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Ce jour il parle encore au présent 

lundi 2 mai 2005, par Aliette G. Certhoux

Ce jour encore il parle au présent. Qu’est le passé dans la nuit du chaos ?

L’avenir dans l’épuisement ? il ne sait plus. Un mètre carré autour de lui dans la brume ensoleillée de Hyde Park représente tout ce qu’il peut appréhender : voir.... Entendre au loin il peut. Mais restant immobile. Toucher il ne peut sauf lui-même : l’idée que son corps ne pourrait supporter un déplacement au-delà de ses bras, ses jambes restant sur place, l’étreint.

D’ailleurs il est assis, il ne sait plus très bien si un fauteuil de jardin une chaise ou un banc le maintiennent comme une sorte de prothèse lui collant à la peau. Plutôt se laisser aller et attendre doucement dans la quiétude de l’après-midi pollué ; c’est la fin de l’été, un an sans se passer d’elle déjà. Plutôt se laisser dériver à l’instant même dans la somnolence paisible du parc, percevoir le frôlement des promeneurs quand ils passent, ce tintement des cils vibrant sous les lunettes anti-solaires, ce craquement doux des chaussures de sport sur la terre battue, le long des pelouses... Il se demande juste : et elle, le pourra-t-elle ? Au fond il s’en fout, il ne lui reste assez d’énergie que pour lui-même à force de l’avoir dépensée à ne pas y croire. Il sait encore sans faire l’effort d’y penser que demain est un autre jour, au fond de lui survivre il connaît, à l’ordinaire ; ses forces reconstituées, il verra... Doucement dans sa poche il passe la main sur sa cuisse : son corps est bien là ; il bande ; puis il caresse sa carte d’identité près d’une clé : la clé oui, il a oublié de la laisser ; il ne pouvait imaginer l’idée de la rendre où l’avait-il dans un trou de mémoire égarée au moment précis où il fallut la déposer ? Jamais tu ne devras te retrouver derrière une porte close se dit-il, lui disait-elle, mais pourquoi entrer de force, ne pas faire confiance aux autres... jamais, puis vous punir après avoir abusé - se disait-il, dédoublé ?

Vous réouvriront-ils la porte ou est-ce vous qui ne voudrez plus venir vous y représenter ? Réouvrir la porte comme ils vous ouvrirent leur coeur, leur corps, leur âme, leur vie, dans quoi vous avez fouillé tel chiffonnier sans ménagement, à la recherche de votre propre dépouille, ce passé qui avait défailli sous vos pas, comment aurait-il pu se trouver où vous ne connaissiez pas - était-ce vraiment votre pitance que celle des autres ? que cherchiez-vous donc ? Il leur en voulait, il lui en veut ; sait-elle seulement comme il se moqua d’elle ? alors ils seraient quittes.

Qu’en fera t’il demain comme aujourd’hui il ne sait déjà plus ce qui l’animait hier... Il sent bien sa carte d’identité au fond... Pour l’instant, il sait de qui il est le fils et ce qu’il était allé chercher là-bas, il sait qu’il n’a pas encore perdu le souffle. L’apaisement de se retrouver sans force mais sans conflit est-il lueur d’espoir ou recommencement de la perte ? Comment le savoir soi-même ?

Au présent, il se reconstitue, à Hyde Park.

Un coup de langue la réveille. "Viens !" dit le chien, "il est temps ! La toile peinte est tombée maintenant, il faut rentrer." Tant il est vrai, rien qu’à l’obscurité dans laquelle elle se retrouve avec Pussy dog, que le soleil même blafard n’éclaire plus les vies que dans les rêves.

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