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Les étoiles sans Pléiade de M.Lefrère 

jeudi 17 septembre 2009, par André Guyaux

Suite à un compte-rendu critique de la nouvelle Pléiade d’Arthur Rimbaud tout sauf objectif de Jean-Jacques Lefrère paru dans la Quinzaine littéraire, André Guyaux, maître d’oeuvre de cette nouvelle édition, a souhaité lui répondre.

« Une Pléiade sans étoiles » : sous ce titre étincelant, M. Lefrère consacre un long article à mon édition de la Pléiade de Rimbaud dans le numéro 988 de La Quinzaine littéraire (16-31mars 2009). Il est furieux, ce qui n’est jamais un gage de bonne foi. Or il en faut, de même qu’il faut plus de subtilité qu’il n’en montre, pour apprécier les questions de philologie rimbaldienne. Plus de subtilité et plus d’équanimité. Il me représente compulsant Télé-7 jours pour y trouver mes informations, et se croit touché par la muse de l’ironie. Je n’ai pas pour lui répondre les mêmes réserves de quolibets, ni la même excitation de plume. Il plaisante sur mon style « formaté ». Je lui abandonne le sien.

Aucun des choix éditoriaux que j’ai faits ne lui convient. Il voudrait reléguer dans des annexes les vers latins, qui ont au contraire, à mes yeux, toute leur place dans l’œuvre de Rimbaud. Il veut « Les Illuminations » avec l’article dans le titre, alors que j’opte pour le titre sans article : Illuminations, plus conforme à la résonance anglaise et à l’implication des sous-titres transmis par Verlaine : Illuminations. Painted Plates ou Illuminations. Coloured Plates.

En même temps, dès lors qu’il imprime « les Illuminations » sans italique à l’article dans sa biographie de Rimbaud, et que sa revue, Histoires littéraires, insiste sur l’importance des vers latins de Rimbaud, sur leur caractère « constitutif » de l’œuvre, je me dis que ses objections ont quelque chose de modulable.

Un grief, parmi d’autres, semble inspirer son humeur : il voit dans mon édition des noms qui ne sont pas ceux de ses amis, ni des amis de ses amis. Mes notes font place aux deux générations qui ont su renouveler le commentaire de Rimbaud. Je cite des critiques qui me paraissent intelligents, attentifs au texte, dégagés de l’esprit de secte, et qui restent prudents dans l’hypothèse et ne rabâchent pas à tout propos l’alibi biographique. M.Lefrère n’y retrouve pas son microcosme. Il mentionne cinq noms de critiques que j’aurais oubliés ou maltraités : Benoît de Cornulier et Michel Murat, qui, quoi qu’il en dise, ont leur place dans mon édition et dont les livres figurent dans ma bibliographie ; Steve Murphy, qui l’intéresse plus particulièrement et sur lequel je reviendrai ; Bruno Claisse et Antoine Fongaro, dont les travaux m’inspirent, en effet, quelques réserves. Comme il personnalise sa polémique, je suis contraint de le faire à mon tour, pour lui répondre sur ce point.

Bruno Claisse est l’auteur de l’édition critique d’un cahier d’école de Rimbaud (Œuvres complètes, t. II, Champion, 2007), à laquelle on peut se référer utilement ; il a contribué à dater ce document à partir de programmes scolaires ; j’y renvoie dans mon édition (p. 1006-1008). Cela ne m’empêche pas d’avoir des doutes sur son livre : Rimbaud ou « le dégagement rêvé » : essai sur l’idéologie des« Illuminations » (Charleville-Mézières, 1990). On y lit que Fleurs dépeint le « luxe délirant des hautes classes de la société » (p. 52), que Promontoire est la satire de la « classe riche » des littérateurs de l’époque (p. 59), que Ville est un manifeste rationaliste inspiré du « siècle des Lumières » (p. 89), ou, dans un registre moins idéologique et plus pittoresque, que « le pavillon en viande saignante » de Barbare « évoque les chairs sanguinolentes des baleines blessées par les Esquimaux » (p.110). L’auteur de ce « dégagement rêvé » est selon M. Lefrère l’un de ceux « qui ont dominé les débats critiques de ces dernières années ». Antoine Fongaro interprète également Barbare, mais au lieu d’y voir des baleines et des Esquimaux, il y projette un vagin, des menstrues et du sperme (Sur Rimbaud. Lire « Illuminations », Toulouse, 1985, p. 93 et suivantes).

