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Pour une Fondation André Breton 

Article paru dans Le Monde, édition datée du 5 mars 2003

mars 2003, par Laurent Margantin

C’est en lisant le journal, le 21 décembre, que j’ai appris avec stupéfaction la mise aux enchères du contenu de l’appartement d’André Breton. Cette nouvelle fut un choc, car j’avais en mémoire le très beau texte de Julien Gracq dans En lisant en écrivant, où l’écrivain et ami de Breton évoquait l’ensemble des œuvres et objets collectionnés comme la figuration exacte de la vie intérieure de l’artiste.
Il y allait en effet d’un intérieur : ce mot, Gracq le soulignait pour en accentuer toute la force, à la manière des expressions électrisées sous la plume du chef des surréalistes.

Gardées en mémoire, ces pages, expression d’une amitié fidèle et tableau de ce qu’était le "musée privé" d’André Breton, entraient en collision avec la réalité marchande : sur le site des commissaires-priseurs, on parlait de milliers de lots, de dispersion, d’événement culturel et commercial de l’année, d’un CD-ROM retraçant l’architecture du lieu, c’est-à-dire d’une réalité virtuelle devant succéder à celle, couvrant quatre-vingts années, d’un atelier surréaliste où une vision et une sensation du réel s’étaient élaborées, à l’écart des modes et des guerres, en intérieur. Or, pour cette vie-là, il semblait que personne ne s’était décidé à agir pour qu’elle continuât à survivre à son auteur.

Personne ? Des témoignages confirment pourtant que la femme du poète, Elisa, disparue il y a quelques années, n’aurait pas accepté cette dispersion mercantile. On peut raisonnablement penser que les amis ou ex-amis de Breton (Soupault, Aragon, Eluard, Schuster) ne l’auraient pas non plus tolérée et seraient intervenus, en dernier recours, auprès de l’Etat.
Sans vouloir faire tourner les tables, il est probable que Breton lui-même aurait vu cette opération commerciale et bruyante d’un très mauvais œil.

Que les commissaires-priseurs pensent autrement, c’est leur rôle, et il est assez écœurant de les voir agiter l’épitaphe du poète - "Je cherche l’or du temps" - en signalant son activité de collectionneur et de chineur. Cette attitude résume l’époque : cynisme, liberté de défendre n’importe quoi de n’importe quelle manière, vulgarité dénoncée par Yves Bonnefoy dans ces colonnes.

Il faudrait maintenant se justifier de s’opposer à une telle vente ! Mais qui ne voit le sens profond de cette action de dernière minute (endormis comme nous l’étions par l’assurance que l’on veillait sur ce lieu) ? On nous dit : pourquoi conserver ce qui s’opposait à toute conservation ?

Et nous répondons : comment inventer de nouvelles formes et de nouvelles pensées sans avoir la matière pour le faire ? Comment créer sans conservation ? Qui pourrait penser à partir du romantisme allemand, par exemple, s’il n’avait accès aux cahiers posthumes de Novalis, édités par quelques-uns des années après sa mort parce qu’ils avaient été, justement, conservés ? Il en est de même du surréalisme : des musées et des fondations sont nécessaires pour que de nouveaux chemins s’ouvrent à partir et au-delà de ses œuvres.

Faire appel aujourd’hui, dans l’urgence, à l’Etat, c’est, comme le font parlementaires et sénateurs à travers des questions écrites adressées aux autorités compétentes, demander la création d’un tel lieu.

Pour des raisons juridiques, la structure nécessaire à la réception de ces œuvres dans leur globalité ne peut être créée en quelques semaines. Il faut stopper au plus vite cette vente, et donner la possibilité aux différents acteurs de cette affaire de trouver les possibilités pratiques pour sauver ce haut lieu de la création surréaliste.

Si l’argent devait manquer, pourquoi ne pas envisager une souscription nationale ? En quelques semaines, trois mille signataires se sont opposés à cette vente, et le scandale devient chaque jour plus patent pour de nombreuses personnes.

On peut espérer que la Ville de Paris saura engager rapidement un partenariat avec l’Etat, Paris étant, à travers Nadja, Les Pas perdus et la plupart des œuvres de Breton et de ses amis, la capitale du surréalisme.

Rêvons un peu, nous ne demandons pas l’impossible...

2 Messages

  • > Pour une Fondation André Breton 15 mars 2003 22:39, par P.

    André Breton a toute sa vie été un collectionneur.Il a donc parfois contribué à la dispersion des collections des autres comme Eluard d’ailleurs qui vivait de la revente de livres rares que sa culture lui permettait de ramasser. Breton vendait aussi parfois certains de ses tableaux...et il avait raison et ses raisons. Rendre le "42 rue fontaine" accessible au public est une utopie.Essayez d’accéder à la bibliothèque Doucet si vous n’êtes qu’un amateur. Tout cela ne servirait qu’à quelques expositions. Ainsi va la vie : peut être des amateurs enrichiront ils les collections de demain avec ce qui appartenait à Breton.Je n’en serai pas hélas. Mais ne soyons pas désolés ni scandalisés : l’or du temps n’est pas à vendre.

    • > Pour une Fondation André Breton 18 mars 2003 08:39, par Margantin

      “Breton, n’en déplaise à ses détracteurs, ne s’est pas enrichi avec ses fétiches. L’enjeu de son commerce d’esprit avec l’objet sauvage était d’un autre ordre (...). Jacqueline Lamba reproche même à Breton, dans les années de misère, de s’être refusé à vendre.” (Les totems d’André Breton, Jean-Claude Blachère, L’Harmattan, 1996, p. 138-139).

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