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Métabolisme [série] 

mardi 10 mars 2015, par Angèle Casanova

ils racontent une histoire

ils racontent une histoire
faite de solitude
de tristesse
rentrée
ils racontent
tous
à leur façon
le mal d’être
là et pourtant absents
de ce mur
de cette ville
en perpétuel équilibre
entre ici et ailleurs
et nulle part
ils racontent ça
sur ces murs
ils sont plusieurs
et pourtant
ils semblent
un
mais peut-être
au fond
ce qui les unit
c’est le regard
que je leur porte
ce regard qui saisit
entre tous ces signes urbains
un skieur joyeux
des montagnes suggérées
un homme seul sur un plateau
un visage en pleurs
peut-être est-ce
moi
qui oscille
entre ces deux extrêmes
la joie par anticipation
et la mélancolie

à rebours

il a un faux air
du Grinch
ses vêtements ruissellent d’algues
qui ont recouvert
jusqu’à ses skis
elles datent un peu
ces algues
elles semblent avoir poussé là
il y a longtemps
cet homme
en est-il un ?
ne serait-ce pas
plutôt
quelque dieu marin
égaré en haute montagne ?
son pied unique
coupe
le ski
son bâton
levé
ressemble à un poignard
peut-être y a-t-il
maldonne
peut-être ce skieur
est-il vraiment
un dieu
vengeur
couteau en main
il s’attaque au passé
part à rebours
à l’assaut de la page gauche
celle
où tout est déjà écrit
va
petit Quichotte
affronter des moulins
armé d’un bâton de ski
nous verrons bien
qui tournera le dernier

métabolisme

le contre-plaqué a éclaté
sous les intempéries
une arête rugueuse dépasse
de la surface du bois
trace une ligne creuse
accidentée
tout près de là
l’artiste a bombé
des formes géométriques
triangles à peine esquissés
de cette proximité
involontaire
surgit une montagne
sa crête finit
en bec d’oiseau
grand ouvert
sur le néant
l’homme monte là-haut
au bord du cratère
et trouve un chemin où s’engouffrer
pour disparaître
dans le ventre de la terre
digéré
assimilé
dans cette cavité jouissante
barbouillée de peinture
pour plus d’intimité
lorsqu’elle l’a mangé
la montagne remonte son col
en un grand spasme de plaisir
elle se referme
le contre-plaqué se dissout
la peinture disparaît
ne reste que cette silhouette
obsédante
de montagne
qui nous montre le chemin vers
avant

la matrice

seul dans la matrice
il réfléchit
bien au chaud
parfois il lèche les parois internes
douces
humides
de la montagne
elle se cambre délicatement
la pierre grince
le sol tremble
accompagne ses caresses
les murs se resserrent autour de lui
il disparaît
entre les pans terreux
dégoulinants de fraîcheur intestine
et il réfléchit
au sens que ça a
de remonter le temps
à l’assaut de sa vie
pour en jouir
encore
et
encore
de la revivre
de s’y blottir
gémissant de plaisir
dans cette grande pâmoison
géologique
sa pensée mûrit
un jour il prend son bâton
poignard
et attaque la muqueuse
il l’escalade
luttant contre les chairs
il veut sortir
quand il arrive au bord du cratère
il se rend compte
qu’il s’est refermé sur lui
une peau fine
irriguée de sang
palpitante
laisse entrevoir le ciel
affolé
il frappe la paroi
l’oblitère
et glisse à l’extérieur
l’air est glacial
il ne sait plus respirer
alors il s’asseoit au bord du gouffre
et ferme les yeux
en attendant d’oser
partir

P.-S.

Photographie de l’auteur

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