Bruno Claisse illustre le versant politique, Antoine Fongaro le versant sexuel d’une orientation interprétative que Steve Murphy fédère en adaptant l’un à l’autre ces deux registres : la poésie de Rimbaud et les motifs sexuels ou scatologiques qu’elle abrite sont, selon lui, une critique du pouvoir. Ainsi les protagonistes d’Un cœur sous une soutane – son texte de référence et la matrice de tous ses commentaires – réincarnent la famille impériale : Thimothina Labinette désigne le prince impérial ; ses parents, Napoléon III et Eugénie ; quant au héros, Léonard, le séminariste ridicule, c’est Rimbaud lui-même, « célébr[ant] implicitement l’anus de Thimotina (du Prince impérial) » dans un poème intitulé La Brise et parodiant Lamartine ; d’ailleurs « Thimothine » rime avec « Lamartine »… (Un cœur sous une soutane, édition et commentaire de Steve Murphy, Charleville, 1991, p. 117-121). Ainsi la poésie de Rimbaud devient le champ fertile de toutes sortes de réincarnations : Tartufe, dans Le Châtiment de Tartufe, désigne Napoléon III, dont l’anus est figuré par les étamines d’une fleur dans Lys ; le frère Milotus, dans Accroupissements, est l’effigie contrefaite d’un pamphlétaire catholique, Louis Veuillot, et Le Bateau ivre est l’avatar allégorique de la Commune de Paris.

La critique d’identification a toute légitimité, parmi d’autres approches, devant le texte d’un poète qui réhabilite le trobar clus : on comprend mieux L’Homme juste depuis qu’Yves Reboul l’a identifié à Victor Hugo, que les vers de Rimbaud caricaturent et parodient (« À propos de L’Homme juste », Parade sauvage, avril 1985), et « l’idée du Déluge », dans Après le Déluge, c’est l’idée de révolution, que l’ordre rétabli a « rassise » : la métaphore du déluge, pour désigner la révolution, est attestée. Mais c’est pervertir la démarche critique que de postuler partout un langage crypté et de réduire le texte poétique à quelques clichés militants.

En citant ces trois noms – Claisse, Fongaro, Murphy –, M. Lefrère m’aide à tracer les contours d’une école de la « folie » interprétative. Je prends « folie » au sens architectural de petite construction autonome, dont l’usage est facultatif et privé et qui se perd entre le parc et la forêt. Cette école a sa tradition : Ernest Delahaye croyait reconnaître dans Parade un cirque ambulant dont Rimbaud et lui avaient admiré le spectacle à Charleville ; Antoine Adam voyait dans le même poème la caricature d’une messe dans le duomo de Milan : chacun se reconnaît lui-même dans le texte et dans son commentaire. Comme dit Valéry, « on ne lit que ce qu’on peut penser ». Si l’histoire est faite un jour des avanies de l’exégèse de Rimbaud, elle pourra s’intéresser à ce phénomène de la glose en « folie », dont la motivation sollicite plus les fantasmes du commentateur, ou ses postures idéologiques, que le texte de Rimbaud.

M. Lefrère m’aide aussi à mieux le comprendre, lui et les conceptions qui sont les siennes, celles-là même qu’il défend dans son abondante production rimbaldienne – une biographie, une édition de la Correspondance, de beaux livres de photographies – et que je retrouve dans son article. J’observe deux constantes, dans son point de vue : le tropisme du petit fait et du petit auteur, qui le porte au secours des minores du rimbaldisme et le met en porte-à-faux devant Rimbaud ; et surtout, une pointilleuse allergie à la poésie. Dans tout ce qu’il écrit sur Rimbaud, le poète disparaît. Sauf à citer quelques vers pour y trouver l’appui d’un référent biographique, il n’en a pas l’usage. Son Rimbaud est un zutiste amélioré, qui a composé LeBateau ivre dans un moment d’égarement et qui s’est mis à voyager. D’où la connivence qu’il installe avec ceux qui ne voient dans les Illuminations qu’une compilation idéologique et qui archivent les sous-entendus scabreux. Il me reproche de ne pas citer suffisamment Murphy, Claisse ou Fongaro ; dans son livre de plus de 1200 pages sur Rimbaud, il ne cite qu’une fois le nom d’Yves Bonnefoy, dans une note de pur dénigrement. La tradition qui relie Rimbaud à la raison poétique ne l’intéresse pas.

