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Chanson Sauvage 

Refrain réfréné

mardi 25 août 2009, par Claude Cahun (1894-1954)

Claude Cahun s’est tenue à l’écart tout en participant activement à des actions pour l’émancipation des mœurs, pour le progrès social ou la lutte anti-nazie. Son parcours artistique était surtout son précieux jardin secret qu’elle revendiquait comme son « aventure invisible ».

Vers la mer redoutable encore et vaguement rebelle comme un fauve dompté, vers la mer qui se cabre à chaque vague, je te porterais, petit ami, afin que tu achèves d’apaiser sa tempête.

Tu ne craindras ni son corps ramassé, ni sa crinière hirsute de lion sage - malgré qu’elle te frappe d’un fouet aux lanières mouillées et te crache au visage son écume de flamme. Tes yeux cuisants feront du rire avec les larmes mêlées aux siennes - un rire qui déferle de ta bouche, retentisse et couvre le grondement mal contenu des flots - flots qui tournent dans leur immense cage aux barreaux de sable doré...

Et ta confiance puérile, absolue, désarmante, dans le cirque de la nature te protégera des bêtes funestes et dans le monde, des monstres cruels.

Vers la mer redoutable encore et vaguement rebelle comme un fauve dompté, vers la mer qui se cabre à chaque vague, je te porterais, petit ami, afin que tu achèves d’apaiser sa tempête.

Vers l’étouffante forêt aux lianes grosses comme des serpents boas, vers la brousse rampante, je te porterais, petit ami, afin que tu la charmes d’un chant hors de saison.
Tu ne redouteras ni les pièges cachés sous les feuilles en deuil, ni l’odeur malsaine de leur pourriture violette, ni les reptiles somnolents aux venimeux réveils, ni les belles fleurs vénéneuses, ni les arbres dressés et sifflants qui changent d’écorce et tordent au coucher du soleil un corps échorché vif...

Car ta confiance désarmante, dans le cirque de la nature, te protégera des bêtes funestes et, dans le monde, des monstres cruels.

Vers l’étouffante forêt aux lianes grosses comme des serpents boas, vers la brousse rampante, je te porterais, petit ami, afin que tu la charmes d’un chant hors de saison.

Vers la Ville qui déploie les vastes ailes de ses usines noires, vers la ville de proie, je te porterai, petit ami, afin que tu mates les hommes, et que tu apprivoises ces rapaces par le simple et souverain pouvoir de ton pur sourire.

Tu ne trembleras pas devant les regards flamboyants de la cité, devant ses serres superbes - quoiqu’elles puissent emporter dans un ciel infernal des troupeaux de petits enfants, et les déchirer sur son ventre fumeux. Aigle, faucon, hibou, tu confondras l’orgueilleux diurne et le nocturne vorace. Innocent, tu sauras mépriser jusqu’à leur noblesse hautaine...

Et ta confiance désarmante, dans le cirque de la nature, te protégera des bêtes funestes et, dans le monde, des monstres cruels.

Vers la Ville qui déploie les vastes ailes de ses usines noires, vers la ville de proie, je te porterai, petit ami, afin que tu mates les hommes, et que tu apprivoises ces rapaces par le simple et souverain pouvoir de ton pur sourire.

Vers mon Verbe de révolte, à chaque mot rétif, vers le désordre défensif de mon esprit, pour que tu ordonnes ses gestes barbares, pour que tu adoucisses sa voix rauque, je te conduirai, afin que ma phrase asservie se laisse caresser par toi, mon enfant.

P.-S.

Publié dans le Mercure de France, numéro 546, 15 mars 1921.

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