussi bien être traités dans des essais ou des articles de journaux, on en aurait presque oublié que, justement, nous avons affaire à de la poésie, et que c’est précisément dans sa dimension poétique que ce livre, malgré quelque vent que ce soit, nous donne à entendre une véritable voix.

Cette dimension poétique repose sur un certain nombre de composantes, dont l’ensemble constitue la force et l’originalité de l’écriture de Barbarant. Les contraintes formelles qui gouvernaient la poésie classique y sont pratiquement inexistantes : sauf en de rares exceptions, le vers est libre ; la rime est absente. Cependant, Barbarant ne renie pas la tradition classique, ne serait-ce que dans ses nombreuses références à cette dernière, dans la simplicité de la langue utilisée, dans les titres quand il y en a (complainte, élégie), et aussi dans la dimension lyrique de ses poèmes. Car Barbarant est bel et bien un poète lyrique, mais d’un lyrisme moderne, un lyrisme du quotidien, un lyrisme exempt de toute grandiloquence. Et même s’il n’est pas régulier, pas rimé, le vers d’Olivier Barbarant n’en est pas pour autant jeté sur la page au hasard et tel qu’il vient. Il est au contraire savamment construit selon les principes d’une syntaxe stricte et anguleuse, d’adroits jeux de sonorités, dont l’agencement méticuleux permet la plupart du temps de faire sans dommage pour la clarté de l’ensemble l’économie de la ponctuation. Barbarant sculpte la langue jusqu’à parvenir à des vers définitifs, intangibles, au point qu’on les dirait presque minéraux.

De là cette voix "exacte et rincée", au fort pouvoir évocateur, pouvoir que vient soutenir encore la faculté qu’a l’auteur de convoquer au besoin des images à la fois limpides et saisissantes, parce que renvoyant presque toujours à des éléments concrets et familiers, comme cette "lessive à faire aux draps ridés des heures". L’écriture de Barbarant n’a de cesse de convoquer le concret, de le saisir, de s’y enraciner. Dans cette optique, les poèmes les plus touchants dans ce livre en sont peut-être aussi les plus intimistes, les plus autobiographiques. La mort, la fuite du temps, les blessures de toutes sortes que peut infliger la vie en sont les personnages principaux, que nous connaissons bien nous aussi, au point qu’il semble qu’Olivier Barbarant ne parle jamais aussi bien de nous que lorsqu’il parle de lui. Et de fait, même quand il s’attelle aux sujets politiques, sociaux, etc., déjà mentionnés, l’auteur ne fait jamais, en définitive, que parler de lui, que mettre en mots, en vers, en poèmes la résonance que prend en lui cet "assez aberrant tintamarre de l’époque", la souffrance, la fatigue, la révolte que celui-ci lui inspire, et cela dans une telle proximité avec le lecteur que, devant ces textes, ce dernier ne peut que s’exclamer : c’est ça.

La voix de Barbarant, celle qui s’élève malgré le vent, ce serait donc cette écriture, tout à la fois exigeante et accessible, figurative et géométrique, une écriture suffisamment consistante pour aborder n’importe quel sujet, convoquer n’importe quel sentiment, et c’est pourquoi, lorsque l’auteur annonce "peut-être étais-je fait pour ne parler que du bonheur", on se prend à avoir envie de l’encourager dans cette voie, qui, tout bien considéré, serait aussi courageuse que novatrice. Ne parler que du bonheur : et s’il n’était pas trop tard pour essayer ?

P.-S.

Olivier Barbarant, Essais de voix malgré le vent, Champ Vallon, 2004.

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