M. Lefrère est plutôt un amateur de fiches et de fichiers. Je lui suis reconnaissant, à cet égard, de m’apporter deux précisions : le signataire de la pétition adressée au maire de Douai le 20 septembre 1870, F. Petit, n’est probablement pas un pseudonyme d’Izambard, mais un membre effectif de la garde nationale de Douai ; Rosa, l’un des collègues de Rimbaud à Harar, ne se prénommait pas Salvatore mais Ottorino. J’en prends bonne note. Mais voici le commentaire que M.Lefrère accorde à cette erreur de prénom : « M. Guyaux, qui est belge, a dû confondre avec son compatriote, Adamo ». En une ligne où flotte un sympathique parfum de xénophilie, M.Lefrère réussit à montrer qu’il n’a jamais entendu parler de l’un des plus grands peintres du Seicento, Salvatore Rosa. Je lui dirai, modestement, que nul n’est à l’abri d’un lapsus de ce type, et que lui-même n’a pas raison d’attribuer la polka d’un certain Pascal, que l’on jouait dans le square de Charleville en juin 1870, à l’auteur des Provinciales et des Pensées (voir son Rimbaud, Fayard, 2001, p. 109 et 1231).

Il faut aussi, pour comprendre la défense ad hominem qu’il met en œuvre dans son article, indiquer un autre motif : M. Lefrère a constitué un pouvoir éditorial en partenariat avec Steve Murphy, dans le but notamment de s’assurer un monopole rimbaldien. En défendant Steve Murphy, il défend une hégémonie fondée sur un partage des compétences. Sa revue, Histoires littéraires, en est la fidèle expression : les comptes rendus, anonymes, couvrent d’éloges ce que publie Steve Murphy, qui signe ou co-signe avec M. Lefrère des articles dans la même revue. Il ne faut donc pas s’étonner que l’un vole au secours de l’autre et réclame plus d’audience pour la revue où ils exercent leur entente cordiale.

Il était hors de question que l’édition que j’ai établie et annotée soit le relais d’un réseau et de ses affiliés, ni qu’elle contribue à cette confiscation organisée du discours critique.

Mais, puisqu’il en fait le nerf de sa diatribe, répondons plus précisément à M. Lefrère à propos de Steve Murphy, qu’il m’accuse de ne pas citer suffisamment et envers lequel j’aurais contracté une dette soigneusement camouflée. J’imagine qu’en m’imputant ce parti pris, il ne pense pas aux hypothèses d’interprétation que je viens d’évoquer, qui ne m’ont en effet jamais convaincu et dont j’ai négligé de dresser l’inventaire dans mes notes. Il pense plus probablement à ce qu’il considère comme l’apport philologique de son ami. Il a deux motifs de ressentiment à cet égard : je ne rends pas justice à l’article que Steve Murphy a publié dans sa revue, Histoires littéraires, sur la question de l’ordre des poèmes des Illuminations ; je ne signale pas les autres articles, illustrés de fac-similés, que le même critique a fait paraître dans la même revue. Voyons ces deux questions.

Converti à la philologie, Steve Murphy s’y réfugie quand il est fatigué des combats idéologiques. Elle est son Aventin, mais elle est aussi son alibi. Car le regard philologique suppose qu’on fasse abstraction de tout préjugé. Or, en abordant les Illuminations, il nourrit une vieille idée, celle d’une cohérence du recueil qui rendrait d’autant plus intelligible idéologiquement l’ultime projet littéraire de Rimbaud. L’idée du « fragment », que j’ai développée dans ma thèse en 1981, le heurte fondamentalement. L’hypothèse que je développais alors était que le moment de « réalisation » des Illuminations, décalé par rapport aux premières traces du projet, restait discontinu, et partagé entre une velléité de cohésion et un syndrome de dispersion. D’un côté, le recueil, partiellement constitué, avec ses séquences et ses regroupements de poèmes ; de l’autre, les poèmes, que Verlaine et Rimbaud désignaient eux-mêmes du nom de « fragments ». M. Lefrère m’adresse aujourd’hui, dans une intention péjorative, le mot de désorientation : je désoriente les faits, le sens, le lecteur. Je lui accorde volontiers ce terme, je l’adopte même : il définit bien, à mon avis, l’état d’esprit de Rimbaud après le drame de Bruxelles et désigne de manière assez juste le moment interrompu de constitution d’un recueil de poèmes en prose.

