Ramon Pipin et sa horde aromatique n’éprouvaient pas un besoin urgent d’utopie. Ils voulaient exhaler un parfum de rebiffe, secréter des chansons suffisamment crues pour qu’on ne les confonde pas avec des hymnes à la morale et au bon goût, ces deux enfants de la bêtise et de l’ennui selon Francis Picabia qui s’y connaissait en distribution de peaux de bananes.
Entre 1979 et 1985, Odeurs attira les plus louches sympathies : Coluche, Pierre Desproges, Choron, zèbres mal bigarrés mais qui, unis dans une même boue, composent ensemble un ferment de révolte torboyautante.
Les cinq albums d’Odeurs témoignent d’une impétuosité sarcastique efficace. On s’attaque aux plaies de l’époque (toujours actuelles) sans jouer les voyous voyants. Des chansons comme Laval qui rit, Rock Haroun Tazieff, Tommy Lobo ou L’amour sans les dents sont autant d’éclats de rire mélangés à de la poudre de fulmicoton. Odeurs dénonce la collaboration, les manipulations génétiques, la malbouffe, l’environnement sacrifié sans prétendre au brûlot situationniste.
- Alain Ranval alias Ramon Pipin
Modestes mais hautains, ils livrent sur scène des spectacles qui donnent à ce mot ses lettres authentiquement pailletées. Bondissant et luxurieux, puissamment rythmé, Odeurs est le seul groupe à avoir fusionné W.C. Fields et Brian Wilson, Cami et Steve Reich, l’humour capricant et la virtuosité musicale.
Nous avons eu l’heur et le nez d’approcher Ramon Pipin afin de lui soutirer quelques perles bien senties. L’homme est affable, bien que toujours prêt à mordre la cuisse d’un prébendier de passage. Il faut dire que le singer songwriter guitar hero petit patapon venait juste d’affûter ses dents et de lustrer ses yeux.
Guy Darol : Vous avez initié la mode du sobriquet, du costume-farce et du happening iconoclaste jouant rock. Tout cela est-il aussi grinçant de nos jours ?
Ramon Pipin : C’est fort aimable de votre part très cher, mais le sobriquet avait déjà été largement utilisé par Groucho Marx ou W.C. Fields. Moins dans le rock’n’roll, il est vrai. Cependant, rappelons que le premier 45t de rock français : « Rock Hoquet », repris d’ailleurs plus tard par Au Bonheur Des Dames, était l’œuvre de Boris Vian, Michel Legrand et Henri Salvador sous le pseudo d’Henry Cording. Ces artistes talentueux (sauf un) nous ont profondément influencés.
Quant aux accoutrements, nous considérions qu’un concert se doit de faire appel à tous les sens. Quand on devait se fendre de 12 francs pour une place, il fallait qu’on en ait pour son argent, non mais ! Donc costumes et décors. Même l’odorat sera d’ailleurs plus tard sollicité par Odeurs avec la projection d’un parfum à base de chou-fleur par des compères en costumes d’apiculteurs avant le début des spectacles.
Notre positionnement artistique se trouve quelque part entre le rock’n’roll et le music-hall. Depuis 35 ans, nos prestations scéniques sont également des événements visuels, que ce soit avec ABDD ou plus encore avec Odeurs, — lors de notre premier spectacle au Théâtre d’Orsay en 1979, nous étions 38 sur scène !¬ — dont une des devises était : « Nous voulerions que chaque chanson serait comme un petit film ». Pour mémoire l’autre était : « Odeurs frôle le bon goût sans jamais y sombrer ».
Rappelons encore, pour préciser notre attachement au music-hall, que nous avons joué avec ABDD au Concert Mayol en 1973 et que nous avons investi la scène du Rex avec 25 artistes sur scène plus décors et 1ère partie. Rien que du premier choix, madame !
Les autres artistes s’expriment comme ils veulent, en robe noire, derrière un piano noir, ou dans des chansons noires, nous ne nous sentons pas concernés.
Guy Darol : Odeurs voit passer dans ses rangs Didier Lockwood, Bernard Paganotti, Manu Katché, Klauz Blaquiz. Fallait-il oublier l’âge punk et ses boules puantes ?
Ramon Pipin : Le jour ou les mots « punk » et « musicien » dans le sens noble du terme seront accolés n’est pas arrivé, non ? Et ce bref spasme musical n’aura fait qu’enfoncer des portes ouvertes. Les Who étaient punks dès 1964 tout en étant de grands musiciens …
- Au Bonheur des Dames
Guy Darol : Quels rapports, fussent-ils ténus, entre Au Bonheur des Dames (le roman de Zola), Bill Haley et les New Yorkais de Sha Na Na ?
