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La guerre côté balcon _4. Une drôle de victoire 

Un récit de l’Ouroboros gazéen en 2015

dimanche 9 août 2015, par Huda Abdelrahman al-Sadi


LA GUERRE CÔTÉ BALCON


— IV —

Une drôle de victoire



Sans m’en rendre compte, je me suis habituée à la guerre. Elle est devenue mon quotidien. Je me suis habituée à me réveiller au bruit des canons au lieu des oiseaux. Je me suis habituée à faire le ménage, le linge et la vaisselle, en écoutant les voix des drones et des F16. Je me suis habituée à être interrompue par une bombe ou les sirènes des ambulances quand je discute avec ma famille. Je me suis habituée à m’endormir bercée par la ritournelle des missiles. C’est pourquoi j’ai du mal à croire ceux qui pronostiquent la fin de la guerre. Quelle fin ? À Gaza la guerre n’a pas de fin. J’ai 22 ans et je n’ai connu que la guerre.
Au quarante quatrième jour de la guerre un cessez-le-feu sans retour est conclu. J’en profite pour ouvrir ma page de facebook. Je vois les posts, les commentaires et les messages de mes amies qui chuchotent « ça y est, encore une heure, et ce cauchemar finira à jamais, une heure seulement et on reprendra notre vie » ; la tranquillité nous manque, le sommeil nous manque, la mer aussi nous manque, l’université, les études, les livres, les examens, les rues, les magasins, les charrettes et les charretiers nous manquent, même les klaxons des voitures nous manquent.
L’été, le ramadan, la fête, les vacances nous manquent, « Ah ! Si seulement on pouvait avoir un autre été, un autre ramadan, une autre fête, rattraper tout ce qu’on a raté ».
À vingt heures, nous sommes tous assis devant la télévision, le présentateur annonce la « Victoire ». En une fraction de seconde toute la population encore pourvue de jambes dans la Bande de Gaza se retrouve dans la rue.
Les gens sont comme devenus fous. Après avoir été privés de soleil, de sommeil et de vie durant ces deux mois d’enfer, ils hurlent, ils dansent, ils pleurent. La guerre est finie.
Je cours dans ma chambre. Je sors ma valise. La guerre est finie, je vais pouvoir aller à Paris, danser sous l’Arc de triomphe.
La guerre est finie. Les portes de Gaza sur la Palestine et le monde sont bouclées.
J’ouvre ma valise. Je ne défais pas ma valise. J’ai toute la vie pour attendre. J’ai 22 ans  {}

(fin)
La guerre côté balcon, inédit en série (4/4) ; un récit en français par © Huda Abdelrahman al-Sadi (juin 2015)


La guerre côté balcon_1. Le voyage différé
La guerre côté balcon_2. Désordre à la maison
La guerre côté balcon_3. Sous les bombes
La guerre côté balcon_4. Une drôle de victoire *

P.-S.

L’icône en logo est la citation d’une œuvre de Soumia Aqraa, alors étudiante au département de français de l’université Al-Aqsa, à Gaza ville, pour l’exposition qui y eut lieu en décembre 2012. « Solidarité francophone pour Gaza. Des francophones en visite à Gaza amènent l’espoir avec eux suite à la semaine terrible du mois passé. Détruire, c’est trop facile. Le défi de Ziad Medoukh c’est de construire. Ziad est responsable pour le département de français et pour le Centre de la paix de l’Université d’Al Aqsa, Gaza City. » Source : le blog de Carol Scheller Au jour le jour, Gaza.

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