Lorsqu’en 1981, puis en 1985 dans la version publiée de mon édition des Illuminations, j’ai distribué les poèmes dans un ordre qui n’est pas celui que j’adopte aujourd’hui dans mon édition de la Pléiade, je le faisais à l’instar du premier éditeur des Illuminations, Félix Fénéon, dont les tenants de la cohérence interne du recueil s’emploient à sous-estimer le témoignage. Je le faisais en préservant les regroupements et les séquences, en tenant compte du fait que des textes sont restés indépendants, séparés de la série de manuscrits foliotés, et en considérant qu’il n’était pas formellement établi que cette foliotation d’une partie des manuscrits était autographe. Cette question apparaît à M. Lefrère dans une telle confusion polémique qu’il cite cette phrase : « Sans doute, on n’oserait affirmer que la pagination est de Rimbaud lui-même, encore que la chose soit possible », comme exemplaire des « exercices chèvres-chouistes » auxquels je me livre avec une particulière « virtuosité ». Sauf que la phrase, la chèvre, le chou et la virtuosité ne sont pas de moi mais de Bouillane de Lacoste (Rimbaud et le problème des « Illuminations », Mercure de France, 1949, p.153).

En ce qui me concerne, l’incertitude qui subsiste sur la foliotation, et sur la relation entre le corpus folioté et les autres poèmes, ne m’empêche pas de considérer qu’il est « sage » (c’est le mot que j’utilise dans la notice de mon édition) d’adopter, pour les textes foliotés, l’ordre de cette foliotation manuscrite. M. Lefrère veut que je doive cet ordre à Steve Murphy et à l’article qu’il a publié sur ce sujet en 2000 dans sa revue. Mais cet ordre est celui-là même que la plupart des éditeurs adoptent depuis plus d’un demi-siècle, Bouillane de Lacoste, Suzanne Bernard, Antoine Adam, Louis Forestier, Jean-Luc Steinmetz et beaucoup d’autres, et celui que j’adopte moi-même dans les cinq révisions que j’ai assurées depuis 1981 de l’édition des Œuvres de Rimbaud dans les Classiques Garnier.

M. Lefrère me met en cause sur un autre sujet, – à moins qu’il ne s’agisse toujours du même. Histoires littéraires assure la chronique des ventes d’autographes. Les lecteurs de la revue ont ainsi le loisir, entre deux « histoires littéraires », de s’informer de la circulation des manuscrits, de ceux de Rimbaud en particulier. Cet excellent office comporte une arrière-pensée : la revue et ses collaborateurs peuvent apparaître comme les découvreurs, qu’ils ne sont pas, des documents reproduits et commentés. Une course au fac-similé s’engage à chaque occasion de vente publique. On disperse la collection Berès, des catalogues de vente sont publiés qui reproduisent les manuscrits, Histoires littéraires les reproduit à son tour. Un libraire, Alain Nicolas, met la main sur une version inconnue de Mémoire, le manuscrit est reproduit dans le catalogue de vente, il reparaît aussitôt dans Histoires littéraires. Et ainsi de suite. Avec, à chacune de ces occasions, une longue description du document. Ce jeu se poursuit lorsque le directeur d’Histoires littéraires veut que sa revue soit la source de l’établissement du texte de Rimbaud ! Il faut donc lui rappeler que les œuvres de Rimbaud ne sont pas sa propriété privée, et que l’établissement du texte d’une édition se fait à partir des originaux quand il est possible de les consulter ou, à défaut, à partir des fac-similés de première main publiés dans les catalogues de ventes et de collections, et que les fac-similés de fac-similés et les bavardages pseudo-philologiques qui s’y rapportent ne sont que des produits de substitution.

On comprend la rage de dépossession qui anime M. Lefrère quand il apprend, dans mon édition, que j’ai consulté le manuscrit de Bonne pensée du matin et l’autographe de Mémoire dans les bibliothèques où ils sont conservés, et que j’ai établi le texte de ces poèmes en me dispensant des reproductions de seconde main de sa revue. On comprend aussi pourquoi il parle avec si peu d’aménité des collectionneurs qui ne sont pas de ses amis. Il me reproche, dans le même esprit, de ne pas renvoyer, pour les poèmes en vers de Rimbaud, au volume de fac-similés publié par Steve Murphy (Champion, 2005). Possède-t-il un exemplaire de ce volume ? J’indique, dans ma Note sur l’édition, que je mentionne, pour chaque poème, « un bon fac-similé consultable, s’il en existe un ». Je m’en suis tenu à ce principe. Il est sans doute regrettable que le volume de fac-similés des éditions Champion reproduise les manuscrits de Rimbaud d’une manière particulièrement décevante, mais c’est un fait (voir ma recension de ce volume dans le numéro d’avril 2007 de la Revue d’histoire littéraire de la France). Je renvoie, du reste, sans la moindre hésitation, aux excellents fac-similés de lettres que publie M. Lefrère lui-même dans son édition de la Correspondance.