Ramon Pipin : La genèse du nom « Au bonheur des dames » n’a strictement aucun rapport avec le roman de Zola dont nous ignorions l’existence. Hormis la station de métro homonyme, aucun d’entre nous n’avait jamais entendu parler de cet auteur aujourd’hui retombé dans l’oubli. Mais à cette époque, la presse commence à parler d’un jeune comique, Coluche, et de sa troupe : « Le vrai Chic Parisien ». Nous nous sommes inspirés de cette appellation tout en y superposant une connotation sexuelle explicite. C’est lors d’une séance du film « Woodstock », en 1972, que l’idée de créér le groupe a germé dans l’esprit d’Eddick Ritchell et Rita Brantalou ; car passés les surestimés Hendrix, Joni Mitchell, CSN, la véritable révélation musicale de ces trois jours de pisse & love était évidemment Sha-na-na ! Sha-na-na, moulés dans leurs costumes lamé-or et exécutant avec brio les standards du doo-wop ! En 1975, fort du succès d’Oh les filles, nous avons fait la première partie de la dernière tournée française de Bill Haley et ses Comets (« Il balaie et ses moquettes », les avait surnommé Shitty). Le manager de la star cacochyme nous coupa le courant au bout de vingt minutes, de peur sans doute que nous lui volions la vedette !
Guy Darol : Si le néo-twist joyeusement pastiché marque l’esprit d’ABDD, il semble qu’avec Odeurs la dérision ait emprunté les habits de l’humour noir. L’époque avait changé de rire ?
Ramon Pipin : L’insouciance de la musique des années 60 m’a profondément marqué. Cet esprit a sans doute influencé la musique d’ABDD qui présentait d’autres avantages : pas trop compliquée à jouer, ni surtout à répéter et reproduire sur scène. C’était notre réaction anti-softmachinienne en quelque sorte. En 79, date du premier album, cette insouciance avait laissé place à des considérations plus ambitieuses sur l’état du monde. Il était de notre devoir de répandre la Parole aux masses ignorantes. Foin de gomina, de filles faciles et de MG ! Place aux manipulations génétiques, à l’anarcho-nihilisme et à la sexualité déviante.
Guy Darol : L’excellent guitariste que vous êtes, formé à l’écoute intensive de Clapton a-t-il une préférence pour les Clash ou pour Frank Zappa ?
Ramon Pipin : Le guitariste semi-professionnel que je suis, homme de studio avant tout, a appris en écoutant Clapton, certes, mais est bien plus fasciné aujourd’hui par la maîtrise de Jeff Beck, l’épure de Bill Frisell, ou l’inventivité et la virtuosité de Mattias Eklundh. Je reste cependant bien plus redevable à des musiciens plus limités techniquement, l’étant moi-même, mais ô combien plus novateurs, tels George Harrison ou le méconnu Gary Green des méconnus Gentle Giant. Frank Zappa et sa logorrhée guitaristique doublée d’une relative pauvreté harmonique ne m’ont jamais touché l’aorte. Je défie quiconque d’écouter d’un bout à l’autre « Shut Up And Play Your Guitar », même son endive de fils Dweezil ! Je reconnais quand même à l’immense Frank un toucher identifiable à 102 mètres.
Guy Darol : Vous avez créé le studio Ramsès qui a vu défiler Michel Jonasz, John McLaughlin, Zao. Une anecdote ?
Ramon Pipin : : John Mac Laughlin fût un de mes maîtres dès 1969. J’eus plus tard la chance de le rencontrer au Studio Ramsès grâce à Antoine de Caunes. Je fus honoré et comblé lorsqu’il accepta de participer amicalement à l’enregistrement de mon premier album solo en 1985 sur Les fadaises d’Étretat. Le plus amusant, c’est que c’était pas terrible, et que je n’en ai conservé que quelques mesures !
- L’INTEGRALE SAISON 1
- L’INTEGRALE SAISON 2
Guy Darol : Marcel et son Orchestre, Katerine, Didier Super. Ils ont tous dansé sur Oh les filles et humé le parfum d’Odeurs ?
Ramon Pipin : Malgré tout le manque de respect que je suis censé leur devoir, j’ai du mal à me retrouver dans cette filiation. Aucun d’entre eux ne me semble mû par un souci permanent d’exigence musicale. Cantonnés le plus souvent dans des recettes quasi-immuables, c’est tout le contraire d’Odeurs je crois, dont chaque album était une remise en question (ok, plus ou moins réussie, d’accord les gars !), ce qui explique d’ailleurs la présence (bénévole en plus !) des meilleurs musiciens français du début des années 80. Mon discours puant d’autosatisfaction reflète simplement mes préoccupations artistiques d’alors et que ceux qui trouvent que je me la pète un max écoutent mes pires chansons (80% de mon œuvre environ), ça pourra peut-être les inspirer…
Ramon Pipin’s Odeurs - Je m’aime
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