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Zazie, n, i, ni, c’est fini... 

mercredi 23 septembre 2009, par Constance Krebs

Depuis le 18 septembre, on se sent un peu seuls, en ligne, chez les dinosaures. Bibliobs qui ferme au printemps, Tiers Livre et Publie partis pour le Québec, Fabula dont le fondateur passe le relais, APsed fermé cet hiver, et maintenant Zazieweb… Heureusement il reste Bogros et Rebollar. Les Ressources, Remue, et le Désordre. Cinq, une main. Ah, non, il y a Revues.org. Mais pour combien de temps ?

Première communauté de lecteurs, Zazieweb a modifié les vitrines des libraires, révolutionné la grande presse. Sans bruit, petit à petit, “en solo” avec ses “deux bras” et parfois des précaires, jeunes ou stagiaires, dès qu’Isabelle Aveline en avait les moyens. Jusqu’en 2006.

Zazie, on l’a connue petite. Elle portait un costume de cosmonaute. L’atmosphère qu’elle respirait était cette petite boite grise ou en plastique de couleur vive, translucide, et celle qui venait des livres. Tous les livres. Surtout les petits poèmes que personne ne connaissait. Tous les textes. Ceux qu’on publiait. Elle venait doucement, parlant à peine, pour chercher des infos. Enfin, c’est ce qu’elle disait. Le nez sur l’écran, derrière Pascale Lebel, la webmaster de 00h00, elle glissait la souris pour en donner, de l’info. Parce que Zazie, en 1998, était déjà à la pointe de la veille littéraire. Elle ne posait pas de questions. Elle restait une heure, bavardait, repartait. Le soir même, l’article était en ligne, rédigé comme on parle, vivant comme si on était dans la pièce. Elle avait compris des trucs qu’on n’avait pas décelés. Le journalisme littéraire web, c’est Zazie qui l’a fait. Elle ne le sait pas, je crois. C’est la seule qui parlait des textes qu’on éditait en ligne. Les journaux, ceux qui étaient encore complètement imprimés sur du papier, ne parlaient pas des bouquins qu’on avait assez aimés pour les mettre en ligne (Jean-Claude Renard, Hamid Skif, Munah Hamseh, Julie Bénoïc, la petite Intrigue de François Taillandier, quelques “bidules”), mais de “l’expérience 00h00″. Pour nous 00h00 n’était pas une expérience. On n’avait pas des gueules d’expérience. On venait de l’édition, on était plutôt pépères, comme tous les éditeurs. On avait juste envie de s’amuser avec des outils dont on ne savait pas grand-chose, sinon qu’ils décalaient les horaires jusqu’à tard dans la nuit (recalés à tôt le matin depuis la naissance des enfants). 00h00, c’était une maison d’édition. Zazie avait compris, sans qu’on n’ait rien à lui expliquer. On portait aussi des combinaisons de cosmonautes. On n’avait pas besoin de lui montrer pourquoi : vu d’ici, la Terre était plus belle, le monde plus proche. Elle savait.

En 1999, Zazie courait partout. Decitre était avec elle et la soutenait. Elle était l’énergie. Son tee-shirt manches longues pour les filles, manches courtes pour les garçons, en cadeau. Un cadeau pour dire qu’on vit quelque chose de formidable, qu’on est sur un satellite littéraire qui n’en est qu’au début. Son infatigable curiosité, sans a priori, sans jugement, avec une ouverture tous azimuts. Zazieweb n’a jamais scindé le monde en deux parties inégales : le web et le papier. Elle est émerveillée. Elle regarde, elle écoute, elle offre la possibilité aux lecteurs, comme elle, de donner à leur tour. Elle partage les lectures quotidiennes. Pour tous.

En partage, avec une communauté mais en solo. Decitre ne suit pas, la BM de Lyon ne peut la soutenir après deux ans de pourparlers, la BPI non plus, et Isabelle ne souhaite pas d’investisseurs privés. Les régions donnent un peu, au compte goutte. Zazie ne rentre pas dans les cases. Trop solitaire, Zazie, pas de groupe, de copains, de collectif derrière elle qui reprendrait les rennes quand elle fatigue, comme Remue, comme Publie. Mais Remue, c’est une revue. Publie, c’est une maison d’édition. La case correspond à peu près à la demande institutionnelle (pas pour ça qu’il y plus de soutien, mais au moins on sait ce que c’est). Elle n’ont pas de moyens non plus, mais le groupe fait que cela vit, toujours. Ceux qui flanchent passent le relais à ceux qui tiennent. E la nave va.