Quelques-uns des reproches qu’il m’adresse renvoient comme à un modèle à son édition de la Correspondance. Dans les cas où l’autographe d’une lettre de Rimbaud n’a pas été retrouvé, M. Lefrère adopte le texte de la copie d’Isabelle, quand j’adopte celui de la première édition, celle de Berrichon. Sans doute Berrichon trafiquait-il les textes. Isabelle aussi. Nous sommes entre deux versions apocryphes, ce qui rend la détermination éditoriale assez indifférente. M.Lefrère me reproche aussi de ne pas adopter son texte, établi sur l’original, pour la lettre de Rimbaud du 8 octobre 1887 : la Pléiade a demandé une autorisation de reproduction au détenteur de ce document, que M.Lefrère connaît bien, et qui a négligé de répondre.

M. Lefrère a de grandes certitudes. C’est un homme qui ne doute pas. Sauf sur un sujet : La Chasse spirituelle. Non pas l’œuvre perdue de Rimbaud mentionnée par Verlaine, mais le pastiche publié sous ce titre aux éditions du Mercure de France en 1949. M.Lefrère relève ce que j’en dis et m’accuse de « méconnaissance du sujet ». Je lui accorde que l’épisode de ce « faux Rimbaud », si célèbre soit-il, le passionne plus qu’il ne m’intéresse : je n’émarge pas à cette amicale d’érudits de l’anecdote, où l’on aime immodérément la supercherie, les propos attribués, le fumisme et le pastiche manqué.

De ce sujet que je ne connais pas, je rappellerai donc ce qu’on en sait. Les auteurs de ce médiocre pastiche d’Une saison en enfer, Akakia-Viala et Nicolas Bataille, qui cherchaient un opportunisme de célébrité, ont abusé quelques lecteurs habituellement plus avisés. On peut en être navré, notamment pour le plus savant d’entre eux, Pascal Pia, mais les faits sont là, et les textes. Pascal Pia a préfacé l’édition de la fausse Chasse spirituelle, dont il a défendu l’attribution à Rimbaud dans Combat (le 19 mai 1949), polémiquant avec ceux que cette attribution ne convainquait guère, André Breton en particulier. La supercherie fut dévoilée. À la suite de cet épisode, Breton infligea à la petite franc-maçonnerie des mystifiés une percutante mise au point (Flagrant délit, Rimbaud devant la conjuration de l’imposture et du truquage, aux Éditions Thésée). M.Lefrère a-t-il entrepris de réfuter Breton ? C’est ce qu’il semble envisager dans une note de sa biographie où il le traite de « fils de gendarme » (Rimbaud, op. cit., p. 490). Il aimerait pouvoir disculper Pascal Pia, dont il se croit le fils spirituel : « Certains éléments, qu’il serait trop long de développer ici, suggèrent aujourd’hui que Pia, pour lequel la tentation devait être très forte, ne fut pas étranger à la confection de la fausse Chasse » (ibid.). M. Lefrère défait et refait l’histoire, à partir de « certains éléments ». Attendons qu’il ait le loisir de les « développer ». C’est à partir de « certains éléments » qu’il a cru pouvoir suggérer, dans un autre volumineux ouvrage, que Corneille avait écrit les premières pièces de Molière (« Ôte-moi d’un doute… », sous-titré L’Énigme Corneille-Molière, Fayard, 2006). Au risque qu’il me taxe encore de « méconnaissance du sujet », je persiste à croire que Molière est l’auteur de Tartufe.

Le destin des positivistes est que les faits viennent détruire l’idée qu’ils en ont. Avant qu’un autre que lui ne découvre Le Rêve de Bismarck, M. Lefrère était formel et péremptoire, comme à son habitude : « Jacoby [le rédacteur du Progrès des Ardennes] ne publia pas davantage ce Bismarck allégorique que l’on n’est pas près de retrouver » (Rimbaud, op. cit., p.213). Patrick Taliercio l’a retrouvé. M. Lefrère, quant à lui, cherche La Chasse spirituelle.

P.-S.

Droit de réponse non publié par la Quinzaine littéraire et initialement mis en ligne par l’Atelier de théorie littéraire de Fabula

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