A quoi cela tient, l’essoufflement de Zazieweb ? la grande proximité d’Isabelle et de son site — et alors ? la peur de gagner parfois ? — forcément, à force de perdre, on prend peur. L’usure et la fatigue ? — on le serait à moins. Les moyens ? Pourquoi un site comme Zazieweb n’en avait-il pas davantage ? Malgré une maquette plus tellement adaptée, une navigation peu ergonomique, le site affichait des chiffres de fréquentation extraordinaires. Il s’agissait, cet automne, de refondre la maquette et la navigation pour développer des web services, pour adapter le site aux usages d’aujourd’hui. Il n’avait rien à perdre. Il ne pouvait pas perdre de fréquentation. Crise de croissance du Net qui correspond à la baisse des financements des pouvoirs publics ? Sans doute. Mais au-delà…

… Pourquoi, en France, doit-on prouver qu’on rentre dans un moule pour recevoir confiance et financement ? Quand Michael Hart a monté le Gutenberg project, en 1971, le gouvernement fédéral de l’Illinois lui a accordé quelques millions de dollars en temps machine. Il a réussi à publier un texte de 5ko. Cet embryon d’édition numérique est né. Aujourd’hui, le projet de Gutenberg est présent dans plusieurs continents, a publié plusieurs milliers de classiques littéraires à travers le monde… La mémoire des livres passe par lui. En partie. Cela tient à ce qu’il apportait de neuf dans le paysage.

Zazieweb apportait quelque chose qui n’existait pas ailleurs. Elle avait vu un lien hypertexte, elle avait compris illico ce que ce lien apportait au livre. Zazieweb était un service public. Pour les lecteurs, pour le commentaire, pour l’échange. Ce n’était ni ceci, ni cela – “Zazieweb n’est pas une librairie, n’est pas une maison d’édition, n’est pas une bibliothèque, n’est pas un événement littéraire, n’est pas une revue littéraire… hum…, je crois que c’est tout cela à la fois”. Cela ne rentrait dans aucune case – et c’est pourquoi ce “bidule” d’un genre nouveau, toujours neuf en 2009, 13 ans après sa fondation, ce texte en mouvement perpétuel sur les textes de création, sur la petite édition, sur la vie des livres et des livrels, sans cassure, n’a pas été soutenu. Outre Atlantique, Library Thing obtient des soutiens privés et publics. En France Babelio obtient des soutiens grâce à Editis, qui lui permet de démarrer, mais combien de temps tiendra-t-il ? Et Libfly qui arrive ne semble pas aller vers le service public. Zazieweb avait atteint la fameuse masse critique, mais on n’a pas compris ce qu’elle apportait au renouvellement de la pensée. Le site avait besoin d’une refonte pour être au top. Cette refonte est impossible. Ctrl Q.

En attendant, Isabelle Aveline, qui a marché sur la Lune, cherche une fusée. Pour d’autres aventures.

3 Messages

  • Zazie, n, i, ni, c’est fini... 24 septembre 2009 10:55, par pierre

    Bonjour Constance, nous souhaiterions corriger un point dans ton article. Nous n’avons reçu aucun soutien particulier ni des pouvoirs publics, ni d’Editis même si leurs équipes ont compris comme de nombreux éditeurs la nécessité d’avoir des médiateurs du livre et participent à notre programme Masse Critique (gratuit je précise :) de promotion des oeuvres auprès des blogueurs. Babelio est encore un projet autofinancé à 100%, et on y croit !

    Amicalement

    L’équipe de Babelio

    Voir en ligne : http://www.babelio.com

    • Zazie, n, i, ni, c’est fini... 27 septembre 2009 05:18, par Angèle Paoli

      Merci à l’équipe de Babelio pour sa vigilance et de mettre ainsi fin aux rumeurs. Heureuse d’apprendre que Babelio est encore un projet autofinancé à 100%.
      Bien amicalement,
      Angèle Paoli/Terres de femmes

    • Zazie, n, i, ni, c’est fini... 7 avril 2011 16:31

      Merci, Pierre et Guillaume, de cette rectification. Je l’ai également corrigée sur le blog (et dans ma tête).
      Pardonnez-moi, à bientôt,
      Constance

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